Les problèmes de traitement des eaux usées prennent de plus en plus d’importance dans l’industrie du papier. En particulier, les eaux usées issues du processus de collage du papier entraînent une pollution notable des effluents provenant des papeteries. Dans le but d’assurer la protection de l’environnement, nous avons mené des études pendant plusieurs années afin de mettre au point un produit de collage peu polluant et améliorant l’épuration des eaux rejetées tout en permettant, dans certains cas, d’accroître la capacité des installations d’épuration ou de réduire les dimensions des nouvelles stations.
Les études faites ont permis de breveter un procédé de collage basé sur l’utilisation des produits Sulzfloc : composés d’aluminium anorganiques, macromoléculaires et à peu près exempts de sulfates, ils permettent de réduire jusqu’à dix fois le dosage d’aluminium par rapport à l’alun, tout en conservant ou améliorant les propriétés mécaniques, physiques et chimiques du papier, et en diminuant les effets de la corrosion. En particulier, l’absence de sulfates a pour effet d’éviter la formation d’acide sulfhydrique (par réduction biochimique des sulfates) et la précipitation du sulfate de calcium.
Indépendamment de ces avantages ils présentent l’intérêt d’améliorer le traitement des eaux résiduaires mais aussi le recyclage de l’eau. Cet intérêt est évident lorsque ces eaux usées servent à la production de méthane par procédés anaérobies ; en effet, l’acide sulfhydrique qui se forme habituellement dans les eaux usées du papier présente l’inconvénient de perturber ou même d’arrêter les processus biologiques.
Les composés d’aluminium polynucléaires
Nos produits sont des polyhydroxychlorides d’aluminium dans lesquels les hydroxyles forment des complexes polynucléaires par combinaison avec les atomes d’aluminium. Cette structure présente les avantages suivants, en comparaison avec les autres composés d’aluminium anorganiques habituels :
- a) la vitesse de floculation est très rapide,
- b) l’influence du pH sur le processus de floculation est faible, ce qui permet leur utilisation dans une gamme étendue de valeurs du pH,
- c) l’effet de coagulation des substances colloïdales ou des matières en suspension est plus intensif qu’avec d’autres coagulants comme le chlorure d’aluminium,
- d) la réduction du pH et de l’alcalinité de l’eau à traiter est peu importante,
- e) lors du traitement des eaux usées, la structure des flocs obtenus facilite leur rétention dans les filtres. L’épaississement ou la déshydratation des boues sont également rendus plus efficaces et plus rapides.
Ils se présentent sous forme liquide ou solide.
Les premiers (JG 19) constituent une solution aqueuse du polymère cationique, pratiquement exempte de sulfate, comportant une teneur en Al₂O₃ (18 % ± 1) analogue à celle du sulfate d’aluminium utilisé sous la forme solide dans certains pays.
Les seconds (JG 30) sont livrés en poudre hygroscopique.
TABLEAU 1
CARACTÉRISTIQUES DES COMPOSÉS D’ALUMINIUM POLYNUCLÉAIRES
SULZFLOC JG 19 | SULZFLOC JG 30 | |
---|---|---|
Forme : | liquide | solide |
Odeur : | inodore | inodore |
Poids spécifique (20 °C) g/cm³ : | 1,34 | – |
Solubilité dans l’eau g/100 g : | – | 45 |
Valeur pH (20 °C) : | 1,8 | – |
Point de congélation °C : | −20 | – |
Viscosité (20 °C) cst : | 22 | – |
Teneur en Al₂O₃ : | 18 ± 1 % | 31 ± 1 % |
Leurs caractéristiques figurent au tableau 1. Leur formule peut être écrite comme suit :
[Al₂(OH)nCl₃ₙ₋ₙ]
alors que la formule des composés analogues est en général la suivante :
[Al₂(OH)m(SO₄)pCl₃ₙ₋ₘ₋₂p]
formule que nous avons écartée afin d’éviter les effets préjudiciables de ces ions sulfate dans la fabrication du papier.
Dans la fabrication de nos composés d’aluminium polynucléaires, divers paramètres, tels que par exemple les rapports OH/Al et Cl/Al₂O₃, l'anion utilisé (chlorure, sulfate, nitrate, carbonate), la température de réaction, le temps de séjour, la qualité des réactifs, etc., peuvent être pris en considération pour faire varier la structure, c’est-à-dire les propriétés d’application du produit final ; aussi peut-on s’attendre à voir apparaître dans l'avenir des produits spécialement conçus pour chaque traitement spécifique, en particulier lorsque la recherche fondamentale aura déterminé de façon précise la structure de ces complexes polynucléaires, ce qui n’est pas le cas actuellement. Smith et Hem (1), ainsi que Parthasarathy, Buffel et Haerdi (2) ont découvert que ces polymères modifient avec le temps leur structure dans une solution, en ce sens que la quantité d’aluminium totale (Alₜ) résulte de la somme suivante :
Alₜ = Alₘ + Alₚ + Alₛ
où :
- Alₘ = Al³⁺ + monomères,
- Alₚ = composés polynucléaires,
- Alₛ = hydroxydes précipités.
Pour cette raison il est important d’atteindre la concentration la plus élevée en Alₚ.
Le collage du papier
Le collage du papier constitue une opération très importante dans la fabrication de ce produit. Tandis que les propriétés mécaniques du papier sont principalement influencées par la mouture, ses propriétés physiques et chimiques lui sont conférées en premier lieu par des additifs tels que kaolin, agent de blanchiment, éclaircisseur optique, colorants, colles et fixateur.
En règle générale, les colles sont inopérantes sans l’adjonction de sels d’aluminium. La suspension des matières de remplissage à grains fins n’est déstabilisée que par le sel d’aluminium, ce qui conduit à l’utiliser dans la fabrication du papier au cours de laquelle la présence de fibres, de colle résinique, de kaolin et de sel d’aluminium déclenche des processus électro- et colloïdaux-chimiques qui conduisent à une précipitation de la substance de collage ou de remplissage sur la surface des fibres. On sait par la théorie que dans les processus de floculation, l’apport d’énergie, c’est-à-dire le temps de réaction et le gradient de vitesse, revêtent une importance décisive, ce dernier pouvant être défini comme suit (3) :
G = √(W / μV)
dans laquelle :
- W = énergie (N m/s)
- V = volume de réaction (m³)
- μ = viscosité (N s/m²).
À côté des facteurs susmentionnés, ces processus influencent le volume des particules colloïdales par unité de volume en suspension (Ω), ainsi que la fraction du nombre total de collisions des particules (η), qui forment un agglomérat.
Si nous considérons tous ces facteurs, nous obtenons pour le taux de floculation orthocinétique des particules sphériques l’équation suivante :
ln(Nₜ / N₀) = 4π (nQG t) / V
où :
- N₀ = concentration initiale des particules,
- Nₜ = concentration des particules après un temps t.
De plus, il va de soi que la floculation est influencée par la nature des particules et les réactions secondaires, ainsi que par la valeur du pH et la température du système.
En se fondant sur ce résumé théorique, on peut dire que le collage du papier est une opération très complexe. Nos travaux, dont les résultats sont exposés ci-après, ne font en effet que débuter. Ils visent uniquement à attirer l'attention des fabricants de papier sur ces composés d’aluminium, qui prendront inévitablement de l’importance dans leur branche.
La figure 1 montre l’influence des apports de sulfate d’aluminium ou de JG 19 sur le collage lors de la fabrication de deux sortes de papiers :
a) pâte au sulfite blanchie,
b) pâte kraft blanchie.
L’apport de colle résinique a été environ trois fois aussi important que dans la concentration de précipitant calculée en Al₂O₃.
La figure 2 représente la valeur du pH et la teneur en chlorure dans l’eau du tamis à papier en fonction de l'addition de JG 19 (pour mille d’Al₂O₃ sur fibres sèches). Pendant ces examens comparatifs, la valeur du pH s’établissait à 4,2-4,3 dans le cas du collage avec sulfate d’aluminium.
Le tableau II est un résumé comparatif des résistances du papier mesurées pendant ces examens.
Pour la détermination du degré de collage, on a appliqué le procédé de flottation selon Stöckigt (4). Le meilleur degré de collage du JG 19, rapporté à Al₂O₃, ressort nettement.
Le fait que notre produit possède un meilleur effet de collage que le sulfate d’aluminium permet de réduire l’addition de résine. Selon Stöckigt, avec 0,25 % d’Al₂O₃ sous forme de Sulzfloc et 1 % de résine, on a obtenu, lors de la fabrication de papier à partir de pâte au sulfite blanchie, le même degré de collage qu’avec addition de 0,5 % d’Al₂O₃ sous forme de sulfate d’aluminium et de 2 % de résine.
Aspects chimiques et biochimiques
À cet égard, le sulfate d’aluminium présente les inconvénients suivants :
- a) par la réaction avec le bicarbonate de calcium contenu dans l’eau, il se produit du sulfate de calcium (plâtre), dont la solubilité est plus faible que celle du chlorure correspondant ;
- b) de l’acide sulfhydrique est produit par la réduction biochimique du sulfate.
La réaction entre le sulfate d’aluminium et les bicarbonates se réalise suivant l’équation chimique suivante :
Al₂(SO₄)₃ + 3 Ca(HCO₃)₂ → 3 CaSO₄ + 2 Al(OH)₃ + 6 CO₂ Al₂(SO₄)₃ + 3 Mg(HCO₃)₂ → 3 MgSO₄ + 2 Al(OH)₃ + 6 CO₂
Étant donné que la limite de solubilité du sulfate de calcium est de 202 mg dans 100 g d’eau à 18 °C, la précipitation de ce sel peut facilement intervenir, ce qui provoque un encrassement de l’installation et du feutre à papier. Le chlorure de calcium présente une plus haute solubilité : 7 450 mg dans 100 g d’eau à 20 °C ; le sulfate et le chlorure de magnésium accusent également une solubilité relativement bonne.
Les désulfurants, c’est-à-dire les bactéries réductrices de sulfates, utilisent l’hydrogène des diverses substances organiques lors de la fabrication du papier, selon l’équation suivante (5) :
8 H + SO₄²⁻ → H₂S + 2 H₂O + 2 OH⁻
Pour ne pas nuire au développement de ces bactéries anaérobies, l’eau ne doit pas contenir d’oxygène dissous.
Dans ces conditions anaérobiques, qui règnent par exemple dans le circuit d’eau hermétique d’une fabri-
TABLEAU II COMPARAISON DES RÉSULTATS OBTENUS DANS LE COLLAGE DU PAPIER
Grammage du papier g/m² | Al₂O₃ – sulfate d’aluminium | Al₂O₃ – Sulzfloc | Charge de rupture moyenne kg | Longueur de rupture moyenne km | Résistance à l’éclatement moyenne kg/m² | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
— | — | — | — | — | — | ||||
60 | 3 : 1 | 3,00 | 2,98 | 3,5 | 3,5 | 0,75 | 0,70 | ||
100 | 2,5 : 1 | 5,30 | 5,30 | 3,5 | 3,6 | 1,53 | 1,55 | ||
60 (avec résine synth.) | 2 : 1 | — | 6,0 | — | 6,4 | 3,40 | 3,80 | ||
150 | 2 : 1 | — | 19,4 | — | 21,2 | 8,6 | 9,4 | — | — |
140 | 1,4 : 1 | — | 8,5 | — | 10,0 | 4,0 | 4,7 | 3,9 | 4,0 |
que de carton ou de papier, et lorsque l’eau contient des ions sulfates, on constate une production d’acide sulfhydrique ; outre l’odeur désagréable qui se dégage, il se pose de ce fait divers problèmes notamment ceux de la corrosion atmosphérique des tubes de cuivre, de la courte durabilité des pompes avec corps en fonte grise et pièces de bronze, et de la forte corrosion des tubes d’acier non alliés (figure 3).
En revanche, les tubes en acier austénitique inoxydable, posés au début de nos recherches, ont jusqu’à présent fait leurs preuves. Il faut noter en outre que les acides organiques présents dans le circuit hermétique ont pour effet d’accélérer les phénomènes de corrosion.
Pour contrôler la vitesse de la corrosion, on a utilisé un corrosiomètre de fabrication américaine, appareil dont le fonctionnement est basé sur l’augmentation de la résistance électrique d’un échantillon filiforme du matériau à étudier soumis à l’action de l’agent corrosif, les modifications de résistance dues à la température faisant l’objet d’une compensation. L’échantillon est incorporé dans un pont Kelvin ; sa résistance peut être mesurée de façon discontinue. La vitesse de la corro- sion est établie en fonction de l’augmentation de cette résistance suivant un rapport qui dépend du matériau à tester.
Un des inconvénients de la méthode réside dans la nécessité d’en interpréter les résultats lorsque la corro- sion de l’échantillon se produit non pas uniformément mais sous forme de piqûres plus ou moins profondes.
La figure 4 reproduit les résultats des mesures faites sur de l’acier C. Lors de ces essais, la température de l’agent corrosif s’est maintenue en dessous de 30 °C et sa vitesse d’écoulement a été stabilisée à 70 cm/s.
La concentration du sulfure et la valeur du pH influencent considérablement la vitesse de corrosion. On voit (figure 5) l’allure de cette vitesse après des mesures au corrater, en laboratoire, en fonction de la valeur du pH pour deux taux de concentration de sul- fure ; l’augmentation de la valeur du pH a été opérée à l’aide de soude caustique. On y voit que la chute rapide
des taux de corrosion est intervenue avec des taux de pH compris entre 5 et 6.
On peut donc constater que la corrosion par le sul- fure est d’autant plus lente que l’acide sulfhydrique est moins concentré et que les valeurs du pH sont plus élevées. Cette constatation est importante, car l’eau d’exploitation peut contenir du sulfate ou, en cas de réutilisation de vieux papiers qui ont été collés à l’aide de sulfate d’aluminium, des ions sulfates peuvent se diffuser dans l’eau. Or, avec l’utilisation de nos pro- duits, la concentration en ions sulfates n’augmente pas et la valeur du pH demeure plus élevée que lors du col- lage avec emploi de sulfate d’aluminium ; il en résulte une diminution appréciable des taux de corrosion.
Des essais de corrosion effectués avec l’eau du tamis à papier contenant environ 250 mg/l de chlo- rure et 500 mg/l de sulfate — sans acide sulfhydrique — montrent que le bronze au phosphore est attaqué avec un taux de corrosion de 0,50 µm/a (en cas d’uti- lisation de Sulzfloc) et 60 µm/a (en cas d’addition de sulfate d’aluminium). Par contre, on n’a constaté aucune corrosion notable de l’acier inoxydable au CrNi.
Le traitement de l’eau, des eaux usées et des boues
Le Sulzfloc, présente, pour la floculation de l’eau et des eaux usées ainsi que pour la séparation des flocons
par filtration, sédimentation et flottation, suffisamment d'avantages techniques par rapport au sulfate d'aluminium pour supplanter ce dernier. Outre les avantages déjà signalés que l'on retrouve ici, on peut citer les suivants :
- a) les flocons apparaissent avant déstabilisation complète des substances colloïdales jusqu'à un potentiel Zêta zéro, ce qui accélère la floculation,
- b) le pH et la température influent moins le processus,
- c) sauf cas exceptionnel, aucun agent de floculation secondaire n'est nécessaire,
- d) le rapport quantité de colloïdes/quantité d'aluminium est plus élevé,
- e) meilleur rapport P/Al lors de l'élimination du phosphore total,
- f) dans la floculation/filtration, l'effet d'élimination des micro-organismes est plus prononcé (7),
- g) la consommation du permanganate de potassium est réduite.
Bien que présent en solution, le Sulzfloc JG 19 contient davantage d'aluminium, c'est-à-dire d'Al₂O₃, que sous la forme Al₂(SO₄)₃·18 H₂O. Il permet ainsi d'éviter les problèmes de concentration et d'entrepôt que pose une installation de dissolution d'aluminium. La comparaison sur le plan de la densité apparaît également favorable, notre produit contenant 234 g d'Al₂O₃ par litre contre 144,5 g pour le sulfate d'aluminium (pour une densité de 850 g/l en granulométrie 2/12 mm).
Les graphiques portés sur les figures 6 et 7 sont significatifs pour la comparaison des deux coagulants :
— la figure 6 montre l'influence du pH dans l'élimination des matières en suspension (avec un dosage de 4 g/m³ d'aluminium), le pH étant réglé par addition d'acide ou de lessive.
— sur la figure 7 on peut comparer les effets des traitements des eaux usées au titre de la turbidité et de l'élimination du phosphore.
Des résultats intéressants sont également obtenus en matière de déshydratation des boues, opération dans laquelle le meilleur rendement est obtenu avec un dosage correspondant à 1-3 % des matières sèches.
Conclusion
On a vu que l'emploi de nos composés polyvalents d'aluminium polynucléaires dans l'industrie du papier présente de nets avantages par rapport au sulfate d'aluminium.
En raison de leurs qualités physico-chimiques les composés d'aluminium polynucléaires constituent à notre avis l'agent de floculation primaire de l'avenir, qu'il soit utilisé dans la préparation de l'eau potable, dans les processus industriels ou dans l'épuration des eaux usées. Seul leur prix reste pour l'instant un obstacle à leur utilisation généralisée dans ce champ d'application.
Bibliographie
- R. W. Smith, Am. Chem. Soc., Advances in Chemistry, series 106, 250 (1971).
- N. Parthasarathy, J. Buffel, W. Haerdi, Rapport du projet n° 1050 « Investigation of the optimal conditions for the preparation and separation of polyhydroxo aluminium complexes », département de Chimie minérale de l'université de Genève.
- J. C. Ginocchio, H. Gros, H. Bischofberger, A. Gminder, « The influence of wastewater flocculation-filtration on subsequent disinfection by chlorine, physicochemical methods for water and wastewater treatment », Studies in Environmental Science 19, editor L. Pawlowski.
- R. Korn et F. Burgstaller, « Papier- und Zellstoff-prüfung », Springer-Verlag, 1953, page 262.
- H. Schlegel, « Allgemeine Mikrobiologie », Georg Thieme Verlag, 1976.
- P. Sür et L. Pelloni, « Korrosionsmessungen im Wasserkreislauf », rapport interne Sulzer Frères S.A., 1976.
- J. C. Ginocchio et A. Gminder, « Einfluss der Flockungs-filtration auf Nachentkeimung mit Ozon in der Trinkwasser-aufbereitung », Revue technique Sulzer, n° 18/81, 1981.