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L'élu local face aux problèmes de l'eau

30 mars 1987 Paru dans le N°108 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : P.-l. TENAILLON

L'eau, de par la diversité de ses usages, pose aux collectivités locales des problèmes multiples auxquels les élus ont à apporter des solutions qui nécessitent des arbitrages entre des impératifs parfois contradictoires.

Si, à l’origine, l’habitat s’implantait spontanément à proximité des points d’eau, sources, rivières, étangs, et se limitait en fonction de leur capacité, le phénomène de concentration des populations dans des cités de plus en plus étendues a renversé le problème : c’est l’eau qui maintenant doit arriver en quantité suffisante là où les populations ont décidé de s’implanter.

Un autre corollaire immédiat de cet état de choses est le problème d’évacuation des eaux usées et de leur traitement. Les concentrations urbaines entraînent localement une masse de pollution qui dépasse largement le pouvoir d’auto-épuration de la nature ; de plus au fil des siècles, et principalement à la fin du siècle dernier, l’eau a été de plus en plus utilisée par les activités industrielles, en volumes souvent très importants au niveau local. Alors se posent, lors de son rejet, des problèmes de pollution thermique, biologique ou chimique, sans cesse nouveaux, sans cesse accrus. Au même moment, les cultures requièrent des volumes importants d’une eau de bonne qualité pour l’arrosage ou l’irrigation. L’usage intensif d’engrais ou de pesticides devient une source de pollution pour les ressources en eau, surtout souterraines.

Aussi apparaît-il à l’évidence que les divers usagers de l’eau ne peuvent plus agir isolément, sans tenir compte les uns des autres. L’élu local, qui doit être conscient des contraintes de l’environnement immédiat, a dès lors un rôle primordial à jouer pour rendre les arbitrages nécessaires et choisir les solutions conciliant les besoins de chacun.

Un exemple concret en Île-de-France

Puis-je citer quelques exemples dans ce département des Yvelines que je connais bien ?

L’utilisation de la Seine en aval de Paris n’était plus envisageable comme ressource d’eau potable dans une grande partie du département, compte tenu de son degré de pollution qui n’a commencé à diminuer que depuis quelques années. Cette difficulté n’a pas empêché un développement considérable de l’urbanisation, développement tel que les nappes souterraines auxquelles il devait être fait appel pour l’alimentation des populations devenaient insuffisantes. Les débits prélevés augmentent alors que, simultanément, l’imperméabilisation des sols, conséquence de l’urbanisation, ainsi que l’acheminement direct à la rivière des eaux de ruissellement, tarissent considérablement l’infiltration naturelle.

Les sablières

Parallèlement, la construction nécessite de plus en plus d’agrégats : sablières et carrières sont intensivement exploitées, notamment le long du fleuve ; en certains endroits cette exploitation devient une menace pour la qualité des eaux souterraines, par la disparition des couches d’agrégats qui les protègent, et surtout par le risque de remblaiements plus ou moins contrôlés des cavités à combler.

Des élus locaux de nombreuses communes de la région de Saint-Germain-en-Laye, dont l’alimentation en eau dépend de la nappe de Croissy, ont permis par leur décision unanime, la réalisation dans le cadre d’une déclaration d’utilité publique, de la réalimentation artificielle de la nappe de Croissy ; ainsi sont utilisées les sablières exploitées qui, au lieu de devenir une décharge génératrice de pollution, ont été transformées en zone d’infiltration d’une eau de qualité contrôlée.

Grâce à cette réalisation, la première du genre en France, faite il y a plus de vingt-cinq ans par la Lyonnaise des eaux (concessionnaire des communes), les collectivités tributaires de cette ressource n’ont jamais manqué d’eau, même au cours de l’été crucial de 1976. La décision des élus locaux, indispensable moteur d’une telle opération, a permis d’harmoniser la production des agrégats, nécessaires à la construction, et la sécurité de l’alimentation en eau des populations. Ces deux impératifs paraissaient au départ contradictoires.

Les sports nautiques

Dans un autre domaine, la pratique des sports nautiques sur la Seine semblait pratiquement impossible compte tenu de sa pollution actuelle et du trafic intense des péniches, mais là également les élus locaux, en se regroupant en Syndicat de

[Photo : La station de réalimentation de la nappe de Croissy.]

* Association Française pour la Protection des Eaux

Triel-Verneuil-Vernouillet et Les Mureaux), ont pu éviter que d’anciennes sablières exploitées à Verneuil ne soient transformées en décharges. Dorénavant les vastes bassins qu’avait créés leur exploitation permettent l’équipement de la Base de loisirs du Val-de-Seine où se déroulent diverses activités nautiques dans un environnement agréable.

[Photo : Une base de loisirs du Val-de-Seine.]

L’épuration des eaux usées

Le traitement et le rejet des eaux usées et des eaux pluviales est un des problèmes les plus difficiles sur lequel les élus locaux ont à se prononcer.

Il n’est plus question aujourd’hui pour quiconque de prétendre trouver à l’amont des eaux de bonne qualité et d’envoyer à l’aval, sans précaution, ses eaux usées ! On est toujours à l’amont de quelqu’un et l’obligation d’une concertation entre les collectivités intéressées apparaît, avec la nécessaire solidarité des usagers d’un même bassin versant pour définir les solutions techniques à adopter.

Dans un premier temps, certaines options sont à définir : assainissement autonome, ou réseau d’assainissement, réseaux unitaires ou réseaux mixtes, localisation du rejet dans le milieu naturel. L’élu local doit se garder de projets trop ambitieux dont les difficultés de financement retarderaient la réalisation, mais la pollution, déjà présente, se développe et elle ne sera pas traitée tant que les travaux ne seront pas terminés. À contrario, le parti adopté doit prévoir l’extension des volumes à traiter, que ce soit au niveau des eaux usées, du fait de l’augmentation prévisible de la population ou des industries, ou que ce soit au niveau des eaux pluviales, dont le volume peut considérablement s’accroître avec l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols qui en est le corollaire. Si les stations de traitement peuvent éventuellement être construites par tranches, au fur et à mesure de l’accroissement des besoins, il n’en est pas de même des collecteurs d’acheminement qu’on ne peut grossir et qui doivent être suffisamment dimensionnés au départ, et surtout en fonction du milieu naturel dans lequel on rejette leurs effluents. Le régime d’écoulement d’une rivière a des limites et celle-ci peut devenir incapable d’évacuer les volumes importants qui lui sont apportés par les déversoirs d’orage, lesquels, drainant de vastes surfaces, provoquent de graves dégâts à l’environnement par les crues subites qu’ils causent.

Devant l’ampleur des problèmes qui lui sont posés, l’élu local ne peut appuyer sa décision que sur les études faites par les techniciens et en fonction de l’aide qu’il peut escompter des divers organismes concernés.

La rivière, élément d’un environnement de qualité

Je viens d’évoquer ci-dessus la limite des possibilités d’évacuation des effluents qu’une rivière peut comporter. Ceci n’est qu’un aspect des problèmes auxquels sont confrontés les élus locaux pour maintenir, ou restaurer tant la qualité des eaux des rivières que l’environnement esthétique, lui-même tributaire de cette qualité des eaux qui doit au premier chef être suffisante pour que soit maintenue la vie piscicole. Trop souvent hélas, ce n’est plus le cas !

Je ne reviendrai pas sur les nuisances qui procèdent de l’urbanisation : produits azotés rejetés par les stations d’épuration, huiles et graisses entraînées par les eaux pluviales. Malheureusement il faut y ajouter les conséquences des drainages agricoles (qui apportent fréquemment des nitrates), et les rejets plus ou moins toxiques de certaines industries dont les déversements sont souvent importants par rapport au faible débit de la rivière dont elles sont riveraines.

L’élu local se trouve aujourd’hui devant une situation dont il a hérité au terme d’une dégradation progressive et à laquelle il doit remédier, avec toutes les difficultés que cela implique sur les plans financier, social et humain.

Des problèmes financiers, économiques, sociaux

Du point de vue financier, l’élu local se trouve chaque année dans l’embarras du choix entre les divers projets qu’il serait souhaitable de réaliser et dont l’enveloppe financière globale dépasse les possibilités. Parmi tous ces projets, ceux qui concernent la lutte contre la pollution ne sont pas spectaculaires, bien qu’onéreux, et leur achèvement requiert souvent de longs délais… Aussi peut-il avoir beaucoup de difficultés à faire prévaloir la priorité à donner à leur réalisation sur des opérations de prestige tangibles à court terme !

Du point de vue social, s’il est difficilement admissible qu’une activité industrielle ou agricole soit une source de pollution permanente, les solutions à apporter pour remédier à un tel état de choses sont parfois trop lourdes à supporter pour l’exploitant. Il peut s’en suivre des conséquences graves sur le plan social, dont l’élu local doit apprécier le bien-fondé en fonction duquel il s’efforcera de solliciter les aides nécessaires auprès des organismes concernés.

Il est par ailleurs indispensable que la rivière retrouve son attrait naturel et pour ce faire qu’elle soit entretenue ; mais souvent, même si les riverains en ont théoriquement la charge, certains d’entre eux n’en ont pas la possibilité. L’entretien des berges, l’enlèvement des obstacles à l’écoulement des eaux, arbres morts et déchets divers, le maintien en l’état des ouvrages de retenue permettant de régler le niveau de l’eau dans les biefs, la sauvegarde de capacités susceptibles d’absorber une partie des débits accidentels de crue et par là-même de limiter les inondations, le recalibrage de certaines sections dans le même but, sont autant de préoccupations que la collectivité est amenée à prendre en charge, en se substituant aux initiatives défaillantes des riverains.

Ainsi, tout au long du cycle de l’eau, l’élu local est directement concerné. Il doit veiller à dégager des ressources suffisantes et mettre en œuvre les dispositions nécessaires pour rendre à l’eau, aussi rapidement que possible après usage, une qualité qui lui permette de reprendre son cours naturel dans des rivières riantes, sources de vie, d’agrément et de loisirs.

Quelle tâche difficile, mais combien exaltante !

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