Si la voie de la déphosphatation par précipitation physico-chimique assure des rendements épuratoires excellents, elle est par contre responsable d'une surproduction de boues et d’une augmentation des coûts de fonctionnement par la consommation de réactifs... Notre effort de recherche s’est alors tourné vers la maîtrise de l’élimination du phosphore par voie biologique, solution plus économique mais très dépendante de la qualité de l’eau à traiter. L’exemple de la station d’épuration de Saint-Just-en-Chaleyssin illustre bien ce problème : l’effluent à traiter d’origine industrielle (eau résiduaire de laiterie) présente une composition telle qu'une solution différente des schémas traditionnels a dû être adoptée ; de plus, la voie biologique ne pouvait assurer à elle seule la complète élimination du phosphore impliquant un traitement de finition par précipitation physico-chimique.
RAPPEL DES MÉCANISMES DE L’ÉLIMINATION DU PHOSPHORE PAR VOIE BIOLOGIQUE
L’élimination biologique du phosphore est en fait un transfert de la phase liquide (eau brute) vers la phase solide (boue activée) par stockage intracellulaire. Cette accumulation, réalisée par des micro-organismes particuliers, conduit à la formation de granules de polyphosphates (poly-P) ou grains de volutine. Ainsi la boue activée s’enrichit progressivement en phosphore jusqu’à des teneurs très importantes (> 10 % en conditions de laboratoire). Il est alors aisé d’assurer l’élimination du phosphore par simple soutirage des boues en excès.
Si des teneurs de 2 à 3 % en phosphore dans les boues sont obtenues sous des conditions normales de fonctionnement, le mécanisme de suraccumulation nécessite un schéma de traitement particulier, caractérisé par une alternance de phases anaérobies et aérobies. Les phénomènes mis en jeu sont complexes : schématiquement, il est possible de séparer les réactions intervenant en zone anaérobie de celles se réalisant sous des conditions aérobies (dans les procédés assurant en outre une élimination de l’azote, la zone anoxique, caractérisée par la présence de nitrates, est assimilée à une zone aérée).
Les étapes suivantes peuvent, d’après Méganck et Faup (1987), être mises en évidence :
en zone anaérobie :
- — synthèse de réserves de polyhydroxybutyrate (PHB) via l’acétate produit à partir du carbone de l’eau brute,
- — relargage par les micro-organismes déphosphatants du phosphore inorganique,
- — démarrage du système enzymatique polyphosphate kinasique (T’Seyen, 1986),
en zone aérobie :
- — suraccumulation du phosphore sous forme de granules poly-P par l’expression du système enzymatique préalablement initié,
- — consommation des réserves de PHB.
(Il est évident que ces réactions se produisent simultanément).
Ces phénomènes, indispensables au processus de déphosphatation biologique, vont conditionner la conception des stations de traitement.
En considérant que les réactions se déroulant en phase aérobie sont le résultat des processus engagés dans la zone anaérobie, notre attention se portera plus particulièrement sur cette partie du traitement.
Les éléments les plus sensibles sont la présence de carbone organique et l’influence des nitrates.
Carbone organique
Le carbone organique intervient pour la synthèse du PHB, réaction endergonique, qui induit le relargage du phosphore dans le milieu extracellulaire par utilisation de l’énergie de liaison des poly-P ; de plus, seule la part la plus facilement assimilable sera utilisée par les organismes producteurs d’acétate, les conditions d’anaérobiose étant défavorables énergétiquement.
Influence des nitrates
Les nitrates vont intervenir selon différentes manières mais toutes auront pour conséquence une perturbation ou un arrêt de la déphosphatation biologique.
[Photo : Mécanismes de la déphosphatation biologique.]
Les bactéries acétogènes vont utiliser le nitrate comme accepteur final d’électrons, inhibant par conséquent les voies fermentatives produisant l’acétate ; d’autre part, le carbone facilement assimilable va être consommé prioritairement par les réactions de dénitrification et ne sera plus disponible pour les mécanismes de relargage de phosphore.
Les schémas de traitement Phoredox (Barnard, 1974) procédé U.C.T. (Marais, 1983), etc., tiennent compte de ces contraintes en évitant les retours de nitrate en zone d’anaérobiose et en situant dans cette même zone l'arrivée de l'eau brute, riche en carbone organique.
Un exemple de conception de station (Phoredox modifié) est donné dans la figure 2.
[Photo : Fig. 2 : Procédé Phoredox modifié.]
LA STATION D’ÉPURATION DE SAINT-JUST-EN-CHALEYSSIN
Le cas de la station d’épuration de Saint-Just-en-Chaleyssin est un peu différent dans la mesure où il s’agit de traiter un mélange d’eaux usées urbaines et d’eaux résiduaires provenant d’une industrie laitière.
Les caractéristiques de ces effluents sont données dans le tableau suivant :
Caractéristiques des effluents traités dans les stations de Saint-Just-en-Chaleyssin
Paramètres |
Eau en laiterie |
Eau urbaine |
Débit journalier (m³/j) |
1500 |
200 |
DBO₅ (kg/j) |
2700 |
70 |
MES (g/l) |
975 |
80 |
DCO (g/l) |
5400 |
140 |
NTK (g/l) |
180 |
15 |
N-NO₃⁻ (g/l) |
79 |
0 |
P-PO₄³⁻ total (g/l) |
47 |
0,67 |
Dans ce cas-là, il était impossible d’utiliser un schéma de déphosphatation biologique déjà existant : en effet, dans les procédés classiques, l’effluent brut est alimenté dans le système à la hauteur du bassin anaérobie ; or ce mode de fonctionnement aurait compromis la possibilité d’obtenir des conditions d’anaérobiose stricte de par la teneur très forte en nitrates de l’eau de la laiterie.
Pour cette raison, il a été choisi d’introduire l’effluent industriel non pas dans la zone anaérobie mais dans la zone anoxique prévue pour la dénitrification (figure 3). Celle-ci reçoit ainsi un flux de liqueur mixte venant du bassin d’aération, une partie des boues décantées et l’effluent venant du bassin anaérobie.
[Photo : Fig. 3 : Station d’épuration de Saint-Just-en-Chaleyssin.]
Le bassin anaérobie est alimenté, d'une part par une partie des boues décantées, d’autre part par un flux d’eaux résiduaires urbaines (dont le débit est de 10 % du débit d’eau de laiterie), qui apporte la matière organique nécessaire à l’acidogénèse. Comme la quantité d’eau résiduaire urbaine disponible était limitée, on a été amené à diviser en deux le flux de boues décantées, une moitié étant recyclée dans la zone anaérobie, l’autre dans la zone anoxique.
Le lit bactérien à remplissage plastique (490 m³) est destiné à éliminer une partie de la charge organique de l’effluent de la laiterie ; l’élimination de l’azote est assurée par nitrification dans un bassin d’aération de 3 400 m³, équipé avec quatre aérateurs de surface, puis par dénitrification dans une zone d’anoxie recevant l’effluent de laiterie et la liqueur mixte recyclée de la zone aérobie ; l’élimination du phosphore par voie biologique (zone anaérobie suivie par une zone aérobie) permet d’obtenir un rendement de 75 %.
Le traitement final de déphosphatation physico-chimique est appliqué sur l’eau clarifiée : il consiste en une précipitation par chlorure ferrique dans un réacteur de 30 m³ suivie par une séparation des boues par flottation.
[Photo : Vue supérieure de l’ouvrage de flottaison des boues.]
Après cette étape, la concentration en P-PO₄³⁻ est inférieure à 2 mg/l.
* * *
Conclusion
Les potentialités d’élimination du phosphore par voie biologique sont directement liées à la composition de l’eau et notamment à la présence ou non des nitrates et la concentration en carbone disponible aux réactions dans l’anaérobiose. Pour certains effluents, cette voie de dépollution ne pourra être que partielle et un traitement physico-chimique, soit séparé, soit simultané, sera nécessaire pour l’obtention des niveaux de rejets (PT1 ou PT2). Ces solutions mixtes présentent néanmoins un intérêt économique certain, puisque la consommation de réactif est réduite à celle entraînée par la déphosphatation complémentaire.
BIBLIOGRAPHIE
J. L. Barnard, Cut P and N without chemicals, Water and Wastes Engineering, 11, 1974, 33-36 and 12, 1974, 41-43.
R. Marais, R. E. Loewenthal, I. P. Siebritz, Observations supporting phosphate removal by biological excess uptake – A review, Wat. Sci. Tech., 15, 3/4, 1983, 15-41.
M. Meganck, G. M. Faup, Enhanced biological phosphorus removal from wastewaters, to be published in Biotreatment Systems, vol. III, D. Wise Ed, CRC Press, 1987.
R. Nicol, G. M. Faup and W. Bauduin, A compact plant to treat effluent with high nitrogen content from the bio-Industry. Institute of Water Pollution Control, Durban, 27-30 May 1985.
J. T'Seyen, Elimination du phosphore des eaux résiduaires par voie biologique : activité de la polyphosphate-kinase ; utilisation d’une phase acidogène en amont d’un système de type « Phoredox modifié », Thèse de docteur, Centre des Sciences de l’Environnement, Université de Metz, France, 1986.
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