Cet article a fait l’objet d’une conférence des auteurs, lors du colloque tenu les 28 et 29 mars 1991 par l’Association Pharmaceutique Française pour l’Hydrologie (AFPH).
La Directive Européenne du 15 juillet 1980 relative aux normes de qualité des eaux potables stipule que, en ce qui concerne les pesticides, la concentration dans les eaux (CMA) ne doit pas dépasser 0,1 µg/l par substance prise individuellement et 0,5 µg/l pour l’ensemble des pesticides. Outre le problème du contrôle du respect de la réglementation qui se pose au niveau analytique (concentrations maximales parfois inférieures aux limites de sensibilité des appareils de mesure), les pesticides constituent un ensemble de composés très divers évoluant rapidement dont il est difficile de contrôler la présence dans les eaux.
Parmi les produits analysables au niveau de la CMA, l’atrazine et la simazine sont les deux composés qui posent actuellement le plus de problèmes vis-à-vis de ces normes. Leurs concentrations sont en effet très variables dans le temps et dépendent des périodes d’épandage et de la pluviosité. Ainsi, la concentration en atrazine peut atteindre quelques microgrammes/litre dans les eaux de surface.
Les filières classiques sont relativement peu efficaces et ne permettent pas d’atteindre les rendements d’élimination souhaitables (90 à 99 %). L’adsorption sur charbon actif est un moyen sûr, mais les effets de compétition dus à la présence de matières organiques conduisent à mettre en œuvre d’importantes doses dans le cas du charbon actif en poudre, ou bien à régénérer très fréquemment le charbon actif en grains. Ainsi sur une eau de surface du type eau de Seine qui contiendrait entre 1 et 2 µg/l de pesticides, la fréquence de régénération des filtres à charbon devrait être d’environ trois mois alors qu’elle peut atteindre une à plusieurs années dans le cas de l’élimination des goûts et odeurs.
Les techniques d’oxydation radicalaire par ozone/peroxyde d’hydrogène (procédé Perozone) ou d’adsorption/ultrafiltration sur membrane sont particulièrement bien adaptées à la production d’une eau conforme aux normes vis-à-vis des micro-polluants et des pesticides en particulier. Ces techniques ont fait l’objet de premières mondiales à l’échelle industrielle que nous nous proposons de détailler dans cet article.
La combinaison ozone/peroxyde d’hydrogène(procédé Perozone)
L’oxydation par l’ozone en phase aqueuse résulte de deux effets parfois complémentaires :
- — les réactions directes de la molécule
d’ozone avec les constituants de l'eau (réactions très sélectives) ;
• la transformation de l’ozone en espèces oxydantes radicalaires (du type radical hydroxyle) très réactives et peu sélectives. Cette transformation a lieu sous l'influence des ions hydroxyles (OH⁻) ou des promoteurs présents dans l’eau à traiter (matières organiques...).
Ces réactions peuvent avoir lieu simultanément, mais dans un grand nombre de cas, les micropolluants sont oxydés par voie radicalaire. Toutefois, l’expérience montre que, dans les conditions d’ozonation habituellement mises en œuvre à l'échelle industrielle (dose d’ozone 1-2 g/m³, temps de contact 4-10 minutes), les micropolluants du type atrazine, solvants chlorés sont faiblement éliminés (quelques dizaines de pour cents) [1]. Ceci s’explique par la faible production de radicaux d’une part, et d’autre part par les réactions des radicaux hydroxyles (OH°) avec les carbonates et bicarbonates des eaux qui sont des pièges à radicaux réduisant significativement l’efficacité de l'oxydation radicalaire.
L'efficacité de l'oxydation peut être significativement améliorée en favorisant la voie radicalaire par photolyse de l’ozone par les ultraviolets [2] ou bien en combinant l’ozone avec le peroxyde d’hydrogène [3]. Ce dernier couplage a été mis en service pour la première fois au monde à l’échelle industrielle pour éliminer l'atrazine et la simazine contenues dans l'eau de Seine alimentant l’usine du Mont-Valérien (CEB à Suresnes).
L’usine du Mont-Valérien
La nouvelle chaîne de traitement du Mont-Valérien (figure 1) qui permet de produire 52 000 m³/jour d’eau potable est composée d’une pré-ozonation (dose d’ozone appliquée : 1,5 g/m³ — temps de contact : 2 minutes) suivie d’une coagulation au sel d’aluminium, floculation-sédimentation effectuée dans un Pulsator (Degrémont) et d’une filtration rapide (filtres Aquazur V — Degrémont). L’affinage de l'eau est assuré par une ozonation en 2ᵉ étage (dose d’ozone 1,5 g/m³ — temps de contact 8 min) et par une adsorption sur charbon actif en grains sur filtre double flux (Degrémont) comportant 2 × 0,9 m de charbon actif avec un temps de contact de 11 min. La désinfection est assurée par du bioxyde de chlore (résiduel de 0,2 mg/l après 2 h de temps de contact). Deux ozoneurs MBF 110 (Ozonia) d’une capacité de 10,2 kg/h permettent l'application d’une dose d’ozone globale de 4,6 g/m³. Le peroxyde d’hydrogène à 35 % est pré-dilué avec l'eau à traiter avant d’être injecté dans le second réacteur d’ozonation.
Évolution des concentrations d’atrazine dans l'eau de Seine
L’analyse des pesticides contenus dans l'eau de Seine, en aval de Paris, montre une augmentation notable de la concentration en atrazine au cours de ces dernières années (figure 2). Jusqu’en 1987, les concentrations étaient inférieures à 300 ng/l, atteignaient 1 µg/l pendant les années 88-89 et 2,5 µg/l en 1990. Ces valeurs extrêmes ont été mesurées au printemps et en été.
[Photo : Oxydation de l’atrazine contenue dans l’eau de Seine clarifiée. Influence de la dose d’ozone appliquée et de l’addition de peroxyde d’hydrogène (temps de contact : 15 min — [Atrazine] : 100 – 600 ng/l, ratio massique H₂O₂/O₃ = 0,3).] [Photo : Oxydation de la simazine contenue dans l’eau de Seine clarifiée. Influence de la dose d’ozone appliquée et de l’addition de peroxyde d’hydrogène (temps de contact : 15 min — [Simazine] : 50 – 350 ng/l, ratio massique H₂O₂/O₃ = 0,3).]Influence des conditions d’ozonation sur l’élimination des pesticides
Les premières étapes du traitement ne permettent pas une élimination notable de l’atrazine ; pendant les essais, la concentration en atrazine était comprise entre 100 et 600 ng/l. Durant cette phase, l'influence de la dose d’ozone appliquée et du rapport massique ozone/peroxyde d’hydrogène a été étudiée vis-à-vis de l'efficacité d’élimination des pesticides et des valeurs du résiduel d’oxydants. Ce dernier point est important compte tenu de la réglementation française qui stipule que la concentration en peroxyde d’hydrogène résiduelle ne doit pas dépasser 500 µg/l.
Aux conditions habituelles d’ozonation (dose d’ozone de 1,5 g/m³ — temps de contact 15 minutes) l’élimination de l’atrazine ne dépasse pas 30 % (figure 3). L’addition de peroxyde d’hydrogène avec un ratio massique peroxyde d’hydrogène introduit/ozone introduit de 0,4 permet d’atteindre 80 % d’élimination pour une dose d’ozone de l’ordre de 2 g/m³. Un résultat similaire est obtenu pour l’élimination de la simazine (figure 4). Ces résultats ne sont valables que pour ce type d’eau. Une variation de l’alcalinité ou de la teneur en matières organiques se traduit par des doses d’oxydants à mettre en œuvre différentes pour atteindre le même degré d’oxydation. Ces influences peuvent maintenant être quantifiées en utilisant le modèle O₃/H₂O₂ du système-expert ozone élaboré au Laboratoire Central de la Lyonnaise des Eaux-Dumez [5].
Les récentes recherches effectuées montrent que l’efficacité de l’élimination des micropolluants dépend du ratio massique H₂O₂/O₃ [4]. Les résultats obtenus indiquent que, pour une dose d’ozone de 1,5 g/m³, la valeur du ratio H₂O₂/O₃ entre 0,2 et 0,8 n’influe pas sur l’efficacité de l’élimination de l’atrazine qui dans cette série était présente à une concentration de 150 ng/l. En pratique, le ratio utilisé est égal à 0,3, ce qui permet d’obtenir un résiduel en peroxyde d’hydrogène 10 fois plus faible que la CMA (0,5 mg/l) et un résiduel d’ozone supérieur ou égal à 0,1 mg/l, favorable à la désinfection.
La combinaison adsorption sur charbon actif en poudre/ultrafiltration sur membrane
Un traitement combinant l’ultrafiltration (UF) sur membrane (du type fibres creuses cellulosiques) et l’adsorption sur charbon actif en poudre (CAP) est appliqué à des eaux chargées en matières organiques et micropolluants. L’ultrafiltration seule est assimilée à une étape de clarification classique ; la membrane d’UF constitue une barrière efficace contre les diverses particules et matières en suspension de l’eau, son seuil de coupure en taille étant de 10 nm. L’eau ultrafiltrée présente ainsi une turbidité inférieure à 0,1 NTU, quelle que soit la turbidité de l’eau brute.
Les parasites, bactéries, virus et phages (coliformes, streptocoques, Giardia, Pseudomonas) sont également parfaitement arrêtés par la membrane. Les matières organiques ne sont que partiellement éliminées par l’ultrafiltration : les abattements du COT et de l’absorption UV à 254 nm sont faibles (de l’ordre de 10 %). Les composés de bas poids moléculaire (< 300 000 daltons) ne sont pas retenus par la membrane ; les polluants tels que les pesticides ou les solvants chlorés ne sont pas éliminés par ultrafiltration. Du CAP introduit au niveau de la boucle de recirculation d’un pilote d’ultrafiltration [6] a permis de résoudre ce problème d’élimination. À la suite de ces essais, une usine-pilote fonctionnant sur ce principe a été construite au Mont-Valérien (CEB, Suresnes). Sa description et les résultats obtenus sur la qualité de l’eau font l’objet du chapitre suivant.
L’usine-pilote du Mont-Valérien
L’usine traite actuellement de 6 à 7,5 m³/h d’eau de Seine selon la température (10° à 20 °C). La station comprend deux modules de filtration de 100 m² de surface filtrante totale. Le CAP est ajouté à l’eau brute prétraitée (passage sur hydrocyclones pour éliminer les particules de taille supérieure à 200 μm). Le CAP est un produit Chemviron (TL 9003-D = 15 μm). La dose introduite est comprise entre 20 mg/l (l’été) et 40 mg/l (l’hiver). Cette dose est évaluée d’après les essais d’adsorption effectués en laboratoire (isothermes, cinétiques…) : constante de Freundlich pour le COT = 100, 1/n = 1, C₀ = 0,3 mg/l).
Les conditions de fonctionnement de l’usine sont les suivantes :
- Débit d’alimentation = débit de production (brute) = 7,5 m³/h à 20 °C.
- Production nette = 6,4 m³/h (20 °C) soit un flux de 64 l/h/m².
- Vitesse de circulation dans les fibres d’UF = 0,9 m/s.
- Rétrolavage de 60 s toutes les 30 min à 2,5 bars, avec de l’eau ultrafiltrée chlorée à 5 ppm.
- Régénération des modules d’UF tous
les 2 mois de l'été, et tous les 15 jours l'hiver.
Un schéma de l'usine est représenté sur la figure 5. Le temps de séjour hydraulique dans l'installation est compris entre 3 minutes (l’été) et 6 minutes (l’hiver). Le temps de résidence du CAP dans la boucle d’UF varie entre 3 et 30 minutes.
Efficacité du procédé vis-à-vis de la qualité de l’eau produite
Quelques données de qualité d’eau traitée par UF/CAP, obtenues sur 6 mois d’essais sont portées sur la figure 6. Les abattements du COT et de l’absorbance UV sont de l’ordre de 30 à 70 % selon la période de l'année, la composition de l’eau brute et la dose de CAP introduite. En l’absence de CAP dans la boucle d’ultrafiltration, 10 % seulement des matières organiques sont éliminés.
La figure 7 illustre l'efficacité de l’ajout de CAP pour l'élimination d’atrazine en concentration variable dans l’eau brute. La concentration en pesticide dans le perméat est inférieure aux normes de potabilité. En l'absence de CAP, aucune élimination des pesticides de l'eau brute n’est observée. Ainsi, ce type de traitements combinés ultrafiltration/adsorption est adapté aux eaux de surface chargées en divers micro et macro-solutés organiques. Le choix du CAP, sa dose et le temps de contact avec l’eau brute sont essentiels pour optimiser le traitement en terme de qualité d’eau produite et de coût de fonctionnement.
Conclusion
Les recherches menées depuis plusieurs années au Laboratoire Central de la Lyonnaise des Eaux-Dumez dans le domaine de l’oxydation radicalaire et de la séparation par membrane ont permis la mise au point de nouvelles technologies pouvant résoudre le problème posé par le respect des normes strictes sur les pesticides.
Les chaînes classiques ne permettent pas en effet une élimination suffisante des pesticides, et l’adsorption sur charbon actif en poudre ou sous forme de grains est une solution qui reste coûteuse du fait des effets de compétition des pesticides avec les matières organiques présentes dans les eaux.
De son côté, l'ozone utilisé seul dans les conditions habituelles permet une élimination modeste de l’atrazine. Dans ce cas, le couplage de l’ozone avec le peroxyde d’hydrogène permet d’atteindre des éliminations voisines de 80 %, l’atrazine résiduelle et les sous-produits d'oxydation étant éliminés par l’adsorption sur charbon actif en grains, ce qui globalement augmente significativement la durée de vie des filtres à charbon.
Ces récentes années ont vu le développement de l'utilisation des membranes dans le domaine du traitement des eaux destinées à la consommation humaine. Outre leur aspect innovant, elles améliorent la fiabilité de la qualité de l'eau produite tant au niveau micro-biologique que physico-chimique, en particulier dans le cas des eaux présentant de fortes turbidités occasionnelles. De plus, ce procédé est compact et hautement automatisé. Toutefois, les seuils de coupure des membranes choisies ne permettant pas l’élimination de micropolluants tels que les pesticides et les solvants chlorés ; cet inconvénient peut être pallié par l’addition de charbon actif en poudre dans la boucle de recirculation du procédé, ce qui permet l’obtention d’une eau conforme aux normes sur les pesticides, tout en évitant la mise en place d’un filtre à charbon actif susceptible de relarguer particules et micro-organismes.
BIBLIOGRAPHIE
- [1] Duguet J.P., Bernazeau F., Mallevialle J., 1990 ; Research Note : Removal of atrazine by ozone and ozone/hydrogen peroxide combination in surface water. Ozone Science and Engineering volume 12-2 : 195-197.
- [2] Duguet J.P., Feray C., Dumoutier N., Mallevialle J., 1989 ; Efficacy of the combined use of ozone/UV or ozone/hydrogen peroxide for water disinfection. Proceedings of the IOA symposium on ozone + UV water treatment — Wasser Berlin.
- [3] Duguet J.P., Anselme C., Mazounie P., Mallevialle J., 1990 ; Application of combined ozone-hydrogen peroxide for the removal of aromatic compounds from a ground water. Ozone Science and Engineering Volume 12-3 : 281-294.
- [4] Glaze W.H., Kang J.W., 1988 ; Advanced oxidation processes for treating groundwater contaminated with TCE and PCE : laboratory studies. Journal of American Water Works Association 5 : 57-63.
- [5] Wable O., Duguet J.P., Jousset M., Mallevialle J., 1989 ; Elimination of micropollutants by ozone : simulation with an expert system. Proceedings of the workshop on laboratory tests for simulation of water treatment processes, COST 641 Ispra, Italy.
- [6] C. Anselme — P. Charles — Chemviron Award 1990 : The use of powdered activated carbon for the removal of specific pollutants in ultrafiltration processes.