Contrairement aux procédés biologiques, la technique d'échange d’ions pour éliminer les nitrates de l'eau destinée à la consommation n’a pas encore obtenu d'agrément en France. Il n'est donc pas possible de faire état ici d’exemples de son application.
Toutefois, des essais sont actuellement en cours sur un site naturel en Bretagne (région de Morlaix) où l'eau souterraine présente des teneurs en nitrates atteignant 150 mg/l (en NO₃). Ces essais entrepris à la demande de la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales de Bretagne sont destinés à tester les différents procédés d’élimination des nitrates (agréés ou non) afin de les comparer entre eux et de vérifier lequel sera le mieux adapté au cas local. Au cours de ces essais, une procédure d’agrément du procédé DENITRASAUR est engagée auprès du Ministère de la Santé avec avis du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique. Un protocole d’essais de plusieurs mois a été adopté par ce dernier. Une demande d’agrément sera faite à l'issue des contrôles.
À la date de rédaction du présent document (août 1982), les essais ayant débuté à la mi-juillet, il ne nous est pas possible de tirer un bilan. Nous nous contenterons donc dans ce qui suit de présenter le procédé DENITRASAUR, le pilote mis en place en Bretagne, les contrôles envisagés et les premiers résultats obtenus. Nous conclurons sur les avantages de cette technique sans en mésestimer les contraintes.
LE PROCÉDÉ DENITRASAUR
Il est composé d'un filtre chargé de résine anionique fortement basique sur lequel l’eau à « dénitrater » percole. En sortie de filtre, une désinfection est pratiquée avant distribution afin d’assurer une qualité bactériologique de l’eau conforme à la législation en vigueur. Le filtre fonctionne par séquences cycliques préétablies et entièrement automatisées. Ainsi, après chaque période d’élimination des nitrates par la résine, sont pratiqués successivement :
- — un soulèvement du lit destiné à le détasser et chasser les impuretés qui ont pu s’y accumuler lors de la filtration de l'eau ;
- — une régénération destinée à restituer à la résine son pouvoir d’élimination des nitrates. Le sel utilisé pour cette opération est en général du chlorure de sodium mais d’autres sels peuvent également convenir ;
- — un rinçage à l’eau brute, lent d’abord, accéléré ensuite, destiné à chasser de la résine toute trace résiduelle de régénérant avant la reprise d'un nouveau cycle d’élimination des nitrates.
Cette version de base du procédé DENITRASAUR s’adresse à des eaux non chargées en matières en suspension, ce qui représente la majorité des eaux souterraines, lesquelles sont les plus atteintes par des teneurs élevées en nitrates. Néanmoins, en fonction de la qualité de l'eau à traiter, certains compléments de traitement pourront être ajoutés le cas échéant :
- — prétraitement de déferrisation-démanganisation ou de clarification ;
- — post-traitement au charbon actif en poudre pour affiner une eau qui contiendrait des matières organiques indésirables.
Ainsi, le procédé DENITRASAUR peut s’appliquer à tout type d’eau en l’intégrant éventuellement, selon le cas, à une filière plus ou moins étendue de traitement.
Enfin, lorsqu’aucun réservoir n’existera avant distribution, il sera nécessaire de prévoir une capacité tampon afin de régulariser la composition ionique de l’eau traitée, surtout pour respecter l’équilibre calco-carbonique indispensable à la protection des conduites. Pour les eaux qui contiennent une faible alcalinité, les fluctuations d’équilibre calco-carbonique seront très amorties et l’effet tampon s’impose moins.
PRÉSENTATION DU PILOTE IMPLANTÉ EN BRETAGNE
Le pilote est composé de deux colonnes de 258 mm de diamètre (section 52 × 10⁻³ m²) contenant chacune 60 l de résine (1,15 m de hauteur de lit). Différents circuits équipés d’électrovannes commandées par un automate programmable relient les colonnes entre elles ainsi que l’alimentation en eau et l’injection de
régénérant. Tous les cas de figure des différents fonctionnements (en parallèle, en série, en alternance, régénération à co et contre-courant, etc.) sont applicables. Un mélange d’eau brute à l’eau traitée est également prévu pour amener l'eau traitée à une teneur désirée en nitrates.
Une injection d’extrait de javel est effectuée sur l'eau traitée immédiatement avant l’admission dans un bac tampon destiné à assurer le temps nécessaire d'action de désinfection et permettant d’atténuer les fluctuations ioniques dues à l’échange sur la résine. Enfin, un recyclage de tout ou partie des éluats de régénération est prévu dans le montage réalisé.
Le pilote est dimensionné pour des débits de percolation pouvant s’étaler de 0,9 à environ 2 m³/h par colonne.
CONTRÔLES À EFFECTUER
À l'appui des résultats déjà acquis lors d'études précédentes sur cette technique, nous envisageons au cours de ces essais entrepris en Bretagne, de vérifier certaines données (capacité de la résine, efficacité optimum de la régénération avec ou sans recyclage, essais de régénérants divers et du mode de régénération le mieux approprié, etc.).
Parallèlement, nous allons effectuer des contrôles sur la qualité d'eau produite : analyses bactériologiques classiques, recherche de traces éventuelles de monomères de constitution de la résine (styrène, divinylbenzène, amines), recherche de traces éventuelles de composés suspectés de se former par passage sur résine (nitroso-amines), contrôle de l'absence de risques de cancérogénicité par des tests de mutagénicité (Ames) et de toxicité sur cellules de mammifères, analyses physico-chimiques habituelles avec en particulier contrôle de l’équilibre calco-carbonique.
Enfin, un examen attentif sera fait sur les éluats de régénération (composition ionique, volume, traitabilité éventuelle avant rejet) afin de limiter au maximum les nuisances susceptibles d’être occasionnées par leur rejet dans le milieu naturel. À ce sujet, il est utile de préciser que les éluats de régénération constituent un déchet inhérent au procédé au même titre que les boues résultant de la clarification des eaux de surface ou celles produites par une dénitrification biologique. Il conviendra donc de régler ce problème en tenant compte de la destination finale du rejet. C’est pourquoi chaque cas nécessitera une étude particulière intégrant tous les paramètres spécifiques au lieu d’implantation de l’installation (milieu urbain ou rural, auquel seront liés vraisemblablement la taille de l’installation, nature du milieu récepteur, transport éventuel, etc.).
Nous pensons que, dans la mesure où le procédé DENITRASAUR satisfait à tous ces contrôles, aucun obstacle ne peut s’opposer à son agrément.
RÉSULTATS
Les premiers essais conduits en Bretagne permettent d’annoncer certains chiffres ; toutefois, compte tenu de l’avancement des essais, il serait prématuré d’en tirer des conclusions hâtives. Auparavant, nous rappelons brièvement les principaux résultats acquis lors d'études précédentes :
- – la capacité de la résine vis-à-vis des nitrates est proportionnelle à la teneur en nitrates et inversement proportionnelle à la teneur en sulfates de l'eau à traiter :
Formule
CNO₃ ΣA —— = f(NO₃) = ———————— (cycle chlorure) Cr 1 + 0,29 SO₄²⁻ —— ΣA
avec CNO₃ = capacité de la résine vis-à-vis des nitrates (éq./l)
Cr = capacité globale utilisée (éq./l)
(NO₃⁻), (SO₄²⁻) = teneurs respectives des ions dans l'eau à traiter (g/l)
ΣA = concentration aqueuse globale des anions effectivement retenus sur la résine (g/l)
f = fraction des nitrates fixés.
- – les solutions de chlorures (en général de sodium) assurent la meilleure régénération de la résine pour un taux de 400 % par rapport à la théorie ;
- – ce taux de régénération peut être réduit dans le cas d'un recyclage partiel des éluats de régénération ;
- – le relargage de monomères de constitution de la résine disparaît fortement après les cycles habituels de mise en condition des résines.
QUALITÉ DE L’EAU À TRAITER SUR LE SITE DE BRETAGNE
Sur le lieu d’implantation du pilote, deux sources d’eau polluée par les nitrates sont disponibles : une eau de forage (teneurs élevées en NO₃ˉ, de l’ordre de 150 mg/l) et une eau de rivière (teneurs moins élevées en NO₃ˉ, de l’ordre de 75 mg/l).
Des essais séparés sur chaque eau sont envisagés avec une clarification préalable pour l'eau de rivière.
Fluctuation des principales caractéristiques de chaque eau :
Caractéristiques principales | Eau de forage | Eau de rivière |
---|---|---|
Nitrates, en NO₃ˉ, mg/l …… | 50 à 150 | 45 à 75 |
Sulfates, en SO₄²ˉ, mg/l …… | 60 à 120 | 10 à 60 |
Chlorures, en Clˉ, mg/l ……… | 40 à 70 | 40 à 50 |
T.A.C., en ˚F ……………… | 35 à 55 | 15 à 33 |
Fer, en Fe mg/l …………… | < 0,01 | 0,2 à 0,4 |
Manganèse, en Mn, mg/l … | < 0,01 | < 0,05 |
pH …………………………… | 5,9 à 6,4 | 6,8 à 7,3 |
Oxydabilité au KMnO₄, en milieu alcalin, en O₂, mg/l…… | 0,2 à 0,7 | 1,3 à 6,2 |
Oxygène dissous, en O₂, mg/l … | Environ 8 | Environ 8 |
T.H. en ˚F ………………… | 16 à 21 | 10 à 12,5 |
Turbidité en gouttes de mastic | < 5 | < 15 |
Conductivité en µS/cm à 20 °C … | 680 | 310 |
Température en °C ………… | Environ 13 | 5 à 25 |
Compte tenu de la minéralisation de l'eau de forage et de sa teneur initiale en chlorures, l'eau traitée sur résine en cycle chlorure nécessitera une surveillance de cet élément pour s’assurer qu’il n’y aura pas dépassement de la teneur limite admissible à savoir 250 mg/l en Clˉ selon les Normes Françaises de 1961-1962 toujours en vigueur.
Il est à noter que la directive C.E.E. n’a fixé qu'un niveau guide (25 mg/l) sans concentration maximale admissible. Par ailleurs, l’apport de chlorures à l’organisme par les aliments (sel de cuisine) est nettement prépondérant (à l’échelle du g/l) comparé à l’apport par l'eau potable.
Par conséquent, une norme fixant un plafond impératif ne s’impose pas vraiment pour l’eau destinée à la consommation. Quoi qu’il en soit, lorsque la teneur en chlorures de l'eau traitée sur résine risquera de dépasser la norme française actuelle, nous aurons recours à l'utilisation d'un régénérant de substitution. L’ion hydrogéno-carbonate peut, par exemple, remplacer le cas échéant les chlorures.
NATURE DE LA RÉSINE MISE EN ŒUVRE SUR LE PILOTE :
Nous avons retenu pour nos essais en Bretagne une résine anionique forte commercialisée par la Société Rohm et Haas en raison de sa bonne capacité d’échange déjà testée par ailleurs et des faibles quantités de monomères de constitution relarguées après sa mise en condition. Cette dernière constatation résulte de l'étude de laboratoire déjà entreprise précédemment.
PREMIERS RÉSULTATS DE L’ÉTUDE EN COURS SUR PILOTE :
Nous rapportons ci-après les résultats obtenus pendant les premières semaines d’essais. La mise au point du pilote est toujours en cours à la date de rédaction du présent document.
Composition anionique type de l’eau brute utilisée pendant nos premiers essais :
– Nitrates en NO₃ˉ : 136 mg/l — Sulfates en SO₄²ˉ : 98,6 mg/l — Chlorures en Clˉ : 61 mg/l — Hydrogéno-carbonates en HCO₃ˉ : 50 mg/l — pH : 6,1 — Température en °C : 13,5.
Contrôle de la capacité de la résine à fixer les nitrates en fonction du taux de régénérant utilisé :
La lecture de la figure 1 indique une fourchette optimale de taux de régénération comprise entre 350 % et 400 % pour l’obtention d’une bonne capacité de la résine vis-à-vis des nitrates. Au-delà de 400 %, le gain de capacité chute nettement.
[Figure : Fig. 1 – Influence du taux de régénération sur la capacité de la résine à fixer les nitrates.]Le régénérant utilisé est du chlorure de sodium. Le taux de régénération représente le pourcentage de régénérant utilisé par rapport à l’équivalent ionique fixé préalablement par la résine.
À titre d’exemple, si la résine fixe l’équivalent ionique par litre d’échangeur en nitrates, sulfates et hydrogénocarbonates lors d’un cycle d’épuisement, le taux de régénérant utilisé pour restituer le pouvoir d’échange de la résine sera de 200 % pour 2 équivalents de régénérant mis en œuvre par litre de résine, 300 % pour 3 équivalents de régénérant mis en œuvre par litre de résine, etc.
Le résultat obtenu confirme celui que nous avions déjà enregistré lors d’études précédentes.
Incidence de la concentration du régénérant sur l’efficacité d’échange ionique de la résine :
La figure 2 indique que la concentration de la saumure régénérante interfère peu sur la capacité vis-à-vis des nitrates dans une gamme comprise entre 2,5 et 10 % en poids de NaCl. Il est toutefois à noter une légère amélioration à faible concentration (25 g/l).
Influence de la vitesse de percolation du régénérant sur l’efficacité d’échange de la résine :
Régénération | CNO₃ (mg/l) | |
---|---|---|
1ᵉʳ essai | 2ᵉ essai | |
à 2 V/V.h | 538 | 539 |
4 V/V.h | 515 | 510 |
Les écarts restent faibles dans les limites de vitesse de passage testée.
Influence de la vitesse de percolation de l’eau traitée sur l’efficacité d’échange de la résine :
La figure 4 montre qu’avec des charges volumiques comprises entre 15 et 30 V/V.h, les résultats sont très voisins (fuites résiduelles en NO₃ dans l’eau traitée et capacités comparables).
Composition anionique d’un éluat de régénération :
La figure 5 illustre la variation des teneurs en anions contenus dans l’éluat de régénération (sortie de la résine) au cours du temps. Il est curieux d’observer une élution tardive et étalée des nitrates par rapport aux sulfates pour lesquels la résine est réputée avoir une meilleure affinité.
Le rinçage lent est utile pour pousser la queue de régénérant contenu dans la résine. Un volume d’eau
par volume de résine suffit, ce qui atteste d'un bon effet piston. Globalement, la résine a fixé 1,164 équivalents de chlorures par litre d’échangeur et elle a restitué : 0,532 éq./l de nitrates, 0,621 éq./l de sulfates, 0,021 éq./l d’hydrogénocarbonates ; soit au total : 1,174 éq./l.
L'équilibre du bilan ionique atteste d’un dosage correct des éléments présents et du bon échange des anions. Il confirme en outre le fait que la capacité de la résine vis-à-vis des ions hydrogénocarbonates est négligeable devant les autres.
Composition anionique de l’eau traitée au cours d’un cycle :
La figure 6 permet de visualiser la fluctuation des ions hydrogénocarbonates au cours du temps : ceux-ci sont d’abord fixés puis restitués par la résine de sorte que globalement une vingtaine de milliéquivalents seulement sont retenus par l'échangeur. Les teneurs en chlorures et sulfates restent constantes tout au long du cycle tandis que les nitrates diminuent légèrement entre le début et la fin de l'épuisement.
Il est à noter que la teneur résiduelle en nitrates devrait être encore diminuée lorsqu’une optimisation des essais sera accomplie. Toutefois, d’ores et déjà, dans nos conditions opératoires provisoires, nous restons toujours inférieurs au niveau guide des directives européennes (< 25 mg/l en NO₃).
Quant aux chlorures, avec l'eau de Bretagne qui en contient d'avance 60 mg/l, nous restons à tout moment en dessous de la concentration limite de 250 mg/l demandée par la législation française.
Nos essais se poursuivent en Bretagne et notamment l'emploi de régénérants différents est envisagé.
Par ailleurs, après la recherche d'une bonne optimisation du procédé, des contrôles analytiques bactériologiques, physico-chimiques ainsi que des tests de toxicité seront entrepris sur l'eau traitée.
CONCLUSIONS
Bien qu'il soit trop tôt pour tirer des conclusions sur les essais en cours en Bretagne, les premiers résultats enregistrés confirment nos études précédentes sur l'efficacité du procédé pour éliminer les nitrates de l'eau.
Les contrôles engagés concernant la qualité de l'eau produite permettront de trancher la question de savoir si l'eau traitée sur résine anionique répond ou non aux exigences de potabilité des eaux de France.
Les principaux avantages du procédé DENITRASAUR restent :
- — sa simplicité d’exploitation (automaticité complète, contrôles très réduits) ;
- — sa fiabilité (pas d’ajout de produits chimiques à l'eau, détermination précise des cycles de fonctionnement selon les lois de la chimie) ;
- — son insensibilité aux variations éventuelles de température, d’oxygène dissous et toxiques du type métaux lourds ;
- — la production d'une eau à faible teneur en nitrates, même lorsque la teneur varie dans l'eau brute, un ajustement au niveau souhaité étant assuré par mélange avec de l’eau non « dénitratée ». Cette élimination quasi-totale des nitrates permet une installation d'encombrement très réduit ;
- — enfin, son coût est de loin le moins onéreux de tous les autres procédés d'élimination des nitrates selon les estimations faites à partir de pilotes (0,65 F/m³ comparé à 1 F/m³ pour les procédés biologiques).
Nous précisons toutefois que l’estimation faite à partir des seuls essais pilotes n'est pas rigoureusement représentative du coût réel d'une installation industrielle ; il convient donc de prendre ces chiffres avec prudence. En outre, ces coûts n’intègrent pas le traitement des déchets inhérents à chaque procédé. Un tel traitement est lié étroitement aux exigences locales du site d'implantation de l’installation.