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L'élimination d'ammoniaque en concentration élevée dans le traitement des eaux usées

30 novembre 1988 Paru dans le N°123 à la page 61 ( mots)
Rédigé par : D. BANGSBO et D. HOIZEY

Les exigences en matière de traitement des eaux usées allant en s'accroissant et la réduction des sels nutritifs venant compléter ces exigences, l'attention des professionnels de l'épuration se porte sur les effluents présentant un volume de pollution très élevé.

Nous retiendrons l'exemple d'une industrie d'équarrissage dont les rejets contiennent de très fortes concentrations d'ammoniaque. Ce corps est en effet très difficile à éliminer par dégradation biologique puisqu'il entraîne des conséquences toxiques sur les bactéries lorsque sa concentration est supérieure à 100 mg/l, du fait que sa transformation en nitrates conduit à une production importante d'acides (figure 1). Le procédé que nous décrirons s'appuie sur une expérience danoise d'une dizaine d'années dans le traitement d'effluents provenant d'industries d'équarrissage équipées d'installations de traitement donnant de très bons rendements avec des coûts d'investissement peu élevés.

[Photo : Effet inhibitif de l’ammoniaque à la nitrification]

LES INDUSTRIES D'ÉQUARRISSAGE

Les industries d'équarrissage transforment les déchets d'abattoirs, les cadavres bestiaux, etc., en nourriture animale. À cet effet, la matière brute est dépecée, puis séchée et broyée à haute température.

Ce type d'industrie ne jouit pas d'une réputation très enviable de par les nuisances qu'elle provoque, non seulement en raison de la forte pollution qu'elle rejette, mais surtout à cause de l'odeur nauséabonde qui accompagne cette activité. Cet aspect regrettable fait oublier l'intérêt que présente une industrie qui transforme des déchets en aliments de haute valeur nutritive.

À la fin des années soixante-dix, les autorités danoises ont commencé à imposer des conditions plus strictes pour l'élimination de la DBO et de l'ammoniaque. La première industrie soumise à ces nouvelles dispositions fut la grosse industrie d'équarrissage Kronjyden située près de la ville de Randers dans le Jutland.

Caractéristiques des effluents

Les eaux rejetées par ce type d’industrie ont en principe deux origines :

  • — la condensation de la vapeur issue de la désinfection et du séchage,
  • — les eaux de fabrication et de lavage, très polluées ; l'excédent de chaleur produite par l'industrie permet normalement de retenir par évaporation une partie importante de la pollution, le reste étant rejeté sous forme de condensat ; plus de la moitié de la pollution totale de l'industrie peut ainsi être retenue. Le concentré récupéré après évaporation est recyclé et constitue 1 à 1,5 % de la production totale.

Le flux combiné des eaux résiduaires, constitué essentiellement de condensats, se caractérise par une teneur très basse en matières en suspension et en phosphore, avec une teneur très élevée en DBO et en ammoniaque, accompagnée d'une odeur très désagréable. Le tableau 1 montre une composition typique de ce genre d’effluents.

Tableau 1 : Composition typique des eaux résiduaires d'une industrie d'équarrissage.

Produits Teneurs
DCO 3 000 mg/l
DBO5 2 500 mg/l
MeS 0 mg/l
Azote Kjeldahl 700 mg/l
Azote total 700 mg/l
Sulfures (comme H2S) 50 mg/l
Phosphore 2 mg/l
[Photo : Diagramme de l’élimination de l’azote par le procédé fonctionnant en mode alternatif.]

Essais en station-pilote

Compte tenu de la teneur très élevée des eaux en ammoniaque, mais aussi de leur composition peu équilibrée puisqu’elles ne contiennent que des composés organiques faiblement moléculaires, et donc pas de composés minéraux, des essais sur une station-pilote ont été décidés ; ils ont été réalisés avec des boues activées. Pour compenser le déséquilibre de la composition des eaux traitées, un mélange de phosphore, de fer, de magnésie et un certain nombre d’oligo-éléments y a été introduit, proportionnellement au débit. Du bicarbonate de sodium a également été ajouté pour éviter un abaissement du pH dû à la nitrification, laquelle provoque la formation d’acide en fonction de la formule :

NH₄⁺ + 2O₂ → NO₃⁻ + 2H⁺ (acide) + H₂O

Au cours de l’opération de dénitrification, la moitié de l’acide formé est alors neutralisée.

Deux acides équivalents par leur teneur en ammoniaque dégradé sont ainsi formés, ce qui conduit à dire que pour 1 kg d’ammoniaque transformé en nitrate, il faut théoriquement utiliser 4,3 kg d’hydroxyde de calcium pour réaliser la neutralisation.

Le résultat des essais effectués a montré que l’on pouvait abaisser les concentrations dans les rejets jusqu’à 20 mg/l pour la DBO, et de 1 à 3 mg/l pour l’ammoniaque.

Les quantités de produits à introduire n’ont pas été précisément déterminées lors des essais, mais une consommation importante a été relevée dans le cas d’un procédé comportant une simple nitrification, consommation très sensiblement réduite lorsque le procédé a été complété par une dénitrification, ce qui ne constitue pas une surprise et s’explique par la réaction :

NO₃⁻ + source de carbone → N₂ + OH⁻

Le traitement

Sur la base de ces essais, on a entrepris la construction d’une station d’épuration permettant une réduction aussi poussée que possible de l’azote (compte tenu du rapport défavorable entre DBO₅ et N (3,6/1) il n’a pas été prévu de dénitrification complète).

Outre la réduction de la quantité de chaux nécessaire à la dénitrification, il faut noter l’économie d’énergie réalisée par l’utilisation de l’oxygène qui se dégage des nitrates pendant la dénitrification — économie qui, dans le cas présent, peut être évaluée à 15 % environ.

Le procédé utilisé, connu sous le nom de Bio-Denitro, met en œuvre deux bassins fonctionnant alternativement.

Le procédé

Presque tout l’azote contenu dans les eaux brutes est présent sous forme d’ammoniaque, et l’élimination biologique de l’azote s’effectue en deux étapes.

À cet effet, l’ammoniaque est transformée en azote sous apport d’oxygène (phase de nitrification), puis l’azote obtenu est transformé en azote libre (phase de dénitrification). Ce processus a lieu dans des conditions d’anoxie, en absence d’oxygène.

L’originalité du procédé réside dans la mise en œuvre des deux phases ci-dessus, en alternance et par inversion des flux.

L’aération nécessaire au processus de nitrification est assurée par une brosse rotative à deux vitesses réglée sur la vitesse la plus élevée. Dans les phases d’anoxie, pendant lesquelles se produit le processus de dénitrification, le brassage des eaux s’effectue à faible vitesse.

Après épaississement, les boues en excès sont renvoyées à l’usine où elles sont incorporées aux matières brutes et, avec elles, évaporées et séchées, renforçant ainsi la production de nourriture animale.

Les bases du dimensionnement de la station sont portées sur le tableau 2.

Conception de la station

On s’est attaché, lors de la conception des installations, à la simplification maximum des opérations d’exploitation (entièrement automatisées) et, naturellement, à la réduction des coûts des investissements : c’est ainsi que les bassins d’aération comportent des parois inclinées construites en béton sans armatures et que le clarificateur a été réalisé en béton préfabriqué.

Les résultats de l’exploitation

Dès la mise en service de la station (en mars 1979), les résultats de l’exploitation, suivis de très près, ont montré que les performances espérées ont été atteintes, puisque après une période de mise au point, il a été possible de réduire dans les rejets, la DBO à 10-15 mg/l.

Tableau 2 : Base de dimensionnement de la station d’épuration de Kronjyden.

Éléments Quantités
Charge maximale :
Eaux résiduaires 850 m³/j
DBO 2 550 kg/j
Azote total 595 kg/j
Installation par boues activées :
Bassins d’aération, volume total 2 100 m³
Clarificateur, surface 85 m²
Aérateurs Akvarotor maxi 4
Poste de dosage de réactifs :
Chaux silo 45 m³ — système de dosage sec
Phosphore cuve de stockage 0,5 m³ — système de dosage liquide
Sels nutritifs cuve de stockage 0,5 m³ — système de dosage liquide
Traitement des boues :
Épaississeur 30 m³
[Photo]
[Photo]

teneur en ammoniaque à 1-2 mg/l et de baisser d’environ 75 % la teneur en azote (tableau 3).

Depuis lors, toutes les industries d’équarrissage du Danemark se sont dotées de stations similaires. Toutefois, en raison de l’évolution des techniques d’équarrissage et des mesures internes qui ont été prises les usines ont réduit leur pollution de sorte que les stations sont beaucoup moins chargées qu’il n’avait été prévu, et de ce fait, les très bonnes performances obtenues ces dernières années ne sont plus tout à fait « significatives »… on ne peut que s’en réjouir !

Les résultats d’ensemble de ces expériences d’exploitation ressortent en définition comme suit :

  • réduction de la DBO5 : il est possible d’obtenir une teneur stable inférieure à 20 mg/l ;
  • réduction de l’ammoniaque : on obtient une teneur stable d’environ 2 mg/l (ou moins) ;
  • azote total : il est possible d’obtenir une réduction plus importante de l’azote dans le rapport DBO/N. Les industries n’ont pas jusqu’ici formulé d’exigences plus importantes sur ce point, mais il serait intéressant d’aller plus loin dans ce sens ;
  • neutralisation : la consommation de chaux ne peut être évaluée de façon précise, mais elle s’avère moins importante que les consommations théoriques, même à un niveau élevé de dénitrification et avec un pH supérieur à 6,5, conditions qui entraînent une utilisation plus élevée de ce réactif ;
  • addition de sels nutritifs (P-oligo-éléments) : au cours des premières années, des sels nutritifs, composés ferreux, etc. ont été introduits en tête des installations, sans connaître les besoins réels de la masse bactérienne. Par la suite, après avoir réduit, voire arrêté cet apport, auquel cas le floc de boue devenait instable et la qualité du rejet se détériorait, le dosage de ces sels a pu être équilibré en fonction de la demande.
Dates 23.5.79 28.6.79 24.7.79 29.8.79 27.9.79 30.9.84 9.4.85 24.8.88
Entrée DBO 1600 3200 3000 2900 2100 830 2500 2500
Sortie DBO 13 12 11 10 3 9 12
Entrée Azote-total 492 601 697 640 638 201 365 386
Sortie Azote-total 134 161 107 212 193 94,5 81,2 69,3
Entrée Azote-Kjeldahl 492 601 697 640 638 201 365 386
Sortie Azote-Kjeldahl 1,7 0,9 0,1 0,2 0,7 0,05 1,6 7,9
Entrée Azote-nitrate 0 0 0 0 0 0 0 0
Sortie Azote-nitrate 128 155 103 210 184 92 75 51
Entrée MeS 66 207
Sortie MeS 34 15 17 14 21 62

Tableau 3 : Performances de la station d’épuration de Kronjyden.

CONCLUSION

Les exigences croissantes de l’élimination de l’azote, ont conduit à utiliser le procédé avec des effluents de provenances très différentes et en particulier dans des stations d’épuration traitant les eaux résiduaires d’origine domestique, mais aussi celles d’un certain nombre d’industries ; un des exemples les plus récents est celui d’une grande industrie chimique et pharmaceutique où l’on vient de terminer des essais pleins de promesses conduisant à éliminer des concentrations de 2-300 mg/l d’ammoniaque dans des eaux résiduaires de composition complexe.

Les possibilités de la station peuvent être accrues si on la fait précéder d’un bassin anaérobie, ce qui permet alors de réaliser l’élimination biologique du phosphore.

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