La chloration des eaux voit actuellement ses applications s’élargir et se confirmer, tant dans les domaines industriel que collectif. Supprimant les risques et les contraintes liés au stockage du chlore, et ignorant les problèmes de dénaturation ou de rupture d’approvisionnement, l’électrochloration, issue de procédés électrochimiques tout à fait éprouvés, propose maintenant des solutions technologiques fiables et à maintenance minimale.
Cette méthode consiste à former l’agent bactéricide et oxydant sur le lieu même d’utilisation, par électrolyse d’eau de mer ou de saumures. L’étude des courbes intensité-potentiel des solutions de chlorures mises au contact de différentes électrodes montre que les ions chlorures sont électroactifs dans la zone de potentiel où se produit l’oxydation de l’eau, selon la formule :
2H₂O = O₂ + 4H⁺ + 4e⁻
Dans ces conditions, le rendement électrochimique sera d’autant plus élevé que la concentration en ions chlorures est plus importante. Les réactions mises en jeu sont les suivantes :
à l’anode 2Na⁺ + 2H₂O + 2e⁻ = 2NaOH + H₂ à la cathode 2Cl⁻ + 2e⁻ = Cl₂ Cl₂ + H₂O = HCl + HClO (acide hypochloreux).
La réaction d’électrolyse s’accompagne d’un dégagement d’hydrogène ; l’acide hypochloreux est neutralisé par l’hydroxyde de sodium formé à l’anode, pour fournir l’hypochlorite de sodium, NaClO ; en milieu marin où le pH est légèrement alcalin, les acides formés à la cathode sont instantanément neutralisés.
Le dimensionnement des équipements est le plus généralement défini par la quantité de Cl₂ produite à la cathode : c’est ainsi qu’une production spécifiée de 1 kg de chlore concerne en fait une unité produisant 740 g d’ions hypochlorite ClO⁻, ou encore 1,06 kg d’hypochlorite de sodium NaClO.
Un électrochlorateur est le plus souvent constitué de cellules modulaires dont l’assemblage permet de réaliser des unités de production adaptées aux différentes demandes. La matière première, c’est-à-dire l’eau de mer ou la saumure, circule dans des espaces interélectrodes où s’effectue l’électrolyse. La production de chlore est proportionnelle à l’intensité du courant continu d’alimentation.
Il existe sur le marché différents procédés d’électrochloration que l’on peut classer en deux catégories se distinguant fondamentalement par la nature physique des électrodes :
Procédés à électrodes métalliques : les électrodes sont en général constituées par du titane revêtu d’un composé à base de platine ; ces procédés sont caractérisés par la différenciation des anodes et des cathodes et par de très fortes densités de courant (4 à 5 kA/m²) nécessitées notamment par le coût spécifique des électrodes par unité de surface. Les jeux d’électrodes métalliques présentent, suivant les constructeurs et les types d’application, des durées de vie allant de 3 à 5 ans. Ces électrodes sont en principe régénérables en usine, ce qui permet de réduire les coûts de remonte périodique de ce type d’appareil.
Procédé à électrodes en graphite : les électrodes en graphite sont identiques pour l’anode et la cathode ; elles sont consommables en fonction de la production effective de chlore. La durée de vie typique d’un jeu d’électrodes en graphite correspond à plus d’une année de production continue à pleine charge ; en fait on constate que, compte tenu des taux d’utilisation évoqués plus haut et suivant les types d’application, la durée de vie effective d’un jeu d’électrodes varie de 18 mois à 3 ans, ce qui se traduit par des coûts de remonte équivalents, voire inférieurs, à ceux des autres systèmes.
Les avantages d’exploitation liés à ce type d’électrodes sont, en termes de fiabilité, de plusieurs sortes :
- — les électrodes sont homogènes sur toute leur épaisseur et, étant consommables, sont totalement insensibles aux composés chimiques divers présents dans l’eau de mer, qui peuvent être le germe de destruction prématurée des revêtements surfaciques dans le cas d’électrodes métalliques ;
- — la bipolarité des électrodes permet l’autonettoyage automatique des espaces interélectrodes par inversion séquentielle du courant d’électrolyse ; ceci supprime la nécessité de tout dispositif auxiliaire de nettoyage mécanique ou de rinçage à l’acide ;
- — les électrodes en graphite autorisent, sans incidence financière notable, des densités de courant inférieures à 1 500 A/m² et, de ce fait, permettent de mettre en œuvre des espaces interélectrodes de 5 à 6 mm (au lieu de 0,7 à 0,9 pour les électrodes métalliques) : le risque d’obstruction par les produits en
- — la suspension dans l’eau est pratiquement nulle, ce qui peut éviter la mise en place d’un filtre en amont de l’unité ; les risques de claquage électrique, souvent préjudiciables aux alimentations en courant continu à thyristors, sont également nuls ;
- — l’opération de remplacement des électrodes est purement locale et n’implique pas de retour en usine ; concernant un matériau rustique à mettre en place sans tolérance particulière, cette opération est effectuée sans outillage spécial par le personnel habituel d’entretien.
Nous examinerons ci-après les principales applications du procédé d’électrochloration des eaux.
Anti-fouling
Une application industrielle essentielle de la chloration, qui est d’ailleurs à l’origine du développement de l’électrochloration, est relative à la lutte contre le phénomène de fouling concernant les proliférations végétales et animales qui se produisent dans les circuits de refroidissement utilisant de l’eau de mer ; c’est le cas, notamment, des centrales électriques et unités industrielles implantées en bord de mer ou en mer.
Le fouling peut présenter des formes et des évolutions diverses suivant la nature des eaux et des sites :
- microfouling : développement d’un film bactérien, formant une fine couche gluante et offrant un terrain favorable à l’accrochage des larves des animaux filtreurs ;
- algues : présentes dans les zones d’aspiration ou de rejet, mais relativement peu abondantes dans les conditions d’obscurité des tuyauteries (ceci n’est pas forcément vrai pour les circuits utilisant de l’eau douce) ;
- animaux filtreurs, dont les plus généralement rencontrés dans les circuits sont les moules et autres mollusques, les balanes « dents de chien », et les serpules, petits vers à carapace calcaire adhérant fortement aux supports.
Des études sur le sujet ont été menées dans différentes mers du globe ; à titre d’exemple, nous en citerons deux réalisées dans des milieux marins très différents : lagune fortement polluée en Guadeloupe et milieu océanique en Martinique. Ces deux études ont mis en évidence un fouling essentiellement dû aux balanes, celles-ci se développant principalement en début de saison humide, et aux serpules qui prolifèrent toute l’année. En milieu lagunaire (eutrophe), le fouling est extrêmement rapide, jusqu’à 1 kg de concrétions calcaires/m²/mois pendant les périodes critiques ; en milieu océanique (oligotrophe), le fouling est plus lent (500 g/m² et par an au maximum).
Sur le littoral français, les principaux organismes responsables du phénomène sont les moules ; là aussi, le développement est saisonnier et peut donner lieu, s’il n’y a pas de traitement particulier, à des fixations importantes de matières minérales (coquilles calcaires).
Certaines dispositions prises à la conception et à l’exploitation des unités permettent de limiter le fouling dans les circuits d’eau de mer : on peut citer, au niveau de la conception, la spécification de matériaux à surface parfaitement lisse et la mise en œuvre de vitesses élevées dans les conduites, tout en limitant au maximum les zones de turbulences ; en exploitation, il peut être recommandé, surtout pendant les périodes de reproduction, de laisser tourner en permanence les circuits de refroidissement, même en cas d’arrêt de l’unité. Ces moyens permettent seulement de réduire les proliférations ; ils n’entraînent pas l’élimination totale du fouling ; en revanche, la chloration, ainsi que nous l’exposons ci-après, est le seul moyen qui permette de répondre effectivement à ce problème à une échelle industrielle.
La chloration discontinue (également appelée chloration-choc) élimine les algues, le microfouling et la plupart des animaux pouvant proliférer, mais seulement quand ils sont encore à leur stade larvaire ; cependant, ce traitement n’élimine pas les moules et autres mollusques, qui se protègent en fermant leurs valves à la perception du choc ; de plus, des expériences de toxicité montrent que les larves peuvent résister à 10 ppm pendant plus de trois quarts d’heure.
La chloration continue, même à faible dose, est plus efficace que la chloration-choc à haute dose. Il est donc inutile de superposer les deux au cours d’une même période ; il est préférable d’utiliser l’une ou l’autre, en fonction des besoins. La chloration continue est en tout cas indispensable pour éliminer les moules et les balanes en période de prolifération.
En mers tempérées, la chloration continue est nécessaire durant les périodes de reproduction des organismes responsables du fouling. En dehors de ces périodes, la chloration discontinue en choc (principalement pour éliminer le microfouling) est suffisante. Pour ces chlorations continues, effectuées à faible dose, il faut tenir compte de la demande en chlore. En effet, une partie seulement du chlore injecté reste actif (chlore libre ou résiduel) ; l’autre partie des ions d’hypochlorite réagit avec la matière organique qu’elle oxyde et avec les ions ammonium, pour former les chloramines (chlore combiné) : on estime que 0,5 à 0,7 ppm peuvent ainsi être rapidement combinés dans une eau de mer normale, sans pollution organique.
Dans ces conditions, les taux et les temps de chlorations spécifiés habituellement pour les unités installées en bord de mer ou en mer se situent dans les fourchettes suivantes : chloration continue, entre 1 à 2 ppm, ou chloration continue en période critique et chloration-choc à 5 à 6 ppm, pendant 20 à 30 mn de quatre à six fois par jour. En fait, ces valeurs sont celles du dimensionnement des unités ; dans la pratique, les chlorations sont réalisées en moyenne à un niveau inférieur, tant en concentration qu’en durée.
Désinfection des eaux résiduaires
Face aux risques de contamination bactériologique des plages et des activités conchylicoles, il existe deux grandes catégories de solutions : soit la construction d’émissaires favorisant la dispersion du rejet au large et/ou en profondeur, soit la désinfection de l’effluent. Les solutions de désinfection exigent très généralement des investissements beaucoup moins lourds que la construction d’un émissaire de grande longueur et, parmi elles, la chloration est la moins coûteuse.
Le chlore est un puissant oxydant et présente une grande capacité de destruction des germes coliformes ou pathogènes. Dans le cas d’eaux résiduaires, une quantité non négligeable de chlore est consommée pour oxyder des matières oxydables résiduelles. Au-delà du point équivalent, le chlore ajouté reste sous forme de chlore libre en solution. Les demandes en chlore sont variables selon la nature des eaux, de quelques mg/l pour les eaux naturelles, quelques dizaines de mg/l pour les eaux usées urbaines traitées biologiquement, atteignant plusieurs centaines de mg/l pour les eaux usées urbaines non traitées biologiquement ou chimiquement (figure 1). La concentration en germes coliformes peut être réduite de 10³ par un traitement de chloration permettant d'obtenir de l'ordre de 10 ppm de chlore résiduel.
La chloration constitue donc une méthode efficace et souple pour effectuer le traitement final d'une eau usée urbaine, traitée par un procédé biologique, en permettant de diminuer les risques de contamination des plages, pendant les périodes estivales.
Chloration de l’eau potable
La chloration est reconnue comme un moyen très sûr de traitement final des eaux potables ; son principal intérêt par rapport à des techniques comme l'ozonation et en complément de celles-ci, est que la rémanence du chlore libre permet une désinfection plus durable que l'ozonation, ce qui est utile pour éviter la recontamination des eaux dans les réseaux de distribution, en période de faible demande.
Traitement d’effluents industriels
De nombreux cas ont été étudiés (à notre connaissance non encore mis en application), afin de réduire les flux de DCO de certains effluents industriels. Des essais ont notamment montré que la DCO de nature chimique, due aux formes solubles partiellement oxydées du soufre, peuvent être traités par électrochloration. Pour traiter ce type d’effluent, l'intérêt des électrodes graphites (non corrodables), est déterminant.
L'analyse économique montre que l'électrochloration représente un coût d'investissement équivalent à celui d'un dispositif de stockage et d'injection d'hypochlorite de sodium ou de chlore et, à coup sûr dans le cas de l'utilisation d'eau de mer, des dépenses d’exploitation inférieures.
Compte tenu des besoins qui s’accentuent en matière de stérilisation et des contraintes techniques, économiques et de sécurité à respecter en matière d’environnement, l’électrochloration apparaît comme un moyen sûr et efficace qui doit prendre place dans la conception de nombreux projets d'installations de traitement des eaux.