Your browser does not support JavaScript!

L'effort de Rhône Poulenc pour récupérer le phosphogypse

30 mars 1976 Paru dans le N°5 à la page 62 ( mots)
Rédigé par : Gilbert BONNEAU et Jean-marie LEROLLE

Au moment où le problème du gypse, produit fatal de la fabrication de l'acide phosphorique, a été porté dans le domaine public sous le nom de « boues jaunes », il nous a paru nécessaire de faire connaître les efforts importants de RHÔNE-POULENC pour trouver des solutions satisfaisant au mieux, en fonction des progrès techniques, aux nécessités écologiques.

LES EMPLOIS DE L'ACIDE PHOSPHORIQUE

L'acide phosphorique est un élément essentiel dans la constitution de tout être vivant et pour cette raison il a, depuis plus d'un siècle, été utilisé comme élément fertilisant pour les récoltes, soit sous forme de phosphate tricalcique, constituant principal des phosphates naturels qui représentent la seule source industrielle d'acide phosphorique, soit sous forme de super-phosphate qui, à l'origine a été fabriqué à partir d’os, soit sous forme d’acide phosphorique proprement dit.

Pour être assimilable par les plantes l'acide phosphorique doit être sous une forme dite P2O5 « soluble », soit en particulier phosphates mono et bi-calcique, phosphate d'ammoniac, phosphate de potasse. Cette solubilisation s'obtient par l'attaque des phosphates naturels par un acide minéral.

Dans les cas relativement rares où du phosphate naturel finement moulu est utilisé pour la fertilisation, la solubilisation est effectuée par des acides contenus dans le sol.

Dans la fabrication des engrais qui sont essentiellement composés des éléments Acide phosphorique, Azote et Potasse, différentes voies sont utilisées pour la production de P2O5 soluble.

1) - Le phosphate naturel est attaqué par l'acide sulfurique pour obtenir un produit contenant essentiellement du phosphate monocalcique et du sulfate de calcium. Selon la concentration en P2O5 du phosphate, on obtient un engrais titrant jusqu'à 20 % environ de P2O5 assimilable, c'est le superphosphate ordinaire.

2) - Le phosphate naturel est attaqué par l'acide sulfurique pour obtenir d'une part un liquide, l'acide phosphorique (P2O5 dilué) et d'autre part un solide, le sulfate de calcium hydraté (phosphogypse). L'acide phosphorique après concentration à environ 50 % P2O5 est utilisé soit pour l'attaque du phosphate naturel en donnant du superphosphate concentré (45 % P2O5 assimilable), soit pour produire des phosphates d'ammoniac par réaction avec l'ammoniac anhydre. Ces produits, comme d’ailleurs le superphosphate ordinaire, sont utilisés soit tels quels, soit en mélange avec d'autres produits fertilisants (chlorure ou sulfate de potasse par exemple, ou nitrate d'ammoniac) ou bien élaborés dans la fabrication des engrais complexes.

3) - Le phosphate naturel est attaqué par l'acide nitrique (avec ou sans addition d'acides sulfurique et phosphorique) en donnant un engrais phosphaté et un engrais azoté (nitrate de chaux) ces deux produits étant éventuellement séparés.

4) - Le phosphate naturel est attaqué par la silice dans un four électrique pour donner du phosphore (brûlé à l’air pour donner P2O5) et du silicate de chaux.

Le premier procédé (superphosphate ordinaire) a été exclusivement utilisé dans les débuts de l'ère industrielle de la fabrication des engrais chimiques. Il est encore utilisé, mais à échelle relativement modeste pour la fabrication d’engrais à faible concentration dont la demande s'amenuise d’année en année.

Le deuxième procédé, dit « voie humide », est maintenant le plus répandu car il permet la production d'engrais très concentrés, très variés et d’excellente qualité physique, les hautes concentrations conduisant à des frais de transport et d'épandage minimes.

Le troisième procédé a eu un grand succès après la guerre, mais il a été en général supplanté par le deuxième procédé, principalement pour des raisons de qualité des produits.

Le dernier procédé, dit « voie thermique », s'il est encore utilisé pour la production d’acide phosphorique pur à usages industriels, est en voie de disparition dans l'industrie des engrais en raison de la consommation prohibitive d’énergie électrique qu'il implique.

Une part relativement importante de l'acide phosphorique produit dans le monde est utilisée à la fabrication de détergents, dont les éléments de base sont les phosphates de soude (tripolyphosphate en particulier). Il s'agit de produits complexes nécessitant de l'acide phosphorique de haute pureté que l'on obtient maintenant à partir du même acide que celui que l'on utilise pour les engrais (voie humide). Ces détergents ont maintenant remplacé les cristaux (carbonate de soude).

[Photo : Vue générale d'un atelier d’acide phosphorique (Grand-Quevilly). Au centre, la cuve d’attaque du phosphate ; à gauche, la tour de lavage des gaz.]

Parmi les autres usages de l’acide phosphorique on peut citer la fabrication d'aliments du bétail (phosphate de calcium de haute pureté).

LA PRODUCTION D'ACIDE PHOSPHORIQUE

La production recensée dans le monde est actuellement de l'ordre de 30 millions de tonnes (exprimé en P2O5) dont 85 % pour les engrais et 9 % pour la détergence. La capacité de production de la France est de l'ordre de 1 500 000 tonnes.

La capacité totale de production du groupe RHONE-POULENC par les usines de Grand-Quevilly (Seine-Maritime) y compris la participation de la GENERALE DES ENGRAIS et des Roches-de-Condrieu (Isère) est de 450 000 tonnes P2O5 par an.

Les procédés « RHONE-POULENC » de production d’acide phosphorique se présentent comme suit :

Le phosphate minéral, éventuellement broyé, est envoyé en continu avec de l'acide sulfurique dans une cuve agitée dont la

[Photo : Filtre rotatif phosphorique (Grand-Quevilly). Au premier plan : séparation de l'acide phosphorique de la bouillie produite à l’attaque ; en arrière-plan sur le filtre : phases de lavage méthodique du phosphogypse avant son extraction.]

dimension assure le temps de séjour nécessaire à la réalisation complète de la réaction. Le dosage des matières premières est réalisé avec une très grande précision. La bouillie obtenue, qui contient essentiellement l’acide phosphorique et le sulfate de calcium hydraté, est envoyée sur un filtre de conception appropriée qui sépare d'une part l'acide phosphorique à une concentration de 30 % et d'autre part le gypse (humidifié par l'eau de lavage du filtre). C'est ce gypse qui constitue les fameuses boues jaunes. Le fluor, présent sous forme de fluorures dans le phosphate se dégage en partie lors de l'attaque. Il est récupéré sous forme d'acide hydrofluosilicique.

L'acide phosphorique est ensuite concentré sous vide jusqu’à une concentration dépassant 50 % P2O5, puis selon les emplois, décanté et défluoré. Le fluor contenu dans l'acide est récupéré comme celui qui se dégage de l’attaque, et est utilisé à la fabrication de fluorures divers.

LE PHOSPHOGYPSE

Avec une capacité de production de 450 000 t/an de P2O5, la production totale de phosphogypse de l'ensemble des deux usines RHONE-POULENC est de l'ordre de 2 000 000 t/an.

L'importance d'un tel tonnage et ses conséquences sur l'environnement n'ont pas échappé à RHONE-POULENC qui depuis de nombreuses années s'est penché sur le problème, a déjà effectué des réalisations importantes et recherche de nouvelles possibilités. Certaines notions techniques sont à rappeler :

— On appelle couramment gypse le sulfate de calcium dihydraté (SO4, Ca, 2H2O), et en général plâtre le semi-hydrate (SO4, Ca, (1/2H2O)).

Le sulfate de calcium exempt d'eau de constitution est appelé anhydrite.

Le gâchage du plâtre consiste à mélanger du semi-hydrate et de l'eau, en général dans un rapport massique voisin de 1. La bouillie ainsi obtenue se solidifie lentement : c'est la « prise ».

I — Bref historique.

Les usines de Grand-Quevilly et des Roches-de-Condrieu fabriquent de l'acide phosphorique depuis des dizaines d'années. Jusqu'à une époque très récente, le phosphogypse résiduel était envoyé dans la Seine ou le Rhône sans autre inconvénient que de nécessiter au droit de l'usine des opérations périodiques de dragage.

Depuis 1971, l'usine des Roches-de-Condrieu produit environ 700 000 m³/an de carreaux de plâtre, ce qui réduit d’autant les rejets en rivière.

[Photo : Barge pour transport en mer du phosphogypse.]

Depuis 1974 à Grand-Quevilly, l’Administration a admis de charger en barges la totalité du phosphogypse pour le déverser dans l'estuaire de la Seine.

En outre, a été démarré dans le courant de l'année 1975, un atelier d'une capacité de traitement de 300 000 t/an sur lequel un certain nombre de points techniques sont encore à améliorer.

II — Les études menées par RHONE-POULENC.

Ces études ont été entreprises dès 1965 par la Société PROGIL, actuellement entrée dans le groupe RHONE-POULENC. Le problème se posait de savoir si le phosphogypse pouvait être un concurrent direct, tel quel, au plâtre naturel ou s'il fallait lui faire subir des traitements spécifiques pour les applications envisagées.

On peut dire d'une manière générale que le phosphogypse obtenu industriellement contient une partie importante des fluorures présents comme impuretés dans un phosphate minéral. En outre, ce résidu de filtration contient évidemment des traces d'acide phosphorique, soit que celui-ci provienne d'une syncristallisation avec le sulfate de calcium, soit qu'il résulte d'une élimination incomplète lors du lavage du « gâteau ».

Ces impuretés ont des conséquences non négligeables sur le comportement du plâtre obtenu après traitement (temps de prise, rhéologie de la bouillie, montée en résistance mécanique au cours de la prise...). Tout ce travail nous a permis de fabriquer des carreaux acceptables par la clientèle et pour lesquels les avis techniques nécessaires du CSTB ont été obtenus.

L'expérience des Roches-de-Condrieu a permis de monter à Grand-Quevilly une installation plus importante répondant à des normes encore plus sévères concernant les qualités chimiques des produits.

Les études longues et coûteuses menées par RHONE-POULENC ont montré en particulier toute la différence qu'il pouvait y avoir entre les phosphogypses produits à partir de minerais de phosphate d'origines différentes.

Il faut également insister sur la difficulté de présenter en France des produits acceptables par une clientèle rendue exigeante par la présence abondante de gypse naturel de grande pureté.

III — Expériences industrielles.

1) — L'usine des Roches-de-Condrieu.

L'usine de fabrication de carreaux des Roches-de-Condrieu est en service depuis quatre ans et, outre son rôle de production, a été fréquemment utilisée comme pilote pour d'autres opérations.

Elle utilise en général du phosphate d'origine marocaine. Le phosphogypse récupéré sur le filtre est séché et calciné dans un appareillage de notre conception (type LEA). Cette opération permet d'obtenir un semi-hydrate, soit vendu tel, soit utilisé pour la fabrication de carreaux.

La capacité de l’atelier est de 700 000 à 800 000 m³/an (cela dépend de l'épaisseur requise). Des études permettent de sécher les carreaux avant emballage et expédition.

2) — L'atelier de fabrication de gypse de préfabrication de Rouen.

Cette usine est prévue pour fonctionner habituellement sur du minerai provenant du Togo. Il est à noter que ce minerai est l'un de ceux qui donnent lieu aux plus grandes difficultés de mise en œuvre du phosphogypse.

L'atelier est conçu pour fabriquer 300 000 t/an de produit avec possibilité de doublement. Les annexes en place ont été dimensionnées pour la capacité maximum.

Le produit venant du filtre est reçu sous forme d'une bouillie, est traité par flottation, mélangé à de la chaux, séché puis calciné.

Pour la fabrication des carreaux, RHONE-POULENC a créé avec la Société LAMBERT Frères, une filiale dénommée LAMBERT-INDUSTRIES et qui a déjà en fonctionnement des chaînes de

[Photo : Fabrication des carreaux de plâtre à l'usine Rhône-Poulenc des Roches-de-Condrieu. En haut, à gauche : la presse ; en haut, à droite : extraction des carreaux de la presse. En bas, à gauche : passage des carreaux au séchoir ; en bas, à droite : préparation pour l'expédition.]

fabrication au Quesnoy (Nord), à Messac (Ille-et-Vilaine), Strasbourg et Cormeilles-en-Parisis (Val-d'Oise),

3) — L'atelier de Gypsonat de Grand-Quevilly.

Cet atelier est capable, à partir de semi-hydrate, de fabriquer environ 100 000 t/an d'un mélange de phosphogypse traité et de soude appelé commercialement Gypsonat. Pour la réalisation de cet atelier, les brevets de M. PRANDI ont été utilisés. Le Gypsonat est un produit utilisable dans la confection des routes. Il est certainement appelé à un très brillant avenir.

4) — Les consommations spécifiques.

La fabrication de plâtre semi-hydrate, dénominateur commun des trois applications citées ci-dessus, est extrêmement coûteuse et accroît les difficultés face à la concurrence du plâtre naturel.

Par tonne de plâtre semi-hydrate on utilise :

  • — Environ 1 500 kg de gypse brut sec compté en déshydrate,
  • — Environ 3 m³ d'eau,
  • — Éventuellement 5 à 10 kg de chaux,
  • — Environ 45 kg de fuel,
  • — Environ 50 kWh.

Ces deux derniers postes montrent combien cette fabrication est sensible à la conjoncture et combien les hausses récentes des produits pétroliers ajoutent une pénalisation supplémentaire par rapport aux plâtriers naturels.

IV — AUTRES POSSIBILITÉS

1) — Le gypsage des ciments.

Cette opération est bien connue et consomme une quantité de gypse correspondant à environ 3 % du poids de ciment dont il permet de régulariser la prise. Il apparaît donc qu'en France seule, le marché représenterait 1 000 000 de tonnes.

Cependant, on se heurte ici encore à des problèmes de qualité. Des contacts ont été pris avec les cimentiers et on espère arriver d'ici à un an à des résultats positifs.

2) — La fabrication d'acide sulfurique.

Cette technique est connue et utilisée en Autriche et en Afrique du Sud en particulier, et elle apparaît a priori séduisante.

[Photo : Vue extérieure de l'atelier de traitement du phosphogypse (Grand-Quevilly). À gauche : silo de stockage du plâtre provenant du phosphogypse.]

En fait, elle consiste en un recyclage dans le procédé de fabrication d'acide phosphorique. Le sulfate de calcium sous-produit est calciné et décomposé en chaux et en oxyde de soufre SO₂.

On peut donc fabriquer à nouveau l'acide sulfurique dont on était parti par oxydation catalytique du SO₂.

Par contre, on se trouve en présence de quantités énormes de chaux obligeant cet atelier à une symbiose avec une usine de fabrication de ciment.

Pour traiter 500 000 t/an de phosphogypse, on fabriquerait environ 300 000 t/an d'acide sulfurique et autant de clinker.

Il est évident que de tels ateliers sont extrêmement lourds et conduisent à des investissements énormes.

De nombreuses sociétés, dont RHONE-POULENC, s'occupent actuellement d'améliorer les conditions économiques de fabrication d'acide sulfurique dans ces conditions.

3) — Banalisation du plâtre.

Il s'agirait de traiter le phosphogypse de manière à le rendre identique au gypse naturel dans toutes ses utilisations. Ici encore des études sont en cours mais on ne peut pas raisonnablement espérer qu'elles porteront leurs fruits avant quelques années.

V — PERSPECTIVES

La production d'acide phosphorique est devenue inéluctable car, d'une part, serait-il admis de réduire la fertilisation des terres ou d'utiliser des engrais à bas titre contenant du sulfate de chaux et, d'autre part, reviendrait-on avec plaisir aux lessives à base de cristaux de soude ?

On peut évidemment faire de l'acide phosphorique à partir de phosphates de chaux naturels sans obtenir le phosphogypse fatal en employant le procédé thermique, mais dans ce cas la consommation d'énergie est prohibitive et l'on produit du silicate de chaux très impur, inutilisable et nocif pour l'environnement.

Il reste donc le procédé de voie humide lié au problème du phosphogypse qui, il faut bien le dire, est pour 98 % constitué de gypse et de sable, produits très répandus dans la nature (et en particulier dans le Bassin Parisien) et pour le reste, d’éléments peu nocifs étant donné leur faible importance dans le phosphogypse.

Le recyclage de l’ion sulfurique en fabriquant l'acide sulfurique avec le phosphogypse est séduisant, la chaux étant transformée en clinker ; ce procédé qui a déjà été utilisé puis abandonné en France et à l'étranger est l'objet de nouvelles études chez RHONE-POULENC car, dans l'état actuel des connaissances, il n'est pas viable économiquement.

RHONE-POULENC s'est donc lancé dans l'utilisation du phosphogypse à la fabrication des carreaux de plâtre et d'adjuvants dans la confection de routes et de plates-formes. La mise au point de ces procédés a été laborieuse compte tenu des spécifications basées sur le gypse naturel. L’écoulement utile de ce produit est en plein essor et de nouvelles perspectives sont étudiées.

Il ne faut cependant pas se faire d'illusions sur la rentabilité des investissements qui sont engagés et à engager pour traiter le phosphogypse. Ces frais de traitement ne sont pas compensés par la valorisation des produits obtenus du fait de la concurrence du plâtre naturel.

CONCLUSIONS

La production d’acide phosphorique de voie humide étant une nécessité pour le groupe RHONE-POULENC, les problèmes d’environnement se posent avec une acuité croissante en ce qui concerne le phosphogypse.

RHONE-POULENC poursuit, malgré la crise économique actuelle, ses efforts dans l'utilisation de phosphogypse dans le bâtiment, les travaux publics et les matériaux de construction, tout en ne négligeant pas d'autres débouchés.

Tous ces efforts non seulement dans l'acide phosphorique mais aussi dans toutes ses autres industries conduisent à une charge financière très importante.

Il est bien évident que plus une récupération est poussée, plus fortes sont les dépenses. Si jusqu’à un certain taux de récupération l'opération peut être rentable, elle devient déficitaire au-delà d'un certain seuil. Ceci doit être nettement souligné. Les impératifs de l'environnement peuvent conduire à l'arrêt d'une industrie malgré les efforts d’imagination et de recherches qui sont actuellement déployés, car on ne peut transgresser ni les lois de la physique et de la chimie ni les lois de l'économie.

J.-M. LEROLLE et G. BONNEAU.

[Photo : Vue intérieure de l’atelier de traitement du phosphogypse (Grand-Quevilly).]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements