Première région française pour la fabrication de l'acier, la Lorraine a bénéficié non seulement des gisements de minette, mais également d’importantes ressources en eau. Cette ressource naturelle a été mise en valeur et intervient dans le processus de fabrication de l'acier.
LA SIDÉRURGIE LORRAINE
On distingue trois grands secteurs sidérurgiques en Lorraine :
— au nord, le bassin de Longwy, avec les usines d'Usinor-Longwy, Usinor-Rehon, Chiers-Longwy, Villerupt, Micheville... ;
— au sud, le bassin de Nancy : Fonderies de Pont-à-Mousson, aciéries de Pompey, Usinor-Neuves-Maisons... ;
— au centre, le polygone lourd : c’est le principal pôle sidérurgique de la Lorraine, situé entre Thionville et Metz, le long de la Moselle et de ses affluents l’Orne et la Fensch. Les usines appartiennent pour la plupart à Sacilor-Sollac, qui concentre ses activités dans les vallées de la Fensch (Sérémange, Ebange, Florange, Hayange, Knutange) et de l’Orne (Jœuf, Rombas-Gandrange, Hagondange).
Au total la sidérurgie lorraine emploie 56 265 personnes, et a produit 7 258 074 t de fonte et 7 888 882 t d'acier en 1981 ; les usines sont concentrées entre les mains de quelques sociétés : Usinor, Sacilor-Sollac, Pont-à-Mousson...
Cette sidérurgie constitue l'un des plus gros utilisateurs et consommateurs d’eau des industries lorraines.
LE RÔLE DE L’EAU
DANS L'USINE SIDÉRURGIQUE
L’industrie sidérurgique est grosse utilisatrice et consommatrice d'eau ; les usages y sont multiples et variés :
— refroidissement des appareils : organes du haut fourneau, lances à oxygène, fours, convertisseurs,
- — extinction de produits incandescents : coke, laitiers, scories... ;
- — épuration des gaz et des fumées à la cokerie, à l'agglomération, l'aciérie, les hauts fourneaux ;
- — production de vapeur, très utilisée dans la sidérurgie ;
- — action mécanique de l'eau : décalaminage des tôles, entraînement des battitures ;
- — force motrice, en haute pression dans les laminoirs ;
- — eaux domestiques : sanitaires, incendie...
Parmi toutes ces fonctions, c’est celle de refroidissement qui est la plus développée.
Le principe de l'utilisation de l'eau comme élément réfrigérant est simple : l'eau passe dans un échangeur thermique, où elle refroidit le fluide chaud (huile, eau très chaude, gaz, vapeur) ; elle peut entrer également en contact direct avec l'appareil à refroidir.
La notion de refroidissement est considérée ici dans son acception la plus large : tout refroidissement est relatif ; de la vapeur peut abaisser la température d'un gaz de 1 600° à 1 000°.
Il existe différents types de refroidissement : circuits ouvert, fermé ou semi-fermé. C'est ce dernier type de circuit, à recirculation d'eau sur réfrigérant atmosphérique, qui se développe le plus aujourd’hui. Mais, en Lorraine, le type de circuit qui était le plus répandu était le circuit ouvert, du fait des grandes disponibilités en eau. Actuellement, la politique d’économie d’eau d'une part, et la lutte contre la pollution d’autre part, conduisent à la mise en place progressive de ces réfrigérants atmosphériques. En règle générale, à part quelques installations liées à la technologie propre à l'usine, l'installation d'eau dans l'usine sidérurgique obéit au schéma de principe suivant :
L’eau, indispensable, est ainsi plus ou moins utilisée, en quantité et en qualité, selon le degré de technicité des installations ; d'où des bilans d'eau variables suivant les unités de fabrication.
BESOINS ET RESSOURCESEN EAU EN LORRAINE
Les besoins de l'industrie sidérurgique lorraine sont très variables, selon les usines. Les prélèvements d'eau nécessaires à la fabrication d'une tonne d'acier, considérée comme produit fini, varient de 6 à 120 m³, selon le taux de recyclage de l'usine (1). Au total, les besoins annuels de l'industrie sidérurgique lorraine se chiffrent à 500 millions de m³ environ : 120 à 140 millions de m³ dans le bassin de Nancy (pour les trois usines de Pompey, Neuves-Maisons et Pont-à-Mousson), et 350 à 370 millions de m³ dans le nord du pays. Rapportés à un débit en m³/seconde, les besoins de la sidérurgie lorraine se montent à 1,3 m³/s en moyenne.
Les ressources de la Lorraine peuvent-elles satisfaire ces besoins ?
Le bilan ressources-besoins montre qu'actuellement, en Lorraine, les ressources en eau superficielle apportées par les cours d'eau lorrains suffisent à satisfaire les besoins de l'industrie sidérurgique, sans qu'il y ait nécessité de prélever dans la nappe, sauf lors d’étiages exceptionnels.
En effet, les précipitations, qui sont à l'origine des ressources en eau superficielle (et du renouvellement des nappes souterraines) représentent en moyenne 900 à 950 mm d'eau par an. La Lorraine reçoit donc approximativement 20 milliards de m³ d'eau de pluie en année moyenne, dont la moitié (10 milliards de m³) concourt à la recharge des nappes souterraines par infiltration (1 milliard de m³) et au ruissellement superficiel (9 milliards de m³).
La Lorraine possède, en plus, de nombreux aquifères. Les réserves globales s’élèvent à plus de 1 milliard de m³ ; la recharge annuelle est, nous l'avons vu, de 1 milliard de m³, et l'exploitation de 400 millions de m³.
Le bilan besoins-ressources montre donc bien qu’actuellement les ressources en eau superficielle apportées par les cours d’eau lorrains suffisent à satisfaire les besoins de l'industrie sidérurgique, sans qu'il y ait nécessité de prélever dans la nappe, sauf lors d'étiages exceptionnels.
Mais les besoins des usines sidérurgiques ne sont, naturellement, pas les seuls à satisfaire ; s'y ajoutent ceux, très importants, des diverses villes et agglomérations, et un choix se pose parfois dans la hiérarchie des besoins à satisfaire, particulièrement
(1) On peut descendre à 3 m³/t en fonction de la qualité de l'eau et de l'organisation de l'usine.
lors des années sèches, comme ce fut le cas en 1976. Quelle priorité donner alors pour l'alimentation en eau ? D'où une politique de régulation des ressources et d'économie de l'eau au niveau des usines par la mise en place de circuits fermés. Cette utilisation intensive de l'eau pour la fabrication de l'acier entraîne une pollution importante des rejets des usines.
LA SIDÉRURGIE LORRAINE ET L'ENVIRONNEMENT
La pollution de l'eau dans l'industrie sidérurgique
La pollution des eaux est essentiellement causée par les matières en suspension, les huiles et les calories (pollution thermique). À cela, il faut ajouter la présence de produits toxiques, cyanures et phénols.
Divers traitements peuvent être utilisés en vue d’éliminer les principales sources de pollution de l'eau :
- — la décantation, qui permet d’éliminer la plus grande partie des matières en suspension ;
- — la flottation, qui permet d’éliminer les huiles ;
- — les traitements biologiques ou physico-chimiques, pour traiter les effluents des cokeries ;
- — le recyclage de l'eau de lavage des gaz de hauts fourneaux, avec station de traitement des eaux, pour éliminer les cyanures, etc.
Parmi les plus anciennes installations de dépollution en Lorraine, citons les nombreux bassins de décantation des eaux de lavage des gaz de hauts fourneaux et des rejets de laminoirs ; elles ont été suivies par les multiples procédés de dépoussiérage des fumées et des gaz des hauts fourneaux et des aciéries, ainsi que par les stations de traitement des eaux ammoniacales des cokeries.
La cokerie est l'atelier le plus gênant de par la variété de ses pollutions. La pollution véhiculée par les eaux ammoniacales se caractérise par une teneur élevée de poussier de coke et une teneur élevée de matières nocives en solution (phénols...). Cette eau, très chargée, représente une pollution équivalente à 40 ou 50 habitants par tonne de coke. Ces eaux phénolées sont actuellement traitées, avec plus ou moins de succès, par les traitements biologiques ou physico-chimiques.
Dans l'agglomération, la pollution est d'origine indirecte, liée à l’épuration des fumées par voie humide.
Dans le secteur des hauts fourneaux, ce sont surtout les eaux de lavage des gaz, contenant les cyanures, qui posent les principaux problèmes. Ces eaux subissent un traitement de décyanuration, le plus souvent à l'acide de Caro.
Dans l'aciérie, la pollution des eaux se situe essentiellement au niveau du dépoussiérage des fumées des convertisseurs ; ces eaux sont facilement traitées.
Les laminoirs, enfin, présentent une pollution physique dominante (battitures), sans oublier la pollution par les huiles de graissage et de lubrification. Dans le laminage à froid se pose le problème de la régénération des bains usés.
Très tôt les sidérurgistes lorrains se sont préoccupés de ces problèmes de pollution, et se sont dotés d'organismes de contrôle et de recherche dans le domaine de la pollution.
Les sidérurgistes lorrains face à la pollution
Pour lutter efficacement contre la pollution, les sidérurgistes ont créé un certain nombre d’organismes, certains étant des antennes de l’Association Technique Eau de la Sidérurgie française : L.E.C.E.S. (Laboratoire d'Études et de Contrôle de l'Environnement Sidérurgique), associé à l'I.R.H. (Institut de Recherches Hydrologiques). En mai 1977, Sacilor et Sollac ont fondé, avec d'autres sociétés industrielles de la région, « l'Association pour l'Exploitation du Réseau de Mesure de la Qualité de l'Environnement dans les vallées de la Fensch, de l'Orne et de la Moselle proche » (l'A.E.R.F.O.M.).
En ce qui concerne l'Orne, des estimations de 1972-1973 donnaient 31 t/j de M.E.S., 20 t/j de DCO et 11 t/j de DBO ; en 1981, les valeurs sont tombées à 10 t/j pour les M.E.S., 13 t/j pour la DCO, et 6 t/j pour la DBO, soit une réduction de plus de 50 % pour les M.E.S. et de 40 % pour les matières organiques. Mais il faut indiquer que plus de la moitié de cette pollution éliminée correspond, en fait, à une cessation de l'activité sidérurgique ; l'exemple
Le plus significatif est la fermeture de la cokerie d'Homécourt, qui a entraîné la disparition des phénols et de l'ammonium dans l'eau de l'Orne. La pollution actuelle de l'Orne s'élève ainsi à 160 000 équivalent-habitants (Eq/h), celle de la Fensch à 340 000 Eq/h.
Ces efforts, associés à ceux des collectivités locales, et soutenus par l'Agence de Bassin Rhin-Meuse, ont permis de diminuer de moitié la pollution véhiculée par l'Orne ; bien que de qualité encore médiocre, l'eau de l'Orne a cependant « gagné » un rang de qualité en 1981.
Pour la Fensch, une amélioration très nette devrait se faire sentir lorsque les stations d’épuration prévues fonctionneront à pleine capacité.
Quoi qu'il en soit, l'ensemble Orne-Fensch représente encore aujourd'hui 63 % de la pollution en M.E.S. de la sidérurgie lorraine, 81 % des traitements de surface et 51 % des toxiques.
L'amélioration de la qualité des eaux a nécessité des investissements de 185,5 millions de francs en 10 ans, dont 86 millions de francs pour des installations neuves.
L'objectif 1982 est de ramener la pollution de l'Orne à 70 000 Eq/h et celle de la Fensch à 100 000 Eq/h, ce qui correspond à 30 millions de francs d’investissement.
La sidérurgie reste néanmoins une source de pollution importante à l'échelle du Bassin Rhin-Meuse :
- — dans le contexte global des rejets industriels actuels du bassin, elle amène près de 35 % des M.E.S., 10 % des Matières Oxydables, et plus de 25 % de la pollution toxique ;
- — dans la comparaison des importances relatives des flux polluants rejetés par diverses branches industrielles du bassin, elle occupe la première place pour les M.E.S. et les rejets toxiques.
Ces valeurs ne concernent que les rejets moyens retenus par l’Agence de Bassin Rhin-Meuse pour le calcul des redevances, à l'exclusion de toute pollution accidentelle ou exceptionnelle.
Mais tous ces résultats ont nécessité des investissements importants et entraînent des frais d'exploitation élevés. La poursuite de cette politique de protection de l'environnement pose aujourd'hui, dans un contexte économique difficile, des problèmes réels. La protection de l'environnement coûte en effet très cher en investissements et en exploitation : la majoration du coût d'investissement est de l’ordre de 20 % pour la cokerie, de 15 % à l’agglomération, 5 % pour le haut fourneau, 20 % à l'aciérie, 5 % dans les laminoirs. Et les progrès que l'on peut réaliser coûtent de plus en plus cher !
Parmi ces tentatives lorraines faites pour intégrer de plus en plus la protection de l'environnement lors de la construction d’une nouvelle installation, les installations de la cokerie des Fonderies de Pont-à-Mousson constituent l'exemple le plus récent de techniques de dépollution originales et efficaces dans le domaine de la fabrication du coke.
Un exemple d’usine propre : la cokerie de Pont-à-Mousson
L'usine de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), d'une superficie de 120 hectares, est une usine métallurgique intégrée, qui comprend une cokerie ultramoderne, quatre hauts fourneaux, un atelier de centrifugation et une fonderie à plat. L'usine doit sa renommée mondiale à son produit : le tuyau en fonte ductile, destiné à un marché spécifique, celui de l'eau !
Née en Lorraine, la Société Pont-à-Mousson y a ses principales activités, et emploie 4 651 personnes. Insérée aujourd'hui dans la structure Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, elle s'intéresse aux quatre marchés principaux servis par la société : l'eau, le bâtiment, les transports et l'équipement industriel.
Pour la fabrication des tuyaux, l'usine dispose de 3 halles de centrifugation qui fabriquent des tuyaux allant de 150 mm à 2000 mm de diamètre et de 6 m à 9 m de longueur.
La nouvelle cokerie, conçue et réalisée par le Service des Réalisations Industrielles de Pont-à-Mousson, a démarré le 7 janvier 1981. Un des points intéressants à souligner dans la réalisation de cette cokerie est l'effort fait en matière de protection de l'environnement. C'est ainsi que les traitements de dépollution sont inclus dans les procédés de fabrication, ce qui est nouveau.
En particulier, un procédé inédit d’extinction du coke par de l'eau sous pression permet, pour la première fois, l'élimination quasi totale des émissions de poussières. Avec ce système breveté (S.E.P.), le coke est maintenant éteint sans tour d’extinction ni installation de décantation de l'eau. De cette façon, la quantité d’eau nécessaire peut être diminuée de moitié par rapport au procédé traditionnel. Du fait de l'évaporation de la totalité de l'eau mise en œuvre, toutes les installations habituelles de décantation et d'épuration de l’eau ne sont plus nécessaires. De plus, ce procédé permet de récupérer en partie l'énergie contenue dans les gaz de refroidissement du coke.
Ce développement révolutionnaire a permis à Pont-à-Mousson S.A. d'économiser plus de 5 millions de francs d'investissement. Grâce à lui, les coûts d’exploitation annuels seront réduits d’environ 0,2 million de francs.
Les caractéristiques du procédé S.E.P. sont convaincantes :
— captation et dépoussiérage des émissions au défournement du coke, avec un volume aspiré réduit et des coûts de fonctionnement faibles ; — captation des émissions à l'extinction dans un cyclone à haut rendement, sans dépense énergétique supplémentaire ; — besoin en eau d’extinction inhabituellement faible (0,6 m³/t coke) ; — vaporisation totale de l'eau d’extinction et, en conséquence, suppression de l’installation de traitement de l'eau résiduelle ; — valeur faible et répartition uniforme de l'humidité résiduelle du coke ; — coke plus résistant à la pression et à l’abrasion ; — problèmes de dépoussiérage lors de la manipulation du coke évités ; — teneur en soufre du coke plus basse ; — ampleur des possibilités de récupération d’énergie par tonne de coke : 45 m³ de gaz à l'eau, 60 kg de vapeur de 16 bars et 4,5 m³ d'eau chaude à 85 °C (Hartung, Kuhn et Cie – 1981).
Le bilan de l'eau à la cokerie est particulièrement satisfaisant : la cokerie prélève 1 500 000 m³ par an et utilise 6 700 000 m³ ; le taux de recyclage est de l'ordre de 77 % (2). Pour fabriquer une tonne de coke à la cokerie de Pont-à-Mousson, le volume prélevé est de 5 m³, le volume utilisé de 22 m³, le volume rejeté de 4 m³ et celui consommé de 1 m³.
Abondantes malgré des variations dans les débits, tempérées par la présence de nappes, les ressources en eau de la Lorraine, aménagées, ont facilité la naissance et permis le développement de l'industrie sidérurgique. Celle-ci, bien que réduisant de plus en plus ses besoins, utilise encore grandement l’eau du bassin de la Moselle et est intéressée, au premier chef, par tous les aménagements tendant à améliorer la régularité des débits ou la qualité de l'eau.
La sidérurgie lorraine contribue fortement au maintien de cette qualité, en développant ses installations anti-pollution, et participe à la préservation des ressources en eau superficielle en développant les mises en circuit fermé de ses installations.
(2) Eau utilisée – eau prélevée.