Les recherches menées depuis 1985 nous ont permis de mettre au point une membrane d'ultrafiltration et le procédé correspondant, répondant aux critères primordiaux fixés par le traiteur d’eau :
- - coût d’exploitation faible, avec réduction notable de la maintenance ;
- - coût d’investissement compétitif avec les traitements classiques (lesquels sont totalement inadaptés aux variations importantes de turbidité et de teneur en micro-organismes de l’eau brute) ;
- - qualité constante de l’eau distribuée, quelle que soient les variations de qualité de la ressource.
Un procédé de filtration performant
Diverses technologies membranaires auraient pu être utilisées pour répondre aux conditions posées : osmose inverse, nanofiltration, microfiltration et ultrafiltration (figure 1).
L’osmose inverse et la nanofiltration sont des technologies qui trouvent leur champ d’application sur des eaux respectivement salées ou saumâtres, d’où une application limitée en Europe.
La microfiltration aurait pu offrir une solution au traitement des eaux turbides ; toutefois, et afin d’atteindre les normes de potabilisation européennes, l'ajout de coagulant à l’eau brute est nécessaire. Le coagulant a pour but de former des flocs de taille suffisante afin qu'ils soient retenus par les membranes. En général, de fortes pressions (de 3 à 4 bars) ainsi que d'importantes vitesses de circulation à l'intérieur des canaux (3 m/s) doivent être appliquées pour un fonctionnement optimal de l'installation. Associés à ce type de fonctionnement consommateur d’énergie, des nettoyages chimiques doivent être réalisés au moins une fois par semaine. Ils sont généralement effectués par actions successives d’acide et de base à moyenne température (60 à 80 °C).
L’ultrafiltration : le bon choix
Tous ces inconvénients de la microfiltration nous ont donc conduits à opter pour la dernière technique de séparation par membranes : l’ultrafiltration. La membrane réalisée à cet effet est en dérivé cellulosique hydrophile, dont le seuil de coupure est de 0,01 microns, ou de 100 000 à 300 000 Daltons (selon la technique de mesure employée). Particules en suspension, pollens, colloïdes, parasites, algues et autres micro-organismes (bactéries, virus), de taille supérieure à celle des pores de la membrane sont retenus en totalité ; certaines macromolécules organiques, selon leur taille moléculaire, sont également arrêtées par cette barrière physique, ce qui n’est pas le cas des composés solubles (nitrates, fer, manganèse, pesticides), qui ne sont pas retenus (de même que par les autres technologies membranaires, à l’exception de l’osmose inverse).
La membrane utilisée est du type « fibre creuse », d’environ 1 mm de diamètre intérieur ; elle est dite à peau interne, l’eau circulant à l'intérieur de la fibre, et l'eau filtrée étant recueillie à l’extérieur. Des milliers de fibres sont mises en
faisceaux dans des modules (figure 2), dont la taille est de 1,30 m de long pour un diamètre de 0,30 m.
Ce procédé constitue une simple filtration physique sans ajout de réactif chimique à l’eau brute. L’eau prélevée dans la ressource (figure 3) est envoyée dans le module sous faible pression (de 0,5 à 1,5 bar). L’eau traverse ainsi la paroi poreuse de chaque fibre qui la filtre ; c’est le perméat ; on réalise ainsi une filtration dite frontale, qui est utilisée principalement sur des eaux peu chargées en matières organiques. Sur des eaux plus polluées chimiquement, une pompe de circulation maintient les particules en suspension (vitesse de balayage des fibres de moins de 1 m/s). On parle alors de filtration tangentielle ou avec recirculation. Ces conditions de vitesse et pression, peu consommatrices d’énergie, sont le premier avantage de cette technologie par rapport aux autres procédés à membranes.
Les particules ainsi séparées de l’eau se concentrent dans la tuyauterie. Leur élimination, engendrant un colmatage progressif des membranes, est réalisée par envoi d’eau filtrée pressurisée en sens inverse de la filtration, tout en maintenant une vanne de purge ouverte pendant toute la durée de la phase. Ce rinçage hydraulique (ou rétro-lavage) empêche le colmatage des membranes. Lors de cette phase, un choc au chlore à 3 ppm est pratiqué avec un double but :
« le carbone soluble passe à travers la membrane, constituant un substrat nutritif pour les bactéries qui peuvent ainsi se développer ; le chlore, de par son action bactéricide, évite la prolifération des micro-organismes du côté perméat.
« de par son action d’oxydant puissant sur la matière organique, le chlore aide au décolmatage de la membrane.
Les rinçages hydrauliques sont réalisés durant moins d’une minute avec une fréquence variant d’une fois toutes les trois heures sur des eaux d’assez bonne qualité (du type eau souterraine) à une fois par heure sur des eaux plus chargées en matières organiques. La perte en eau instantanée due à la non-production durant cette phase et à la consommation d’eau filtrée pour le rétro-lavage, varie selon la fréquence de 5 à 15 % ; en moyenne, sur une année, elle est inférieure à 10 % quelle que soit l’eau à traiter. L’optimisation des rinçages hydrauliques a permis de maintenir des flux stables dans le temps, ce qui constitue le deuxième avantage du procédé.
Il est parfois nécessaire de réaliser un nettoyage plus poussé : une fois par an sur des types d’eaux souterraines, jusqu’à quatre fois par an sur des eaux de type superficiel. Il est obtenu par circulation d’une lessive dans l’installation, et rinçage. Cette phase dure environ quatre heures.
Ce fonctionnement alterné filtration — rinçage hydraulique aurait pu provoquer une fatigue des fibres. La recherche menée sur le matériau a permis de définir une fibre résistant à la fatigue mécanique et chimique au cours du temps. Les essais de vieillissement accéléré (phases de filtration — rétro-lavage rapprochés) et de résistance chimique au chlore ont permis d’estimer une durée de vie de la fibre supérieure à cinq ans, et certainement proche de huit ans.
Le troisième avantage de cette technologie est son automatisation ; un jeu de vannes automatiques permettant de réaliser l’une ou l’autre des phases de fonctionnement et les rinçages hydrauliques étant réalisés de manière cyclique en fonction d’une temporisation. Lors de fortes pointes de pollution organique et de turbidité, c’est l’augmentation de la pression de fonctionnement jusqu’à une valeur maximum qui déclenche le rétro-lavage, prenant ainsi le pas sur la temporisation. L’absence d’ajout de coagulant à l’eau brute en fonction de la qualité de la ressource permet de réduire les passages pour maintenance au seul remplissage du bac de chlore nécessaire au rinçage hydraulique et à la chloration de l’eau distribuée ; la faible fréquence des nettoyages approfondis n’influe pas sur cette maintenance. Cette automatisation simple mais efficace permet un fonctionnement continu si besoin est. La mise en marche et l’arrêt de l’installation sont déclenchés par la demande en eau.
L’absence de particules en suspension et de micro-organismes divers, ainsi que la réduction de la teneur en matières organiques permet l’injection d’une quantité constante de chlore (0,1 à 0,3 ppm) destinée à protéger le réseau d’un quelconque développement microbien. L’eau arrive au consommateur sans goût de chlore, ce qui constitue le quatrième avantage de cette technologie.
Des champs d’application variés
Certaines installations ont vu des pointes de turbidité supérieures à
200 unités (NTU) pendant plus de sept jours consécutifs, comme à Amoncourt et à la Compagnie des Eaux de Banlieue (figure 4), ou de plus de 500 NTU pendant quelques heures, comme à Blomac. Malgré cela, l'eau ultrafiltrée a toujours présenté une turbidité inférieure à 0,1 NTU, taux qui se situe nettement en dessous des normes européennes. La teneur en matières organiques a également diminué d’environ 30 %, ce qui a autorisé la distribution de l'eau sans traitement complémentaire. Les limitations inhérentes à la coagulation sur filtre (turbidité maximale admissible inférieure à 20 NTU, avec suivi permanent de l'installation) et à la coagulation-décantation-filtration (problème d’asservissement en cas de variation brutale de la turbidité, et maintenance importante) n’auraient pas permis de répondre à ces cas de figure.
Dans les cas où la teneur en matières organiques ou en pesticides est trop élevée, l’addition de charbon actif en poudre à l'eau brute permet un abattement notable de ces composés. Employée pour la première fois, cette combinaison de traitements est utilisée par la Compagnie des Eaux de Banlieue depuis juillet 1991.
Eaux souterraines à turbidité occasionnelle :
1988 | Amoncourt (Haute-Saône) | 10 m³/h |
1989 | Douchy (Loiret) | 50 m³/h |
1990 | Le Baizil (Haute-Marne) | 5 m³/h |
Gragay (Cher) | 32 m³/h |
Eaux superficielles :
1990 | Compagnie des Eaux de Banlieue (Hauts-de-Seine) | 7 m³/h |
1991 | Macao | 150 m³/h |
Eaux à pollution particulière :
1991 | Stonehaugh (Royaume-Uni) | 3 m³/h |
Unités mobiles Sirocc’eau :
1990 | Blomac (Aude) | 8 m³/h |
Fouesnant (Finistère) | 12 m³/h |
Certaines eaux, outre une faible turbidité, présentent des teneurs en fer et manganèse supérieures aux normes. La précipitation du fer en hydroxyde ferrique par simple aération, et du manganèse par le permanganate de potassium, suivis de la filtration par membranes, permet alors de distribuer une eau conforme à la législation. C’est la technique utilisée à l’usine de Stonehaugh (Royaume-Uni), qui fonctionne sur ces bases depuis janvier 1991.
Le procédé de séparation par membranes décrit ci-dessus est le seul qui soit en cours d'agrément au Ministère de la Santé sur des eaux de type A1. Avec ses combinaisons, il est également applicable aux eaux de catégorie A2 ou A3.
Neuf installations de clarification-désinfection par membranes d'ultrafiltration fonctionnent en France et dans le monde dans des situations variées (figure 5) : filtration d’eaux souterraines, clarification d’eaux superficielles, avec ou sans traitements combinés. Au moins quatre nouvelles installations verront le jour en 1991.
À Blomac comme à Fouesnant, des unités mobiles Sirocc’eau ont été installées durant l'été 1990 à la suite de l'épuisement de la ressource naturelle. L'unité de Blomac fonctionnera jusqu’à la mise en place d'une prochaine unité fixe.
Autres produits de cette technologie, les unités portables et manuelles Aquachoc, réalisées avec l'aide de Médecins Sans Frontières et de l'une des Unités d'Intervention et d'Instruction de la Sécurité Civile, sont la réponse à l’alimentation en eau lors de catastrophes naturelles ou accidentelles, ou pour tout groupe de personnes se déplaçant dans un territoire où la structure d’approvisionnement en eau est défaillante (camps itinérants, hôpitaux de campagne, missions lointaines...).
Mais la clarification-désinfection par membranes d'ultrafiltration ne s’applique pas seulement à l’alimentation en eau potable des communes ; c'est aussi un pré-traitement efficace en milieu industriel dès lors que l’eau utilisée doit être exempte de particules, micro-organismes ou de matières colmatantes. Il peut être placé avant l’osmose inverse, ou afin de protéger une installation d’affinage (une déminéralisation par exemple). Les essais réalisés en milieu industriel ont montré que l’indice de colmatage de l'eau filtrée était toujours inférieur à 1, même avec des indices de colmatage sur l'eau brute supérieurs aux limites de mesure (20).
Cette technologie de clarification-désinfection par membranes d'ultrafiltration sans réactifs chimiques produit donc une eau sans goût de chlore. Elle est la solution idéale pour les petites communes grâce à des stations standard (inférieures à 70 m³/h), pour les moyennes collectivités grâce à des stations standard modulaires (plus de 50 m³/h) et en milieu industriel comme traitement efficace de l'eau de procédé.
Ses avantages sont dus à sa faible consommation énergétique par rapport aux autres techniques membranaires, à la constance de la qualité de l'eau distribuée par rapport aux traitements classiques, à la réduction de la maintenance, à son automaticité et à sa fiabilité.