Le traitement au chloro sulfate ferrique de l’eau de la Deûle à la Centrale E.D.F. des Ansereuilles (Nord)
par Pascal BENENSON et René DESENEPARTIngénieurs à la Centrale E.D.F. des Ansereuilles.
LA PRODUCTION D’ÉNERGIE ÉLECTRIQUE DE LA RÉGION DU NORD
Le Nord de la France est actuellement équipé d’une douzaine de centrales thermiques, qui représentent ensemble une puissance maximale de production de l’ordre de 3 500 MW, un peu plus de 4 000 si l’on y ajoute celles de deux importantes centrales régionales voisines : la Centrale thermique de BEAUTOR (Aisne) et la Centrale nucléaire de CHOOZ (Ardennes).
Les statistiques annuelles de l’E.D.F. donnent pour l’année 1977 les chiffres de leurs productions et de leurs capacités respectives (voir le tableau ci-contre).
En été 1979, la centrale nucléaire de Gravelines devrait commencer à fournir ses premiers kilowatts, en attendant l’année 1981, où ses quatre tranches prévues de 925 MW chacune = 3 700 MW seront en fonctionnement, ce qui changera les données du problème de fourniture de l’énergie à cette région du Nord, grosse consommatrice comme on le sait.
Compte tenu d’un accroissement continu (jusqu’alors) et en principe irréversible des besoins, ainsi que de la nécessité de couvrir partiellement ceux de la région Champagne-Ardennes, il est vraisemblable que les centrales thermiques — qui produisent de l’énergie électrique à partir du charbon et du fuel — devront être maintenues en activité totale ou partielle pendant encore un certain nombre d’années.
Production E.D.F. = année 1977 (1)
(1) Au moment où cet article a été rédigé, les statistiques de production pour l’année 1978 n’étaient pas encore parues.
Entretemps, l’appel au pétrole et au charbon a été en constante augmentation : leur consommation globale a triplé entre 1974 et 1978, et leur disponibilité pose les problèmes préoccupants — nationaux et internationaux — que l’on connaît. Pour imager une future transposition entre ces combustibles « fossiles » et « le nucléaire », disons que, par exemple, la centrale thermique des Ansereuilles dont il va être question ici aura consommé en 1977 : 910 000 tonnes de charbon, et 1 000 kilo-tonnes en 1978, et que la fission d’un kilo d’uranium 235 fournit une énergie équivalente à 3 000 tonnes de charbon. Mais notre propos n’est pas de nous prononcer dans cet exposé sur l’avenir de la production d’énergie électrique en France...
LA CENTRALE THERMIQUE DES ANSEREUILLES
La centrale des Ansereuilles a maintenant vingt ans d’existence, ayant été mise en service à partir de 1959, en quatre tranches successives échelonnées : la tranche 1 en mai 1959, la tranche 2 en novembre 1959, la tranche 3 en août 1964, la tranche 4 en janvier 1965. Ses quatre groupes de 125 MW correspondaient au plan d’après-guerre 1956-1958 de création nécessaire d’une centrale proche de la région lilloise, considérée comme centre industriel et métropole urbaine en développement, donc important consommateur.
Le site des Ansereuilles, sur 58 hectares situés sur les territoires des communes de Wavrin, Allennes-les-Marais et Don, à 20 km au sud-ouest de Lille, a été choisi à l’époque parce qu’il présentait tous les avantages souhaitables : à proximité du bassin houiller Nord–Pas-de-Calais dont la centrale a vocation de brûler le charbon maigre (avec ses deux dernières tranches), bien desservi par une voie ferrée (Lille–Béthune) et par une voie d’eau (la Deûle canalisée). La centrale a été implantée sur la rive gauche de la Deûle et sur la rive droite un terril à cendres occupe une surface de 14 ha.
En gros, compte tenu des arrêts pour révision et des périodes de pointe, 1 000 tonnes de charbon lui sont nécessaires par jour pour chacune de ses quatre tranches à pleine puissance, soit 4 000 tonnes/jour à pleine charge, lesquelles sont actuellement en majeure partie du charbon d’importation et arrivent par le port de Dunkerque, acheminées par le canal à grand gabarit de la Deûle, et aussi par des wagons E.D.F.
PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT DE LA CENTRALE
La centrale produit de l’énergie électrique à partir de la chaleur dégagée dans les chaudières par la combustion du charbon.
Cette transformation s’effectue en utilisant un fluide moteur (l’eau ou la vapeur) qui effectue un cycle thermique en circulant en circuit fermé ; il reçoit de l’énergie calorifique de la « source chaude », une partie de celle-ci est transformée dans la turbine en énergie mécanique, l’autre partie est cédée à la « source froide ».
Les quatre tranches de la centrale sont indépendantes et un certain nombre d’auxiliaires généraux sont communs. Chaque tranche comporte essentiellement :
- – Un générateur de vapeur, qui constitue la « source chaude » du circuit ; il produit de la vapeur à haute pression et à haute température en utilisant la chaleur dégagée par la combustion du charbon. Il est alimenté en combustible et en air réchauffé nécessaire à la
combustion ; les fumées sont évacuées vers la cheminée après avoir été dépoussiérées.
- • Une turbine, dans laquelle la vapeur se détend dans les différents étages ; en fin de détente, la vapeur est ramenée à l'état liquide dans un condenseur qui constitue la « source froide » du circuit.
- • Un poste de réchauffage, dans lequel l'eau est progressivement réchauffée, avant de retourner au générateur de vapeur ; ce réchauffage a lieu dans des échangeurs qui sont alimentés en vapeur par des prélèvements effectués en différents points de la turbine et appelés soutirages.
- • Un alternateur, accouplé à la turbine, qui transforme l'énergie mécanique en énergie électrique.
- • Un transformateur, qui élève la tension de l'énergie électrique produite par l’alternateur, permettant son transport à longue distance sur le réseau d’interconnexion.
Les quatre générateurs de vapeur, construits par STEIN et ROUBAIX, sont à circulation naturelle. Du fait de la différence des combustibles utilisés : fines lavées ou brutes grasses pour les tranches 1 et 2, fines maigres pour les tranches 3 et 4, la conception des générateurs est différente. Pour les tranches 1 et 2 : chauffe « directe », avec chaudière à chauffe tangentielle par brûleurs d'angle. Pour les tranches 3 et 4 : chauffe « indirecte » par brûleurs en voûte, avec flamme à double parcours en U.
Les gaz de combustion sont dépoussiérés par dépoussiéreurs électrostatiques et évacués aux cheminées en béton de 125 m de hauteur.
L'EAU DE REFROIDISSEMENT
La vapeur qui a transmis son énergie à la turbine est évacuée vers le condenseur où va s’effectuer le changement d'état : vapeur → eau. Le condenseur est un échangeur tubulaire de grande capacité ; il constitue la source froide de l’installation. La vapeur à condenser passe à l’extérieur des tubes dans lesquels circule l'eau de réfrigération. Cette eau de réfrigération est prélevée dans une rivière ou dans la mer. Les débits d'eau nécessaires sont très importants : 5 m³/s pour une tranche de 125 MW, soit pour la centrale thermique des Ansereuilles de 4 × 125 MW : 72 000 m³/h.
Lorsque le site ne permet pas de disposer de la quantité d'eau de réfrigération nécessaire au fonctionnement de la centrale, on installe des réfrigérants atmosphériques qui ont pour fonction de refroidir une eau de circulation opérant en « circuit fermé » ; c'est le cas de la centrale thermique des Ansereuilles où quatre réfrigérants atmosphériques ont été implantés.
Si l'on tient compte de la perte d'eau occasionnée par l’évaporation aux réfrigérants atmosphériques, aux purges de déconcentration, à l'utilisation de l'eau épurée dans les différents circuits de la centrale, la consommation de l'eau en provenance de la Deûle est de 1 000 m³/h, et une partie de cette eau est restituée directement à la rivière.
LES RÉFRIGÉRANTS ATMOSPHÉRIQUES
Ils sont du type à tirage naturel, à cheminée en béton armé avec ruissellement à gouttes, à contre-courant. Chaque appareil répond aux caractéristiques suivantes :
- — Débit unitaire d'eau à refroidir : 18 000 m³/h
- — Température moyenne de l'eau chaude à l’entrée : 25,5 °C
- — Température moyenne de l'eau froide à la sortie : 18 °C
- — Hauteur totale de la tour : 93 m
- — Base circulaire, diamètre intérieur du bassin central : 67 m
L'ouvrage est de section circulaire et de forme hyperboloïdale ; la distribution de l'eau chaude est faite par un château d'eau central alimenté par une conduite en béton armé de 1,75 m de diamètre intérieur. Ce château d'eau alimente un réseau de tuyauteries en fibrociment couvrant toute la surface de ruissellement.
Ces tuyauteries sont à leur tour munies d'ajutages en matière plastique distribuant l'eau en jet sur des disperseurs réglables du type « Étoile ». Les gouttelettes retombent sur les surfaces de ruissellement constituées par des plaques verticales ou des lattes.
[Schéma : Circuit eau de refroidissement]Cette eau ne contient plus de bicarbonate, si la décarbonatation est bien faite. Son TH résiduel correspond au TH permanent de l'eau brute (sulfates + chlorures), augmenté de 5 à 6°, correspondant à des carbonates et à de la chaux légèrement en excès.
QUALITÉ DE L'EAU DEMANDÉE
Eau de circulation en circuit « fermé ».
Dans un circuit fermé il y a évidemment une perte d'eau due d'abord à l'évaporation dans le réfrigérant, ensuite aux purges de déconcentration que l'on doit pratiquer comme dans tout circuit où se produit une évaporation. Les eaux de réfrigération en circuit « fermé » donnent lieu aux mêmes problèmes que les eaux de chaudière, en ce sens que ce sont des eaux qui se concentrent par évaporation. Mais les volumes d'eau sont énormes. Aussi, le traitement devra être avant tout économique, ce qui est possible, car la température des eaux de circulation ne dépasse pas 45 °C, permettant un traitement plus sommaire.
Aux températures usuelles des eaux de circulation, la plupart des sels incrustants sont encore moyennement solubles. Par contre, les bicarbonates sous l'effet de l'échauffement dans le condenseur se décomposent en carbonates selon la réaction :
(CO3H)2Ca → CO3Ca + H2O + CO2 bicarbonate de calcium → carbonate de calcium + eau + gaz carbonique soluble → très peu soluble
Le bicarbonate de calcium est soluble, mais le carbonate l'est très peu. Il précipitera et entartrera les tuyauteries. Les traitements chimiques des eaux de circulation en « circuit fermé » doivent donc décarbonater l'eau d'appoint du circuit de circulation.
CARACTÉRISTIQUES DE L'EAU DÉCARBONATÉE
- — TH : 10 à 15°
- — TH permanent
- — pH
- — TA
- — TAC
Si le réglage de réactif est correct et si la floculation se fait bien, on a TA = TAC ou très peu supérieur.
L'EAU DE LA DEÛLE
Cette eau d'aspect noirâtre est polluée par des effluents industriels. Outre ses fortes teneurs en matières en suspension et en matières organiques, cette eau accuse une légère tendance à mousser par brassages par suite de la présence de détergents divers rejetés à la Deûle. De plus, cette eau, par lavage des terrains et des effluents industriels reçus, dissout un certain nombre de corps et de gaz, en particulier de l'oxygène et du CO2. Pour obtenir de l'eau convenable, il faut donc épurer l'eau naturelle.
Caractéristiques :
TH ........................................ | 28 à 35° |
TH permanent ............................ | 8° |
pH ........................................ | 7,3 à 7,8 |
ClNa ..................................... | 100 à 150 mg/l |
Silice .................................... | 8 à 10 mg/l |
TAC ...................................... | 25 à 32° |
Matières organiques ............. | 8 à 15 mg/l d'O2 |
Matières en suspension ........ | 15 à 20 mg/l |
Conductivité ...................... | 800 à 900 µS |
Salinité totale ..................... | 400 à 500 mg/l |
Cette eau ne contient ni bases libres ni carbonates (TA = 0). Son alcalinité est due uniquement aux bicarbonates (TAC).
LA STATION D'ÉPURATION
Après passage dans des grilles fixes permettant d'arrêter les corps ayant des dimensions appréciables (allant du tronc d'arbre aux feuilles mortes), l'eau de la Deûle traverse une grille métallique rotative permettant d'arrêter les corps beaucoup plus petits (algues, suspensions colloïdales). Cette eau est ensuite envoyée dans un décanteur où elle subira les opérations :
- — de décarbonatation par la chaux,
- — de coagulation par le chlorosulfate ferrique,
- — de filtration par des filtres à sable.
Décarbonatation.
La chaux employée sous forme de lait de chaux (solution saturée) précipite à froid les bicarbonates de calcium et de magnésium contenus en grande quantité dans l'eau brute. Il se trouve que le carbonate de calcium et la magnésie obtenus par réaction avec le lait de chaux ne sont pas solubles dans l'eau et l'on peut voir, lorsque ces réactions sont en cours, se former de petits grains fins. Il suffit de retirer les petits grains contenus dans l'eau pour avoir une eau partiellement épurée.
Coagulation et décantation.
Les particules extrêmement fines contenues dans l'eau brute ou provenant des réactions chimiques ne peuvent être retenues par filtration, parce qu'elles sont plus petites que les pores des filtres les plus fins.
C'est le rôle de la coagulation (ou floculation) d'agglomérer entre elles ces particules pour former des grains plus gros qui pourront être éliminés par décantation, puis filtration.
Ce résultat est obtenu en traitant l'eau par un « coagulant » qui, à la centrale thermique des Ansereuilles, est le chlorosulfate ferrique. Pour que toutes les particules puissent floculer, il est nécessaire qu'elles se rencontrent. On favorise la floculation en effectuant une agitation lente du liquide. La décantation permet de séparer les précipités formés par la coagulation, à condition que la vitesse de chute des flocons soit supérieure à la vitesse ascensionnelle de l'eau. La décantation est une opération lente.
Filtration.
La filtration permet d'obtenir une eau parfaitement cristalline, tout en réduisant le temps de décantation. Les filtres industriels ordinaires ne pourraient convenir, ils seraient colmatés trop rapidement. La filtration est réalisée par passage à travers une couche de sable.
Après un temps de fonctionnement qui est déterminé par la salissure du sable (donc de la qualité de la décantation), le filtre est détassé à l'air ; le sable est lavé avec de l'eau filtrée, distribuée à contre-courant. Par débordement, les impuretés contenues dans le sable sont évacuées (voir schéma ci-dessous).
LE TRAITEMENT AU CHLOROSULFATE FERRIQUE (TM3)
Pour une eau donnée, certains coagulants conviennent mieux que d'autres. À la centrale des Ansereuilles, le coagulant employé est le chlorosulfate ferrique. Le processus de floculation passe par trois phases successives :
- 1. la période de mélange de l'eau du réactif doit être brève et accompagnée d'une agitation énergique. C'est pour cette raison que le TM3 est introduit dans la tuyauterie d'arrivée d'eau brute avant l'entrée de cette eau dans la chambre primaire du décanteur ;
- 2. la période de neutralisation des colloïdes de l'eau brute par les charges électriques sur colloïdes floculants. L'eau se trouble progressivement et les germes apparaissent ;
- 3. la période de formation des flocons pendant laquelle les particules se rassemblent en éléments de dimension croissante, pour aboutir à des flocons visibles à l'œil nu et aisément décantables.
La quantité de chlorosulfate ferrique utilisée à la centrale des Ansereuilles est de l'ordre de 35 à 40 mg/m³. Ce dosage est effectué par des pompes doseuses, dont la mise en service est fonction du débit d'eau brute à traiter.
Résultats obtenus à la centrale des Ansereuilles avec l'emploi du chlorosulfate ferrique :
Eau brute (Débit) | Eau décarbonatée |
---|---|
TH : 34,7° | 11,4° |
TA : 7,2 | 2,8 |
TAC : 27,5° | 4,4 |
Cl : 10° | 10,8 |
TAC1 : 19,5° | 21,9° |
Le chlorosulfate ferrique étant sensible à la température ambiante, le débit réglé diminue en fonction de la baisse de la température au-dessous de 0 °C, la viscosité du produit augmente d'une façon non négligeable. Le fournisseur, conscient du problème, propose à partir d'une certaine date (octobre-novembre) une qualité « hiver » qui est moins sensible aux basses températures.
CONCLUSION
La centrale des Ansereuilles a servi de pilote en matière d'utilisation du chlorosulfate ferrique, et, à la lumière des résultats satisfaisants obtenus, l'adoption de ce floculant a pu être étendue à d'autres centrales E.D.F. où de semblables problèmes de traitement d'eau de réfrigération étaient à résoudre.
P. BENENSON - R. DESENEPART.