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L'eau dans la Ville, un changement de paradigme ? Comment répondre aux enjeux environnementaux, techniques et financiers attendus de notre société ?

30 janvier 2017 Paru dans le N°398 à la page 37 ( mots)
Rédigé par : Jean-jacques HéRIN de Hérin

Après un siècle et demi d’investissements, la collecte et le traitement des eaux usées sont aujourd’hui assurés par des ouvrages à la technicité éprouvée. Pour autant, la qualité de nos rivières et fleuves est encore à reconquérir. Unanimement, il est reconnu que ce challenge passe par la maîtrise des eaux pluviales.

Comment aborder cela techniquement, financièrement et quelles modalités organisationnelles faut-il mettre en place pour réussir l’atteinte de ces objectifs, dans un contexte financier contraint, une urbanisation existante, un dérèglement climatique qui n’est plus à démontrer ?

Les organisations et les techniques habituelles sont-elles encore adaptées pour cela?

Nous sommes face à un grand virage. Jusque-là, la règle est de collecter les eaux pluviales via des réseaux dimensionnés selon l’occurrence recherchée et de les évacuer vers un aval.
Erreurs de branchements (eau usée dans le pluvial), impact qualitatif sur le milieu récepteur, saturation des réseaux et inondations, coûts de plus en plus élevés sans financement dédié, font apparaître une insatisfaction de ces méthodes traditionnelles.
Face à ce constat, la gestion durable et intégrée des eaux pluviales fait de plus en plus d’adeptes. La réglementation française a consacré ces principes en les marquant dans le marbre de la loi sur l’eau de 2006 (LEMA). Désormais, la gestion des eaux pluviales à la source, au plus près de leur point de chute, doit être privilégiée, voire devenir le mode de gestion prioritaire. La gestion des eaux pluviales doit être pensée très en amont de l’élaboration des projets, neufs ou de réhabilitation.
Le technicien assainissement, l’hydraulicien doivent-ils, dès lors, être les premiers à intervenir sur le plan-masse de l’opération urbaine?? Comment s’organiser pour mener à bien l’ensemble des projets en s’assurant d’une prise en compte de la pluie selon les nouveaux schémas techniques, selon les nouveaux objectifs?

C’est d’une révolution culturelle et organisationnelle qu’il s’agit là ...
C’est ce qu’ensemble la CAD, Communauté d’agglomération du Douaisis (Département du Nord - France), et l’association ADOPTA ont entrepris de réaliser, voici plus de 20 ans.
Confrontée à des inondations récurrentes à la fin des années 1980, la CAD a modifié dès 1992 sa politique. Constatant ne plus pouvoir gérer les eaux pluviales correctement dès lors qu’elles sont dans les réseaux, le syndicat d’assainissement de l’époque décide que désormais, elles doivent être gérées dès leur point de chute. Le recours aux Techniques dites Alternatives se généralise et devient le standard.

Si ces ouvrages plurifonctionnels coûtent un peu plus cher, l’économie du réseau pluvial qui n’est plus à construire compense largement cet éventuel surcoût.

Aujourd’hui, 25 ans après, le bilan est bien plus que satisfaisant. 25 % du territoire ne génère plus d’eau pluviale dans des réseaux, les rejets de temps de pluie ont été réduits par 3 en volume et en fréquence, le coût du Service Public y est 30 à 40 % moins cher… Mais comment la CAD s’y est-elle prise pour arriver à cela?
Conscient que cette nouvelle politique était osée, difficile mais aussi incontournable que nécessaire, la CAD se dit que pour réussir, il faut s’en donner les moyens. Sa nouvelle politique repose sur trois piliers.
• Cette politique générale et généralisée (pas d’exception territoriale) doit tout d’abord être écrite et affichée. Cela passe par la rédaction d’un règlement d’assainissement pluvial. Cette politique doit être portée, les élus doivent se montrer convaincus de son bien-fondé, la revendiquer, la porter, voire l’imposer.
• Au sein de la collectivité qui assure la compétence assainissement, cette politique doit être vivante, appliquée au quotidien, sur tous projets urbains, neufs ou à chaque mutation. Cela exige une culture de la transversalité dans laquelle le service assainissement doit être l’animateur, l’anticipateur et être persuasif tout en démontrant que les solutions sont là et à coûts maîtrisés. La ville se renouvelle au rythme de 1 % par an, être présent sur tous les dossiers permet de viser une réduction de 1 % des rejets par an sur l’existant… Le service assainissement assure l’instruction de l’ensemble des autorisations d’urbanisme, ce qui lui permet de maîtriser la bonne application de sa politique. Le coût du service public est payé en fonction des m2 imperméabilisés publics (malgré la suppression de la Taxe Pluviale).
• En dehors de la collectivité, il est nécessaire d’avoir une structure d’animation, d’accompagnement, de démonstration et de retour d’expériences. C’est à l’’ADOPTA qu’a été dévolu ce rôle. Créé en 1997, sous la forme associative, cette organisation permet de mettre autour d’une même table, tous les acteurs de l’art de construire, d’apporter toutes réponses techniques et répondre à toute crainte par rapport à ces nouvelles méthodes de gestion des eaux pluviales. Réponses techniques, aide à l’organisation des structures (transversalité à développer, culture de l’anticipation), démonstrations, vulgarisation, circuits de visite, formations, étude de cas, retours d’expériences, conférences, aide aux projets (sans être maître d’œuvre) sont autant de pistes d’actions qui ont été confiées à cette association qui accompagne le changement, qui apprend à pêcher, plutôt que de fournir le poisson (Confucius). Son showroom permet une visualisation du panel de techniques différentes disponibles, de cette boîte à outils des Techniques dites Alternatives. Aidée financièrement par l’’Agence de l’Eau Artois Picardie et par la Région Hauts de France, cette association rayonne plus que régionalement et a été à l’initiative de la création du Forum National sur la Gestion Durable des Eaux Pluviales et de la Licence Professionnelle EPADE (Eaux Pluviales et Aménagement Durable de l’’Espace).

On l’aura compris, pour une politique ambitieuse, il faut des moyens. Mais ce sont surtout des moyens opérationnels et de conviction. L’organisation interne de la Communauté d’Agglomération du Douaisis n’est pas très différente de celle d’autres collectivités… Sauf que les agents du service assainissement sont tous moteurs, anticipateurs et insufflent auprès de leurs collègues internes et de ceux des autres structures (communes, bailleurs sociaux, promoteurs…) cette politique incontournable, pas plus coûteuse pour eux mais plus performante en terme environnemental.
Il ne suffit pas de décréter une nouvelle politique et d’attendre des autres, des acteurs publics ou privés qu’ils appliquent (ou pas…) ces nouvelles directives que bien souvent encore ils ne connaissent pas ou ne maîtrisent pas, préférant, souvent, reproduire les modalités classiques de l’assainissement pluvial, sortant les abaques et les formules de Caquot ou autre qui leur sont familières et reproductibles.

La peur de mal faire, de se tromper, que cela ne marche pas, d’aboutir à un urbanisme que personne ne voudrait habiter, sont autant de freins psychologiques forts qui annihilent souvent la volonté de changement. L’accompagnement est un élément clé. C’est partager le risque de se tromper (on n’était pas seul…), c’est pouvoir utiliser les retours d’expériences, et cela change tout…
Mais il ne faut pas négliger un autre aspect, conséquence de cette politique durable et intégrée des eaux pluviales?: c’est que chaque opération d’urbanisme, nouvelle ou de renouvellement, a tendance à être spécifique. En effet pour que cette politique soit efficace et surtout pas plus coûteuse, il est nécessaire de concevoir des espaces urbains à double fonctionnalité. À sa fonction première (voirie, espaces verts…), il lui est demandé d’assurer celle de gérer en plus tout ou partie des eaux pluviales.
Une voirie devient également structure réservoir avec ou sans infiltration. L’espace vert est une noue, un bassin de stockage et d’infiltration des eaux pluviales.

Cela signifie qu’il faut intégrer dans la phase « Etudes du projet » cette plurifonctionnalité. Cela nécessite plus de temps, plus de précision (la topographie est essentielle, l’eau devant être le plus possible gérée en surface), le plan-masse doit prendre en compte les sens d’écoulement naturel de l’eau. Bref, la phase « Etudes » est plus complexe, plus consommatrice de temps, pour bien prendre en compte les spécificités, l’environnement de l’opération urbaine. Le Bureau d’études VRD doit être associé dès le départ de la conception de l’opération urbaine et la nature des sols connue à ce stade.
Si ces ouvrages plurifonctionnels coûtent un peu plus cher, l’économie du réseau pluvial qui n’est plus à construire compense largement cet éventuel surcoût. Cette gestion à la source des eaux pluviales réduit les coûts d’investissement et d’amortissement, ainsi que les coûts d’exploitation : moins d’ouvrages à construire, à entretenir… Voilà les raisons du coût moindre du service Eaux Pluviales de la CAD.

On l’aura compris, une modification de politique pluviale implique des organisations différentes particulièrement au sein des maîtrises d’œuvre, conceptrices des opérations urbaines.
Mais à ce prix, la Collectivité, dans son ensemble, y est gagnante sur tous les plans : des opérations d’urbanisme qui ne génèrent plus d’eaux pluviales, réduisant les risques d’inondations et les impacts qualitatifs sur les milieux naturels, meilleure résilience face au dérèglement climatique (basées sur le stockage, les réalisations sont moins sensibles aux intensités qui s’accroissent), une réappropriation de l’eau dans la ville par ses habitants qui se réhabituent à la respecter, à vivre avec. La biodiversité y trouve son compte : plus d’espaces avec de l’eau, c’est de la richesse et de la nature en ville.
Bref, que des avantages mais qui nécessitent une conscience que ce changement implique une adaptation des organisations (et un peu des savoirs) surtout dans les phases études des opérations d’urbanisme. La CAD et ADOPTA sont à même d’en apporter la preuve et le témoignage.













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