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L’eau dans l’industrie au 19ème siècle

28 novembre 2022 Paru dans le N°456 à la page 76 ( mots)

Nous sommes en 1870. La révolution industrielle bat son plein. De nouveaux secteurs industriels commencent à apparaître : chimie, automobile, métallurgie du cuivre et de l’aluminium… On parle de deuxième révolution industrielle. À la base de ce nouvel essor industriel: l’eau. Dans un article paru au mois de février 1870 dans «Les merveilles de l’industrie», Louis Figuier décrit ainsi les usages de l’eau dans l’industrie.

Toutes les industries sans exception font usage de l’eau. Ne pouvant les passer toutes en revue, nous nous bornerons à signaler celles qui exigent des qualités particulières dans l’eau qu’elles emploient. 

L’eau qui alimente les machines des chaudières à vapeur doit être de la plus grande pureté possible; car si elle contient trop de sels, particulièrement de sels calcaires, ces sels se déposent, par suite de l’évaporation, contre les parois de la chaudière, et constituent des incrustations, que l’on est obligé d’enlever à coups de ciseau, après avoir vidé la chaudière. 

L’addition à l’eau des générateurs de certaines substances, telles que des raclures de pommes de terre, des copeaux de bois de campêche et mille autres corps étrangers, s’opposent très efficacement à la formation de ces dépôts terreux. Les sédiments calcaires, au lieu de se fixer contre les parois de la chaudière, se précipitent sur ces corps qui flottent au sein du liquide, et, de là, se délayent dans l’eau, de telle sorte qu’au lieu d’avoir des dépôts contre le fond et les parois du générateur, on n’a qu’une eau trouble et boueuse, que l’on évacue quand l’appareil n’est plus en feu. Les parois du métal sont ainsi toujours parfaitement nettes et brillantes. 

On remplirait un volume des recettes qui ont été données pour prévenir la formation des incrustations terreuses dans les chaudières de machines à vapeur. Chaque atelier a son moyen particulier, que la pratique a consacré et qui réussit toujours entre les mains du chauffeur qui en a l’habitude. 

Toutefois, on pense aujourd’hui qu’il est plus rationnel, au lieu de se débarrasser de ces dépôts quand ils se sont produits, d’empêcher leur production. Ce sont les sels de chaux qui composent la presque totalité des sédiments terreux des générateurs. Il vaut mieux priver l’eau des sels de chaux avant de l’introduire dans le générateur, que d’avoir à s’en débarrasser plus tard. Si l’on n’admet dans la chaudière que de l’eau dépourvue de sels de chaux, on n’aura pas à redouter la précipitation de sédiment terreux par l’évaporation. Or, il n’y a rien de plus facile que de débarrasser une eau de la chaux qu’elle renferme. Par une espèce de paradoxe scientifique, par une élégante application des principes de la chimie, c’est avec la chaux elle-même que l’on enlève à l’eau ses sels calcaires. C’est ce que l’on va comprendre. 

Dans les eaux de rivière ou de source, la plus grande partie de la chaux existe à l’état de bicarbonate de chaux soluble. Mais le carbonate de chaux neutre est insoluble dans l’eau. Pour transformer le bicarbonate de chaux soluble en carbonate insoluble, que faut-il faire? Lui ajouter de la chaux, qui sature l’excès d’acide carbonique du bicarbonate de chaux et forme du carbonate de chaux neutre. Ajoutez donc un peu de chaux pure à une eau potable, et vous transformerez son bicarbonate de chaux soluble en carbonate neutre insoluble, lequel se précipitera. Tel est le principe théorique de l’épuration, au moyen de la chaux, de l’eau qui sert à l’alimentation des chaudières à vapeur. Ce moyen simple et économique est aujourd’hui en usage dans un grand nombre d’usines du nord de la France, de l’Angleterre et de la Belgique. 

On a de grands bassins dans lesquels l’eau est traitée par un lait de chaux caustique. On fait couler ce lait de chaux dans l’eau, en brassant le tout. On laisse l’eau en repos, pour que le carbonate de chaux se précipite, et, quand on veut l’introduire dans le générateur, on soutire l’eau claire et limpide, pur un robinet placé à une hauteur convenable. Ce moyen d’épuration de l’eau destinée aux chaudières à vapeur, a été utilisé en 1874, au chemin de fer d’Orléans, pour épurer l’eau des locomotives. L’eau destinée aux teinturiers doit être d’une pureté toute particulière, tant sous le rapport physique que sous le rapport chimique. Une eau calcaire modifie ou altère les couleurs des substances tinctoriales ; une eau trouble ternit les couleurs et les prive de leur éclat. Les eaux de la Bièvre sont renommées pour les usages de la teinture; mais il existe dans tous les pays des eaux de rivières ou de sources bien plus pures. 

Les teinturiers de Lyon, de Rouen, de Lille, savent par expérience à quelles eaux ils doivent donner la préférence pour composer leurs bains de teinture. La pratique et l’observation renseignent sur cette question les chefs d’atelier. Souvent, un teinturier n’est guidé que par la seule nature des eaux, dans le choix de l’emplacement de son usine. Et si le chimiste analyse ensuite les eaux dont le teinturier fait usage de préférence, il constate l’absence à peu près complète, dans cette eau, des sels de chaux. C’est donc l’examen chimique, uni à l’observation, qui doit diriger le teinturier dans cette grande question. Les tanneurs ont autant d’intérêt que les teinturiers à choisir une eau, sinon limpide, au moins très pure, c’est-à-dire exempte de sels de chaux. Jamais un tanneur ne fera usage d’eau de puits pour remplir ses fosses ou pour préparer ses infusions tannantes. L’eau de source et, à son défaut, l’eau de rivière, ont seules accès dans les tanneries. Les tanneurs de Paris ont longtemps pensé que l’eau de la Bièvre était supérieure à l’eau de la Seine pour leur industrie, et c’est pour cela que les bords de la Bièvre étaient encombrés de tanneries. 

On est revenu aujourd’hui de cette idée, car beaucoup de tanneries existent au bord de la Seine, principalement à Puteaux. Pour comprendre la nécessité de bannir les eaux calcaires des ateliers de tannage, il faut considérer que, lorsqu’on met l’infusion de tan en contact avec la peau, pour que le tannin s’introduise dans tous ses interstices, la peau a déjà été gonflée par de longues et nombreuses préparations, qui ont consisté à élargir ses pores par des liqueurs faiblement acides. Or, si l’eau était chargée de sels de chaux, la chaux se combinerait avec le tissu de la peau gonflée, à la place du tannin, et donnerait un cuir d’une infériorité relative. En second lieu, l’eau chargée de sels dissout moins de tannin que l’eau pure, et comme la préparation des infusions tannantes avec l’écorce de chêne, le sumac et autres substances végétales, est l’opération fondamentale dans les tanneries, le choix d’une eau dissolvant la plus grande partie possible du tannin de l’écorce, est une question capitale pour le fabricant, qui a tout intérêt à tirer tout le parti possible des écorces, c’est-à-dire à ne rien perdre de leur principe actif. Chez les brasseurs, le même principe trouve son application. 

L’eau pure est beaucoup plus dissolvante que l’eau chargée de sels. Or, le houblon et l’orge servent, dans les brasseries, à composer les infusions qui doivent constituer la bière. Le houblon, particulièrement, est partout d’un assez haut prix; il n’est donc pas indifférent au brasseur d’employer une eau non calcaire, qui réalise pour lui une véritable économie. Ajoutons que la bière étant une boisson, la salubrité exige que l’on s’adresse pour sa préparation à l’eau la plus pure. Les brasseurs de Paris doivent se faire un devoir de substituer à l’eau de la Seine, l’eau de la Dhuis ou de la Vanne, si pures et si salubres, dont la capitale est aujourd’hui dotée. Il faut également une eau pure pour les préparations de l’art du confiseur et du liquoriste, afin que la saveur et les qualités de leurs sirops ne soient point altérées. Ici, pourtant, cette considération a moins de valeur que pour la fabrication de la bière, en raison de la faible proportion de la consommation des produits du confiseur. Dans l’art du boulanger, la question de la pureté de l’eau est fondamentale. Le pain renferme un quart au moins de son poids d’eau. Une substance comme le pain, qui est consommée tous les jours en quantité plus ou moins grande, ne doit contenir que des produits de la plus entière pureté. 

Le boulanger qui se sert d’une eau de puits ou d’une eau suspecte, est donc coupable, puisqu’une substance malsaine, ingérée même à la plus faible dose, peut avoir les plus grands inconvénients, quand on la prend tous les jours, soit sous forme liquide, avec la boisson, soit sous forme solide, avec le pain. C’est dans l’industrie du blanchissage que l’on se préoccupe particulièrement des qualités de l’eau. On dit communément que les eaux les plus convenable pour le blanchissage sont celles qui dissolvent le mieux le savon, celles qui forment le moins de grumeaux ou de dépôts quand on y mêle le savon. Ce caractère chimique de bien dissoudre le savon est excellent comme signe de pureté de l’eau, car il en entraîne plusieurs autres. Une eau qui dissout bien le savon est propre à tous les usages domestiques. Les eaux de source et de rivière sont celles qui dissolvent le mieux le savon. Les eaux de puits qui précipitent d’énormes grumeaux de sels calcaires, quand on les mêle au savon, seraient ruineuses pour le blanchisseur. 

L’idéal pour cette industrie serait l’eau de pluie, qui, étant exempte de sels de chaux, dissout le savon intégralement; malheureusement il n’y a, pas à y songer, dans ce cas. Pour le lavage de la laine, qui est toute une industrie, puisque la laine est lavée trois fois sur le dos de l’animal vivant, après la tonte, pour la débarrasser du suint, enfin dans la fabrique, pour la préparer à recevoir les couleurs, il faut avoir soin de choisir une eau dissolvant bien le savon, c’est-à-dire à puiser dans une rivière ou dans un étang d’eau douce. Dans les fabriques de papier la question de l’eau est fondamentale. Beaucoup de papeteries doivent la renommée de leurs produits à l’excellence de leurs eaux. 

Ce que l’on recherche dans l’eau destinée à la fabrication du papier, c’est moins sa pureté chimique que sa parfaite limpidité. Une eau trouble, ou seulement rendue laiteuse par l’argile ou le sable en suspension, est la véritable pierre d’achoppement dans cette fabrication. Il faut que l’eau d’une papeterie soit aussi claire que possible, afin que la pâte conserve sa blancheur, sa parfaite finesse et toute la douceur de son grain. Des particules de sels terreux provenant de l’eau étant interposées à la pâte, lui enlèveraient ces qualités. Dans les fabriques de papiers peints, c’est la pureté chimique, plutôt que la limpidité, qu’il faut rechercher. L’éclat des couleurs pourrait être altéré par le mélange ou la combinaison des principes colorants avec les sels contenus dans l’eau. 

Pour le fabricant de produits chimiques, la pureté de l’eau est une condition essentielle. Dans ce genre d’industrie on fait souvent usage d’eau distillée; c’est assez dire que l’on cherche à se mettre à l’abri de l’action qu’exercent les sels de chaux contenus dans les eaux ordinaires, sur les produits que l’on veut préparer. La chaux, formant beaucoup de composés insolubles avec les substances organiques, a souvent pour effet de précipiter à l’état insoluble les produits mêmes que l’on cherche à préparer dans ces laboratoires. 

On évite cet écueil avec des eaux très pures ou avec de l’eau de pluie recueillie dans des citernes. De toutes les industries chimiques la fabrication du savon est celle qui a le plus grand intérêt à faire usage de bonnes eaux. Une eau calcaire précipiterait, à l’état insoluble, les acides stéariques et oléiques, lesquels, unis à la soude, constituent le savon. On comprend donc quel intérêt a le savonnier à faire usage de l’eau la plus pure pour ses diverses opérations. Le savon lui-même contenant environ 30% d’eau, qui a servi à favoriser la combinaison du corps gras et de l’alcali, on comprend que l’eau joue un rôle essentiel dans l’art du savonnier. 

C’est par la même considération chimique que le fabricant de sucre et le raffineur se préoccupent toujours de la qualité des eaux qu’ils emploient. Le sucre se prépare ou se raffine en faisant usage de l’eau pour composer les sirops. Si l’eau dont on se sert n’a pas les qualités exigées par la salubrité et l’hygiène, si elle abandonne par l’évaporation une quantité quelconque de matières de mauvais goût, ces matières enlèveront au sucre sa sapidité. Il y a en Europe plusieurs fabriques de sucre qui ne doivent leur infériorité qu’aux mauvaises qualités des eaux dont elles font usage. De même que la fabrication du sucre, celle de l’amidon et des fécules alimentaires demandent une eau très pure. 

En se déposant sur le grain de fécule, les sels calcaires que l’eau renferme, nuisent à leurs propriétés ; ils donnent un goût désagréable aux fécules alimentaires, et empêchent l’empois de bien cuire, ou de prendre tout son liant. Les fabriques de porcelaine ont-ellesmêmes à s’inquiéter de la nature des eaux. On assure que l’eau de puits employée à faire la pâte de porcelaine, lui enlève le liant qu’exige une bonne fabrication»

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