Les opérations d'usinage génèrent annuellement en France environ 350 000 tonnes d'huiles solubles usagées. L'ultrafiltration de ces résidus sur des membranes minérales tubulaires permet de récupérer une phase riche en huiles et en polluants et de produire en liquide épuré et deshuilé dont les caractéristiques physico-chimiques permettent le rejet dans un réseau d'assainissement. Il est possible d'automatiser totalement les séquences du fonctionnement d'une unité de déshuilage par ultrafiltration. L'étude d'un cas concret (unité installée dans une usine du groupe Leroy Somer), nous permet de mieux percevoir l'intérêt de l'automatisation.
Dans les industries françaises de la mécanique, chaque année, environ 60 000 tonnes de lubrifiants sont utilisées dans le travail des métaux ; 40 % de ce volume, soit 26 000 tonnes, est constitué d’huile soluble. Après dilution, à une concentration comprise entre 2,5 et 10 %, cette huile forme une émulsion utilisée dans les opérations d’usinage courantes (tournage, fraisage, perçage). Au cours du temps, le lubrifiant se dégrade, principalement sous l’effet des contraintes mécaniques et thermiques auxquelles il est soumis. Il se charge également de polluants, tels que les huiles entières, les graisses, les particules métalliques et les poussières qui réduisent ses propriétés lubrifiantes et mouillantes.
L’émulsion usagée doit donc être éliminée, et dans la mesure où elle contient bon nombre de constituants nuisibles à l’environnement, elle ne peut être rejetée sans traitement préalable.
Destruction des liquides de coupe
La quantité annuelle d’émulsions usagées, destinées à la destruction, représente en France un volume supérieur à 350 000 tonnes.
L’objectif du traitement, quel qu’il soit, est de casser l’émulsion, c’est-à-dire séparer la phase aqueuse (95 % du volume) de la phase huileuse.
Les procédés les plus anciens de séparation de phase sont les procédés de cassage chimique qui consistent :
- en cassage à chaud en milieu acide,
- en coagulation et floculation à l’aide de chlorure de calcium ou d’un coagulant à base d’un sel d’aluminium, etc.
Ces technologies éprouvées, génératrices de boues, souvent lourdes en investissements et en coûts d’exploitation, ne sont en général pas adaptées lorsque le volume du rejet est faible (quelques dizaines de m³ par an).
Une variante au traitement de cassage chimique in situ consiste à éliminer les résidus dans un centre de destruction agréé, mais la distance entre le lieu de production du déchet et le centre peut augmenter le coût de l’opération et le rendre prohibitif (le coût moyen de destruction est compris entre 500 et 1 500 F HT le m³).
L’ultrafiltration sur membranes minérales
L’ultrafiltration sur membranes minérales apparaît donc, pour réduire ce type de pollution, comme une solution intéressante.
Le principe de fonctionnement d’une unité d’ultrafiltration sur membranes minérales est très simple : l’émulsion usagée est pompée dans un bac de stockage ; elle subit dans un premier temps une filtration sur un filtre en papier qui la débarrasse des solides qu’elle contient (la globalité des micro-copeaux est retenue à ce niveau) ; puis le liquide s’écoule dans une cuve dite de concentration. Le système de pompage refoule le liquide à traiter sous une pression de 3 bars au minimum dans le (ou les) carter(s) renfermant les membranes d’ultrafiltration.
La membrane est un cylindre de carbone de quelques millimètres de diamètre et d’une longueur de 1,20 mètre. La paroi intérieure du cylindre est recouverte par une pellicule d’oxyde de zirconium. Un carter, suivant sa taille, renferme une à plusieurs dizaines de membranes tubulaires, la taille du module variant selon le volume de pollution à traiter (figure 2).
L’écoulement du fluide dans la membrane s’effectue tangentiellement à la paroi (ce qui évite tout phénomène frontal de colmatage). La pression favorise le passage d’une fraction de ce liquide au travers des pores de la membrane, laquelle agit comme un tamis moléculaire permettant le passage de l’eau, mais retenant les molécules organiques insolubles, ainsi que les plus grosses molécules solubles.
La partie du liquide retenue dans le circuit (ou concentrat) retourne dans le bac de concentration. Un tel système peut fonctionner de façon séquentielle ou de manière semi-séquentielle. Dans ce deuxième cas, on veille à maintenir un niveau constant dans le bac de concentration.
Le perméat (c’est-à-dire le liquide épuré qui traverse les pores de la membrane) présente une DCO faible et ne contient plus d’hydrocarbures ou d’huiles. Il peut être destiné à une station d’épuration industrielle ou urbaine classique (type biologique) ou bien être recyclé dans certains procédés industriels.
Nettoyage des membranes
On conçoit aisément que, si l’on produit régulièrement une phase aqueuse (perméat) épurée, le liquide demeurant dans le circuit s’enrichisse en polluants (principalement des hydrocarbures et des matières en suspension) au cours du temps. Cette concentration en polluants augmente la viscosité du liquide, et à moyen terme, on recueille dans le bac de concentration un déchet très concentré dont le pouvoir calorifique permet généralement d’effectuer une valorisation énergétique. Parallèlement, on observe un colmatage superficiel des membranes, dont la période (généralement de l’ordre de plusieurs jours voire plusieurs semaines) dépend essentiellement de la nature de l’émulsion que l’on traite, du volume du bac de concentration et du débit de perméat.
La principale opération de maintenance d’un système d’ultrafiltration consiste donc dans le décolmatage des membranes. Compte tenu de l’excellente résistance physique et chimique des membranes et de l’installation, un lavage alcalin à chaud (à 70 °C) est préconisé, suivi d’un lavage acide à la même température.
Entretien et surveillance
Globalement, la surveillance d’un tel système d’ultrafiltration se réduit au contrôle régulier des paramètres de fonctionnement (contrôles de débits, de températures et de pressions). L’entretien est de même très réduit, puisqu’il se limite aux opérations de décolmatage des membranes pendant une durée qui ne dépasse pas 5 % du temps de fonctionnement de l’installation.
L’automatisation d’une unité d’ultrafiltration
Un tel système d’ultrafiltration peut être protégé par des actionneurs de sécurité (sécurités de niveau, de température…), lesquels sont régis par un automate. Il est également possible de piloter toutes les séquences du fonctionnement des phases d’ultrafiltration et de lavage.
L’utilisation d’un automate permet d’optimiser la vitesse de colmatage des membranes et donc d’augmenter la durée de la période comprise entre les lavages. En effet, si l’on laisse le perméat s’écouler librement (c’est-à-dire sans restrictions particulières en aval des membranes), on observe au cours du temps une chute du débit de perméat plus ou moins régulière, liée au colmatage des membranes (figure 4) et l’on remarque qu’elle est très rapide dans les premiers temps de fonctionnement, ce qui signifie que la vitesse de colmatage est d’autant plus importante que le débit du perméat est élevé. Toutefois, si l’on maintient le débit du perméat à une valeur moyenne (figure 5) à l’aide d’une vanne modulable contrôlée par l’automate (créant un ralentissement du débit en aval des membranes), on prolonge la durée des cycles entre chaque lavage.
L’automatisation des séquences de lavage
Parmi les séquences prévues dans un cycle de lavage, on effectue une vidange de la cuve de concentration et de l’installation, puis deux lavages basique et acide successifs à chaud, suivis de rinçage(s).
Il s’agit donc d’effectuer des manipulations simples et précises (ouverture/fermeture de vannes, démarrage/arrêt de pompes, contrôle de température…), opérations qui sont totalement automatisables.
L’unité d’ultrafiltration Leroy Somer
Les besoins
Mise en place en octobre 1994, cette unité de traitement assure le déshuilage des eaux de procédés souillées d’huile d’un site de production de moteurs électriques Leroy Somer (atelier de fonderie). L’origine des effluents est diverse :
- eau de lavage des machines-outils,
- émulsion d’usinage,
- liquide de poteyage (lubrifiants utili-
sés dans le coulage d’alliage d’aluminium, dont les caractéristiques physico-chimiques sont très voisines de celles d’une émulsion d’usinage).
L’effluent moyen présente les caractéristiques suivantes :
- DCO : 5 à 33 g/l
- DBO5 : 1 à 5 g/l
- MES : 1,8 à 3 g/l
- Hydrocarbures totaux : 5 à 7 g/l
Avant l’installation de cette unité de déshuilage par ultrafiltration, Leroy Somer dirigeait ses rejets vers un centre de traitement agréé. Le coût de cette solution était élevé dans la mesure où chaque semaine, l’usine produit de 4 à 5 m³ d’effluent.
Exemple de fonctionnement d’une unité automatisée
L’effluent destiné à cette unité est stocké dans un bassin à chicanes où il subit un prétraitement :
- sédimentation des MES les plus lourdes,
- déshuilage par bande oléophile des huiles entières et graisses relarguées.
L'installation comporte deux modules comprenant un total de 74 membranes tubulaires représentant une surface de filtration de 1,68 m². Une boucle de régulation, de type PID (débitmètre, automate, vanne modulable), assure un débit constant à perméat fixé à 120 l/h (soit 71,5 l/h/m²).
Lorsque le colmatage des membranes devient trop important, la consigne de débit de perméat ne peut plus être respectée, bien que la vanne modulable située en aval des membranes soit complètement ouverte. À ce moment, l’automate suspend le transfert de liquide souillé depuis le bassin de stockage jusqu’à la cuve de concentration. L’unité continue alors de fonctionner en mode de concentration (le perméat continuant d’être produit).
Le lavage
Lorsque le débit de perméat franchit un second seuil (dans le cas étudié ce deuxième seuil a été fixé à 100 l/h), on considère qu’il faut déclencher un lavage (par décolmatage des membranes). L’unité avertit alors le responsable afin qu’il démarre le cycle de lavage. Ce cycle débute par la vidange du bac de concentration et se poursuit par le déroulement des séquences décrites précédemment.
L’exécution du programme de lavage (d'une durée d’environ cinq heures) est entièrement contrôlée par l’automate.
Bilan
Ce système présente un double avantage :
- réduire très sensiblement les volumes de déchets ultimes destinés à un centre de traitement,
- augmenter la concentration en huiles et graisses dans ces déchets et par là-même optimiser leur pouvoir calorifique, ce qui permet de faciliter leur valorisation ultérieure.
Depuis sa mise en place (en octobre 1994), l’unité a fonctionné environ 900
heures à la demande de l'utilisateur. La durée moyenne d'une phase d'ultrafiltration entre deux séquences de lavage s’est établie à 100 heures environ (résultat en cours d’amélioration grâce à des modifications apportées au prétraitement de l’effluent).
Au cours d’un cycle d’ultrafiltration moyen de 100 heures, il est possible de produire environ 12 m³ de perméat dont la teneur en huiles est inférieure à 5 mg HCT/l et pour lequel la teneur en MES est très faible (inférieure à 10 mg/l).
Compte tenu des rejets hebdomadaires de l’usine en effluents huileux (environ 45 m³), ce cycle d'ultrafiltration dure à peu près 3 semaines et le concentrat que l'on destine à l’incinération représente un volume final inférieur à 1000 litres. Le facteur de concentration volumique (qui correspond au rapport entre le volume d’effluent traité et le volume de concentrat recueilli) est voisin de 12 (la quantité d’effluent à enlever a donc été réduite d'un facteur 12).
Le facteur de concentration massique déterminé sur les MES est également proche de 12 ; par contre, le facteur de concentration déterminé sur la charge en DCO est un peu plus faible, dans la mesure où le perméat possède une DCO résiduelle liée à certains produits solubles.
Conclusion
L’étude du fonctionnement de l’unité automatique installée chez Leroy-Somer permet de constater que les techniques d’ultrafiltration sur membranes minérales tubulaires sont particulièrement adaptées à la réduction des flux polluants générés par les effluents huileux (type émulsion) dans l'industrie mécanique.
En outre, l’automatisation des systèmes d’ultrafiltration apporte aux utilisateurs d’installations de taille moyenne ou importante (capacités de traitement supérieures à 70 tonnes de résidus par an) les avantages suivants :
• augmentation de la durée de fonctionnement entre chaque lavage, grâce à l’optimisation de la vitesse de colmatage,
• réduction sensible du temps consacré à l’entretien des matériels, notamment grâce à l’automatisation complète des cycles de lavages.