Le traitement des pesticides dans l'eau fait appel à de nombreuses spécialités, de l’analyse chimique à l'ingénierie mécanique. Au cours du développement et pendant les stages de démarrage en usine, l'efficacité d'un traitement est mesurée par l’abattement du niveau de concentration du pesticide ciblé. Cet article fait une rapide mise au point sur l’analyse des pesticides et sur quelques procédés de traitement actuellement utilisés.
Analyse des pesticides
Les pesticides sont fréquemment détectés dans les ressources en eau à l'état de traces, c’est-à-dire à des concentrations de l’ordre du nanogramme et du microgramme par litre (ng/l et μg/l). Cette notion de « traces » peut également s’exprimer, à la manière anglo-saxonne, en parties par trillion (ppt) ou parties par billion (ppb). Afin de procéder à l’analyse de ces quantités infinitésimales ou « résidus de pesticides », le chimiste doit faire appel à des techniques d’extraction et de concentration préalables à l’analyse proprement dite.
Les méthodologies analytiques
Il n’existe pas de méthode ou de technique d’analyse uniques pour doser tous les pesticides connus. Cependant, l’évolution importante des moyens analytiques permet non seulement d’en détecter un grand nombre, mais aussi de recenser d'autres variétés dans l'environnement. La plupart des méthodes d’analyse de « résidus » développées jusqu’à présent ont été ciblées sur un seul pesticide. À présent, elles offrent l’avantage d'une meilleure sensibilité et d'une spécificité de la détection. Les méthodes d’analyse portant sur plusieurs pesticides à la fois (dites « multi-résidus ») sont bien entendu de grand intérêt, mais elles servent essentiellement de méthode de « screening » ou de dégrossissage. D’autre part, leurs limites de détection sont généralement plus élevées. En Europe, nous sommes contraints d’utiliser des techniques d’analyse présentant des sensibilités de détection élevées, nous permettant de respecter la norme européenne de qualité de l'eau potable. D’après le Décret 89-3 du 3 janvier 1989 du Ministère de la Santé, la Concentration Maximale Admissible (CMA) est de 0,1 μg/l pour tous pesticides sauf l’aldrine et la dieldrine (0,3 μg/l), et l'hexachlorobenzène (0,01 μg/l).
Les techniques d’analyse de l’atrazine
L’atrazine étant une molécule relativement stable et de polarité moyenne, elle peut être analysée par les trois techniques couramment employées dans les laboratoires : la chromatographie en phase gazeuse (CPG), la chromatographie en phase liquide à haute performance (CLHP) et la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (CPG-SM).
L’analyse du résidu d’atrazine dans l’environnement aquatique s’effectue en quatre étapes :
- * extraction et concentration des pesticides ;
- * purification si nécessaire ;
- * analyse qualitative et quantitative ;
• confirmation de la présence et de l’identité du pesticide.
Les techniques d’extraction et de concentration
Les techniques d’extraction les plus utilisées sont : l’extraction liquide/liquide ou l’extraction solide/liquide. La première emploie des solvants organiques choisis pour pouvoir extraire dans leur phase les pesticides ayant une solubilité meilleure par rapport à l’eau. Ensuite, le volume du solvant est évaporé pour pouvoir concentrer l’extrait plusieurs centaines de fois. Un aliquote de cet extrait sera utilisé pour l’analyse.
L’extraction solide/liquide, quant à elle, permet de retenir les molécules de pesticides sur une phase solide, et ceci grâce aux interactions non polaires, polaires et d’échange d’ions. On emploie couramment à cet effet des cartouches contenant une phase de silice greffée sur laquelle un volume d’échantillon d’eau est filtré. Les pesticides retenus sont élués ou désorbés grâce à un petit volume de solvant qui va servir à l’analyse.
Le choix entre ces techniques d’extraction se fait en fonction de plusieurs paramètres : la polarité des molécules, la matrice de l’eau, le rendement d’extraction, etc. Cependant, il faut noter que l’extraction solide/liquide est plus rapide et moins coûteuse.
En France, peu de laboratoires utilisent l’extraction solide/liquide. Dans le cadre de l’Afnor, des premiers essais interlaboratoires ont été réalisés sur l’atrazine afin de comparer les deux techniques. Sur les 19 laboratoires participants, trois seulement ont testé l’extraction solide/liquide. Pour un échantillon d’atrazine à 100 ng/l dans une eau de surface, les résultats obtenus démontrent que les méthodes d’extraction présentent des performances comparables.
Purification
Un échantillon chargé, ou contenant de nombreux produits susceptibles d’interférer avec le dosage du pesticide, nécessite une étape additionnelle de purification qui peut s’effectuer par utilisation des techniques d’extraction précitées. L’intérêt réside alors dans le choix des conditions permettant d’éliminer les produits interférents et la conservation des produits à analyser. En présence d’échantillons très « sales », la technique de purification par la chromatographie à perméation de gel est souvent employée.
Analyse qualitative et quantitative
L’échantillon à analyser peut être un mélange complexe contenant des dizaines, voire des centaines de produits différents. Pour détecter l’atrazine, il faut d’abord la séparer des autres produits.
On fait appel à des techniques de séparation dites de « chromatographie ». Pourtant la chromatographie ne permet pas une identification absolue d’un produit. Ce n’est que grâce à l’utilisation d’étalons préalablement analysés qu’un produit peut être détecté avec un grand degré de certitude.
Chromatographie en phase gazeuse
Cette technique d’analyse utilisant des colonnes capillaires et des détecteurs spécifiques est très sensible et très employée. L’analyse des pesticides azotés et phosphorés est réalisée à l’aide d’un détecteur spécifique azote-phosphore (NPD). La molécule d’atrazine contient cinq atomes d’azote, ce qui favorise sa détection. Les limites de détection possibles sont de l’ordre de la dizaine de ng/l en fonction de la matrice.
Chromatographie en phase liquide à haute performance
La détection se fait dans ce cas par absorption des rayons ultraviolets. L’atrazine possède un maximum d’absorption pour une longueur d’onde proche de 220 nm. Avec des détecteurs à longueur d’onde fixe ou à barrette de diodes, on peut atteindre des limites de détection comparables au CPG-NPD.
Spectrométrie de masse
Lorsqu’il est question de spectrométrie de masse et d’analyse des mélanges, c’est presque toujours en couplage avec des techniques de séparation, la CPG-SM, la CLHP-SM, etc. Ceci permet d’associer le pouvoir de résolution de la chromatographie à la spécificité de détection de la spectrométrie de masse. Un spectre de masse est comme une empreinte digitale qui permet d’identifier un produit. Quel que soit le type de spectromètre, la meilleure sensibilité de détection est obtenue en faisant fonctionner l’appareil en mode « selected ion monitoring » (SIM) ou ion sélectionné. De cette manière, des limites de détection comparables aux CPG et CLHP peuvent être obtenues. Enfin, par rapport aux autres techniques, celle-ci offre l’avantage d’une élimination quasi complète de l’interférence due aux autres produits analysés en même temps, car les ions choisis pour la détection de l’atrazine sont caractéristiques.
Confirmation de la présenceet identité du pesticide
La détection d’un pesticide est suivie par une analyse complémentaire pour confirmer sa présence. Les techniques de confirmation sont souvent les mêmes que celles servant à l'analyse, avec une variation au niveau du type de colonne chromatographique ou au niveau du type de détecteur. De cette manière, la présence est confirmée. En spectrométrie de masse, la confirmation s’achève en faisant varier les conditions d’ionisation, par exemple l’utilisation de l’ionisation chimique ou l'énergie d’ionisation en impact électronique. Ces techniques de confirmation sont, bien entendu, choisies sur la base de leur égalité de performance par rapport à l’analyse initiale. Pour l’atrazine, il existe trois techniques disponibles, déjà décrites dans les paragraphes précédents.
À titre d’exemple, la figure 1 présente ces trois techniques utilisées pour le dosage de l’atrazine dans une eau de surface.
Techniques de traitementdes pesticides
Les moyens de lutte efficaces actuellement disponibles mettent en œuvre les procédés d’adsorption et d’oxydation.
Les procédés d’adsorption utilisés sont de deux sortes : adsorption sur charbon actif en poudre (CAP) et adsorption sur charbon actif en grains (CAG). Les procédés d’oxydation mettent en œuvre l’ozonation ou, de plus en plus fréquemment, la peroxydation O₃/H₂O₂.
Pour diminuer les coûts d’exploitation et améliorer considérablement la qualité générale de l’eau, il est possible de combiner oxydation et adsorption, qui deviennent alors complémentaires : c’est le procédé Ozocarb.
Le choix de l'utilisation d’une technique plutôt que d’une autre dépend de plusieurs paramètres :
- concentration en atrazine (tableau 1),
- qualité de l’eau (COT, TAC, …),
- durée de la pollution (accidentelle ou chronique),
- effets du traitement sur les autres paramètres de qualité d’eau,
- coûts d’investissement et d’exploitation,
- surface de traitement disponible.
Les techniques d’adsorption
Le charbon actif en poudre
Le charbon actif en poudre est bien adapté en tant que traitement de crise et il est même souhaitable lorsque l'atrazine par exemple est présente pendant une courte période (deux mois maximum en général). Son coût devient en effet prohibitif pour des durées de pollution supérieures à cinq mois.
La capacité d’adsorption du CAP ou du CAG dépend de plusieurs paramètres : nature du charbon actif (bois, noix de coco, huile ou tourbe (figure 2)), granulométrie et qualité de l'eau (COT et concentration initiale en pesticides). Il est utilisé au maximum de sa capacité pendant des temps de contact supérieurs à 60 minutes (figure 3). Dans le cas d’une eau de surface, le charbon présentant la capacité d’adsorption la plus importante est à base de bois de type Picazine (figure 3).
Le charbon actif en grains
Le CAG est un procédé sûr pour traiter jusqu’au milligramme d’atrazine par litre. Cependant, la durée d'utilisation de celui-ci est d’autant plus réduite que les concentrations en triazines sont importantes. Il est utilisé au maximum de ses possibilités lorsque l’eau est la moins chargée possible en COT, soit en deuxième étage de filtration.
Le dimensionnement d'un filtre à CAG dépend alors essentiellement de la capacité d’adsorption dynamique du charbon actif, de la longévité du filtre avant régénération, et du COT et de la turbidité de l’eau. Les deux premiers paramètres permettent d’accéder au volume du filtre, les derniers déterminent une vitesse de filtration maximum admissible afin d’éviter des cycles de colmatage trop fréquents.
Les techniques d’oxydation
L'ozone, avec un potentiel d’oxydoréduction de 2,07 volts, figure parmi les oxydants les plus puissants. Son action sur la matière organique suit deux voies de réaction bien distinctes : une réaction directe de l’ozone moléculaire et une réaction indirecte de type radicalaire.
Tableau I
Unités de traitement d’oxydation et d’adsorption sur l’atrazine (d’après Paillard) [6]
Procédé | Concentration limite en triazines en ng.l⁻¹ | Rendement d’abattement % | Dose maximale** en mg.l⁻¹ |
---|---|---|---|
CAP seul | ≤ 5 000 | ≥ 98 | 100 mg.l⁻¹ |
Ozonation seule | ≤ 250 | ≤ 60 | 4 mg O₃.l⁻¹ |
CAG seul | jusqu’au µg.l⁻¹ | > 99 | — |
O₃/H₂O₂ | ≤ 1 000 | ≤ 90 | 4 mg O₃.l⁻¹ |
* concentration maximale en entrée du traitement pour obtenir la CMA de au plus 100 ng.l⁻¹ en sortie ** dose maximale économiquement envisageable *** saturation très rapide (moins de 6 mois) pour des concentrations supérieures à 1 000 ng.l⁻¹
La voie moléculaire, qui conduit à des substitutions électrophiles ou à des réactions de cyclo-addition sur des composés aromatiques et aliphatiques insaturés, est très sélective. À titre d’exemple, certains pesticides comme le lindane ou l’endosulfan sont totalement réfractaires à l’ozonation, car ces molécules ne possèdent pas de sites d’attaque spécifiques par l’ozone moléculaire.
La réaction de type radicalaire est induite par la décomposition de l’ozone en radicaux hydroxyles OH* très réactifs et peu sélectifs. Le caractère très électrophile de cet élément lui confère des cinétiques de réaction sur la matière organique ou les micro-polluants jusqu’à 10¹⁰ fois plus élevées (c’est le cas de l’atrazine) que celles de l’ozone moléculaire. Ces particularités expliquent l’intérêt de favoriser la voie d’oxydation indirecte pour éliminer un micro-polluant donné, réfractaire en totalité ou en partie à l’ozonation moléculaire (figure 4).
Elle peut être générée par la décomposition de l’ozone en milieu basique, perspective peu envisageable en traitement des eaux en raison des pH à atteindre, par photolyse (rayons UV) ou en présence de H₂O₂. La Compagnie Générale des Eaux a choisi de développer la voie O₃/H₂O₂ pour sa facilité de mise en œuvre et la possibilité d’adapter ce procédé sur des stations déjà équipées en ozone.
Les conditions optimales du couplage O₃/H₂O₂ ont été définies comme suit : un TAC et COT le plus faible possible, un pH compris entre 7 et 8, un ratio peroxyde d’hydrogène sur ozone de 0,4 g/g.
Le traitement sera donc d’autant plus efficace qu’il sera situé en aval de la filière (après un 1ᵉʳ étage de filtration par exemple). Cependant, il convient de noter que les conditions virulicides définies par Coin et Gomella (0,4 mg O₃.l⁻¹ pendant 4 minutes) ne peuvent être respectées sur un étage de post-oxydation et que l’abattement maximum ne dépassera pas 90 à 95 % aux taux d’ozonation actuellement employés (4 à 5 mg O₃.l⁻¹).
Dans le cas des eaux de surface, souvent riches en COT (plus de 1,5 mg.l⁻¹), l’oxydation et la filtration sur CAG sont des techniques complémentaires. L’ozone et le couplage O₃/H₂O₂ multiplient respectivement par 2 et 4 la durée d’utilisation du CAG, et la filtration sur charbon actif permet d’éliminer, par voie biologique, le Carbone Organique Dissous Bio-assimilable, formé au cours de l’étape d’oxydation en amont (figure 5).
Dans le cas des eaux souterraines peu chargées en COT (moins de 1,5 mg.l⁻¹), les traitements d’oxydation et d’adsorption sur CAG peuvent être utilisés indépendamment et deviennent concurrents.
Conclusion
Les techniques d’analyse et de traitement de l’atrazine mettent en jeu des connaissances et des procédés de plus en plus sophistiqués qu’il est nécessaire d’adapter à chaque site d’exploitation. L’expérience ainsi acquise permet de maîtriser les paramètres de qualité et de fiabilité de l’eau.
BIBLIOGRAPHIE
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[9] Tanghe (N.), Benezet (M.), Bouillot (P.), Dr Ton (P.), Levi (Y.), Paillard (H.), Étude approfondie de l’application industrielle de l’oxydation couplée ozone-peroxyde d’hydrogène pour l’élimination des triazines dans les eaux, Water Supply, vol. 10, n° 1, 1992, pp. 121-132.
[10] Bouillot (P.), Paillard (H.), Note d’information sur les possibilités de traitement des triazines, Anjou Recherche, Compagnie Générale des Eaux, SEDIF, 1990, 4 p.