Le traitement des eaux par les coagulants minéraux ou organiques est un processus difficile à maîtriser ; l'appareil habituellement utilisé est le Jar-Test, qui travaille hors ligne et qui assure donc un contrôle a posteriori et ne permet pas l'asservissement du système doseur.
Nous venons de mettre au point un Streaming Current Detector (SCD) ou Détecteur de Courant Cinétique qui, placé après le point d’introduction du réactif, constitue un procédé de contrôle en ligne dont la cellule de mesure réagit à la charge électrique des particules en suspension, en mesurant le courant produit localement par l'arrachement des charges électriques fixées sur la périphérie des particules colloïdales en suspension.
Après avoir rappelé la théorie électrocinétique des systèmes colloïdaux, nous décrirons le principe de fonctionnement, le mode d’installation et la constitution de l'appareil. Nous terminerons par quelques exemples types de résultats obtenus en préparation d'eau potable et en préparation d’eau industrielle.
LA THÉORIE ÉLECTRO-CINÉTIQUE DES SYSTÈMES COLLOÏDAUX
Dans les eaux brutes ou usées et par suite de la solvatation, les particules colloïdales sont entourées par un double couche ionique ; la couche interne, solidement rattachée à la surface de la particule par des liaisons de type chimique, est pratiquement toujours négative. Cette couche interne fixe est entourée par une couche mobile externe diffuse de « contre-ions ».
L'attraction électrique (force de Coulomb) tend à maintenir la couche diffuse autour de la couche fixe, alors que le mouvement Brownien tend à l’en écarter ; il en résulte un équilibre d’ions de charges opposées autour des particules dont la distribution est différente de celle existant au sein du liquide.
Les schémas des figures 1 et 2 visualisent la répartition des charges et le potentiel existant autour des particules. La différence de potentiel qui existe entre la surface séparant les parties fixe et mobile d’une part et le sein du liquide d’autre part est appelée potentiel Z (Zeta). C’est un potentiel électrocinétique, par opposition au potentiel thermodynamique E (différence de potentiel entre la paroi et le sein du liquide). Z qui dépend à la fois de E et de l’épaisseur de la double couche est le résultat du défaut d'absorption de la couche externe de cations sur la particule (couche mobile dite de Gouy). Sa valeur détermine la grandeur des forces électrostatiques de répulsion entre les particules, donc leur probabilité d’adhésion.
sein de la solution
Couche contre-ionique externe mobile
Couche ionique interne fixe
Particule colloïdale
Dans les eaux brutes, la plupart des particules sont chargées négativement entre –10 et –30 mV de potentiel Z et plus cette valeur est élevée, plus le système colloïdal est stable. L’addition de coagulants cationiques (polycations minéraux ou organiques à charge positive) diminue la charge négative et donc détruit la stabilité de la suspension. Tout se passe comme si l’on substituait aux cations de la couche mobile des polycations liés plus intimement à la particule ; la charge globale d’un tel système peut alors devenir nulle. Le système colloïdal est alors déstabilisé et les particules peuvent décanter.
PRINCIPE DU SCD
La cellule de mesure du SCD se présente sous la forme d’un cylindre de plastique creux muni à chacune de ses extrémités d’une électrode annulaire. Un piston cruciforme en plastique se déplace d’un mouvement alternatif rapide à l’intérieur du cylindre (figure 3).
L’eau traverse la cellule et des particules colloïdales sont adsorbées par les parois du cylindre et du plongeur. Le va-et-vient du plongeur arrache des contre-ions de la couche mobile à ces colloïdes et les mouvements des sites chargés ainsi créés produisent le courant cinétique qui est détecté par les électrodes. Le mouvement des particules colloïdales non « fragmentées » par le plongeur n’influence pas le signal. À chaque changement de direction du plongeur correspond un changement de direction du courant et il se produit un courant alternatif qui se différencie très nettement du courant continu éventuellement créé par une différence de potentiel entre les deux électrodes.
Le courant détecté est de l’ordre du microampère. Il est fonction du nombre de contre-ions arrachés et de leur charge et est ainsi significatif de la concentration des particules colloïdales dans l’eau : avec une eau brute contenant beaucoup de particules colloïdales, le signal sera maximum ; par contre, après coagulation, la couche d’ions mobiles étant remplacée par des ions fixés, le signal sera minimum.
Si donc on réalise une chaîne d’asservissement comme on le voit sur les schémas des figures 4 et 5, on maintient automatiquement le courant alternatif à la valeur correspondant au point de floculation idéal, ce qui est le but recherché.
Le SCD est pratiquement insensible aux variations de pH entre 4 et 9. Un changement de la conductivité du liquide ou de sa température fait très légèrement dériver la mesure mais ne gêne pas le fonctionnement.
ment. Le temps de réponse est court et dépend uniquement de la vitesse de transit de l’échantillon dans la cellule.
Les graphiques de la figure 6 illustrent la relation qui existe entre le dosage de coagulant, la quantité de colloïdes et/ou la turbidité de l'eau traitée après filtration, et la mesure donnée par le SCD.
La position de l’optimum montre que le SCD permet de se maintenir au point de turbidité toléré, sans sous-dosage ni sur-dosage : il faut noter qu’à ce niveau un accroissement de la dose de coagulant (secteur hachuré) n’améliore pas la qualité de l'eau traitée.
Pilotant le système d’injection des floculants, le SCD permet de maintenir automatiquement autour des particules colloïdales, la charge « optimale » préalablement déterminée comme étant la meilleure (à l'aide d’un Jar-Test ou d’un autre moyen d’observation tel que la turbidité du filtrat). Les schémas de la figure 5 illustrent les résultats obtenus.
Le SCD répond rapidement aux pointes de turbidité ; si celle-ci augmente, le SCD enregistre une augmentation de courant cinétique et, selon les accessoires, délivre un signal de dérive ou bien commande automatiquement une augmentation de la dose de coagulant jusqu’à retour au point de consigne. On maintient ainsi la qualité de l'eau traitée (aux points de vue de la turbidité et des matières en suspension), quelles que soient les variations de l’eau brute. Ajoutons que le signal détecté par le SCD est précis et reproductible.
CONSTITUTION DU SCD
Bien que basé sur une théorie relativement complexe, le SCD est de construction simple ; il comporte essentiellement, comme on le distingue sur la photographie :
- — un coffret mural contenant le moteur et la biellette d’entraînement du piston ainsi que l’électronique du SCD,
- — une cellule de mesure, fixée sous le coffret, qui est traversée par l'eau après floculation (au débit de 1 à 2 l/mn),
- — un nettoyeur à ultrasons destiné à éviter l’encrassement de la cellule ; il comprend une sonde, montée directement sur la cellule de mesure du SCD, et un coffret mural annexe qui délivre l’énergie nécessaire.
Les caractéristiques principales de cet équipement sont les suivantes :
— alimentation : 220 volts 50 Hz, — 10 grammes de sensibilité de mesure dans le rapport de 1 à 30, — temps de réponse : 3 secondes, — précision : ± 2 %, — signal de sortie standard : - 5 à 5 mV (adaptateur 0-20 mA en option), — signal d’alarme standard : 3 amp. 220 volts, — matériel en contact avec l'eau : téflon - inox - PVC, — pression de mesure : atmosphérique, — température de fonctionnement : 0 à 50 °C, — hygrométrie ambiante admissible : 100 %, — encombrement : coffret SCD : 0,35 x 0,30 x 0,15 m coffret nettoyeur : 0,30 x 0,25 x 0,15 m, — poids : 7 kg et 6 kg.
Exemple d’application en préparation de l'eau potable
Wycliffe Plant Cobb County, Georgia, USA Débit : 3 150 à 3 950 m³/h Origine : eau du lac Altoona Turbidité de l'eau brute : 50 à 150 NTU Traitement de l'eau : coagulation avec un sel d’aluminium, filtration, décantation sur sable (avec recyclage des eaux de lavage en tête).
Résultat obtenu par le SCD : diminution de 20 à 25 % de la consommation de coagulant pour une qualité identique de l'eau traitée (avec comme avantages annexes la suppression des problèmes de post-floculation et la diminution du volume des boues).
Exemple d’application dans l’industrie papetière
Weyerhauser Kraft Mill, Everett, Washington, U.S.A. Origine de l'eau : rivière Snohomish Débit : 3 950 m³/h Eau brute : turbidité 5 à 90 NTU - couleur 15 à 80 unités. Traitement de l’eau : floculation au polymère, décantation, filtration sur sable.
Niveau de traitement exigé : turbidité : max 0,2 NTU - couleur : max 5 unités.
Résultats obtenus par le SCD : diminution de 33 % de la consommation de polymère, suppression de la surveillance, amélioration de la qualité moyenne de l'eau traitée.
Exemple d'application dans une centrale thermique
ST Clair Power, Detroit Edison Company, Michigan, U.S.A.
Origine de l'eau : rivière ST Clair
Débit : 330 m³/h
Eau brute : turbidité 2,5 à 3,5 NTU, MES 6 mg/l
Silice colloïdale : 2 mg/l
Traitement : floculation, filtration ascendante sur sable, échange d'ions sur résine
Niveau de traitement exigé : suppression de la silice colloïdale, inacceptable dans la vapeur des turbines.
Résultat obtenu par le SCD : automatisation de l'addition de floculant.
CONCLUSION
Le SCD permet d'assurer :
— une économie des réactifs, ceux-ci étant limités à la quantité strictement nécessaire,
— un dosage des réactifs indépendant de la concentration réelle des solutions mères et de leur dilution,
— une qualité constante du traitement qui demeure insensible aux changements de la qualité de l'eau brute ainsi qu'aux variations de débit,
— la visualisation instantanée des conditions de charge électrique de l'eau floculée.
Ainsi pour la première fois l'exploitant d'une station de traitement d'eau dispose d'un appareil de mesure en ligne qui lui permet d'ajuster finement la coagulation des MES dans l'eau brute et donc l'aide à mieux maîtriser la qualité de l'eau traitée aux points de vue de la turbidité, de la quantité résiduelle des MES et de la couleur. Étant ainsi assuré de se maintenir au dosage optimum, l'exploitant ne sera pas tenté, comme c'est souvent le cas, et pour plus de sécurité, de surdoser ses réactifs en permanence. Du point de vue financier on aboutit à une réelle économie de réactifs (que l'on peut estimer à 10 % minimum), ce qui permet d'amortir très rapidement l'équipement et d'abaisser le coût du traitement.