Your browser does not support JavaScript!

L'apprentissage à mieux-vivre. Introduction à la socio-toxicologie

29 septembre 1989 Paru dans le N°130 à la page 26 ( mots)

Introduction à la socio-toxicologie

Nous voulons être des terriens à la fois propres et opérationnels. Pourtant, il n’existe plus de lieux vierges où la main de l’homme industrieux... n’a pas posé le pied. Notre planète s’appauvrit et se salit. À partir de 1950, l’alternance production industrielle-résorption naturelle s'est déréglée. Parce que depuis ces quarante ans, on fabrique sept fois plus de biens consommables et on épuise trois fois plus les ressources minières qu’avant. On pille et on pollue la planète sans restituer. Les Nations Unies reconnaissent que les générations actuelles ont le droit de satisfaire leurs besoins dans la mesure où elles n’entament pas de façon irréversible les ressources naturelles disponibles pour les générations futures (G.H. Brundtland, Commission mondiale des Nations Unies pour l'environnement et le développement, 1988). Nous devons relever le défi démographique : la population mondiale va passer de 5 milliards d’individus en 1987 à 8 milliards vers l’an 2025, il faudra produire plus, mieux économiser et polluer moins (J. Aloisi de Larderel, Département Industrie et Environnement du PNUE, Programme des Nations Unies pour l'Environnement, 1988). Il est vrai que pour notre biosphère l'état des lieux est assez inquiétant.

Espace-poubelle

Jusqu’aux astronomes qui tirent le signal d’alarme ! Leur ciel est obstrué. Le colloque 112 de l'UAI, Union Astronomique Internationale, tenu l’année dernière, était entièrement orienté vers les problèmes de pollution dont les astronomes sont victimes dans leurs observations sidérales. OVNI ? Myriade d’Objets Volants Non Identifiés ? On dénombre environ 7 000 objets de taille supérieure à 10 cm qui sont en orbite autour du globe et circulent à la vitesse de 7 km/seconde. Il s’agit de morceaux de satellites ayant explosé ou s’étant télescopés, de débris de fusées de transport autodétruites ou accidentées, accompagnés d'une nuée d’éclats, redoutables projectiles pour les vols spatiaux qui devront traverser un « anneau de Saturne » artificiel autour de la terre, fait de vieilles ferrailles volantes.

Couche de Hartley

En stratosphère, ce sont les gaz CFC chlorofluorocarbones ou fréons qui sont accusés de détruire notre couche d’ozone, protectrice contre les rayons ultraviolets durs (figure 1). L’altération de cette couche d’ozone de Hartley compromettrait l'existence ou la survivance même de la biosphère, l’intégralité de notre matériel génétique humain par les effets mutagènes, cancérogènes et germicides du rayonnement solaire non filtré (perturbation de la photosynthèse végétale et du gradient thermique, en plus). Il a été calculé qu'une simple réduction de 3 % en ozone O₃ dans la couche de Hartley provoquerait une recrudescence de 6 % du nombre d’épithéliomes et de mélanomes, cancers de la peau, chez les populations soumises au rayonnement solaire mal filtré, les effets cancérigènes et mutagènes croissant en proportion inverse et double de la réduction d’ozone (C. Muller, 1982, rapport de l'Institut International de l’Environnement, 1988). Justement, des mesures satellitaires et des sondages aériens allaient déceler une très sérieuse déplétion de l’ozone en stratosphère polaire, nord et sud (C. Elichegaray, AQA, 1988). Et les médias de se lamenter, « le bouclier est percé », sur la double déchirure de notre enveloppe ozonée. C'est pourquoi les pays producteurs et consommateurs de CFC ont signé le Protocole de Montréal le 16 septembre 1987, après la Convention de Vienne de 1985. Ce protocole, ratifié par le Gouvernement français le 28 décembre 1988, impose à partir du 1ᵉʳ janvier 1989 une réduction de fabrication des CFC de 50 % dans un intervalle de 10 ans. Cependant, la complexité des équations de la chimie stratosphérique ne permet pas encore de savoir si les dommages causés sont réversibles.

[Photo : Altérations de la couche d’ozone par les halons d’après C. Muller, Institut d’Aéronomie Spatiale de Belgique, 1982.]

Selon les équations devenues classiques de Molina et Rowland de 1974, le chlore naissant, issu de la photodissociation des halons chlorés, décomposerait l’ozone en oxygène. Les processus naturels de dissipation et d’élimination en troposphère ne jouent pas contre ces halons très stables, et seulement photodissociables avec dégagement de chlore actif, même à l’état de traces, en stratosphère. Sous le vocable de halons (de l’américain « halogenated hydrocarbons »), on regroupe :

  • — les chlorofluoroalcanes, ou CFC ou fréons (fluide caloporteur, intermédiaire de synthèse chimique, et surtout propulseur pour aérosol et nettoyage à sec des textiles),
  • — les solvants chlorés, trichloréthylène, perchloréthylène et trichloréthane,
  • — les fluorobromoalcanes (agents extincteurs de lutte anti-incendie).

Parmi les principaux CFC consommés dans le monde le CFC 11 (CFCl₃, fluorotrichlorométhane : 380 kt/an) et le CFC 12 (CF₂Cl₂, difluorodichlorométhane : 420 kt/an) sont responsables à eux seuls de 75 % de la destruction de l’ozone due aux CFC et devront être remplacés en premier. L’industrie des aérosols connaît un rythme de croissance d’environ 6 % par an.

Pluies acides

Le cas des pluies acides relève aussi de ces pollutions transfrontalières qui empruntent des circuits spatiaux. Suite aux phénomènes d’acidification des lacs et de dépérissement des forêts par transferts aériens de polluants (acides minéraux et photo-oxydants), le Protocole d’Helsinki en 1985 a engagé notre pays sur deux objectifs : la réduction de 50 % des rejets nationaux d’oxydes de soufre SO₂ d’ici l’an 1990, et la réduction de 30 % des rejets nationaux d’oxydes d’azote NOₓ et d’hydrocarbures, échéance l’an 2000.

La succession de ces rendez-vous mondiaux depuis 1972 souligne la prise en compte des intérêts collectifs de chaque nation où l’on discerne un certain « frémissement des sages ».

Marée noire

L’Arctique est paradisiaque. Mais le 24 mars 1989, le pétrolier géant Exxon Valdez s’éventrait sur un récif de l’océan Arctique : 40 kt de brut envahissaient la baie encore vierge du Prince-William, en Alaska. La baie est une étonnante arche de Noé qui abrite un vivier très riche en poissons. Comment les autorités administratives peuvent-elles partager la colère des pêcheurs locaux contre le pétrole de Prudhoe Bay qui représente 25 % de la production américaine et 85 % des revenus de l’Alaska ! Les équipes besogneuses de sauvetage appliqueront sans trop de succès des techniques de nettoyage avec lesquelles les marées noires de Bretagne (du Torrey Canyon en 1967 à l’Amoco-Cadiz en 1978) nous ont familiarisés : barrages flottants, pompage-écrémage, dispersion par jet d’eau chaude haute pression et par produits chimiques divers, brûlage… En fin de compte, on s’en remet à « dame nature ».

Pauvre Arctique ! On venait à peine d’apprendre les révélations du gouvernement canadien mettant en garde les quelque 100 000 Esquimaux de l’Arctique américain parce que ses vastes espaces sont sévèrement touchés par la pollution chimique : pesticides (lindane) et PCB (pyralène), véhiculés des pays industrialisés voisins par la neige et le brouillard, se concentrent successivement dans le plancton marin, les poissons puis finalement les graisses de phoque, d’ours et de cétacés qui constituent l’alimentation traditionnelle de l’Esquimau. La contamination par les polluants, généralisée et étendue aux calottes glaciaires, reste symptomatique et inquiétante.

Une mémoire de glace

Cette contamination fut révélée aux glaciologues au cours des années 70. Les glaces accumulées dans les calottes polaires sont de précieuses archives du temps météorologique et de l’environnement conservées sur plusieurs kilomètres d’épaisseur. La glace est le témoin enseveli, couche de neige sur couche de neige, non seulement des fluctuations du climat mais aussi de l’évolution de la pollution du globe. En effet, l’analyse de la glace, prélevée en profondeur par carottage dans les inlandsis, avec les impuretés qu’elle renferme, permet de décrire l’histoire de notre environnement et l’impact de nos activités industrielles. C’est ainsi que l’on distingue dans les couches récentes de neige déposées au cours du siècle dernier :

  • — les apports naturels, tels que traces des éruptions volcaniques, embruns marins, poussières d’érosion continentale, essences végétales, retombées météoriques et cosmiques,
  • — les apports liés aux activités humaines, dits pour cela anthropogéniques, qui sont le fait des explosions thermonucléaires (radioactivité β), émissions de fumées industrielles et domestiques (gaz anhydride sulfureux SO₂ transformé en ions sulfates SO₄²⁻, mercure Hg, cadmium Cd, pesticides type DDT, plastifiant et diélectrique PCB), gaz d’échappement des véhicules à moteur (plomb Pb de l’additif anti-détonnant à essence, le tétraéthylplomb Pb(C₂H₅)₄).

L'inlandsis constitue un site privilégié d'observation et d’enregistrement de l'environnement terrestre où l'on constate que « la neige est sale ». La teneur en aéropolluants est toutefois plus élevée dans l’hémisphère boréal que dans son homologue austral, moins soumis aux émissions des pays industrialisés. Dans cette colossale réserve d'eau solide, les glaciologues dénoncent l'augmentation très significative des retombées de plomb, de mercure et de sulfates depuis la fin du XIXᵉ siècle et la poussée exponentielle depuis 1950.

Quant à l’Antarctique, il oppose aujourd’hui politiciens désireux de l'exploiter aux écologistes soucieux de le préserver. Les médias annoncent l’enjeu : « sous la glace, le pactole ». Et le 7ᵉ continent, ce grand désert glacé où ne subsistaient depuis 1958 que quelques équipes d'observateurs scientifiques, sera bientôt soumis aux intenses prospections et extractions minières et pétrolières, aux termes de l’accord de Wellington signé le 2 juin 1989 entre 33 pays dynamiques, dont la France. Comment sommes-nous parvenus sur Terre à ce niveau général d'alarme ?

Pollution is very choking

Alors que pour beaucoup d’observateurs maussades, la pollution, les nuisances, la contamination seraient la marque infamante de notre époque, le stigmate honteux qui déshonorerait notre temps au regard des générations futures (« Quelle terre va-t-on laisser à nos enfants ? »), le recours à l'exutoire naturel existe depuis des lustres. Atmosphère, cavité du sol et cours d'eau ont de tout temps reçu de l’homme ce qui l'embarrassait ou lui échappait.

Il faut lire le pittoresque ouvrage de Parent-Duchâtelet sur les égouts de Paris, datant de 1824, pour s’en convaincre. Les sanctions administratives prises à l'encontre des pollueurs dès le XIVᵉ siècle prouvent la précocité du délit : une ordonnance du prévôt des marchands de 1388 défend, sous peine de 60 sols d'amende, de jeter dans la Seine et ses bras aucune boue ni fumier ; un arrêt du Parlement du 21 juin 1586 confirme une sentence du bureau de la Ville de Paris portant condamnation au fouet contre un « compagnon de basses œuvres » (lire : vidangeur) pour avoir jeté des matières fécales dans la Seine. C'est dire qu’avec ces flagellations, on ne « badinait » pas sur la pollution car la Seine était le château d’eau de la capitale. Les Parisiens boiront de l'eau de Seine jusqu'à la fin du XVIIᵉ siècle sans s’en trouver apparemment incommodés et Rimbaud se désaltérera encore dans la « jeune Oise ».

Oui, les rivières ont toujours été considérées comme des égouts commodes, des vide-pots providentiels, des gosiers à déjections communes, disponibles et gratuits. Alors qu’aux siècles précédents la nature trouvait le temps de se régénérer, de se « refaire une santé » — parce que le flux de pollution restait toujours très inférieur à la capacité d’assimilation et de biodégradation du milieu, et que les polluants de l'époque ne se montraient pas réfractaires, résistants et rémanents à l’épuration microbienne naturelle — la fin du XIXᵉ siècle, avec l'ère industrielle naissante, marquera en France les premiers outrages faits à l’Environnement. Comme la production de biens matériels restait encore l’œuvre d'artisans isolés, de petites coopératives ou de manufactures, le rejet concomitant de la pollution engendrée par ces activités demeurait encore compatible avec le pouvoir auto-épurateur du milieu récepteur. La production s’accélérant, l’heure de la saturation allait bientôt sonner. À partir de 1950, les hygiénistes notaient et déploraient l'accroissement régulier des charges polluantes et la commercialisation accrue de molécules nouvelles dotées d'une biodégradation problématique.

[Photo : Apports successifs en plomb dans les calottes glaciaires du Groenland d’après C. Patterson, C. Boutron, 1988.]

Des séries de mesures quantitatives précises de plomb dans les glaces du Groenland ont permis de clore la récente controverse sur l’extension géographique de la pollution de la troposphère par le plomb : il ne fait plus aucun doute pour les glaciologues que l'ensemble de la troposphère est contaminée par le plomb, jusque dans les régions les plus reculées de l’hémisphère sud. Partout, le plomb anthropique (plomb tétraéthyle principalement) a pris le pas, et de loin, sur le plomb naturel (érosion éolienne des roches et sols). Selon C. Patterson, les effets toxicologiques insidieux du plomb à faible concentration dans l’air auraient des conséquences génotoxiques. L’espèce humaine a subi diverses altérations physiologiques et intellectuelles provoquées par l’exposition continue à long terme à ces faibles doses de plomb, qui exerceraient une influence significative sur l’histoire même de l'humanité.

Il conviendrait que des études fiables similaires soient entreprises pour d’autres métaux toxiques comme Hg, Cd, Cu, Zn, As et Se.

Mortes-eaux

Dans les années 70, avec les mousses des détergents ménagers, les effluents toxiques des ateliers de galvanoplastie, les relargages d’hydrocarbures et de phénols des usines pétrochimiques, les évacuations de solvants usés des ateliers de peintures et vernis, les rejets de liqueurs noires des usines de pâte à papier, l'émotion fut à son comble. On découvrait « la grande pitié » de nos eaux de surface en France, en suspectant l'état non moins pitoyable de nos nappes

souterraines. Les enquêtes antipollution des Agences de Bassin rencontraient la désinvolture affichée de certaines entreprises à propos de leurs moyens expéditifs d'éliminer à leur manière leurs eaux résiduaires et leurs déchets. Les réflexions des pollueurs déconcertaient l'enquêteur le plus blasé (J. P. Buffle, SLEE, président de la Commission d'hydrologie AGHTM, 1979). De nombreux maires adoptaient la même attitude laxiste. Et chaque commune déversait inconsidérément les eaux usées brutes et les ordures ménagères dans le lit et sur les berges des rivières. L'eau était devenue fille publique (M. Sébastien, APRSA, 1986).

Depuis 1970, s'il est vrai qu'une sensibilité écologique collective s'est exprimée, que le « Ministère de l'impossible » — expression de R. Poujade qualifiant son ministère de l'Environnement — a été créé, nous dotant d'une législation constructive, s'il est vrai que des Agences prodiguant une assistance technique précieuse se sont mises à fonctionner — Agences financières de bassin hydrographique pour l'eau, ANRED pour les déchets, AFME pour la maîtrise de l'énergie, AQA pour la préservation de la qualité de l'air — et que la pollution des substances toxiques classiques commence à être bien contrôlée, il n'en demeure pas moins un décalage grave entre les bonnes résolutions actuelles et les effets néfastes, méconnus, à long terme des pratiques laxistes.

Certains croyaient déjà avoir « gagné la bataille de l'eau ». Il fallut déchanter. Globalement, si la pollution s'est sensiblement stabilisée sur la majorité des cours d'eau français, des accidents, de plus en plus nombreux et imprévisibles, se produisent qui annihilent, sur une courte période de temps, l'ensemble des efforts consentis. Il s'agit de pollutions accidentelles, à la charge le plus souvent des industriels, qui laissent échapper des hydrocarbures, dans le cas de figure le plus fréquent.

Quant aux stations d'épuration, on s'aperçoit que la permanence de l'épuration n'est pas assurée. Le parc national mérite une « révision déchirante » : des stations modernes à moins de 50 % de leur capacité de charge épurent suivant un rendement global de 77 % et sont raccordées pour 40 % à des réseaux de collecte d'eaux usées vétustes, obstrués et perméables. Le développement des méthodes de mesures, en continu et sur de longues périodes d'examen et de contrôle analytique, devait montrer les grandes irrégularités de la pollution résiduelle déversée à l'aval d'ouvrages d'épuration (Agence de l'Eau du bassin Nord-Artois-Picardie, 1986).

Bien que le dernier relevé national du bilan du traitement des eaux date de 1981, le fait que les investissements adéquats aient entre-temps régressé ne ménage que peu de surprises pour le bilan 1989. Mais la situation de l'assainissement en France, si elle est critique (M. Avril, président du CSNHP, Chambre Syndicale Nationale de l'Hygiène Publique, 1987), n'est pas désespérée. Les asservissements, les automatismes, l'instrumentation et l'informatique pénètrent en force aujourd'hui dans les techniques d'exploitation des eaux. En particulier, la détection des anomalies, en station d'épuration, sur les effluents bruts et épurés, s'obtient à l'aide d'équipements de contrôle susceptibles de déclencher l'autorégulation : débitmètre, rH et pH-mètres, sonde de température, oxymètre, conductivimètre, densimètre, DCO-mètre et analyseurs spécifiques de métaux, hydrocarbures, phénols, azote sous toutes formes… Attention ! Comme pour la gestion des déchets toxiques, la protection des sols et la surveillance de l'atmosphère, en contrôle et traitement d'eaux il ne sert à rien d'installer des équipements sophistiqués et très coûteux s'il n'y a pas de personnel compétent pour les faire fonctionner et les entretenir (G. Schneider, Centre de Formation à la Gestion de l'Environnement et des Ressources Naturelles, 1988).

Un air « pas comme il faut »

L'air a connu les mêmes mésaventures que l'eau. Il fut un temps, préhistorique, où fumée signifiait vie (comme le film « La guerre du feu » nous le rappelle, le feu ne restera-t-il pas la première conquête industrielle de l'homme ?). Au XIXᵉ siècle, la fumée bien noire sortant de l'usine était synonyme de prospérité. Les peintres, témoins de leur temps, s'ingéniaient alors à reproduire sur leurs toiles de maître, par de majestueuses volutes colorées, les éjections atmosphériques des ateliers, des fonderies, des locomotives et des villes. L'atmosphère ? Un exutoire céleste au pouvoir infini de dispersion pour gaz et fumées. Les panaches de fumées bien grasses

[Photo : Phénomène d’inversion thermique par effet de serre dû au gaz carbonique (Fig. 3)]

La haute atmosphère chargée exagérément de gaz carbonique (CO₂) se comporte comme les parois vitrées d'une serre de jardiniers et pépiniéristes, comme les cloches à melon et les feuilles plastiques des maraîchers et agriculteurs qui, transparentes à l'ultraviolet et aux longueurs d'onde du spectre visible, arrêtent par contre l'infra-rouge émanant du sol. Deux conséquences, à plus ou moins long terme, à cet effet de serre géographique : le risque d'inversion thermique en site urbanisé (la première grande hécatombe chimique s'ensuivrait, d'après R. Latarjet, directeur de l'Institut Curie), et le risque de fonte partielle des calottes polaires (submersion de nombreuses régions très peuplées du globe).

illustraient la société en marche. Des événements tragiques survenant dans des centres urbanisés et industrialisés firent changer d'avis. Fumées s'apparentaient à asphyxie. Des épisodes aigus et meurtriers de pollution atmosphérique eurent lieu de 1930 à 1970 (vallée de la Meuse en Belgique : 1930, Los Angeles : 1944, puis à San Francisco et Donora : 1948, Poza Rica au Mexique 1950, Londres : de 1952 à 1962, Yokohama au Japon à partir de 1955).

Il s'agissait alors d'agressions pathologiques intenses atteignant de plein fouet des sujets exposés à des niveaux élevés et subits de polluants dans l'air, sujets vivant dans une vallée encaissée bien industrialisée et urbanisée, ou bien dans une région subissant la stagnation de brouillards. L'hécatombe résultait d'une surmortalité et d'une submorbidité (accroissement des facteurs de maladie). L'intoxication collective était manifeste.

Dès le milieu de ce siècle, la pollution atmosphérique avait atteint une telle intensité que les cités industrielles commencèrent à être empestées par le phénomène de smog. On sait que ce mot est une contraction de « smoke », fumée, et de « fog », brouillard et que ce phénomène apparaît avec la persistance de masses d'air stationnaires sous lesquelles les polluants émis viendront s'accumuler (situation d'inversion thermique quand l'atmosphère proche du sol reste plus froide que celle d'altitude et situation d'anticyclone stable). Les populations concernées respirent alors cette atmosphère confinée, stagnante non renouvelée, plaquée en basse altitude et qui retient gaz et aérosols toxiques (figure 3).

On sait également qu'en fonction des polluants incriminés, les hygiénistes distinguent deux sortes de smog :

— le smog acide, porteur d'oxydes de soufre SO₂, de gaz chlorhydrique HCl, et poussières associées d'imbrûlés, typique de l'épisode londonien (1952 : exacerbation des troubles bronchitiques et d'insuffisance respiratoire), où l'anhydride sulfureux et les particules goudronneuses émis résultaient du brûlage de combustibles riches en soufre, charbons et dérivés pétroliers (exemple en France de smog acide : Lacq en 1972), l'alerte survient surtout en hiver,

— le smog oxydant, typique de Los Angeles (1948 : lésions de la sphère ORL, lésions cardiovasculaires et inflammatoires), renfermant des hydrocarbures diéniques, des oxydes d'azote NOₓ, de l'ozone O₃, des nitrates de peroxyacyles type PAN : R-CO-O-O-NO₂, en provenance du trafic routier, des industries chimiques et pétrolières (exemple en France de smog oxydant : Nice en 1975) ; l'alerte survient surtout en été.

Les pouvoirs publics se sont très tôt attachés à réduire les émissions fixes et mobiles par le biais de mesures réglementaires et incitatives car les réclamations contre les fumées abusives sont fort anciennes. Elles coïncident en France avec l'introduction au XVIᵉ siècle du charbon de terre dans l'industrie, lignite et tourbe. Il faudra tout de même attendre, si l'on en croit l'historique de la salubrité publique, le début du XIXᵉ siècle pour que des réglementations constructives soient promulguées. C'est le décret impérial du 15 octobre 1810 qui s'attaque aux manufactures et ateliers répandant une odeur insalubre et incommode, ancêtre de la loi fondamentale du 19 décembre 1917 maintes fois remaniée, et qui institue le premier Service des établissements classés. C'est aussi l'ordonnance royale du 14 janvier 1815 réglementant ces établissements et leur fumivorité. La réglementation actuelle découle de la loi du 19 juillet 1976 sur les installations classées et des programmes sectoriels de dépollution élaborés en fonction des directives CEE.

En prévention d'épisodes aigus de pollution atmosphérique évoqués précédemment, l'analyse des enquêtes épidémiologiques devait déceler une corrélation entre la morbidité par emphysème, bronchite et les valeurs des indices de base de pollution atmosphérique acidité forte-poussières fines (tests SO₂-fumées noires), liées aux conditions météorologiques et microclimatiques. À la suite de travaux systématiques, des relations causales étaient également établies entre le taux de mortalité par cancer du poumon et la consommation de charbon domestique entraînant la dispersion de goudrons cancérigènes contenant le redoutable 3,4-benzopyrène. Depuis, la présence constante dans les atmosphères urbaines de composés toxiques et mutagènes expérimentaux avérés (aldéhydes type aldéhyde formique HCHO, diènes type butadiène CH₂=CH-CH=CH₂, HPA : hydrocarbures polyaromatiques, type benzanthracène...), et la démonstration que les extraits particulaires atmosphériques prélevés en zone urbaine se révélaient génotoxiques pour les animaux-cobayes, sont deux constats qui demeurent singulièrement préoccupants (AQA, Rapport d'activités, 1983).

Car à côté de la pollution atmosphérique aiguë, déterminant des épisodes d'intoxication immédiate, existe une pollution atmosphérique chronique, insidieuse, à petites doses où la synergie des polluants peut exalter leur agressivité spécifique. Ainsi les amines primaires RNH peuvent réagir avec le formaldéhyde pour créer une amine secondaire RNHCH₂, précurseur de nitrosamine cancérigène RNH(NO)CH₂O en présence d'oxydes d'azote NO₂ (A.M. Siouffi, ECM, 1985). De même, le bis-chlorométhyl éther (ClCH₂)₂O, cancérigène puissant chez l'homme, auquel il induit le cancer des bronches, prend naissance avec le chlorométhyl-méthyléther H₃C-O-CH₂-Cl, également cancérigène, par contact du formaldéhyde avec l'acide chlorhydrique, deux polluants fréquents de l'atmosphère (A. Picot, CNRS, 1983).

On a souvent diagnostiqué des « maladies de civilisation » dans l'étiologie desquelles d'autres facteurs psychosomatiques jouent et ajoutent un rôle considérable (traumatisme affectif, stress, insécurité, surmenage, insomnie, inactivité, dépendance aux drogues et médications...). On peut alors se demander, non sans quelque raison, si les micropollutions de l'environnement n'interviennent pas, pour une part notable, dans le destin de ces maladies (Pr R. Lemaire, CHU, 1975).

Que faire ? Il ne suffit point de parler en poète outragé... On perd de vue la véritable nature du problème qui n'est pas de charger d'anathème tous les pollueurs que nous sommes, mais bien de voir si nous avons les moyens et la volonté de concourir à un nouvel état d'équilibre du milieu qui conditionne notre vie. La bonne qualité de l'eau, comme celle de l'air, est l'un des aspects de ce nouvel équilibre (J.P. Buffle, SLEE, 1979). L'homme modifie la composition de l'atmosphère, celle des eaux, la nature des sols, la couverture végétale. Il induit des processus qu'il ne maîtrise pas, qu'il ne comprend pas parfaitement et dont il ignore l'aboutissement précis. « Attention danger ! ». « Il nous faut concilier environnement, économie et développement puis imposer, au service de cet objectif, la mobilisation de toutes nos capacités technologiques » (H. Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie, 1989).

Michel MAES

Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements