D’autre part, certains procédés de fabrication nécessitent un ajustement rigoureux du pH des produits.
Dans le premier cas, on utilisait traditionnellement des acides forts minéraux tels que HCl, H₂SO₄ et HNO₃, mais qui ne sont pas sans présenter d’inconvénients ; dans le second cas, les acides forts ne peuvent convenir s’il s’agit de produits alimentaires ou si le pH doit être réglé de manière précise.
Nous verrons ci-après comment l’emploi du gaz carbonique permet de résoudre ces problèmes, notamment en matière de reminéralisation d’eaux potables.
NEUTRALISATION DES EAUX
Quelques principes théoriques
L’anhydride carbonique ou gaz carbonique se combine à l’eau pour donner l’acide carbonique :
H₂O + CO₂ → H₂CO₃ (1)
La combinaison d’une molécule de CO₂ suivant la réaction (1) produit un diacide dont les équilibres de dissociation sont les suivants :
H₂CO₃ ⇌ HCO₃⁻ + H⁺ (2)
HCO₃⁻ ⇌ CO₃²⁻ + H⁺ (3)
Dans la mesure où l’on ne recherche pas des pH très acides (pH de l’eau distillée à 25 °C saturée en CO₂ = 3,8), les propriétés chimiques de l’acide carbonique peuvent être utilisées au même titre que celles des acides forts.
Exemple
Neutralisation d’une solution de soude 0,1 N, soit 4 g de NaOH par litre dont le pH théorique est de 13 :
L’addition de CO₂ à cette solution conduit dans un premier temps à la formation de carbonate de sodium, suivant la réaction :
2 NaOH + CO₂ → Na₂CO₃ + H₂O
pH 13 → pH 11,6
La consommation de CO₂ est alors de 0,55 g par gramme de NaOH.
Si l’addition de CO₂ est poursuivie, elle conduit à la formation de bicarbonate de sodium :
Na₂CO₃ + CO₂ + H₂O → 2 NaHCO₃
pH 11,6 → pH 8,3
La consommation de CO₂ est la même que précédemment, soit au total 1,1 g de CO₂ par gramme de NaOH, donc, par litre de solution :
4 g × 1,1 = 4,4 g
On se trouve ainsi dans les limites imposées par la norme.
[Photo : Fig. 1 — Courbes de neutralisation d’une solution alcaline de soude (1 N)]
Les avantages du CO₂
Ils sont de trois sortes :
Sécurité d'utilisation
Le CO₂ ne devient actif qu’après dissolution dans l'eau; employé seul il est inerte et non corrosif. Par conséquent son stockage et sa mise en œuvre ne présentent aucun risque, contrairement aux acides forts, dangereux pour le personnel et corrosifs pour les matériels.
Régulation précise du pH
D'une part, compte tenu des faibles dosages utilisés (généralement compris entre 0,1 et 10 g par litre de liquide), le CO₂ sous forme gazeuse permet un dosage beaucoup plus précis que les acides forts sous forme liquide ; d’autre part, le CO₂ présente une courbe de neutralisation à pente douce alors que celle des acides forts est très abrupte de part et d’autre de la neutralité. Les courbes de la figure 1 montrent bien l'intérêt du CO₂ par rapport à un acide fort : un simple écart de dosage inférieur à 0,1 mole fait passer le pH de 12 à 1 avec un acide fort et de 9,5 à 7,5 seulement avec le CO₂. Par ailleurs, le CO₂ permet dans tous les cas une régulation précise du pH. Cet avantage est déterminant lorsqu’il s'agit par exemple d’ajuster le pH d'un liquide alimentaire à 1/100 d’unité près : il facilite la neutralisation des effluents industriels dans la plage autorisée 5,5-8,5 et dans laquelle précisément une très faible quantité d’acide fort fait varier le pH de manière considérable ; il évitera en conséquence tout risque de suracidification dangereuse pour les ouvrages et les égouts.
Hygiène et environnement
Le CO₂ est couramment utilisé dans l’industrie alimentaire : boissons gazeuses, conservation des vins, refroidissement et surgélation des produits. Son utilisation peut donc être envisagée pour l’ajustement du pH des liquides alimentaires.
En ce qui concerne la neutralisation des effluents, les sels produits par les acides forts sont généralement indésirables, soit qu'ils peuvent, par combinaison, donner naissance à des produits nocifs, soit qu’ils entraînent des phénomènes d’eutrophisation des réceptacles naturels. Par contre, avec le CO₂, les alcalis tels que la soude, le carbonate de sodium, la chaux dissoute, sont transformés en bicarbonates neutres.
Consommation de CO₂
Elle s’exprime par grammes de CO₂ par litre de liquide à traiter. D'une manière générale, en l’absence d'effet tampon, la neutralisation d’un effluent alcalinisé par une base forte sera obtenue par addition d’une mole de CO₂ par ion-gramme de OH⁻. La concentration en OH⁻ par litre de liquide (C₍OH⁻₎) détermine le pH suivant la relation :
pH = 14 − log C₍OH⁻₎
Donc, connaissant le pH, on peut en déduire la C₍OH⁻₎.
Exemple
Si le pH d’un effluent est 13 :
log C₍OH⁻₎ = 14 − 13 = 1, d’où C₍OH⁻₎ = 0,1
Il faudra donc 0,1 mole de CO₂ pour neutraliser un litre d’effluent, soit 44 g × 0,1 = 4,4 g/l.
Une nouvelle technique
Une réaction gaz-liquide se réalise dans un réacteur, c'est-à-dire un appareil permettant de créer la surface de contact nécessaire entre les deux phases et d’assurer un temps de contact suffisant.
Nous avons mis au point à cet effet le Carbostat (voir figure 2), réacteur à serpentin constitué d’une série de tubes verticaux reliés par des courbes, le dispositif d’injection du gaz étant situé à la partie inférieure du premier tube.
[Photo : Le carbostat.]
Cet appareil présente les avantages suivants :
- adaptation aux différents débits, aux temps de réaction nécessaires ;
- construction relativement simple permettant l’utilisation de matériaux bien adaptés à chaque cas (PVC, PP, PE, acier, inox) ;
- possibilité d’adaptation aux dispositions locales et possibilité de modifications ultérieures si nécessaire ;
- souplesse d'utilisation grâce à une plage de débits s’établissant dans un rapport 1 à 3.
- – vitesses relativement élevées permettant le traitement de liquides contenant des matières en suspension ;
- – facilité de nettoyage pour les liquides susceptibles de créer des dépôts (cas de l’eau de chaux).
Il est à noter que dans certains cas une canalisation ou un circuit existants peuvent éventuellement faire office de réacteur dans la mesure où les différents paramètres régissant le transfert sont convenables : vitesse du fluide, rapport de débits gaz/liquide, temps de contact. Ces cas sont exceptionnels et doivent être spécialement examinés.
LA REMINÉRALISATION DES EAUX POTABLES
Une eau équilibrée grâce au CO₂
Les eaux naturelles contiennent le plus souvent du gaz carbonique, soit sous forme libre, soit sous forme combinée (carbonates et bicarbonates), qui se répartit comme suit :
[Photo : Diagramme de répartition du CO₂]
L’équilibre carbonique de l’eau, c’est-à-dire l’équilibre entre l’anhydride carbonique, les carbonates et les bicarbonates, constitue l’élément essentiel pour éviter l’agressivité de l’eau vis-à-vis des matériaux constituant les canalisations du réseau de distribution.
Cette agressivité de l’eau vis-à-vis des canalisations qui la distribuent entraîne en effet un phénomène de corrosion, et pour le combattre, il est nécessaire de créer une couche protectrice de carbonate de calcium, en utilisant la réaction suivante qui se produit en présence de chaux que l’on ajoute à cet effet :
Ca(OH)₂ + H₂CO₃ ⇨ CaCO₃ + 2 H₂O
Cependant, cette couche ne peut se former que si la minéralisation de l’eau est suffisante, c’est-à-dire si le TH et le TAC sont supérieurs à 8° pour des eaux ayant de faibles teneurs en sulfates et en chlorures et à 12° lorsque la salinité est plus élevée. Or, il est fréquent de rencontrer dans les régions granitiques des eaux très douces avec un TH et un TAC inférieurs aux valeurs citées ci-dessus. Pour assurer cette reminéralisation, on doit alors introduire dans l’eau à la fois du gaz carbonique et de la chaux, en y ajoutant, par degré TAC à corriger, 8,8 mg de CO₂ et 5,6 mg de CaO par litre.
* * *
Le type de stockage nécessaire pour l’utilisation de l’anhydride carbonique est fonction des besoins (bouteilles, bonbonnes ou citernes).
En aval du stockage, le matériel de mise en œuvre est simple : Carbovapor (système de vaporisation de l’anhydride carbonique liquide), détendeur, réglage de la mesure de débit.
CONCLUSION
L’anhydride carbonique, stocké à l’état liquide, utilisé à l’état gazeux, permet en toute sécurité, avec souplesse et une grande précision, de neutraliser les effluents basiques afin de restituer une eau dont le pH est compris entre 5,5 et 8,5.
En potabilisation, afin d’éviter la corrosion des canalisations, une addition de chaux et d’anhydride carbonique permet de remonter le TAC à des valeurs compatibles avec une passivation des conduites.
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