Dans les eaux traitées issues d’une installation de potabilisation d’eau de surface comprenant en particulier les étapes de coagulation, floculation, décantation, et filtration, les concentrations résiduelles en aluminium sont déterminées par la solubilité du précipité d’hydroxyde, la complexation éventuelle avec certaines matières organiques ou minérales et par l’efficacité de la rétention des particules lors de la filtration.
L’étude dont nous présentons ci-après les résultats avait pour ambition d’approfondir le contrôle et la maîtrise de la « fuite » en aluminium particulaire qui se produit occasionnellement dans certaines installations :
- le contrôle par la recherche d’une corrélation ; teneur en aluminium particulaire - turbidité,
- la maîtrise de la fuite en aluminium par des essais de milieux filtrants mono-couche constitués de matériaux différents (sable, charbon actif, alumine), en grandeur réelle ou sur installations pilotes.
Le contrôle de la qualité des eaux filtrées : aluminium particulaire et turbidité
Bien que la turbidité soit une mesure optique résultant de phénomènes de diffusion liés à des paramètres physiques (angle d’observation, longueur d’onde de la lumière incidente, taille des particules...), il était souhaitable de vérifier si dans une installation un turbidimètre peut assurer de façon satisfaisante la détection d’une teneur trop élevée en aluminium particulaire, et si une relation simple pouvait refléter (avec une tolérance acceptable) cette teneur.
Cette étude a été conduite sur plusieurs saisons dans une usine de traitement d'eau de rivière de minéralisation moyenne, où était mis en œuvre un taux habituel de sulfate d’alumine de 45 g/m³. La filtration était réalisée sur des filtres à sable à une vitesse légèrement supérieure à 6 m/h. On s'est particulièrement intéressé aux premières heures des cycles de filtration lorsqu’après lavage les concentrations en aluminium résiduel sont en augmentation.
À titre d’exemple, lors du traitement d'une eau assez froide en novembre et décembre (température décroissante de 13 à 8 °C), les corrélations linéaires suivantes ont été obtenues, avec un degré d’ajustement satisfaisant :
T = 1,49 Al + 0,156,
T = turbidité en NTU,
Al = concentration en aluminium total en mg/l,
Coef. de corrélation = 0,96.
Si l'on déduit la part liée à l’aluminium présent sous forme dissous (0,035 + 0,05 mg/l) l’équation devient :
T = 1,549 Alp + 0,209
Tableau I
Composition chimiquede divers matériaux de filtration
Origine – Composition en % | A | B | C | D | E |
SiO₂ | 99 | 97,1 | 88 | 0,02 | — |
Al₂O₃ | 0,3 | 0,97 | 7,5 | 95 | — |
Fe₂O₃ | 0,19 | 0,60 | 1,02 | 0,04 | — |
TiO₂ | 0,05 | 0,05 | 0,75 | 0,01 | 5 |
CaO | 0,10 | 0,21 | 0,75 | — | — |
K₂O + Na₂O | 0,20 | 0,68 | 1,9 | 0,6 | — |
Pertes au feu | 0,1 | 0,26 | 0,60 | 4 | 95 |
A : Silice et kaolin – Barbières.
B : Filterzan Wessen b.v.
C : Sable et graviers de Loire-Decize.
D : Alumine activée – Rhône-Poulenc.
E : Charbon actif – NORIT-ROW 0,8 Supra.
Tableau II
Caractéristiques physiquesdes divers matériaux de filtration
Origine | C | D | E |
Diamètre moyen ou taille effective (mm) | 0,95 | 2,5 | 0,8 |
Densité apparente | 1,45 | 0,77 | 0,42 |
Densité réelle | 2,56 | 2,71 | 1,80 |
Pourcentage de vide (%) | 43,4 | 71,4 | 76,7 |
Surface BET (m²/g) | 0 | 300 | 900 |
Volume poreux (cm³/g) | 0 | 0,4 | 0,5 à 1 |
Diamètre moyen des pores (Å) | 0 | 30 | 20 à 200 |
Tableau III
Encrassement résiduel après lavageÉléments extractibles par lavage complémentaireeffectué au laboratoire (en g par m² de filtre)
Éléments | Sable Usine A | Sable Usine C | Charbon actif |
MES | 500 à 550 | 270 | fines CA |
Al(OH)₃ | 100 à 250 | 96 | 50 à 100 |
MnO₂ | 60 à 80 | #0 à 11 | — |
Fe(OH)₃ | 9 à 13 | 7 | 5 à 15 |
Insolubles à HCl | 80 à 160 | 200 | fines CA |
Tableau IV
Attachement « chimique » sur la surface du matériauÉléments extractibles par HNO₃ sur les matériaux lavés
Éléments | Sable | Charbon actif | Anthracite |
Aluminium– en g/kg de matériau | 2,0 | 3,7 | 2,6 |
– en g/m² de filtre | 2 800 | 1 200 | — |
Manganèse– en g/kg de matériau | 1,7 | 0,2 | 2,6 |
– en g/m² | 2 300 | 70 | — |
Fer– en g/kg de matériau | 1,6 | 1,5 | 7,6 |
– en g/m² | 2 200 | 500 | — |
(Alp : concentration en aluminium particulaire, en mg/l).
Ces équations reflètent bien une réalité :
• La qualité des eaux filtrées est satisfaisante lorsque la turbidité est inférieure à 0,2 NTU ;
• Il existe bien un « parallélisme » des courbes représentatives des valeurs de turbidité et des teneurs en aluminium.
Cependant, ces équations diffèrent sensiblement de celles obtenues en d'autres lieux ou en d'autres saisons : cette relation linéaire n'est en effet possible que si la part de la turbidité mesurée liée à des particules d'autre nature (argile, hydroxyde de manganèse) reste pratiquement constante. Le « parallélisme » noté permet néanmoins d'apprécier la valeur de l'accroissement de turbidité pouvant être interprétée comme une fuite de particules d'hydroxyde d'aluminium dans les eaux filtrées : cet accroissement serait de l'ordre de 0,1 à 0,2 NTU par rapport aux turbidités minimales notées à mi-cycle de filtration, lorsque la teneur en aluminium particulaire augmente de 0,1 mg/l. La détection de tel écart de turbidité nécessite la mise en œuvre de turbidimètres de qualité, en particulier sans dérive lente.
Recherche d'une meilleure rétention lors de la filtration
L'influence de la nature du matériau sur la rétention de l'hydroxyde d'alumine a été testée en mettant en œuvre des matériaux de richesse variable en silice et en alumine. Les caractéristiques de ces milieux filtrants sont présentées dans les tableaux I et II.
Évolution des milieux filtrants
Le milieu évolue au cours d’un cycle de filtration, et en fonction de l'âge du filtre. Les encrassements résiduels après lavage habituel (lavage à contre-courant air et eau) ont été examinés (tableau III).
La surface des grains se recouvre également d’oxyde métallique et il est observé une différence marquée selon la nature du support (tableau IV). En particulier, il est noté que les oxydes de manganèse se fixent très bien sur l'anthracite, bien sur le sable, et très peu sur le charbon actif. Les oxydes d’aluminium se fixent cependant bien sur la surface du charbon actif.
Comparaison des performances
Les variations des turbidités, des teneurs en aluminium et celles en carbone organique total ont été suivies.
Les résultats peuvent être synthétisés comme suit :
• turbidité : pour les eaux filtrées sur des filtres garnis de sable ou de charbon actif, l’abattement par rapport à l'eau décantée est voisin de 77 % ; cet abattement n’est que de 66 % en moyenne sur le filtre garni d’alumine. La turbidité s’améliore au cours du cycle de filtration, mais elle reste toujours légèrement supérieure à celles des eaux issues des autres filtres ;
• teneurs en aluminium : pendant les dix premières heures de filtration, la teneur en aluminium des eaux issues du filtre garni en alumine est élevée (150 à 250 µg/l) et dépasse parfois celle des eaux décantées. L'alumine neuve donne lieu à un relargage. Par la suite, après 20 heures de filtration, la teneur devient inférieure à 50 µg/l, sans toutefois atteindre les performances des autres filtres (10 à 20 µg/l) ;
• teneurs en matières organiques : pour une teneur en COT de 2,5 à 2,8 mg/l en eau décantée, les abattements en COT ont atteint en moyenne de 20 % à 30 % lors de la filtration sur alumine. La filtration sur sable dans le même temps donnait lieu à un abattement de 15 % environ et celle sur un charbon actif usagé à un abattement également de 20 % à 30 % (le charbon actif neuf permet d’obtenir en début d'utilisation un abattement de l’ordre de 80 %).
Qualité des premières eaux filtrées faisant suite au lavage
L’étude des eaux filtrées effectuée au début des cycles de filtration s’est poursuivie en examinant l’influence de deux lavages successifs.
L’évolution des teneurs en aluminium dans les eaux filtrées sur charbon actif granulé après lavage (un lavage ou deux lavages successifs) et sur sable a été suivie, et la comparaison des résultats permet de faire les constatations suivantes :
• les premières eaux, filtrées pendant 15 à 20 minutes, présentent une teneur moindre en aluminium après deux lavages successifs, remarque qui tend à démontrer que le « pic » observé dans le cas d’un lavage unique serait lié à un état d’encrassement résiduel au sein du massif filtrant ;
• après 25 minutes environ, temps correspondant à la filtration en flux piston des eaux décantées, la teneur en aluminium est par contre plus forte et se maintient à une valeur élevée pendant les premières heures, ce qui correspond à une phase de mûrissement plus lente. La teneur en aluminium correspondant à la moyenne des teneurs de l'ensemble des filtres de l’usine ne sera atteinte qu’après trois heures de filtration. Les teneurs de matières en suspension résiduelles dans le filtre relevées après un ou deux lavages successifs ne sont cependant pas nettement différentes. Plus qu’à un encrassement résiduel plus ou moins important en poids, les différences seraient davantage liées à un bouleversement et à un broyage plus ou moins accentués de l’hydroxyde d’aluminium ;
• le sable reste le matériau le mieux adapté au garnissage d’un filtre en premier étage de filtration.
Conclusion
La teneur en aluminium résiduel des eaux de surface traitées à l’aide de sulfate d'alumine concerne, d’une part, la forme soluble, et la forme particulaire d’autre part.
La fraction particulaire peut être chiffrée par une mesure de la turbidité, qui est une mesure simple, éprouvée, et continue. La corrélation linéaire entre turbidité et teneur en aluminium particulaire a été établie pour une eau donnée, pendant une période donnée, avec un degré d’ajustement satisfaisant. L’accroissement de la turbidité de 0,2 NTU correspond à une augmentation, de 0,1 mg/l environ, de la teneur en particules d’hydroxyde d’aluminium.
En aval d’un décanteur, les milieux filtrants mono-couches utilisés habituellement sont constitués de sable, ou éventuellement de charbon actif granulé. La composition chimique des sables de diverses origines révèle des différences, en particulier en ce qui concerne les teneurs en alumine, et en oxydes d’éléments alcalins.
Cette étude a mis en évidence l’évolution de la composition de la surface des grains du matériau mis en œuvre. Les teneurs en oxydes métalliques à la surface évoluent avec l’âge du massif filtrant et tendent vers une limite. Il se fixe, par kg de sable d’aluminium, environ 2 g de fer, et de manganèse sous forme d’oxydes. Sur d’autres matériaux, charbon actif et anthracite, les évolutions sont différentes.
La composition chimique de la surface des grains du massif filtrant ne modifie pas de façon sensible les performances du filtre quant à la rétention des particules.
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