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L'air des mégapoles

30 mai 1990 Paru dans le N°137 à la page 24 ( mots)
Rédigé par : Michel MAES

L’Appel de La Haye... Un an déjà. En mars dernier, 24 pays de moyenne puissance et pays en voie de développement lançaient un appel solennel aux Nations du Monde pour protéger l’atmosphère du Globe. Deux idées novatrices s’y distinguaient :

• « La défense de l’environnement se classe parmi les enjeux planétaires de première urgence, “Il faut que l’Écologie colore la pensée industrielle, la pensée fiscale et la pensée commerciale” » (Michel Rocard, « L’Express » du 11/08/1989),

• L’Appel de La Haye constitue la toute première revendication d’une autorité mondiale sur la gestion du droit à la survie dans un environnement salubre.

Des villes asphyxiées

Pourquoi un tel émoi ? C’est que les mégapoles d’Europe, d’Asie ou d’Amérique s’approprient et cumulent les records de pollution atmosphérique (figure 1). Évoquons seulement quelques grandes agglomérations européennes.

[Photo : sans légende]

À Athènes, le « Nefos » flotte sur la ville. D’après l’étude OCDE datant de 1980, l’atmosphère estivale y devient toxique et le triplement saisonnier de la teneur en SO₂ entraîne un doublement des hospitalisations en pathologie respiratoire et cardiovasculaire (migraines, bronchites chroniques, insuffisances cardiaques, anémies et cancers touchant surtout les enfants et les personnes âgées, selon une mortalité augmentée de 800 décès par saison). Des mesures draconiennes entendent combattre le Nefos : horaire de travail continu (et suppression de la sieste traditionnelle !) pour réduire le trafic automobile, régulation des transports en commun et incitation au déménagement des industries polluantes implantées dans Athènes.

Katowice, capitale polonaise de la Haute Silésie, ressemble à une série d’agglomérations bâties autour des mines de charbon. La « voïvodie » (région) de Katowice, où vit un dixième de la population sur 2 % de la surface du pays, est en permanence saupoudrée de 280 500 t de poussières toxiques par km² et par an (longévité réduite de 3 à 5 ans et taux de mortalité infantile près de deux fois supérieur à la moyenne nationale, 30 % des forêts silésiennes affectées par les pluies acides). En Pologne, il y a aussi Legnica et ses mines de cuivre, Cracovie et sa production d’aluminium. Certes, la catastrophe de Tchernobyl a accéléré la prise de conscience des autorités pour le risque majeur industriel, mais « les conséquences de cet accident, pour dramatiques qu’elles soient en Pologne, restent infiniment moins graves que les méfaits quotidiens de la pollution non-nucléaire » déclarait en 1986 le corps médical de Varsovie.

En URSS, la glasnost a révélé aux Soviétiques l’ampleur du désastre écologique : à Moscou, mais aussi dans 103 villes réunissant 40 millions d’habitants, dont Nievstrovsk en Ukraine, Kouzbass en Sibérie occidentale et Erevan, capitale d’Arménie, où le niveau de pollution atmosphérique est dix fois plus élevé que le seuil toléré (V. Sokolovski, Ministère de la Protection de l’Environnement « Goscompriroda »/N° HS de « Libération » du 22 juin 1989). À Soumgait, capitale de la chimie lourde en Azerbaïdjan, de nombreux enfants contaminés accusent des lésions psychosomatiques invalidantes (Magazine « Envoyé Spécial » sur l’A2, de P. Nahon du 25 janvier 1990) (1)

(1) Les villes de Scandinavie en ont le contrecoup et subissent plutôt une pollution transfrontalière. L’EMEP, programme européen pour la mesure et l’évolution du transport à longue distance des polluants atmosphériques, déterminait que pour 1984, sur les 462 kt de SO₂ planant au-dessus de la Finlande, l’URSS et l’Europe de l’Est exportaient 164 kt de SO₂ pour une émission finlandaise de 120 kt de SO₂.

En France, sans atteindre ces taux de pollution exacerbés, une série de points urbains sensibles sont repérés pour leur aptitude au dépassement des valeurs limites :

— en SO₂-fumées (législation 80/779/CEE du 15 juillet 1980), par exemple : Vitry-sur-Seine (région parisienne), Gardanne-Biver (région marseillaise) N-D de Gravenchon (région havraise), Port-de-Bouc (région Fos-Berre), Montbéliard dans le Doubs, Noyelles-Godault (région lensoise), Petit-Couronne (région rouennaise) et Thann ;

— en NO₂ (législation 85/253/CEE du 7 mars 1985), par exemple : Grands-Puits en Île-de-France, Montoir-de-Bretagne, Chasse-sur-Rhône (région Rhône-Alpes), Ottmarsheim et Chalampé (région alsacienne) ;

— en SO₂-fumées et NO₂, des agglomérations industrialisées cumulant les excès comme Lyon, Strasbourg, Le Havre, Marseille, Toulouse, Grenoble et Carling (U.M. Lecluse, Bureau de la Surveillance de la Qualité de l’Air, Secrétariat d’État chargé de l’Environnement — Revue TSM 10/1989) (2).

La riposte technologique

Soulignons que le paramètre SO₂-fumées a perdu une grande partie de son rôle de traceur et d’indicateur de pollution atmosphérique du fait de la réduction bénéfique des émissions soufrées de combustibles. Cet effacement majeur laisse place à une multitude de polluants en quantités moindres, dont certains sont concernés par la législation européenne, tels que NO₂ et Pb (Directive 82/884/CEE du 3 décembre 1982). Cependant, en France, la plupart des réseaux de surveillance et d’alerte, réunissant près de 2 000

(2) En pleine « Semaine de l’Architecture », il n’est pas superflu de rapporter les mots d’ordre écologique des XIᵉˢ rencontres nationales des Agences d’urbanisme, organisées par la FNAU et l’IAURIF, sur le thème « Villes en projet » (27-30 mars 1990 à l’Hôtel Nikko à Paris, en présence du Premier Ministre Michel Rocard, du Ministre de l’Équipement Michel Delebarre, du représentant de la Mission Interministérielle Y. Dauge, du Président du Conseil Régional de l’Île-de-France P.C. Krieg, et des personnalités politiques comme J. Chaban-Delmas et J-P. Fourcade...). Leurs réflexions sur les politiques urbaines et les projets d’agglomération intègrent de plus en plus des sujétions d’environnement.

[Photo : Fig. 1 : Principaux polluants atmosphériques.]

SOURCES

DÉNOMINATION | CARACTÉRISTIQUES | SOURCES PRINCIPALES
SO₂ | Polluant le plus caractéristique des agglomérations.
Dioxyde de soufre (hydroxyde sulfureux) | Il provient essentiellement de la combustion des huiles et du charbon ; en brûlant ces combustibles contenant du soufre, ils libèrent ce soufre qui se combine avec l’oxygène de l’air pour former le SO₂.
NOₓ | Gaz émis principalement par les moteurs des véhicules automobiles, les installations de combustion et les ateliers d’acide nitrique.
Oxydes d’azote |
P-M | Particules solides en suspension dans l’air provenant de la combustion ou de certains procédés industriels (cimenteries, engrais…).
Poussières – Fumées noires |
HC | En zone urbaine, la circulation automobile joue un rôle important dans l’émission de poussières.
Hydrocarbures | La combustion incomplète des carburants dans les moteurs des véhicules est à l’origine d’émissions de vapeurs d’hydrocarbures. Des rejets importants sont également dus aux bacs de stockage de pétrole (raffineries, stations-services…).
CO | Il provient essentiellement du fonctionnement des véhicules à moteur à explosion.
Monoxyde de carbone |
HCl | Résulte de la combustion par les usines d’incinération des matières plastiques contenues dans les déchets ménagers (PVC).
Acide chlorhydrique |
Pb | Métal toxique.
Plomb | Émis essentiellement par l’industrie de l’aluminium, mais aussi au cours de la fabrication des engrais, des verres et de la combustion du charbon.
HF | Gaz très toxique dont les émissions sont liées à l’industrie de l’aluminium, la fabrication des engrais, le traitement du minerai d’uranium, le bois, la pâte à papier, le raffinage du pétrole.
Fluor |
Odeurs | Vocabulaire désignant la perception par les narines de diverses substances variées ; émises par de nombreuses industries ou par les stations d’épuration, souvent fortement ressenties par la population, elles correspondent rarement à des émissions toxiques.

Les appareillages de mesure répartis sur le territoire, principalement dans les agglomérations et près des zones industrialisées, s’intéressent à des polluants plus spécifiques : CO, NH₃, HC, O₃, HF et HCl. Des stations, dites « multipolluants », chacune mesurant en continu simultanément et automatiquement en un même point de nombreux polluants de l’air, sont mises en service dans de nombreux sites : Paris, Lille, Dunkerque, Strasbourg, Rouen, Le Havre, Toulouse, Nantes, Caen, Montpellier, Lyon, Marseille, Nice, Sète, Aix-en-Provence, Port-de-Bouc. On s’oriente actuellement vers la saisie spécifique des HC, hydrocarbures non méthaniques et aromatiques polynucléaires en phase gazeuse et fixés sur les aérosols, des micro-polluants organiques et minéraux, en particulier ceux qui contiennent des métaux lourds réputés toxiques, tels que Cd, As, Cr, Ni, Be, Se, Pb, Hg… (R. Leygonie, CITEPA, J.-R. Delandre, APPA, Revue TSM 4/1989).

On se doute que les réseaux de mesure de la pollution atmosphérique, qui sont gérés par des associations du type Loi de 1901 en France, nécessitent un équipement analytique sophistiqué présenté par une éco-industrie très performante. C’est, par exemple, le cas des sociétés : Environnement S.A. et Seres (pour Airparif surveillant la qualité de l’air de l’agglomération parisienne), Techmation, Alcatel-CETT (pour Airfobep, Cosma, Ditecg, Ecom S.A., Chavonin Centre), Draeger-Brandt, Pillard, Remtech, See Mathieu, Neotronics Technology, Oldham France S.A., Contrôle Bailey, Schaeffer Techniques, Sick Optique Électronique, Autochim, GiatMas S.A., Bionics Unimate, Combustion Engineering Europe, Delsi-Nermag.

Constructeurs d’appareils de mesure et de contrôle de la pollution de l’air ayant dans leur gamme de fabrication des appareils agréés par le Ministère de l’Industrie, en application des arrêtés des 20 juin 1975 et 29 avril 1977 (d’après « Guide de la Sécurité des Entreprises et des Collectivités » du C.N.P.P. – 12/1989).

Techmation, filiale du Groupe REA (Radio Équipement Antares), présente actuellement, à l’occasion d’une démonstration dans onze grandes villes de France, ses matériels Chemtronics, Dohrmann, Lachat Instruments, Turner Designs, Texas Nuclear, Bodenseewerk Perkin Elmer, Scintrex, CSI, Westinghouse et Outokumpu pour le contrôle de l’environnement. La séance de Paris du 26 mars 1990 a été unanimement appréciée.

[Photo : Fig. 2 : Indices géographiques de mortalité par cancer de l’œsophage et du poumon d’après le programme « L’Europe contre le cancer » de la Commission des Communautés Européennes, 01/1989. (Cartographie établie pour la CEE par le Centre international de recherche sur le cancer.)]

Chessel France *, Du Pont de Nemours France S.A., Foxboro France S.A., Hartmann & Braun France *, Roxchimie S.A. *, ADS *, Icare, Zellweger, M.S.A. France *, Philips Industrielle et Commerciale S.A. *, Servomex France, Siemens S.A. *, Steacma, Jumo Regulation *, VG Instruments, Recomat *, Sereg-Schlumberger *, Taylor Instrument France *, Omnium Technique Industriel *… énumération non exhaustive qui témoigne de la vigueur du marché.

Du point de vue préventif, de nouvelles mesures de dépollution (politique de désulfuration des grandes installations, « voiture propre » européenne, programme de réduction des hydrocarbures) doivent progressivement prendre le relais dans la voie d’une amélioration accrue et permettre notamment une réduction de 30 % des émissions d’hydrocarbures (2 310 kt HC/an en France, dont 38 % dus à l’automobile), entre 1985 et l’an 2000, ainsi que de 30 % des rejets de NOx (1 615 kt NOx/an en 1988, dont 75 % dus à l’automobile), entre 1980 et 1998. La réduction des émissions de SO₂ (1 230 kt SO₂/an en 1988), considérées comme responsables aux deux tiers de la pollution par les « pluies acides », devrait limiter favorablement le phénomène du dépérissement forestier. Quant aux rejets d’acide chlorhydrique HCl (dont 42 kt/an, au minimum, sont attribués aux installations d’incinération d’ordures ménagères qui concourent pour 10 % à l’acidité des pluies), ils seront diminués par la mise en conformité à la législation européenne (Directive européenne n° 89-429 CEE du 21 juin 1989) (Données économiques de l’Environnement 1989).

Des polluants toxiques, allergènes et cancérigènes

L’ensemble des épidémiologistes s’accordent pour estimer que les « facteurs d’environnement » sont à l’origine de 80 à 90 % des cancers humains ; le reste du pourcentage serait imputable aux virus oncogènes et aux radiations. Parmi les cancers secondaires à l’actif d’agents chimiques, qui réuniraient ces 80-90 % de cas, la proportion de néoplasmes attribuables aux expositions professionnelles se réduirait à 3-7 %. L’ampleur de la responsabilité des polluants industriels cancérigènes, soit 73-87 %, reste en fait controversée. En effet, bien que la plupart des produits reconnus cancérigènes pour l’homme (amiante, benzène, chlorométhyléther, chlorure de vinyle monomère…) furent identifiés comme tels par l’incidence anormalement élevée d’affections néoplasiques liée à certains groupes d’activités professionnelles, il est difficile d’exclure des statistiques l’influence du mode de vie (tabagisme, alcoolisme, toxicomanies, mœurs alimentaires…) et des prédispositions génétiques pour ne retenir que l’effet morbide de la pollution atmosphérique.

[Encart : Effets pathologiques en toxicologie On définit la toxicité d’un produit comme son aptitude à provoquer des dommages chez un organisme vivant ; globalement, deux cas sont différenciés : l’intoxication aiguë et l’intoxication chronique. Dans le cas de l’intoxication aiguë, ces dommages peuvent se manifester rapidement après exposition ou absorption massive et de courte durée du toxique. Il s’agit d’effets toxiques immédiats, dits non stochastiques quand la gravité varie avec la dose, et qui se concluent par la mort ou une guérison rapides (DL₅₀ t), avec ou sans séquelles et lésions permanentes. Dans le cas de l’intoxication chronique, les expositions répétées à de faibles taux de polluants, mais au cours d’une longue période d’application, conduisent à des signes cliniques insidieux par accumulation dans l’organisme ou par sommation des effets nocifs. Ils s’exercent d’une façon stochastique parce que leur probabilité d’apparition est fonction de la dose. Les effets toxiques à long terme sont de trois types : Activité tératogène : une substance absorbée à des doses « peu toxiques » selon les critères classiques d’évaluation du type DL₅₀ t peut agir préférentiellement sur l’embryon à des stades précis de son développement et induire une anomalie se traduisant par une monstruosité ; c’est l’effet tératogène (chez le fœtus humain : cyclopie, otocéphalie, fissures palatines, malformations encéphaliques, spina-bifida, syndactylies, symélies et phocomélie — monstruosité mise au jour en 1962 avec l’usage d’un tranquillisant, la thalidomide). Ces effets tératogènes ne sont pas transmissibles et n’affectent pas l’hérédité des victimes. Activité cancérigène : à côté de l’effet tératogène, de petites quantités de certaines substances qui, en elles-mêmes, ne produisent aucun effet détectable peuvent, à la longue, provoquer le développement de tumeurs cancéreuses ; c’est l’effet cancérigène (ou cancérogène). Il se traduit par un dérèglement de la mitose cellulaire et une prolifération anarchique de cellules devenues malignes (chez l’homme : épithéliomas, sarcomes, mélanomes, hépatomes). Activité mutagène : indépendamment de toute action tératogène ou cancérigène, et à plus longue échéance encore, des quantités parfois extraordinairement minimes de substances diverses lésent irréversiblement le patrimoine héréditaire d’un organisme et produisent des effets qui ne se manifestent qu’au cours des générations ultérieures ; c’est l’effet mutagène. Il s’agit d’une transformation définitive d’un gène en rapport avec une altération de la molécule d’ADN constitutive du chromosome nucléaire (aberrations chromosomiques responsables du mongolisme, anomalies anatomiques et métaboliques). Enfin, le risque encouru est un concept statistique défini comme la fréquence probable des effets indésirables découlant de l’exposition à un polluant. Figure 3]

Dans notre environnement, nous ne saurions dissocier l’influence des HPA (hydrocarbures polyaromatiques), des goudrons « familiers » de la cigarette ou du pot d’échappement de celle des HPA, goudrons plus exogènes, de l’industrie métallurgique, chimique, pétrolière, des travaux publics et des centrales thermiques.

Quoi qu’il en soit, le rapport épidémiologique du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer de Lyon) a établi un constat sévère :

  • — 90 % des cancers déclarés chez l’homme dérivent de tissus épithéliaux (c’est-à-dire des tissus de revêtement), formant des tumeurs dites épithéliomes ou carcinomes, tandis que 10 % seulement dérivent de tissus du mésenchyme (c’est-à-dire des tissus conjonctifs), suscitant des tumeurs dites sarcomes (alors que les tissus conjonctifs sont prédominants dans l’histologie humaine) ;
  • — 50 % et plus des épithéliomes se développent dans des tissus en contact avec notre environnement, le mot « environnement » étant pris dans son sens le plus large, comprenant les habitudes sociales néfastes, tabagisme, alcoolisme ou alimentaires (M. Daume, R. Fuchs, CNRS, 1980).

D’ailleurs, dans les pays industrialisés, les cancers broncho-pulmonaires représentent la première cause de mortalité des tumeurs malignes chez l’homme (INRS-1984). Cependant, la toxicité d’un polluant ne se traduit pas fatalement par l’induction d’un néoplasme, tant s’en faut. En expérimentation animale, on classe les réactions physiologiques d’après les réponses du groupe soumis à des tests d’épreuve standardisés. On enregistre toute une série d’effets plus ou moins graves, plus ou moins réversibles, plus ou moins brutaux, plus ou moins insidieux. Ces effets, extrapolables à l’homme, vont de l’intoxication aiguë (polluant du type CO, TOCP phosphate de tri-orthocrésyl) à l’intoxication chronique avec action cumulative (polluants du type métaux lourds, dont Cr⁶⁺, Ni, Cd, Hg, et des organochlorés DDT et TCDD « dioxine »), avec action allergique (polluant du type CS, sulfure de carbone ou TDI diisocyanate de toluylène) ou avec action cancérigène (polluant du type CVM chlorure de vinyle monomère, benzopyrène, amiante).

Dans cette éco-toxicologie complexe de l’environnement, qui mobilise des équipes internationales de recherches, deux notions se dégagent depuis une dizaine d’années :

  • * celle de mutagène caché, révélé par la réaction fortuite de deux ou de plusieurs polluants, qui souligne la nécessité d’appréhender correctement la synergie des agents chimiques capables d’engendrer ensemble des risques génétiques à l’échelle de la bios-

phère, tout en retenant que le cancer humain est généralement d’étiologie multifactorielle (Pr J. Moutschen, 1979),

* celle de niveau de sécurité, assimilable à la DJA, qui ne saurait être défini licitement pour chaque hépatocancérogène de l’environnement humain à partir d'une dose liminale déterminée en expérimentation animale.

« L'enjeu est tel, pour garantir la santé publique ainsi menacée, et sans pour autant accorder de crédit aux informations fantaisistes de certains médias, que le corps médical devrait intervenir auprès des instances supérieures chargées d’informer le législateur, et, le cas échéant, faire pression sur lui » (Pr F. Damis, 1980).

Après dissipation des brouillards de la Cité

Récemment, une étude de l’équipe du Pr Toupance (Université Paris Val-de-Marne) mettait en évidence l’existence d’une pollution photochimique sous le panache de l’agglomération parisienne, lors d’épisodes météorologiques défavorables. En effet, les masses d’air qui transitent au-dessus de la capitale se chargent en polluants primaires (SO₂, NOₓ et R-CHO, oxydes de soufre, d’azote et aldéhydes), précurseurs de la pollution oxydante. On constate que, dans les six heures qui suivent, l’irradiation solaire sur la masse d’air polluée conduit à la formation d’ozone :

NO₂ + NO + O + O₂

Dans le secteur situé sous le vent, sur des sites proches de Rambouillet, ont été enregistrées des concentrations horaires de 350 μg de O₃/m³ d’atmosphère (M. Mortureux, Airparif et Coll. — Revue TSM 07-08/1989). Il est admis que les précurseurs de smog oxydant absorbent les rayonnements ultraviolets, et, de façon schématique, se décomposent par photolyse en émettant des radicaux libres très réactifs et de l'oxygène atomique excité, qui lui-même va s’unir à l’oxygène moléculaire atmosphérique pour créer de l’ozone. La rencontre d'hydrocarbures éthyléniques avec cet ozone conduit aux époxydes, peroxydes et aldéhydes, tels que le butadiène qui engendre un mélange d’acroléine et de formaldéhyde :

CH₂=CH-CH=CH₂ + O₃ → CH₂=CH-CHO + HCHO + O

L’ozonisation des polluants conduit aussi à la formation non moins redoutable de PAN, nitrates de peroxyacyles R-CO-O-O-NO₂, cancérigènes notoires. Une synergie de polluants atmosphériques peut également se manifester par l'action du formaldéhyde (1) sur l'acide chlorhydrique qui donne des produits d’addition hautement cancérigènes, bischlorométhyléther (ClCH₃)₂O et chlorométhylméthyléther CH₃OCH₂Cl.

Enfin, c'est à partir de SO₂ et d’agents oxydants comme des espèces radicalaires de type HO ou des composés O₃ et H₂O₂, que se forme l'acide sulfurique H₂SO₄, surtout l'été, au sein des gouttelettes de nuages et de brouillards :

SO₂ + H₂O₂ → H₂SO₄

L’acide nitrique HNO₃, issu des oxydes d’azote, connaît également une montée en concentration du fait de l'activité photochimique accrue. Quel cocktail ! Des expérimentateurs américains mettaient en 1987 en évidence, et en différents points des États-Unis, l'existence de brouillards présentant de très fortes teneurs en pesticides et herbicides (insecticides organophosphorés diazinon, parathion et malathion, herbicides atrazine, simazine, pendiméthaline, alachlore et métolachlore, produits chimiques employés couramment en agriculture), de l'ordre de 10 μg/l (M. Boissavy-Vinau, Revue LR 07-08/1987).

Mais nous sortons peu à peu des brumes délétères. Dans ce nouveau climat volontaire et porteur de marchés se dégageant d'une Europe cohérente, notre pays peut tout à la fois faire valoir son emprise industrielle et assainir l’air que les Français respirent.

Tableau I

Tests de toxicité usuels

1. Tests en expérimentation animale

Paramètres Signification
DMM ou DML Dose Minimum Mortelle ou Léthale, c'est la concentration en mg/kg de poids vif, mg/unité vivante, à partir de laquelle meurt au moins un des organismes-tests.
TL₅₀ (h) Tolérance Limite médiane, c'est la concentration déterminant la mort de 50 % du lot des organismes tests après un temps d'exposition t (h) en heures.
DL₅₀ (t) Cette même valeur pour un toxique administré par ingestion ou injection, sous forme liquide ou solide, causant les mêmes effets léthaux dans un temps t.
CL₅₀ (t) Cette même valeur obtenue par inhalation d'un toxique sous forme de gaz ou vapeur, causant les mêmes effets dans un temps t. La concentration tient compte de la dilution du toxique dans l’atmosphère et s'exprime en mg/m³ ou ppm pour les gaz et vapeurs, et en mg/m³ pour les particules solides, repliement un temps t d’exposition.

2. Tests en pathologie humaine

Paramètres Signification
TLV « Threshold Limit Value » est la concentration-limite dans l'air de l'ambiance de travail, en mg/m³ et ppm, pour une exposition de 8 h/j et 40 h/semaine, préconisée par les hygiénistes américains.
VME Valeur Moyenne d’Exposition en ppm et mg/m³ du travailleur à l’atmosphère d'un poste de 8 h (Circulaire du Ministère du Travail 19/07/82).
VLE Valeur Limite d’Exposition n’excédant pas 15 min (même Circulaire).
DJA Dose Journalière Admissible pour l'homme par ingestion en mg/j (norme FAO-OMS), toutes formes de contamination cumulées.
DHT Dose Hebdomadaire Tolérable pour l'homme en mg/7 j (norme FAO-OMS) pour les mêmes conditions.
CMA Concentration Maximale Admissible en mg/l ou en g/l dans l’eau de consommation pour l'homme (norme CEE).

(1) Fait brutal, le critère retenu dans ces définitions est la mort. Les applications sont heureusement plus nuancées.

[Encart : (4) Le formaldéhyde constitue à lui seul l'exemple du polluant atmosphérique aux multiples actions car il cumule les effets toxiques : * toxicité aiguë : l'aldéhyde formique est fortement irritant pour les voies respiratoires ; la plupart des individus ne peuvent tolérer une exposition prolongée à plus de 4 ppm (5 mg/m³), et au-delà de 50 ppm (60 mg/m³) des lésions sévères des voies aériennes sont produites en quelques secondes ; * toxicité à terme : l'aldéhyde formique est un puissant allergène responsable d’eczéma, d'urticaire, de rhinite et d'asthme, et de choc anaphylactique ; * mutagénicité : l'aldéhyde formique se lie chez l'homme à l’ADN monocaténaire des cellules atteintes, forme des ponts ADN-protéines, induit des synthèses non programmées de l’ADN et provoque des aberrations chromatiques ; * cancérogénicité : la plupart des études ne révèlent pas d’excès de tumeurs des voies respiratoires, mais une prévalence discrète des cancers de nombreux organes cibles chez l'homme, alors que la cancérogénicité est mise en évidence chez le rat par une augmentation des épithéliomas spinocellulaires des fosses nasales (X. Rousselin et Coll. INRS, Cahiers de notes documentaires ND 1 720-134-89). L'aldéhyde formique est affecté d'une VLE de 2 ppm (3 mg/m³), d'une TLV USA de 1 ppm, RFA de 0,5 ppm, URSS de 0,5 mg/m³, avec la notation C2 (substance suspectée d’être cancérigène pour l'homme). Pourtant, le formaldéhyde, gaz très utilisé dans l'industrie (chimie, cuir, textile, bois, aggloméré…), dont la solution aqueuse, le formol, est un désinfectant et un conservateur, mais polluant ubiquiste provenant des fumées d'incinération d'ordures ménagères et des gaz d’échappement des véhicules à moteur, pourtant, cet aldéhyde, qui prend une part active aux effets nocifs du smog oxydant, n’est pas encore spécifiquement suivi ni dans les réglementations contractuelles ni dans la législation européenne.]
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