L'article présente de manière succincte les prémisses et les efforts de recherche, ainsi que les premiers résultats obtenus dans le cadre d'une action d'importance majeure pour l'environnement : la conception et la mise au point d'équipements simples, robustes et efficaces pour effectuer l'aéro-oxygénation des plans d'eau.
La pollution des eaux devient un phénomène de plus en plus inquiétant dans le cadre du développement accéléré des nombreuses techniques « modernes », appliquées dans l’industrie et l’agriculture, ainsi que dans la vie quotidienne des agglomérations urbaines et rurales. Dans ce contexte, la qualité de l’eau, qui a représenté depuis toujours une condition sine qua non de la vie, perd son caractère abstrait et reçoit une dimension nouvelle, celle de composant primordial de l’environnement. L’un des paramètres les plus importants caractérisant cette nouvelle « dimension » est le taux d’oxygène dissous dans l’eau par rapport à une valeur de référence : la concentration de saturation (Cs). Nombreux sont les facteurs qui conditionnent l’équilibre de l’oxygène dissous dans l’eau ; parmi eux, les plus nuisants sont : les déchets organiques, les composants organo-halogénés, les détergents et certains métaux.
Jusqu’à aujourd’hui, le principal effort de dépollution de l’eau a été orienté vers les stations d’épuration. Adaptés à ce type d’ouvrages, ont été conçus une multitude d’équipements d’aéro-oxygénation, et la littérature technique de la spécialité est riche en exemples, méthodes de dimensionnement, d’analyse de performances, etc.
Par contre, les plans d’eau naturels ou artificiels, qui eux aussi risquent de devenir des « eaux mortes » en raison de la pollution et de la baisse du taux d’oxygène dissous, disposent de peu de solutions techniques pour combattre leur dégradation.
C’est pourquoi nous nous sommes proposés d’étudier des équipements hydrauliques destinés à réaliser une aéro-oxygénation efficace, avec des coûts d’exploitation réduits, mieux adaptés à ce type d’application.
L’aération et l’apport d’oxygène dans l’eau
L’oxygène nécessaire pour entretenir et développer l’ensemble des processus biologiques, ainsi que pour éliminer les polluants par oxydation dans le milieu liquide, provient essentiellement de l’air atmosphérique.
En effet, on doit introduire de l’air dans l’eau, en facilitant l’échange à l’interface air-liquide, afin de réaliser le transfert optimal de l’oxygène dans l’eau.
En première analyse, on peut considérer que le processus de transfert d’oxygène se réalise en trois étapes :
- • une première phase rapide, pendant laquelle les molécules d’oxygène sont introduites à la surface du liquide, conduisant ainsi à un état d’équilibre à l’interface air-eau ;
- • une deuxième phase, pendant laquelle les molécules d’oxygène doivent traverser la couche superficielle du liquide (couche qui comporte en épaisseur au moins trois molécules) ; cette opération se réalise par diffusion moléculaire ;
- • au cours de la troisième phase, l’oxygène est mélangé au liquide par diffusion et convection.
Dans tous les cas, l’état de la couche d’interface air-liquide conditionne la vitesse d’absorption de l’oxygène dans l’eau :
- • en conditions laminaires (Re < 2300), la vitesse de la diffusion moléculaire à travers la couche liquide non perturbée est réduite, ce qui ralentit beaucoup la vitesse d’absorption de l’oxygène ;
- • pour des raisons de turbulence croissante, le transfert d’oxygène est accéléré, accélération due au renouvellement du film interfacial perturbé.
Le processus de transfert peut être caractérisé par l’équation suivante :
dM/dt = kL A (Cs − CL)
dans laquelle dM/dt représente la vitesse de transfert massique, A la surface interfaciale de transfert, Cs la concentration de saturation en oxygène, CL la concentration en oxygène au sein du liquide.
K_L : le coefficient de transfert de masse.
Si l’on utilise les unités de concentration, les deux membres de l’équation précédente doivent être rapportés au volume V du bassin et l’on peut alors écrire :
1 dM — = K_L.a (C_S – C_L) = K_L.a (C_S – C_L) V dt
On appelle « K_L.a » le coefficient global du transfert d’oxygène, qui englobe à la fois le coefficient de masse et la surface interfaciale par unité de volume.
Dans la pratique, il est impossible de mesurer la surface interfaciale ; c’est pourquoi on utilise le coefficient global « K_L.a » pour effectuer les calculs de conception des installations d’aération, ainsi que pour estimer leur efficacité.
Le coefficient « K_L.a » dépend de beaucoup d’éléments caractérisant le processus d’aération, parmi lesquels les plus importants sont :
- - la géométrie de l’équipement d’oxygénation,
- - la puissance installée,
- - les caractéristiques d’écoulement,
- - la température du liquide.
La concentration de saturation en oxygène C_g dépend de la température du milieu, ainsi que de la pression atmosphérique.
La corrélation C_g = f(T°) est donnée dans la table de Mortimer (reprise par la norme AFNOR T90-032).
La concentration en oxygène au sein du liquide C_L peut être déterminée par deux méthodes : le dosage chimique ou la méthode électrochimique (en utilisant des sondes polarographiques ou galvaniques).
La méthode la plus utilisée actuellement en dehors des laboratoires est la méthode électrochimique basée sur les sondes de Clark (polarographique), dernièrement équipées de sondes de température.
Équipements d’aération : principe et caractérisation
Il y a une multitude de classifications possibles dans le domaine des équipements d’aéro-oxygénation. De manière très succincte, on peut définir, en fonction de leur positionnement en marche normale, des aérateurs de volume ou de surface.
Les aérateurs de volume peuvent être groupés en deux classes (composées chacune de plusieurs catégories) : les agitateurs et les diffuseurs.
Les aérateurs de surface, moins diversifiés que ceux de volume, peuvent être classés en aérateurs à rotor, à brosse et à jet d’eau (ou mixtes air-eau).
Les aérateurs de volume, du fait de leurs particularités de fonctionnement, ne sont pas utilisables dans les plans d’eau naturels dépourvus de radiers et de berges consolidées ; en revanche, ils sont largement employés dans les stations d’épuration d’eaux usées.
Les aérateurs de surface, quant à eux, sont parfaitement adaptables sur les plans d’eau naturels ou aménagés dans les parcs ou bases de loisirs.
Quel que soit son type, l’aérateur de surface doit pouvoir remplir les fonctions suivantes :
- - créer une circulation suffisante dans la masse du liquide pour uniformiser la distribution de l’oxygène dissous,
- - transférer l’oxygène de l’air dans l’eau pour compenser le déficit ; ce transfert peut s’effectuer par un renouvellement permanent de l’interface air-liquide.
Pour caractériser le fonctionnement et les performances des aérateurs de surface, les grandeurs suivantes sont habituellement utilisées :
-
- l’apport horaire :
A_h = K_L.a.C_g.V.10³ [A_h] = kg/h
-
- la capacité d’oxygénation :
C_O = K_L.a.C_g.10³ [C_O] = kg O₂.m⁻³.h⁻¹
-
- l’apport spécifique net :
A_h ASN = ——— = K_L.a.C_g.V.10³ P_el [ASN] = kg/kWh
Actuellement, le critère le plus utilisé pour comparer les performances des aérateurs de surface est l’ASN. Si ce critère est le plus important du point de vue économique, il y a cependant
d'autres paramètres à prendre en compte dans l'analyse approfondie des cas particuliers d'aérateurs de surface. Parmi eux, on peut citer : la circulation du liquide, la stratification thermique, la puissance dissipée, l'apport brut d'oxygène dans l'eau.
L'aérateur flottant du type “Sypair”
Les aérateurs flottants réalisés par nos soins répondent aux impératifs de régénération en oxygène des plans d'eau par accélération du processus de biodégradation des matières organiques. Ils combattent la prolifération des algues, l'apparition des odeurs nauséabondes et réalisent un contrôle efficace de la stratification thermique des bassins d'eau.
Le fonctionnement hydraulique de ces équipements de type Sypair a été particulièrement étudié pour engendrer deux types de circulation des masses d'eau :
- une circulation subaquatique (écoulement axial-symétrique), qui se développe autour de l’aérateur dans une zone d'influence circulaire à grand rayon ;
- une circulation aérienne, sous forme de jet d'eau dispersé, qui réalise un effet de corolle au-dessus du plan d'eau. C’est dans cette partie que se réalisent les phénomènes d'entraînement d'oxygène qui est apporté dans l'eau par les gouttelettes qui retombent. Leur impact sur la surface libre du plan d'eau a pour effet de détruire la couche séparatrice (air-eau) qui s'interpose entre les milieux liquide et gazeux, ce qui favorise d'autant la diffusion de l'oxygène dans la masse d'eau.
Les paramètres géométriques de ces deux types de circulation, ainsi que les performances d'oxygénation de l'équipement, sont fonction de la taille de l'appareil, de sa vitesse de rotation et de la puissance installée. Ce dispositif fait partie de la catégorie “aérateurs de surface” à turbine rapide.
Son principe de fonctionnement est classique, mais quelques solutions originales ont été apportées comme, par exemple, la géométrie de la turbine et la possibilité de l'équiper avec plusieurs types de turbines qui réalisent différents types d'écoulements (figures 1 et 2) afin de mieux s’adapter à une large gamme d'applications.
L'aérateur flottant est constitué de trois éléments principaux (figure 3) :
- le flotteur en polyester, rotomoulé, avec un chemin central, comportant sur la périphérie trois poignées de manutention et six alvéoles avec inserts métalliques, afin de permettre le montage des projecteurs et le lestage de l'appareil ;
- le groupe électropropulseur monobloc, comprenant le moteur électrique immergé et la partie hydraulique située au-dessus. Le groupe est fixé dans la cheminée du flotteur par la partie supérieure avec simplement trois boulons ;
- la crépine et le fond bombé, qui assurent la protection mécanique de l'ensemble.
La commande et la protection électrique de l'appareil s’effectuent à partir d'un coffret en polyester (étanche et résistant aux agents atmosphériques) installé sur le bord du plan d'eau (en variante déportée).
L'automatisme est réalisé grâce à une horloge journalière avec réserve de marche, fournissant une ou plusieurs plages de fonctionnement sur 24 heures (néanmoins, la possibilité de marche manuelle est conservée pour éviter les éventuels blocages en périodes à risque de gel).
Conditions de fonctionnement
- Le Sypair peut être placé dans un plan d’eau (ou un bassin) disposant à son emplacement de la profondeur minimum de 0,8 à 1,5 m (selon la taille de l'appareil) ;
- Il doit être amarré par des élingues à trois points fixes, de façon à éviter sa dérive (les points de fixation sur le flotteur sont indiqués sur la figure 3) ;
- L'attache des élingues aux poignées s’effectue par l'intermédiaire de colliers spécialement conçus à cet effet ;
- Les câbles électriques d'alimentation du moteur et de l’éclairage sont immergeables (mais ils doivent être protégés contre tout obstacle contondant) ;
- Le moteur électrique est alimenté en 380 V triphasé et protégé par des relais thermiques ; il est équipé en atelier d'une boîte de jonction parfaitement étanche reliant l'embout du câble moteur au câble d’alimentation.
Les principales caractéristiques techniques d’un appareil du type S-500 sont les suivantes :
- géométrie de la corolle aérienne : Dmax = 12 m ; Amax = 2,5 m
- circulation subaquatique : Rmax = 80 m ; Qengendrée = 200 m³/h
- puissance installée : Pi = 3,7 kW
Les essais nécessaires pour procéder à la mise au point et à la mesure des paramètres caractérisant les performances de l'appareil ont été réalisés sur différents sites. Les résultats les plus concluants ont été obtenus sur le plan d'eau de la gare portuaire, situé sur un canal navigable désaffecté. Après mise hors service du canal, la dégradation de la qualité de l'eau s’était accentuée, plus particulièrement à l'emplacement de l’ancienne gare-bassin de dimensions importantes sans apport extérieur ni échange avec les aquifères environnants. Dans ces conditions, le développement d'algues de surface, la disparition de la faune aquatique et, en général, l’eutrophisation du plan d'eau atteignaient un point critique. Après installation du Sypair S-500 – équipement d’aéro-oxygénation adapté à ces conditions – les résultats obtenus se sont montrés plus que satisfaisants.
Les mesures ont été effectuées à différentes profondeurs sur la même verticale, et on a pu constater que l’apport brut d’oxygène diminue à proximité du fond du bassin. Les essais consécutifs réalisés dans des conditions différentes de température ambiante, ainsi que dans des conditions météorologiques variables (d’une campagne de mesures à l’autre), ont montré une bonne reproductibilité de la mesure. Les résultats de plusieurs essais réalisés sur le même site ne diffèrent pas de plus de 5 %.
Les résultats des mesures effectuées après l’oxygénation par le Sypair S-500, et interprétés en conformité avec les critères statistiques, ont permis de déterminer les paramètres suivants :
• Capacité d’oxygénation : CO = 20 … 25 g O₂/h·m³ • Apport spécifique net : ASN = 1,8 … 2,0 kg O₂/kWh • Coefficient de transfert caractérisant l’appareil : KLa = 2,3 h⁻¹
Conclusion
Les observations effectuées avant et après la mise en route de l’aérateur de surface, ainsi que les mesures systématiques des paramètres de fonctionnement, ont confirmé les calculs de dimensionnement et l’efficacité de l’appareil.
Les résultats obtenus nous ont permis d’aborder la conception, le calcul et la réalisation d’autres variantes d’équipements d’aération (actuellement en phase de prototype), adaptables à une gamme encore plus large d’applications, comme par exemple : aéro-oxygénateurs pour des bassins d’élevage piscicole, bassins de stockage temporaire, etc.
La grande diversité des méthodes de dimensionnement et de calcul des performances recommandées dans la littérature technique de la spécialité représente une aide importante à la conception, mais, vu la complexité des phénomènes d’oxygénation et l’impossibilité de maîtriser tous les paramètres, des essais et des mesures sur le terrain sont toujours nécessaires.
Bibliographie
J. Eckenfelder, Advances in water quality D.L. Ford improvement, Texas 1967.
A.A. Kalinske, Evaluation of oxygenation capacity of localized aerators, JWPCF, 1965.
A. Heduit, Les performances des systèmes d’aération des stations d’épuration, Publication CTGREF, 1980.
Linfield C. Brown, Oxygen transfer parameter estimation, Tufts University, 1979.
M. Roustan, Comment caractériser les turbines de surface, INSA-Toulouse, 1979.
M. Zlokarnik, Comparaison de différents systèmes d’aération et méthodes de dimensionnement, Bayer-Leverkussen, 1979.
C. Mateescu, Hidraulica, EDP, Bucarest, 1964.