Aujourd'hui, la création de modèles agricoles à haute performance environnementale visant à réduire les intrants chimiques (engrais conventionnels ou pesticides) s'impose comme une évidence. Divers éléments bibliographiques indiqueraient que l'amplification fongique lors du recyclage de matières organiques pourrait répondre à ce besoin émergent. La nette amélioration des valeurs fertilisantes (accroissement de 13 % de l'azote) ou la réduction de certaines microflores présumées pathogènes (Escherichia coli, notamment) obtenues lors du traitement fongique de litières d'élevage semblent d'ailleurs confirmer cette hypothèse. Toujours dans ce cadre, l'isolement d'un mycète du Genre Trichoderma capable d'inhiber in vitro l'agent pathogène du piétin échaudage et la description d'un procédé innovant d'amplification in situ de cette souche ouvre le débat quant à la future « fonctionnalisation phytopharmaceutique » des matières organiques résiduaires d'origine urbaines ou industrielles.
L’intensification de l’agriculture est certainement un facteur déterminant dans les phénomènes d’appauvrissement et de dégradation structurale des sols. Cette intensification est aussi à corréler avec les chiffres publiés en 2006 par les Services de l’Observation et des Statistiques (SOeS) qui précisent que la contamination des milieux aquatiques par des pesticides s’est généralisée. La mise en place d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement est donc devenue une nécessité et un enjeu sanitaire majeur. Dès lors, des termes comme « haute valeur environnementale » ou « haute per-
« Performance environnementale » pour désigner l'agriculture de demain apparaissent. Il s'agit bien de la création de nouveaux modèles de production agricoles visant entre autres à réduire le nombre et les quantités d'intrants du type pesticides.
Cet article présente l'intérêt que pourraient avoir les champignons filamenteux (synonymes : mycètes et fungi) dans cette recherche de nouvelles pratiques agricoles écologiquement durables, notamment dans la valorisation des matières organiques résiduaires. Cette présentation sera étayée par des données bibliographiques et expérimentales. Le concept de fonctionnalisation fongique, c'est-à-dire : « donner, dans le cadre d'une alternative à un problème environnemental, une fonction précise aux résidus à dominance organique grâce à l'amplification d'une espèce particulière », sera abordé. Ici, le but est de conférer à un résidu organique, par un procédé de fermentation solide innovant, une activité phytosanitaire naturelle via Trichoderma harzianum capable de remplacer celle issue des pesticides de synthèse.
Champignons filamenteux et qualité des sols
Les champignons filamenteux constituent l'un des éléments de base du sol : leur masse peut atteindre jusqu'à trois tonnes par hectare. Dans ces conditions, nous pouvons facilement imaginer que la composante fongique soit fortement impliquée dans la qualité et la fertilité des sols.
De manière évidente, les champignons eux-mêmes représentent une réserve de matière organique et donc d'éléments nutritifs pour les plantes (essentiellement d'azote, de phosphore et de soufre) non négligeable, participant directement à la fertilité chimique. L'azote fongique est le plus souvent excrété sous forme d'ammonium moins lessivable que les nitrates traditionnellement présents dans les engrais chimiques.
L'aptitude inverse qui consiste non plus à produire ou stocker mais à dégrader spécifiquement certaines sources organiques complexes est aussi un élément favorable. L'arsenal enzymatique des champignons filamenteux leur permet de consommer plus efficacement encore que les bactéries la cellulose, l'hémicellulose, la lignine ou la kératine, préparant ainsi l'humification.
Un autre impact intéressant réside dans l'amélioration de la structure et de la dynamique de l'air et de l'eau des sols (Davet 1996). Cette stabilité physique accrue est déterminante dans la baisse des phénomènes d'érosion. Cette propriété est à relier avec la capacité qu'ont les fungi d'augmenter le degré d'agrégation ou de cohésion des constituants du sol par l'intermédiaire de polysaccharides pariétaux ou de mucus semblables à de la colle.
Cas du Genre Trichoderma
Il s'agit d'un genre fongique très commun dans le sol, sur les matières organiques en décomposition ou en compostage et dans les boues activées urbaines ou industrielles.
L'intérêt économique de ce genre est fondamental : nous pouvons citer Trichoderma viride qui est un producteur d'arômes naturels du type lactones (note de noix de coco) et Trichoderma reesei qui est à la base de tous les procédés actuels de production industrielle de cellulases (Reczey 1996, Vlaev 1997).
Concernant l'agronomie, le genre Trichoderma est considéré comme un puissant agent de lutte biologique ou antagoniste vis-à-vis de microorganismes phytopathogènes (Bae et Knudsen 2005, Clarkson 2004). Autrement dit, l'intérêt qu'il suscite pour la protection des cultures est fort. Cet antagonisme est lié aux quatre mécanismes suivants (Vinale 2006, 2008) :
- le mycoparasitisme
- l'antibiose
- la compétition trophique
- l'induction de mécanismes de résistance chez la plante
1. Le mycoparasitisme : Trichoderma s'enroule autour de l'agent pathogène et pénètre à l'intérieur. La lyse des parois est rendue possible grâce à la synthèse par Trichoderma de chitinases et de glucanases (Manczinger 2002).
2. L'antibiose : Trichoderma exerce une action inhibitrice par l'intermédiaire de métabolites secondaires tels que des antibiotiques (antibiotiques volatils et peptaïbols).
3. La compétition trophique : elle se manifeste par l'aptitude de Trichoderma à utiliser les mêmes ressources du milieu que les agents phytopathogènes.
4. L'induction de mécanismes de résistance chez la plante : de nombreux Trichoderma peuvent stimuler les défenses des végétaux ; des éliciteurs sont capables d'activer les gènes de la plante impliqués dans la résistance aux stress biotiques ou abiotiques.
Tableau 1 : cas d'antagonismes obtenus avec le genre Trichoderma
Espèces antagonistes | Agents microbes pathogènes cibles | Cultures concernées |
---|---|---|
Trichoderma virens | Verticillium dahliae | Coton et pomme de terre |
Trichoderma harzianum | Botrytis cinerea | Général |
Trichoderma koningi | Sclerotinia sclerotiorum | Général |
Trichoderma harzianum | Fusarium, Rhizoctonia et Pythium | Général |
Trichoderma viride | — | Général |
Quelques données expérimentales encourageantes
Nos premières investigations confirment l'intérêt d'une amplification fongique lors d'un traitement ou d'un stockage de matière organique. Le simple ajout d'un consortium fongique concentré dans un fumier paillé (dose : 15 g de consortium fongique par tonne de fumier) montre, par rapport au témoin (le même fumier n'ayant pas subi d'ajout), une nette potentialisation de la valeur agronomique. Cette amélioration se traduit, après 2 mois de stockage, par une hausse de 13 % de la concentration en azote total et de 14 % de la concentration en colza.
Tableau 2 : concentration des éléments fertilisants issus de fumier de bovins par voie fongique
Paramètre | Témoin | Test |
---|---|---|
Matière sèche (en %) | 21,8 | 25,4 |
Matière organique (en kg/t brut) | 173,0 | 197,0 |
Carbone organique (en kg/t brut) | 86,5 | 99,2 |
Azote total (en kg/t brut) | 5,3 | 6,0 |
Phosphore total P₂O₅ (en kg/t brut) | 2,1 | 3,0 |
La fraction organique de l'amendement brut (Tableau 2). La perte d'eau supplémentaire (hausse de plus de 16 % de la matière sèche avec les champignons) concentre les éléments fertilisants. Visuellement, la présence de fragments macroscopiques de paille est moins importante dans le tas traité que dans le témoin. Les champignons filamenteux, de par leur activité ligno-cellulolytique, accroissent la biodisponibilité des nutriments pour l'ensemble de la microflore, activant ainsi la biodégradation et la conversion en biomasse de la litière. Cela est cohérent avec nos observations microscopiques qui montrent une densité microbienne globale plus forte dans le tas traité que le témoin (photographies ci-dessous).
De même, d'autres essais sur fumiers ont mis en évidence un effet hygiénisant lié aux fungi. Ainsi, l'apport d'un consortium fongique sur des litières de bovins ou de brebis (dose : 30 g de consortium fongique par m² de litière) réduit considérablement les coliformes totaux et Escherichia coli dans les fumiers correspondants (Tableau 3).
Tableau 3 : hygiénisation des litières par voie fongique
Les résultats sont obtenus après 2 mois de stockage et exprimés en Unité Formant Colonie (UFC) par g de litière.
Lorsque la croissance végétative est inhibée, probablement en fin de cycle avec les milieux qui s’appauvrissent, les biosynthèses fongiques peuvent être orientées vers la production d’antibiotiques (pénicilline, céphalosporine…). Cet effet hygiénisant pourrait avoir un intérêt lors du recyclage de résidus d’élevage, de végétaux ou de boues urbaines en amendements organiques ou composts. Dans tous les cas, ces filières doivent conduire à des produits normalisés (NF U 44-051 et NF U 44-095) où l'innocuité (valeurs limites de microorganismes pathogènes ou présumés pathogènes à ne pas dépasser) représente l'un des critères fondamentaux de qualité.
Concept de fonctionnalisation
Amplification de la flore fongique totale
Au regard des données bibliographiques et expérimentales précédemment citées, l'amplification de la microflore fongique totale lors du recyclage agricole des matières organiques résiduaires devrait accroître encore un peu plus, par rapport à des filières classiques, les gains sur la fertilisation et la stabilité structurale des sols. Il pourrait s'agir d'une stratégie supplémentaire visant à prévenir l'érosion et l'appauvrissement des surfaces cultivées. Cela n'est pas négligeable, dans la mesure où 17 % de la surface du territoire européen est affectée par l’érosion à des degrés divers (Stengel 2009). Aujourd’hui, des études probatoires complémentaires sont nécessaires : l'impact agronomique d’un amendement issu d'un résidu pré-supplémenté en fungi devra être mesuré comparativement à celui de la même référence mais non supplémenté. Idéalement, il pourrait s’agir d’un produit NF U 44-095 ayant subi dans son cycle de compostage une incorporation ou pas de fungi.
L’un des obstacles liés à cette technologie est le taux d’ensemencement initial des résidus. En effet, apporter un inoculum fongique préalablement préparé dans des conditions de fermentation industrielle classique et en quantité suffisante pour assurer une bio-augmentation pérenne au sein d’andains volumineux risque d’être économiquement incompatible.
Pour remédier à cette situation, nous avons développé un pilote innovant dédié à l’amplification in situ des champignons filamenteux totaux endogènes (phase de scale-up in situ). Ce dispositif modulaire est constitué par les trois parties suivantes : 1- bloc dédié à la production de brouillard, 2- tampon pour mélange air/brouillard, 3- réacteur pour la fermentation fongique solide.
[Schéma : Conception modulaire d’un procédé de fermentation fongique solide dédié à la valorisation de matière résiduaire à dominance organique.]espace tampon de mélange air/brouillard et 3-réacteur non agité pour culture solide (fermentation en milieu solide) (Schéma 1).
Les avantages sont multiples : le brouillard refroidit sans assécher le milieu ; la production de chaleur liée à l'activité biologique étant importante. L'absence d'agitation permet d'une part de cultiver la biomasse sans stress mécanique et d’autre part ne déstructure pas le support de culture. L’aération est assurée par un effet de tirage de cheminée, ce qui évite la présence de pièce mécanique en rotation et toute usure prématurée. Enfin, la culture est réalisée en enceinte close supprimant le problème de dissémination éventuelle d’aérosols et d’odeurs et facilitant le travail par lot (traçabilité). À terme, cette fermentation fongique en milieu solide constituera un système de traitement compact à part entière : obtention d’amendements stables sur site à partir de résidus solides de l’industrie ou d’élevage. L'intégration dans une filière classique de cet outil visant à produire suffisamment de biomasse fongique in situ (scale up) pour ensemencer des andains beaucoup plus volumineux selon des conditions économiquement acceptables (lors du compostage de boues urbaines par exemple – Schéma 1) pourra également être envisagée.
Amplification de Trichoderma harzianum
Une autre application liée à la culture fongique solide serait la fonctionnalisation des matières organiques résiduaires. Dans ce cas, l’objectif n’est plus l’amplification de la flore fongique totale endogène mais uniquement celle d'une souche clairement définie.
Il peut s’agir de Trichoderma harzianum, agent de lutte contre des agents infectieux telluriques des plantes. Autrement dit, le but est la fourniture d’amendements capables de protéger les plantes contre certains parasites du sol.
Cette démarche apporte une réponse cohérente à une demande sociale profonde qui impose de plus en plus une utilisation raisonnée des pesticides. L’objectif est bien de réduire les quantités de pesticides épandus et les contaminations des eaux qui peuvent en découler via la mise en place d’une solution alternative. Le Grenelle de l’Environnement sur les pratiques culturales et le retrait programmé de substances actives conformément à la future législation européenne vont d’ailleurs dans ce sens.
Nous avons ciblé l’espèce Trichoderma harzianum car d'une part les sols et les matières organiques en décomposition constituent son écosystème naturel et d’autre part, il s’agit d’un antagoniste bien référencé ayant un spectre d’activité large et donc applicable à un grand nombre de cultures. De plus, en raison de ses fortes activités cellulolytiques et hémicellulolytiques, ce champignon est adapté pour la valorisation de la plupart des déchets agricoles (déchets généralement riches en cellulose) et urbains (les boues urbaines possèdent environ 20 % de cellulose et d’hémicellulose). L’ensemencement des résidus à l’aide d'un inoculum de Trichoderma harzianum standardisé combiné aux conditions physico-chimiques spécifiques créées par notre procédé doit aboutir à des enrichissements considérables en spores de cet agent de biocontrôle notoire.
Du fait d’apports réguliers et importants (plusieurs centaines de kg par ha) des amendements organiques et du faible coût de production de Trichoderma dans les conditions précédemment évoquées (faible coût des matières premières et d’exploitation de notre procédé par rapport à des fermentations industrielles classiques), cette stratégie autorisera un véritable apport inondatif sur les sols. Cet ensemencement massif est l'une des clefs de la réussite pour permettre l’expression de l’antagonisme d'un auxiliaire microbien.
Un autre élément à intégrer est le statut réglementaire qu’aurait un tel produit. S’agit-il d’un amendement organique, d’un compost ou d’un produit phytosanitaire ? Quelle est la logique produit ? Si nous considérons uniquement la fonction phytosanitaire, les agents de lutte biologique, comme n’importe quel autre produit de protection des plantes, doivent bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché (A.M.M.) conformément à la directive communautaire 91/414/CEE. Dans tous les cas ce dossier A.M.M. implique une identification précise, une caractérisation et une description du mode d’action de la souche concernée.
Pour concrétiser ce projet, une souche tellurique de Trichoderma harzianum a donc été isolée. Elle a déjà fait l'objet d'une identification taxonomique par technique de biologie moléculaire ; à savoir un séquençage des zones ITS de l'ADN nucléaire ribosomal et un dépôt à la Collection Nationale de Culture de Microorganismes (CNCM) de l’Institut Pasteur. Nous avons aussi montré que cette souche était capable in vitro d’inhiber le champignon Gaeumannomyces graminis var tritici, agent infectieux responsable du piétin échaudage sur blé (Photographie 4). Aujourd’hui, des essais de production sur divers déchets solides avec notre dispositif sont en cours : ils permettront de caractériser les taux d’amplification possibles selon l'origine mais aussi les valeurs agronomiques des matières traitées (teneurs en azote, rapport C/N, matière sèche...). Nous ne doutons pas qu’à l'avenir, de telles approches simples et rustiques de valorisa-
Production par fermentation solide dirigée capables de produire de véritables alternatives aux intrants phytopharmaceutiques issus de la chimie de synthèse vont se multiplier. Il faut aussi rappeler que le doublement de la production de compost prévu d'ici 2015 doit induire le développement rapide et massif de nouveaux types de recyclages biologiques des matières. Là encore, notre démarche pourrait s’inscrire dans cette logique.
Références
* Bae YS, Knudsen GR. (2005). Soil microbial biomass influence on growth and biocontrol efficacy of Trichoderma harzianum. Biol. Control, 32, 236-242.
* Clarkson JP, Mead A, Payne T et al. (2004). Effect of environmental factors et Sclerotium cepivorum isolate on sclerotial degradation and biological control of white rot by Trichoderma. Plant Pathol., 53, 353-362.
* Davet P. (1996). Vie microbienne du sol et production végétale. INRA Ed., 383 p.
* Manczinger L, Molnar A, Kredics L et al. (2002). Production of bacteriolytic enzymes par mycoparasitic Trichoderma strains. World J. Microb. Biotechnol., 18, 147-150.
* Reczey K, Szengyel R, Eklund R et al. (1996). Cellulase production by T. reesei. Biores. Technol., 57, 25-30.
* Stengel P, Bruckler L, Balesdent J. (2009). Le sol. Ed. Quae, 183 p.
* Vinale F, Marra R, Scala F et al. (2006). Major secondary metabolites produced par two commercial Trichoderma strains active against different phytopathogens. Lett. Appl. Microbiol., 43, 143-148.
* Vinale F, Sivasithamparam K, Ghisalberti EL et al. (2008). Trichoderma-plant-pathogen interactions. Soil Biol. Biochem., 40, 1-10.
* Vlasen SD, Djerjeva G, Raykovska V et al. (1997). Cellulase production by Trichoderma sp. grown on corn fibre substrate. Process Biochem., 32, 561-565.