En 1987, après avoir commencé à examiner les possibilités d'utilisation de l'intelligence artificielle dans les différents domaines de notre activité, et après une étude réalisée par une société extérieure sur les besoins exprimés par les différents services, il est apparu que l'un des sujets pour lesquels une aide pourrait ainsi nous être apportée concernait le traitement de l'eau chaude sanitaire.
Il a donc été décidé de développer un système-expert qui puisse servir comme outil de travail pour répondre aux différents problèmes qui se posent lors du traitement de l'eau chaude sanitaire (ECS).
Pourquoi un système-expert ?
Les raisons de la décision prise procèdent de quatre motivations :
- — scientifique : application d’une technique de pointe dans le métier des exploitants d'eau chaude sanitaire, tout en développant les connaissances dans le domaine de l'utilisation de l'intelligence artificielle au sein de la société ;
- — technique : le système-expert peut servir à un nombre important d’utilisateurs dans leurs travaux quotidiens, du rondier qui peut avoir besoin de le consulter pour l’aide au prélèvement, au chef de secteur désireux de connaître l'interprétation des résultats d'une analyse chimique d'eau chaude sanitaire, ou les causes possibles de défaillance d'une installation, ou de consulter soit le catalogue des fournisseurs de différents produits, soit la réglementation concernant un point ou problème spécifique ;
- — économique : ce système permet de réagir plus rapidement en cas de panne sur une installation (il n'est plus nécessaire de déranger l’expert humain que pour les cas graves), et donc de diminuer les dépenses d’entretien et de réparation ;
- — formation : un tel outil permet de contribuer à l'amélioration de la technicité du personnel en lui faisant progressivement apprendre une partie du savoir de l'expert humain ; on a constaté, par exemple, que beaucoup de techniciens, même après un court stage de formation, gardent en mémoire des critères trop généraux, comme celui qui consiste à considérer qu'une eau à dureté élevée est forcément entartrante, alors que ce caractère entartrant dépend de la combinaison d’au moins quatre indicateurs : Th, TAC, pH, température...
Enquête préalable auprès des utilisateurs
Avant de passer à l'étape suivante, nous avons mené une enquête auprès d’une quarantaine de techniciens, chefs de secteur, et directeurs d’agences, afin d’évaluer le besoin réel d'un tel système-expert et les services qu'il peut rendre dans une installation de production d'eau chaude sanitaire.
Le taux de réponses favorables a été de 93 % et 7 % de réponses « diverses ». Il n'y a pas eu de réponses défavorables.
À la question :
Faut-il développer davantage la partie :
- I — analyse et interprétation (aide aux prélèvements et diagnostics),
- II — le diagnostic de panne,
- III — les deux,
les réponses ont été : 67 % pour I, 7 % pour II, et 26 % pour III (figure 1).
Il a été, bien entendu, tenu le plus grand compte de ces réponses dans le développement du système.
Les différentes étapes
La première étape a consisté à prouver la faisabilité du procédé ; pour cela, il a fallu en établir la maquette, qui a été réalisée sur un ordinateur Mac Intosh SE ; elle comportait un peu plus de 350 règles.
La deuxième étape a été la réalisation, en grandeur réelle, du système-expert qu’on a dénommé « Inteleau », et qui a été développé pendant le deuxième semestre de l'année 1988.
La dernière étape a consisté à le mettre en place dans un serveur, pour son utilisation par l'intermédiaire du Minitel.
Champ d’application du système-expert
Un système-expert permet à un ordinateur de reproduire le raisonnement d'un expert humain, dans un domaine spécifique et très limité ; il possède donc une capacité de raisonnement déductif et/ou inductif.
Lorsqu’un expert humain recherche la cause d'un défaut de fonctionnement d'une installation, ou interprète les résultats d'une analyse d’ECS, il met en œuvre un certain nombre de règles, méthodes et procédures de diagnostics élémentaires, plus ou moins complexes. On comprend aisément qu'il utilise de manière plus fréquente les procédures les plus simples de préférence aux plus complexes. Ainsi, lorsqu'on essaie de classer les procédures de diagnostic par degré de complexité C1, et de trouver une corrélation avec leur fréquence d'application F1, on aboutit à une courbe ayant l’allure de la figure 1 dont la surface D représente tous les diagnostics possibles et imaginables.
LE DIAGNOSTIC ASSISTÉ PAR SYSTÈME EXPERT
Dans le domaine de la maintenance et de l'entretien, on se trouve face à un problème non routinier si l'on fait intervenir l'expert, d'abord pour obtenir son diagnostic, ensuite pour définir l'action corrective.
Dans l’état actuel de l'art, on constate que le diagnostic correspond souvent à un sous-emploi des capacités déductives de l'expert humain, ce qui conduit à un surcoût de la maintenance (figure 2).
Théoriquement, pour un problème et un expert humain donnés, nous pouvons distinguer trois parties sur le schéma de représentation des diagnostics (figures 2 et 3) :
a) les procédures les plus complexes (en noir), que l'expert humain connaît mal et qui font partie du domaine de l'incertain (Di) ;
b) les procédures simples (en hachuré à la base du graphique 3), que l'expert humain maîtrise parfaitement ;
c) entre les deux, la partie des procédures que l'expert humain connaît, mais qui lui demandent des efforts d’investigation plus importants pour les mettre en œuvre.
Les procédures décrites ci-dessus en b et c sont des champs d'application particulièrement bien adaptés à l'utilisation d'un système-expert.
Face à un problème, comment l'expert humain procède-t-il concrètement ?
Il commence évidemment par mettre en application des procédures, des plus simples aux plus compliquées, par un cheminement plus ou moins organisé.
Les issues possibles sont les suivantes :
— ou bien le diagnostic se révèle très simple, et alors quelle dépense inutile (déplacement d'un spécialiste), et quelle déception pour l’expert ! — ou bien le diagnostic se révèle compliqué, et l'expert a besoin de toutes ses connaissances et capacités déductives pour trouver la solution. Il a également besoin de temps, et donc il ne doit pas être dérangé, pendant ses investigations, par d'autres problèmes qui se révèlent plus mineurs.
La limite de diagnostic pour l'expert humain, « limite de l'expert » (figure 3), est le début du domaine de l'incertain Di.
Logiquement, la limite de diagnostic du système-expert est bien en dessous de la limite de diagnostic de l'expert humain, mais malgré cela il peut couvrir plus de 50 % du domaine des diagnostics D (figure 3). Le système-expert déchargera donc l'expert humain d'une part importante de sa charge actuelle de travail, lui permettant ainsi de se consacrer tout entier aux cas difficiles qui ne relèvent pas du système-expert.
Le système-expert Intealeau
Le système expert pour le traitement d'eau chaude sanitaire développé par Cofreth est conçu pour devenir un outil de travail spécialement adapté aux besoins de traitement d’E.C.S.
La figure 12 montre la séquence d'une consultation.
L'accès se fait par le Minitel, grâce à un mot de passe ; apparaît alors le « menu principal » (figure 4), avec, comme choix possibles :
1 - Catalogue des méthodes d’analyse, 2 - Interprétation d’analyse, 3 - Diagnostic de pannes, 4 - Consultation de la réglementation, 5 - Catalogue des fournisseurs.
L'opérateur peut demander d’afficher sur l'écran une ou plusieurs de ces méthodes, les unes après les autres, dans la même session (figure 5). Si l’on choisit par exemple « silicates », le système affichera, page par page, les différentes méthodes d’analyse de silice (figure 6). Il peut fournir aussi une aide aux prélèvements.
Le cœur central du système expert se situe dans les points 2 et 3 du menu principal.
Le point 2 permet d’interpréter les résultats essentiels à partir d'une analyse chimique de l'eau, et donc de connaître le caractère de l'ECS que l'on distribue.
Pour sa part, le point 3 du menu principal, « Souhaitez-vous un diagnostic de pannes ? », est une aide au diagnostic des incidents dans les installations de production et de distribution d'eau chaude sanitaire.
Le point 4, « Consultation de la réglementation », permet à l’opérateur de trouver des réponses sur les points spécifiques concernant la réglementation.
sur la production et la distribution d’ECS ; sont concernés les chapitres sur l’adoucisseur, le disconnecteur, le conditionnement et la conception de l’installation.
Le point 5, « Désirez-vous consulter le catalogue Fournisseurs », fournit une liste relativement complète des fournisseurs, matériaux et produits chimiques, avec des explications concernant les traitements à effectuer.
Exemples de « raisonnement » du système-expert Inteleau
Premier exemple (aide à l’interprétation d’analyse) : voir figures 7 et 8.
Les figures 8, 9 et 10 nous montrent une séquence d’un exemple concret de consultation du système-expert dans un cas réel.
Dans cet exemple, le technicien chargé du site ne savait pas interpréter les résultats d’analyses suivants : Th = 38 °F ; TAC = 21 °F ; pH = 7,1 ; température de l’eau froide : 12 °C ; température de l’eau chaude : 60 °C. L’agent ne pouvait pas dire si son eau était agressive, entartrante ou équilibrée.
Tout d’abord, le système-expert lui a demandé de préciser les dispositifs de traitement existant sur l’installation (figure 7) ; ensuite, il a demandé de taper sur le clavier les résultats des analyses.
Après quelques instants de calculs et de « raisonnement », Inteleau affiche deux remarques :
— « l’eau froide à l’arrivée de votre installation est corrosive », — « l’eau chaude véhiculée dans le réseau en question est entartrante ».
Lorsqu’on tape sur « suite », Inteleau nous donne alors des suggestions, des actions à entreprendre :
— « pour l’eau froide, se reporter au menu principal, chapitre réglementation », — « pour l’eau chaude, un traitement est nécessaire » (figure 9).
Et en conclusion finale il affiche (figure 10) :
— « l’installation d’un adoucisseur s’avère nécessaire », — « l’installation d’une station de dosage d’un produit anti-corrosion est nécessaire ».
Deuxième exemple (recherche de panne)
Voyons une autre situation réelle. Dans une installation dans laquelle on relève un problème de température trop faible (eau tiède et non pas chaude) partout dans le réseau, régulièrement, et pour une durée de moins de 5 minutes, on a voulu trouver une explication.
Inteleau nous pose encore un certain nombre de questions, auxquelles on a répondu ainsi : température ECS : tiède ; débit ECS : normal ; couleur ECS : normale ; localisation de l’incident : partout ; fréquence de l’incident : régulière.
Ensuite, le système nous demande de saisir les caractéristiques de l’installation : il y a sur place un organe de régulation, de filtration, un compteur, un recyclage, un disconnecteur, une vanne d’isolement, un équipement anti-bélier, un détendeur, un dégazeur, des manchettes témoins, un surpresseur, un adoucisseur avec by-pass ; il n’existe pas de conditionnement.
Le type de chauffage est primaire ; le réchauffement s’effectue en ballon, et, comme matériau présent dans le réseau, il y a du fer noir. Quelques instants de « réflexion » après, le système nous demande si la durée de l’incident est connue : on répond « oui » ; aussitôt, il demande quelle est cette durée, on répond : 4 minutes.
Il nous demande si le soutirage a lieu tard le soir ou tôt le matin : nous confirmons par oui. À ce moment, le système nous demande de préciser si le recyclage est arrêté pendant la nuit ; on confirme que oui, alors Inteleau affiche sa conclusion :
« Panne trouvée : les points de consigne asservissant le système de recyclage ne sont pas adaptés à l’utilisation du client :
— le recyclage est arrêté trop tôt le soir ou remis trop tard le matin, — modifier les points de consigne d’engagement ou de déclenchement du recyclage. »
Pour conclure, nous présentons sur la figure 11 l’organigramme de consultation donnant la marche à suivre en matière d’intervention du système Inteleau.