Les boues issues du traitement biologique d’eaux résiduaires constituent une source énergétique potentielle, soit par le gaz produit lors de leur digestion anaérobie, soit par la chaleur récupérable lors de leur incinération après le conditionnement approprié les rendant autocombustibles.
La station d'épuration du Mans fonctionne selon cette seconde possibilité de récupération énergétique grâce à une filière de traitement des boues comprenant un conditionnement thermique, une centrifugation suivie d'une incinération. O.T.V. a été amené à étudier l'amélioration de cette filière en valorisant le potentiel énergétique que représente le traitement par voie anaérobie des liqueurs de conditionnement thermique. Cette opération présente de plus l'avantage de réduire la surcharge polluante qu’occasionne leur retour en tête de station.
HISTORIQUE DE LA STATION DU MANS
La première tranche de la station d’épuration du Mans fut construite en 1965 pour une capacité de traitement de 50 000 habitants, l’épuration des eaux étant réalisée selon la technique des boues activées, les boues issues du procédé étant traitées par digestion anaérobie.
Le système de digestion installé est de conception classique ; il comporte un digesteur primaire suivi d'un digesteur secondaire surmonté d'une cloche à gaz.
L'accroissement de la pollution raccordée a nécessité divers agrandissements successifs :
- En 1972 : extension du traitement de l'eau et du traitement des boues. La capacité de traitement est portée à 150 000 habitants. Le traitement des boues, dans cette extension, se fait par conditionnement thermique suivi d'une centrifugation. Les liqueurs de conditionnement sont renvoyées en tête du biologique et les boues sont mises en décharge. — En 1977 : installation d'un four d'incinération pour les boues conditionnées. La capacité du traitement des boues se trouve portée à 350 000 habitants.
Au lieu de mettre en décharge les boues issues du conditionnement, leur autocombustibilité est utilisée pour récupérer, au niveau du four, de la chaleur et permettre ainsi le fonctionnement du conditionnement thermique sans apport d’énergie extérieure. Cette modification est devenue extrêmement payante avec la hausse du coût de l'énergie.
La totalité des boues produites est traitée sur la filière : conditionnement thermique, centrifugation, incinération. Le digesteur ne fait plus partie de la chaîne de traitement des boues. — En 1980 : extension du traitement de l’eau par l'installation d'un biologique utilisant l'oxygène pur. La capacité du traitement de l'eau est portée à 250 000 habitants.
OBJECTIFS
On constate que les aménagements successifs ont finalement abouti à l'abandon complet de la filière primitive du traitement des boues. En conséquence, on dispose d'un digesteur conventionnel qui se trouve inutilisé.
Dans la filière actuellement utilisée le retour en tête des liqueurs de conditionnement thermique provoque
un accroissement de 30 % (*) de la charge polluante traitée sur le biologique, et donc un accroissement sensiblement équivalent de l'énergie consommée à ce poste. L’autonomie énergétique du traitement des boues, précédemment citée, n'est qu’apparente.
Dans ces conditions, il a été procédé à des essais ayant comme objectif d’obtenir réellement l’autonomie énergétique sur le traitement des boues. La réutilisation du digesteur existant pour y prétraiter les liqueurs de conditionnement thermique (rejets concentrés en pollution) avant retour en tête de station, présente le triple avantage d'utiliser au mieux les installations existantes, de limiter la surcharge de pollution sur le traitement biologique et de récupérer un complément d’énergie sous forme de biogaz.
ESSAIS SUR UNE UNITÉ PILOTE
Pour définir les aménagements éventuels à effectuer sur le digesteur existant, on a réalisé les essais sur pilote. Les conditions de charge volumique de ces essais sont celles qui seraient effectivement appliquées sur l’installation réelle traitant la totalité des liqueurs sur le digesteur existant.
Le digesteur est constitué d'une cuve de 100 l, thermostatée à 35 °C et brassée par recirculation à l'aide d'une pompe. Le gaz produit est recueilli dans une cloche à gaz. Avant l'alimentation du digesteur, il est possible de faire transiter les liqueurs dans une cuve de stockage de 7,5 l, pouvant être assimilée à l’étape d'acidification. Un décanteur final de 6 l est installé en aval et il y a possibilité d’en recycler les boues vers le digesteur.
Avec un fonctionnement sans recyclage des boues, on ne peut concentrer à plus de 3 g/l la biomasse dans le digesteur.
Les essais avec recyclage ont permis d’obtenir des concentrations voisines de 12 g/l. On a donc intérêt à modifier l'installation existante selon le procédé contact-anaérobie.
Lors des essais effectués sans la première cuve, le fonctionnement du digesteur s’est révélé instable. Il a donc semblé préférable de prévoir une étape d’acidification.
Pour la charge volumique moyenne de 3,6 kg DCO/m³·jour et une concentration de boues de 12 g/l (soit une charge massique de 0,30 kg DCO/kg·jour), on obtient les résultats suivants :
Caractéristiques des liqueurs de conditionnement thermique | Caractéristiques après digestion | Rendements |
---|---|---|
DCO entier : 22 500 mg/l | 5 500 mg/l | 75 % |
DCO₅ : 19 500 mg/l | 4 500 mg/l | 77 % |
DBO₅ : 10 000 mg/l | 1 800 mg/l | 82 % |
MEST : 1 600 mg/l | 800 mg/l |
La production de gaz est de 0,4 m³/kg DCO éliminée. La teneur en CH₄ est de 75 %.
Jusqu’à une charge massique de 0,4 kg/kg·jour, le rendement d’épuration sur la DCO varie peu.
Ces divers résultats montrent la faisabilité de la filière envisagée sous réserve de certaines modifications de l'installation existante : transformation en un procédé contact-anaérobie et addition d'une étape d’acidification.
MODIFICATIONS DE L’INSTALLATION DE DIGESTION
L'installation existante est composée de :
- — un digesteur primaire V = 2 160 m³
- — un digesteur secondaire V = 440 m³ surmonté d’une cloche à gaz.
Il existe aussi deux épaississeurs secondaires, non utilisés V = 120 m³.
Ces divers éléments ont été recombinés pour réaliser la digestion des liqueurs de traitements thermiques en deux étapes (acidification, méthanisation) et selon le procédé contact-anaérobie (décantation et recyclage des boues).
(*) Compte tenu de ce que la capacité du conditionnement thermique est supérieure à celle du poste de traitement des eaux et qu'il ne fonctionne pas en permanence.
À cet effet, les deux épaississeurs ont été recouverts et utilisés pour l'étape d'acidification. Le digesteur secondaire fait office de décanteur. Un circuit de recirculation des boues a été ajouté entre le fond du digesteur secondaire et le digesteur primaire.
RÉSULTATS DE L'INSTALLATION
Mise en régime
Le digesteur a été utilisé avant modification, comme transit des liqueurs de traitement thermique avant retour sur le traitement biologique. Cette opération a eu pour but de vérifier le bon fonctionnement mécanique de l'ouvrage. Durant cette période, on a obtenu un abattement de 20 % de la DCO soluble, la concentration des boues étant de 3 g/l.
Après les diverses modifications, toute alimentation a été cessée pour permettre à la phase de méthanisation de s'amorcer. Le pH a augmenté et s'est stabilisé vers 7,5, la DCO a chuté à environ 4 000 mg/l. L'alimentation a été augmentée progressivement jusqu'à admettre la totalité des liqueurs.
Résultats en régime
Les essais ont été réalisés avant le raccordement de la dernière tranche de 100 000 équivalents-habitants. En attente du raccordement très prochain d'un nouvel émissaire, la station ne traite aujourd'hui que la pollution de 150 000 habitants, alors que le traitement thermique est dimensionné pour 250 000 habitants. En conséquence, le fonctionnement de ce poste est discontinu (en moyenne : 11,3 jours de fonctionnement par mois en 1980).
Le digesteur est donc alimenté en discontinu.
Pendant la période de non-alimentation, la DCO du surnageant chute jusqu'à des valeurs voisines de 4 000 mg/l. Durant les périodes de fonctionnement, on atteint des valeurs de DCO de 6 500 à 7 000 mg/l, pour des charges massiques de 0,35 à 0,4 kg DCO/kg·jour et un temps de séjour de 6 jours.
Le digesteur secondaire, utilisé en décanteur, n'a évidemment pas une efficacité optimale et, en conséquence, la perte en MEST dans l'effluent (environ 2 000 mg/l) est plus élevée que lors des essais pilotes (500 à 800 mg/l). Ces matières en suspension décantent cependant très bien (70 % d'abattement en 30 min). Au niveau de la station, cette perte en MEST n'est pas gênante, car elles sont piégées dans le décanteur primaire. Le biologique ne reçoit que la fraction soluble des liqueurs après digestion.
En dépit du fonctionnement médiocre du système de décantation utilisé, on arrive à maintenir une concentration de 12 g/l dans l'ouvrage, ce qui constitue l'optimum obtenu au cours des essais pilotes.
La courbe ci-dessous montre le fonctionnement sur une période de deux mois.
La concentration en DCO de la fraction soluble des liqueurs digérées revenant sur le biologique est de 5 000 à 6 000 mg/l (rapport DBO/DCO ≈ 0,30). L'utilisation du digesteur a donc permis de réduire de 70 % la charge polluante due aux retours en tête des liqueurs.
BILAN ÉNERGÉTIQUE
La station d’épuration consomme de l’énergie à tous les postes de traitement (dégrillage, relevage, traitement biologique, traitement des boues) sous forme d’électricité, de fuel, de gaz.
Il est possible de récupérer de l’énergie au niveau du traitement des boues sous forme de chaleur (échangeurs au niveau du four) et de gaz de digestion.
La représentation suivante schématise le bilan énergétique du traitement des boues pour 150 000 équivalents-habitants :
1) Bilan sans digestion
Liqueurs : 130 m³/j1 t br/j1 000 kWh/j pour le traitement biologique
Bilan global en fonctionnement continu :
Consommation | Production | Total en th/j |
---|---|---|
Électricité .......... 3 800 kWh/j | → | 3 273 th/j |
Chaleur .............. 10 800 th/j | 10 800 th/j | |
TOTAL ................ | + 7 527 th/j |
2) Bilan avec digestion
Liqueurs digérées : 130 m³/j1 t br/jÉlectricité .......... 2 800 kWh/j
Bilan global en fonctionnement continu :
Consommation | Production | Total en th/j |
---|---|---|
Électricité .......... 3 070 kWh/j | → | 2 640 th/j |
Chaleur .............. 10 800 th/j | + 10 800 th/j | |
Gaz .................. 820 m³/j | 4 510 th/j | |
TOTAL ................ | 12 672 th/j |
3) Démarrage du four et du conditionnement thermique : 4 200 l de fuel/démarrage.
Le prochain raccordement de 100 000 équivalents-habitants permettra un fonctionnement plus continu et évitera les consommations de fuel inhérentes au démarrage.
En régime établi, le bilan thermique de la filière des boues est positif. La mise en service de la digestion fait apparaître un gain net de 5 100 th/j.
CONCLUSION
L’expérimentation montre qu’une filière de traitement des boues incluant traitement thermique, incinération des boues et digestion doit permettre l’autonomie énergétique du traitement des boues, plus un excédent, partie sous forme de chaleur, partie sous forme de biogaz.
L’expérimentation réalisée a été faite en réutilisant le matériel existant qui ne permet pas l’optimisation au niveau de la digestion.
Pour une installation nouvelle conçue selon cette filière, le choix de la technologie de la digestion devrait permettre un meilleur rendement d’épuration et un volume d’ouvrage plus faible. Des essais réalisés en Hollande sur un UASB permettent d’obtenir des rendements de 75 à 80 % pour une charge volumique de 10 kg DCO/m³/jour.