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Inondations: aperçus sur les urbanisations à risques

27 février 1998 Paru dans le N°209 à la page 44 ( mots)

Cet article traite de l'influence des modes d'urbanisation sur la genèse des catastrophes par inondations. Il esquisse une typologie des onze configurations topographiques et hydrographiques autres que celle - bien connue - de l'urbanisation des vallées alluviales. Sont abordées aussi, les dynamiques particulières d'urbanisation à risques. L'accent est mis sur deux phénomènes très répandus : l'étranglement généralisé des lits mineurs, et, hors de ceux-ci, les divers cas d'effet de barrière à l'écoulement. L'attention est attirée aussi sur la dangerosité des petits cours d'eau et de leur mise en souterrain. Deux exemples concrets sont détaillés. Enfin, parmi les causes des catastrophes, l'auteur traite de l'absence des règles de l'art à caractère officiel. Il propose l'adjonction au code de l'urbanisme d'un bref article relatif à la prise en compte des risques lors de l'élaboration ou de la révision des plans d'Occupation des Sols (POS).

L’accent est mis sur deux phénomènes très répandus : l’étranglement généralisé des lits mineurs et, hors de ceux-ci, les divers cas d’effet de barrière à l’écoulement. L’attention est attirée aussi sur la dangerosité des petits cours d’eau et de leur mise en souterrain.

Deux exemples concrets sont détaillés. Enfin, parmi les causes des catastrophes, l’auteur traite de l’absence des règles de l’art à caractère officiel. Il propose l’adjonction au code de l’urbanisme d’un bref article relatif à la prise en compte des risques lors de l’élaboration ou de la révision des Plans d’Occupation des Sols (POS).

Après chaque inondation, population, médias et pouvoirs publics s’interrogent sur les causes du phénomène. Ignorant la complexité de ces causes, certains veulent trouver un “coupable”, le “condamner” et... penser à autre chose. D’autres veulent déterminer les causes pour les corriger afin d’éviter le renouvellement de la catastrophe.

Confusion entre aléa et vulnérabilités

Beaucoup de débats se déroulent dans la confusion et n’aboutissent à rien en raison de l'absence de distinction entre aléa et vulnérabilité. Le concept de risque réunit deux éléments : un phénomène aléatoire de faible probabilité et ses conséquences (éventuellement amplifiées par l'ignorance ou l’imprudence des hommes). Le risque est donc la combinaison de “l'aléa” et de la vulnérabilité des biens et des personnes exposés aux effets de l’aléa. Les inondations qui font trop souvent l’actualité résultent donc de la rencontre entre un phénomène naturel aléatoire (ruissellement exceptionnel, crue de cours d'eau...) et des vulnérabilités.

Les vulnérabilités sont les routes endommagées ou coupées, les ponts emportés, les bâtiments inondés et parfois détruits, les réseaux d’électricité et d’eau potable mis hors service, etc. À cela s’ajoutent les pertes de vies humaines.

En l'absence de vulnérabilités importantes,

(9) Expert pour le secteur “risque pluvial" auprès de l’Institut de prévention et de gestion des risques (IPGR) de Marseille

[Photo : Exemple d’empiétement (affluent de la Sarthe) Vue vers l’aval : on remarque l’important empiétement réalisé en rive droite à l’aval de la passerelle. Pour agrandir un jardin d'agrément, la largeur du lit de la rivière a été réduite, approximativement de moitié.]

Le phénomène naturel, même à caractère exceptionnel, ne suscite que peu d’intérêt ou passe inaperçu.

Recherches sur l’aléa et défaut d’appréciation

Les hydrologues et météorologues développent leurs recherches sur le phénomène naturel, encore mal connu. Ces recherches portent, en particulier, sur les actions humaines susceptibles d’aggraver le débit des crues : déforestation, imperméabilisation des sols due à l’urbanisation, remembrement, drainage... Tout en continuant à invoquer les “colères de la nature” et la fatalité, populations, élus et médias mettent souvent en cause ces actions. On remarquera que celles-ci sont conduites sur le bassin versant, c’est-à-dire en amont de la zone ayant subi des dommages. On s’interroge beaucoup moins sur les actions conduites à l’intérieur de la zone affectée, c’est-à-dire sur l’influence des modes d’urbanisation sur la genèse des catastrophes.

L’urbanisation des lits majeurs n’est pas seule en cause

Quand on évoque les urbanisations à risques, il s’agit, la plupart du temps, de l’urbanisation des lits majeurs des fleuves et rivières. Certes, c’est une des causes principales des inondations mais c’est loin d’être la seule. L’évolution des lits mineurs au fur et à mesure du développement des agglomérations joue un rôle tout aussi important, sinon plus ; en particulier dans les petits bassins versants (torrents et ruisseaux), très nombreux et très sensibles aux orages.

Il existe, d’ailleurs, bien d’autres configurations topographiques que le cas classique des fleuves et rivières à lit majeur.

Dans chacune de ces configurations, l’écoulement des eaux de ruissellement ou de cours d’eau s’effectue dans des conditions particulières et présente des dangers spécifiques. Ces conditions et ces dangers, méconnus de beaucoup d’acteurs de l’aménagement, ne sont alors pas convenablement pris en compte dans les urbanisations qui deviennent ainsi des urbanisations à risques.

Dans le paragraphe suivant, une typologie sommaire des configurations topographiques courantes est esquissée. Chacune de ces configurations nécessite des précautions particulières dans l’utilisation des sols, en particulier lors de l’élaboration des “Plans d’Occupation des sols” (POS).

Contexte topographique ou hydrographique et processus d’urbanisation

Les principales configurations topographiques et hydrographiques sont les suivantes :

  • - vallées et vallons encaissés
  • - vallées alluviales (phénomène précité d’urbanisation des lits majeurs)
  • - zones de forts épanchements à hauts risques :
    • - cônes de déjections
    • - piémonts
    • - basses plaines avec cours d’eau perchés
  • - zones plates avec ou sans bassin versant extérieur
  • - zones vallonnées dépourvues de cours d’eau : dans beaucoup de zones où de petits
[Photo : Exemple d’étranglement généralisé (ruisseau affluent de l’Huisne) Vue vers l’aval : en rive droite, tous les propriétaires de villas ont empiété sur le lit en construisant leurs murs de clôture. En rive gauche, l’empiétement est d’abord modéré : un rideau de madriers jointifs a permis un remblaiement partiel de la berge. Plus en aval aux abords d’une route transversale, l’empiétement est sévère. Il se termine par une mise en souterrain sous la route. Au-delà de la route, les villas riveraines de celle-ci forment effet de barrière.]
[Photo : Figure 3 : Exemple d'étranglement généralisé d’un lit mineur par empiétements progressifs]

cours d'eau existaient, on peut reprocher aux aménageurs de les avoir « étranglés » ou fait disparaître par mise en souterrain. Dans les zones étendues dépourvues de cours d'eau, l’erreur consiste à ne pas en créer (les écoulements étant traités par les seules techniques de l’assainissement pluvial, insuffisantes lorsque le bassin versant dépasse, suivant la région, un à deux kilomètres carrés).

  • agglomération perchée dont l'extension se fait dans la plaine inondable.
  • agglomération « descendante » sur un versant sans talweg : l'urbanisation a pris naissance au sommet d’un versant (simple coteau à pente plus ou moins marquée) et elle s’étend vers le bas, sur une distance importante (2 à 3 km par exemple), sans atteindre la plaine inondable.
  • agglomération « montante » (phénomène inverse du précédent) sur un coteau, drainé ou non par un ou plusieurs petits cours d’eau.
  • urbanisation d'une zone rurale où il y a confusion entre réseau d’irrigation et réseau d’évacuation, c’est-à-dire entre canaux et ruisseaux.
  • zone exposée à des inondations par « ruissellement primaire ». Il s'agit de ruissellement au sens strict, sur la surface de réception pluviale comme sur un versant de toiture, que l'on doit distinguer du « ruissellement secondaire » qui est, en fait, un épanchement.

Le « ruissellement secondaire » est l’étalement d'un flux déjà concentré ; il s’observe sur les cônes de déjection torrentielle, les piémonts et les basses plaines. La confusion entre ces deux phénomènes, profondément différents l’un de l’autre, ne peut qu’aboutir à une mauvaise prise en compte des risques.

Indépendamment des contextes topographiques et hydrographiques, certaines dynamiques d’urbanisation sont elles-mêmes génératrices de risques. Les deux principales font l’objet du paragraphe suivant.

Dynamiques d’urbanisation à risques

Urbanisation par pôles séparés

Plusieurs communes sont situées sur le même bassin versant. Chacune comporte une agglomération qui se développe sans se préoccuper de ce qui se passe sur les communes voisines. Au bout de vingt ou trente ans, ces agglomérations finissent par se rejoindre. Les dispositifs d’écoulement adoptés à l’origine pour les petites agglomérations initiales s’avèrent inadaptés à la grande agglomération à laquelle on a abouti (cas des urbanisations satellites des villes en expansion).

Urbanisation diffuse se densifiant

Contrairement à l’urbanisation en tache d'huile, il s’agit d’abord de constructions très isolées, édifiées à plusieurs centaines de mètres, voire à plusieurs kilomètres d'une agglomération existante. Puis, d’autres constructions éparpillées sont progressivement édifiées dans les espaces libres et, à la longue, les constructions initialement isolées sont intégrées dans une agglomération continue. Le phénomène n’a pas été perçu à l'origine et, comme dans le cas précédent, le dispositif d’écoulement qui était suffisant pour une zone rurale s'avère inadapté à la grande agglomération finale (il en va de même pour d’autres équipements collectifs : routes, etc. au profit desquels on finit souvent par sacrifier des espaces qui devraient être réservés à l’écoulement des eaux).

Urbanisation créatrice d’obstacles à l’écoulement et de vulnérabilités

Dans presque toutes les situations énumérées ci-dessus, la genèse des risques résulte du fait que les dispositions d’aménagement réduisent les possibilités d’écoulement par multiplication d’obstacles, lesquels créent autant de vulnérabilités nouvelles.

Il convient d’insister sur le fait que le phénomène passe en général inaperçu car il est

lent, progressif et diffus. Ces obstacles relèvent des quatre types suivants :

  • - empiétements diffus sur le lit mineur (voir figure 1 et 3)
  • - “bouchon” édifié sur le lit mineur
  • - étranglement généralisé du lit mineur (voir figure 4)
  • - effet de barrière (voir figure 2)
[Photo : Figure 4 : Profil en travers du torrent traversant une station touristique de montagne (Les cotes sont en mètres, la numérotation est faite de l’amont vers l’aval)]

Empiétements, bouchons et étranglement généralisé du lit mineur

Un “bouchon” est un étranglement localisé du lit mineur. Exemples :

  • - Pont à débouché insuffisant
  • - Un immeuble sur une rive et un autre lui faisant face sur l’autre rive, tous deux empiétant sur le lit mineur...

L’étranglement généralisé du lit mineur résulte de la multiplication des bouchons ou, plus souvent, d’empiétements multiples avec ou sans bouchons. Les croquis de la figure 3 schématisent un exemple d’étranglement généralisé par empiétements progressifs.

Bien que schématique, cet exemple est inspiré de cas réels. Le processus qu'il décrit, représenté sur un seul profil en travers, se déroule, avec de nombreuses variantes d'une parcelle à l'autre, sur plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de mètres de longueur du cours d’eau. Dans la plupart des agglomérations en expansion, il est frappant de constater que le processus d’étranglement se développe au fur et à mesure que l’urbanisation s’étend, vers l’amont ou vers l’aval. Si une crue se produit et inonde les constructions riveraines en mettant en évidence l'insuffisance de la section du lit, la commune ne tire pas la leçon de l’événement. Comme indiqué ci-dessus, on invoquera la fatalité, le remembrement, etc. et l’extension de l'agglomération, le long du cours d'eau, continuera à se traduire par l’étranglement du lit. Nous reviendrons ci-après sur la mise en souterrain qui constitue l’avant-dernière étape du processus d’étranglement généralisé du lit mineur du cours d'eau dans l’agglomération (la dernière étape étant l'utilisation de la galerie souterraine comme galerie technique).

Effet de barrière

Les empiétements, bouchons et étranglements généralisés augmentent la fréquence des inondations des propriétés riveraines en réduisant la capacité de débit du lit du cours d’eau. Ces inondations étaient un phénomène naturel, l’action de l’homme l’a aggravé. L’effet de barrière consiste à faire obstacle à l’écoulement de la fraction du débit qui déborde : un tissu continu ou quasi continu de constructions est édifié perpendiculairement à la direction de cet écoulement.

Cet effet s’observe, bien entendu, dans les vallées alluviales mais, aussi, dans d'autres configurations géographiques :

  • - cônes de déjections
  • - piémonts
  • - basses plaines
  • - barrière à un ruissellement de versant

S'il s’agit d’une urbanisation résidentielle (maisons individuelles ou petits ensembles avec jardins), les eaux traversent les jardins en les endommageant. Les rez-de-chaussée non surélevés sont inondés.

S'il s'agit de constructions continues, l’eau rentre par les portes et fenêtres des façades amont et elle ressort par celles de l’aval, parfois en emportant les meubles.

D’une manière générale, plus l’obstacle (barrière) apporté à l’écoulement est important, plus les submersions sont aggravées au droit de cet obstacle et à l’amont.

Par exemple, là où la hauteur de submersion atteignait un mètre lorsque la zone était rurale, on observe une hauteur de deux mètres après urbanisation (pour le même débit de crue).

En outre, les terrains qui n’étaient pas inondables peuvent le devenir.

Comparaisons entre les deux processus (étranglement et effet de barrière)

On remarquera que les empiétements et les étranglements généralisés résultent de la

[Photo : Figure 5 : Exemple de mise en souterrain (torrent intermittent des Pyrénées-Orientales) Vue de la tête amont du souterrain. Le lit canalisé à ciel ouvert, visible au premier plan, a subi un empiétement sur chaque rive. Une nouvelle réduction de section s'opère à l'entrée de la canalisation souterraine. On remarque la solide grille fixe qui est censée protéger cette entrée et qui, en fait, provoque son obstruction par embâcle à chaque forte crue.]

pression foncière et de la méconnaissance des risques, principalement de la part des riverains. Le processus est lent et diffus : c'est, le plus souvent, un “grignotage” qui, à la longue, peut aboutir à la perte de la moitié ou des trois-quarts de la capacité de débit du lit du cours d’eau (figure 1).

La genèse de l’effet de barrière est différente. Cet effet résulte des orientations adoptées lors de l’élaboration du “plan d’occupation des sols” (POS) et des plans d’aménagement de zones : cela se produit lorsque la voirie principale est transversale par rapport à la direction des écoulements. Aucune trouée (espace vert, espace de jeux, ...) n'est ménagée pour ces derniers. Cela en raison de la méconnaissance des risques de la part des auteurs des plans précités. Un cas fréquent est celui de l'urbanisation qui s’étend le long des routes de sortie des agglomérations : à la congestion de la circulation automobile qui en résulte, s’ajoute l’aggravation des inondations lorsque ces routes sont transversales par rapport à la direction des écoulements naturels.

Mise en souterrain, dernière étape du processus d’étranglement du lit

La pression foncière aboutit souvent à la mise en souterrain des cours d'eau secondaires dont l’écoulement est modeste en temps normal mais croît dans des proportions considérables en devenant torrentiel lors des très fortes précipitations (souvent très localisées) : la densification de l'urbanisation et le manque de place conduisent les municipalités ou les particuliers riverains à escamoter le cours d’eau en l’encageant dans une galerie souterraine. Par exemple, dans le cas de la figure 3 (4ᵉ étape), la mise en place de la dalle de couverture (figurée en tiretés) permet de transformer l’étroit passage public de rive gauche en une véritable rue. Cela au détriment de la capacité de débit du lit qui se trouve fortement réduite.

Danger des mises en souterrain

Outre la réduction de la capacité de débit résultant de la mise en place de la couverture du lit, les dangers des mises en souterrain sont multiples et méconnus. On peut citer :

  • la transformation de la canalisation souterraine en galerie technique (quand elle n'est pas traversée, au milieu de sa section, par une conduite d'eau potable ou d’eaux usées) ;
  • les changements de section : lorsque la mise en souterrain s'effectue par étapes, l’évolution des techniques conduit, par exemple, à prolonger une galerie de section rectangulaire par une buse de section circulaire ;
  • le défaut d’entretien (passant inaperçu car invisible) ;
  • l'obstruction de l'ouvrage d’entonnement, en particulier lorsqu’il est muni d'une grille interdisant l’accès aux personnes (figure 5) ;
  • enfin l’oubli du risque ; ce danger est double : au départ, le risque d’insuffisance de section de la canalisation est méconnu et, généralement, aucune disposition n’est prise dans le plan d'occupation des sols pour l'écoulement du débit excédentaire. Ensuite, le cours d'eau ayant disparu, on oublie (en l'absence de crue) son existence et ses dangers et aucune des précautions simples qui pourraient être prises dans les constructions de surface n’est adoptée.

Exemple d’étranglement généralisé avec mise en souterrain

Il s’agit d'un cas réel observé dans une station climatique et touristique de montagne. Le bassin versant a une superficie d’environ 25 km². Il est rural mais en pente sensible. Les crues résultent soit d'une forte pluie d’hiver ou de printemps (pouvant faire fondre la neige) ou d’orages “estivaux” (mai à novembre). En cas d’événement rare ou exceptionnel, le débit peut largement dépasser 100 m³/s. La figure 4 montre les variations de la section du lit du torrent qui traverse l'agglomération.

  • À l’entrée (amont) de l’agglomération, le pont ancien (profil 1) a une ouverture (7 m) légèrement inférieure à la largeur naturelle du lit mineur du torrent.
  • Ensuite, le torrent a été mis en souterrain sur une quarantaine de mètres. On peut noter (profils 2 et 3) la forte diminution de section qui s’opère dans ce souterrain entre l’amont et l’aval.
  • Puis, sur environ 165 m, on retrouve un lit à ciel ouvert avec des empiétements variables (profils non représentés).
  • Dans le centre de l’agglomération, sur une cinquantaine de mètres, la largeur du lit a été réduite de moitié pour permettre la réalisation d'un parking en rive droite. C’est ce qui apparaît sur le profil 4 qui représente le pont central (pont ancien en maçonnerie de moellons) : la partie hachurée du débouché de cet ouvrage correspond à l’empiétement opéré côté amont pour l’aménagement du parking.
  • En aval du pont central, sur environ 75 m, la largeur du lit passe de 3,4 m à 9,5 m. On

retrouve à peu près la largeur naturelle.

  • Puis, toujours au milieu de l'agglomération, un centre de rééducation fonctionnelle construit en rive droite empiète largement sur le lit : sa façade a été construite approximativement dans l’axe du torrent (sur une longueur d’environ 65 m). La partie restante du lit a été mise en souterrain (profil 7). Ce souterrain se prolonge sur environ 65 m en aval du bâtiment.
  • Ensuite, on trouve (profils 8 et 9) un lit de largeur variable sur environ 70 m.
  • Enfin, dans la partie aval de l’agglomération, sur environ 190 m de longueur, le torrent a été encagé dans une buse de seulement deux mètres (2 m) de diamètre. Cela a permis de disposer de plus de place en surface pour l'aménagement d’un parking, d'un centre omnisports et de la partie amont d'un agréable parc public.

Il n’est pas nécessaire d’être expert en hydraulique torrentielle et de faire de savants calculs pour voir qu'une crue rare ou exceptionnelle rencontrera quelques difficultés d’écoulement dans la traversée de l'agglomération ; en particulier dans les parties du lit mises en souterrain. Sans parler du risque d’embâcles, relativement faible au droit des ponts anciens, mais certain à l’entrée des souterrains de construction récente.

Importance des rétrécissements des lits mineurs

Les lits mineurs des cours d'eau ont subi des empiétements, plus ou moins importants, dans la presque totalité des agglomérations. Pour les petits cours d’eau (de quelques kilomètres carrés ou dizaines de kilomètres carrés de bassin versant), il existe des milliers de cas d’étranglement généralisé du lit. Lorsque la pression foncière devient forte (villes, stations de montagne, agglomérations balnéaires), les lits de ces petits cours d'eau sont escamotés par mise en souterrain, le plus souvent sans guère se préoccuper des conditions d’écoulement des crues rares ou exceptionnelles.

On trouve aussi des mises en souterrain opérées dans des bourgs ou des villages où la pression foncière n'est pas forte.

Il existe des étranglements généralisés et des mises en souterrain réalisés antérieurement au 20ᵉ siècle mais le phénomène a pris une ampleur considérable à partir du milieu de ce siècle. Comme nous l’avons vu, cela s’observe non seulement dans les quartiers anciens mais, aussi, dans les quartiers nouveaux des agglomérations. Ce faisant, on a constitué un potentiel considérable de catastrophes dont certaines se sont déjà produites (en 1988, 1992, etc...).

Dangerosité des petits cours d’eau

Il n'est pas nécessaire d’avoir plusieurs centaines de kilomètres carrés de bassin versant pour qu’un cours d'eau soit dangereux. À Nîmes (Gard) on a dénombré 10 morts en 1988 pour des bassins versants dont la superficie, mesurée à l’entrée de l’agglomération dense, varie de 2,7 à 11,6 km². On peut citer aussi les catastrophes suivantes :

  • En 1986, 1 mort à Fitou (Aude) pour un bassin versant d’environ 1,5 km²
  • En 1987, 1 mort à Omonville-la-Rogue (Manche) pour un bassin versant d’environ 3,9 km²
  • En 1996, 3 morts à Puisserguier (Hérault) pour un bassin versant d’environ 2,3 km²
  • Etc...

Quant aux cas de petits cours d'eau ayant occasionné des dommages matériels considérables, sans pertes humaines, on en déplore plusieurs centaines depuis 1982.

Causes et remèdes

Les causes de cet état de fait sont multiples et complexes et nous ne pouvons ici que les effleurer. Nous avons déjà cité la pression foncière et la méconnaissance des risques.

  • Pression foncière dans les agglomérations anciennes au cœur desquelles on manquait de place pour développer la circulation automobile.
  • Méconnaissance des risques locaux de la part de populations migrantes de la campagne vers les villes, en particulier vers leur périphérie, ou migrantes d’une région à l’autre.
  • Méconnaissance des risques de la part des techniciens en bâtiment et en voirie et réseaux divers souvent chargés “d’aménager” les cours d’eau secondaires ou d’élaborer des “Plans d’occupation des sols” (POS). Ce dernier point s’explique notamment par l’absence de règles techniques.

Contrairement à ce qui se passe dans tous les autres domaines techniques où il existe des règles officielles à respecter (aménagement des routes nationales, distribution de l'électricité, assainissement des eaux usées, assainissement pluvial, protection contre la foudre et les effets des séismes, prise en compte des effets de la neige et du vent sur les constructions, etc...), il n’existe pas de règles de l'art à caractère officiel en matière d'aménagement de cours d'eau.

Cela a notamment conduit les techniciens à appliquer les règles de l’assainissement pluvial à de grands bassins versants, c’est-à-dire au-delà de leur domaine de validité.

En particulier, la prise en compte de la crue décennale considérée généralement comme offrant le “maximum de sécurité” en matière d’assainissement pluvial, a abouti à de funestes sous-calibrages en matière de cours d’eau.

Ce n'est que tardivement, à la suite de plusieurs catastrophes, que la nécessité de se préoccuper des crues de fréquences rare et exceptionnelle a commencé à être admise. À cet égard, le code de l'urbanisme, très complexe et très détaillé dans de nombreux domaines, ne comporte aucun garde-fou. Il permet aux préfets d’imposer la prise en compte des risques par l’élaboration d'un “Plan de prévention des risques” mais cette procédure n’est destinée qu’à une minorité de communes alors que des obstacles à l’écoulement et des vulnérabilités se créent dans la plupart des agglomérations.

Pour remédier à cet état de fait, il serait souhaitable que le respect d’un minimum de précautions soit obligatoire lors de l’élaboration ou de la révision des “Plans d’Occupation des Sols” (POS).

Pour ne pas alourdir une réglementation déjà volumineuse il suffirait d’un article du code de l'urbanisme disant brièvement et en substance : “Le Plan d’Occupation des Sols doit inventorier tous les bassins versants de plus de cent hectares concernant la commune ainsi que les voies d’écoulement correspondantes des crues.

Il doit préciser les mesures imposées, en particulier les mesures que les constructeurs et aménageurs, publics ou privés, doivent prendre pour que ces écoulements s’effectuent sans que soient créés de nouveaux risques et en minorant le plus possible les risques préexistants, en cas de crues de fréquences rare et exceptionnelle”.

(Les sujets traités dans cet article seront développés dans un ouvrage à paraître dans quelques mois).

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