L’activité d’ingénierie d’une société comme la nôtre agissant dans le domaine du dessalement comme ingénieur-conseil est centrée sur les pôles suivants :
— les études de systèmes (plan directeur, avant-projet), — l’ingénierie d’installations particulières comprenant les études de détail, les spécifications, les suivis de travaux, l’assistance au démarrage, les expertises...
Deux exemples vont éclairer le rôle joué par l’ingénieur-conseil ou « consultant » dans les pays d’exportation du Moyen-Orient où une bonne partie de la ressource d’eau potable est constituée par le dessalement d’eau de mer, l’un concernant les installations d’Abu Dhabi et l’autre celles de Yambu-Médine (Arabie Saoudite).
ABU DHABI
Le « Water and Electricity Department » (W.E.D.) avait confié à une équipe de sociétés françaises le soin d’établir un plan directeur de production d’eau et d’électricité puisque, à l’heure actuelle, la très grande majorité des installations sont combinées. Notre mission a consisté à étudier les moyens de production d’eau existants, leur capacité et disponibilité, et à proposer les futurs moyens à mettre en œuvre pour faire aboutir le projet.
Dans une telle étude technico-économique interviennent de nombreux facteurs évidents :
— le prix du combustible (gaz fatal disponible, autres combustibles), — le prix des divers réactifs, — le coût d’investissement, — l’efficacité du dessalement caractérisée par des paramètres simplifiés tels que le G.O.R. (gained output ratio),
... mais aussi des facteurs moins souvent étudiés, néanmoins importants dans l’hypothèse de combustible cher :
— l’indisponibilité des équipements, — les courbes de charge des réseaux électriques et d’eau, — la gestion des unités combinées et des ressources en eau.
La première partie de l’étude menée pour le W.E.D. s’est attachée à définir le cycle optimal des usines combinées dans différentes solutions de cycle vapeur : turbine à contre-pression, extraction contrôlée, turbine à gaz.
Un exemple typique de puissance et capacité nominales installées est montré sur le tableau 1 (pour un GOR 6,5, traitement polyphosphate). L’incidence du dessalement (deux GOR et les deux types de traitement envisageables pour le Golfe — polyphosphate et additif) est donnée par le tableau 2 sur les capacités respectives de productions d’eau et d’électricité pour un type de cycle donné. Chaque système peut être représenté par un diagramme montrant de manière claire le cheminement de l’énergie (exemple en figure 3) pour aboutir à la production d’un mètre cube d’eau. Cette approche globale permet d’estimer, par comparaison à une production d’électricité de référence, une quantité d’énergie affectée à la production d’eau et peut permettre, à l’instar des productions d’électricité, de classer divers types de production combinée.
Figure 3.
d’eau et d’électricité. Le tableau 4 donne une comparaison de ces besoins énergétiques pour divers cas de combinaison avec contre-pression.
Il va de soi que ce type d’évaluation n’est destiné qu’à comparer diverses solutions et n’a pas pour but de résoudre d’autres problèmes comme, par exemple, la tarification ; dans ce cas, d’autres critères seraient pris en compte de manière à répartir les coûts sur les deux productions en fonction de l’intérêt pour la collectivité. La production d’électricité de référence peut être, par exemple, le palier optimal pour le réseau électrique en production de base puisque, par ailleurs, les usines combinées fonctionnent en base dans le réseau électrique.
Cependant, l’approche décrite ci-dessus reste limitée à un cycle optimal. Pour aller plus avant, il faut faire entrer en ligne de compte la gestion des unités dans le système en fonction des courbes de charge. Dans le cas considéré d’Abu Dhabi, les courbes de charge électrique du pays (figure 5) accusent des rapports d’environ 4 à 5 entre la pointe d’été, due principalement à la climatisation, et le creux d’hiver.
En ce qui concerne l’eau, il est malheureusement très difficile d’entrer dans le détail de sa gestion dont la dimension « coût » n’est pas encore prise en compte dans le détail ; les problèmes de tarification sont à l’étude, mais le besoin d’eau fait que le problème essentiel reste de produire ce bien précieux, avant tout autre chose. Par ailleurs, la multiplicité des organismes s’occupant des problèmes d’eau s’oppose à une conception globale suffisamment fiable du système, tenant compte de la gestion des réserves souterraines, du coût marginal des usines de production… Néanmoins, des courbes de charge « eau » ont été définies dont la variabilité est nettement inférieure à l’électricité. Ainsi, dans le système de production eau-électricité, les usines se répartissent dans l’échelle suivante :
- usines de production d’eau combinée,
- usines de production d’électricité « complément base »,
- usines de production d’électricité « pointe ».
De plus, les usines de production combinée peuvent être caractérisées pour une production d’eau donnée par :
- leur niveau minimum de production d’électricité combinée « optimale » correspondant au minimum technique de balayage pour le condenseur de la turbine,
- leur production maximum d’électricité.
Ces deux valeurs sont essentiellement différentes pour les usines de type à extraction qui ont constitué la majeure partie des installations construites à ce jour.
La superposition des courbes de charge électrique et des courbes de capacité électrique (associée à la production d’eau demandée à un moment donné) permet d’établir des courbes du type de celles représentées par la figure 6. Cette représentation par courbes de charge et monotones annuelles permet de visualiser de manière simplifiée :
- la perte thermique en hiver due à une détente « de surchauffe » nécessitée par une production minimale combinée, supérieure à la demande électrique ;
- les zones de fonctionnement des condenseurs des usines à extraction à faible régime et donc, faible rendement ;
- l’ampleur des productions complémentaires à fournir (base éventuelle ou pointe uniquement).
Tableau 4
Bilan énergie – Combinaison en UTE contre-pression
Caractéristiques | Désalement AGR | Polyphosphate AGR |
---|---|---|
6,5 % | 9,5 % | |
Combustible | ||
Chaudière (1) (Sine net) | 155 | 106 |
Cycle vapeur (1) (Sine net) | 29,5 | 31 |
Eau produite | 1 m³ | |
Énergie affectée (2) | 68 | 49 |
(1) Cycle vapeur 88 bars 510 °C(2) Production électrique de référence : η = 0,34
[Graphique : Fig. 5 – Monotones et courbe de charge annuelles. ÉLECTRICITÉ.] [Figure : Placement d’unités combinées sur la courbe de charge et la monotone]L’ordre de grandeur des pertes thermiques, dues aux deux facteurs ci-dessus (faible charge électrique d’hiver, faible charge des condensateurs), peut être approché ainsi que les pertes résultant de la combinaison et de l’indisponibilité des équipements de production d’électricité ; il s’avère ainsi en pratique que ces pertes ne sont pas négligeables et le tableau 7 en donne un exemple. La valeur de ces pertes de combinaisons est très sensible à la production d’eau des usines et donc au programme de développement envisagé. Elles sont également dépendantes du GOR du dessalement qui joue sur le ratio électricité/eau des unités combinées. Ces consommations énergétiques sont, rappelons-le, des conventions faites par rapport à une référence jugée satisfaisante pour la production électrique.
Par ailleurs, l’osmose inverse avait été envisagée, technique qui a maintenant prouvé sa faisabilité technique. Elle est conçue sur un plan assez modulaire et, à partir d’une certaine taille, est relativement peu sujette à des problèmes d’échelle ; cette taille est aujourd’hui atteinte. Il ne faut pas, bien sûr, négliger les paramètres négatifs qui sont (pour les installations en eau de mer chaude) :
- — estimation de la durée de vie des membranes pour lesquelles, cependant, les fabricants proposent maintenant des garanties améliorées,
- — utilisation d’acide sulfurique pour le prétraitement,
- — le fait que la technique soit récente.
Il est cependant significatif que l’étude économique de cette solution aboutisse à un ordre de grandeur peu différent des solutions combinées. Il faut en effet tenir compte de paramètres annexes qui sont :
- — plus grande modularité,
- — nuisances urbanistiques inférieures à une usine thermique (cheminées, fumées…) et donc, pouvant être rapprochées des centres de consommation,
- — indépendance de la production d’électricité qui peut éventuellement être implantée différemment en fonction du réseau ou de la source d’approvisionnement en combustible.
L’étude d’Abu Dhabi avait abouti à deux hypothèses de demande en eau. Sur la base de la demande faible et des coûts de combustibles dont une part importante provient du gaz, la recommandation portait sur de nouvelles unités de production combinée à contre-pression avec un dessalement à GOR de 6,5. Cependant, l’hypothèse de choix d’une demande élevée impliquait l’emploi d’un GOR élevé minimisant des pertes de combinaison qui augmentent très rapidement.
Il va de soi que ces solutions sont propres à Abu Dhabi et d’autres avant-projets réalisés, par exemple pour l’Arabie Saoudite, montrent que d’autres solutions de combinaisons peuvent apparaître en fonction des courbes de charge spécifiques. Des besoins en eau moindres ainsi qu’une meilleure constance des besoins électriques aboutiraient à des solutions « extraction simple » sur des turbines à resurchauffe.
YANBU-MÉDINE (Arabie Saoudite)
Dans ce projet, Saline Water Conversion Corporation (S.W.C.C.) nous avait chargés de la totalité des missions de consultant pour la réalisation de la production combinée d’eau et d’électricité, de tous les auxiliaires, ainsi que du transport de cette eau par pipe à Yanbu (40 km) et Médine (175 km), soit :
- — 250 MW électrique net,
- — 110 000 m³/j.
La ligne de production d’eau comprend, depuis la mer :
- — une prise d’eau de mer avec siphons prenant l’eau au-delà de la barrière de corail, dégrillage, tamisage et pompes, la prise étant commune au dessalement et à la centrale ;
- — un ensemble d’électrochloration permettant de garder les lignes d’eau de mer exemptes de tout développement biologique ;
- — cinq évaporateurs du type MSF (multistage flash), GOR 10 à traitement acide ou additif haute température ;
- — deux unités de potabilisation destinées à neutraliser le caractère agressif et corrosif de cette eau (la disponibilité en eau saumâtre n’étant pas suffisante pour assurer un conditionnement correct de l’eau) ;
- — une déminéralisation pour la préparation d’eau de chaudière ;
- — un stockage usine (2 × 20 000 m³) ;
- — une adduction vers la ville de Médine constituée par une tuyauterie acier de 800 mm et deux sta…
tions de pompage d'une puissance totale consommée de 15 600 kW :
- - une adduction vers Yanbu en amiante-ciment
- - une distribution en usine.
L'usine a été réalisée par Mitsubishi Heavy Industries entre mai 1978 et février 1982 avec comme sous-traitants principaux pour la partie eau :
- • Sasakura (ingénierie de détail dessalement),
- • Degrémont (potabilisation),
- • Mitsubishi (électrochloration, chaudronnerie, évaporateur, pompes, recirculation),
- • Torishima (licencié KSB, pompes d'eau de mer).
L’adduction vers Yanbu et Medine était réalisée par les Grands Travaux de Marseille (G.T.M.I.).
Les figures 8 et 9 donnent respectivement le schéma bilan de
l'usine et le schéma simplifié de la potabilisation.
Le rôle de l'ingénieur-conseil doit être de fixer les paramètres de base en fonction des désirs du client afin de permettre une négociation commerciale correcte de l'ensemble clé en main au niveau international. Il doit être apte à évaluer l'incidence des différents paramètres et les choix essentiels portent sur :
- — les marges de capacité dépendant de deux facteurs : disponibilité et facteur d'encrassage sur les échangeurs ;
- — redondance des équipements, par exemple : deux pompes de recirculation (7 200 m³/h, 77,5 m, 2 100 kW) ont été installées ; cependant, il n'est pas inutile de réfléchir à cette conception et il paraît évident que dans des systèmes à grand nombre d'unités, la diminution de l'investissement est très sensible avec, en outre, une moindre complication d'exploitation ;
- — l'efficacité thermique du dessalement, qui peut être caractérisée de manière simplifiée par le G.O.R., choisi dans ce cas égal à 10 étant donné un contexte d'énergie chère, propre à la côte ouest qui ne dispose pas du gaz fatal de gisements pétrolifères ;
- — le traitement de prévention de l'entartrage : l'expérience de Jeddah, le fait que l'acide sulfurique soit produit en Arabie, ont conduit au choix de l'acide. Cependant, les problèmes de corrosion sont plus critiques et la marge de manœuvre chimique pour l'exploitation (pH) est beaucoup plus étroite. Des matériaux et une instrumentation plus sophistiquée sont nécessaires. Par ailleurs, dans d'autres sites, la variabilité chimique de l'eau de mer (alcalinité) peut techniquement exclure ce choix.
L'usine de Yanbu-Medine était spécifiée pour fonctionner également avec des additifs « haute température » comme, par exemple, le « Belgard de Ciba Geigy ».
- — la température maximum de saumure qui détermine le calcul de construction de l'évaporateur (121 °C) ; en pratique, l'exploitation des unités se fait à des températures inférieures, de l'ordre de 116 °C ;
- — les matériaux. De nombreux paramètres agissent sur la corrosion des unités de dessalement :
- • les facteurs chimiques internes, tels que le pH, l'oxygène, le gaz carbonique, le brome, et donc le type de traitement choisi,
- • les facteurs globaux comme le contrôle instrumentation, l'exploitation,
- • les facteurs externes tels que la variabilité de l'eau de mer, la présence de sable,
- • les facteurs de construction comme les matériaux, les soudures...
Socetec était chargée du contrôle de l'ingénierie détaillée réalisée par les entreprises Mitsubishi et GTM et l’on pourra noter entre autres quelques points techniques intéressants de la réalisation :
- — les fondations de l'évaporateur (dimensions 12 m x 60 m) ont été réalisées par compaction dynamique avec une dalle articulée en 2 points ; les tassements différentiels (improbables) au-dessus de 1/1 500 peuvent être neutralisés au moyen de vérins ;
- — les évaporateurs ont été (comme le reste de l'usine) « modularisés », la préfabrication usine d'un évaporateur aboutissant à deux blocs complets pesant 650 t.
Le transport a été effectué par barges groupant toute une ligne de production (chaudière, turbine, évaporateur, condenseur, dégazeur).
L'installation (photos fig. 10 et 11), qui a été réceptionnée définitivement en février 1983, est actuellement en cours de production.