Cette conférence a été donnée dans le cadre du Congrès 1977 de l’Association Québécoise des Techniques de l’Eau (Montréal — 18 au 27 avril 1977).
L'auteur tient à remercier le comité d'organisation de ce congrès qui a bien voulu l'autoriser à publier cette conférence dans une revue française.
Il tient également à remercier, d'une part, la Société Lyonnaise des Eaux et de l'Éclairage qui l’a autorisé à consulter les analyses qu'elle a effectuées depuis de nombreuses années sur les eaux de ses différentes usines, et d’autre part, l'Agence de bassin Seine-Normandie qui a bien voulu lui communiquer certains résultats pour la rédaction de cette conférence.
I — INTRODUCTION
LES PRINCIPAUX TRAITEMENTS D'EAUX DE CONSOMMATION
La production d’eau de consommation à partir d’eaux brutes nécessite à la fois l'élimination des matières en suspension et la réduction de la pollution dissoute.
En fonction de la qualité de l'eau brute dont on dispose et des critères de qualité recherchés pour l'eau traitée, on peut envisager plusieurs chaînes de traitement.
Les normes auxquelles doit répondre une eau de consommation sont bien définies, même si l'on constate quelques différences dans la législation des différents pays auxquels on peut se référer. Par contre, la qualité des eaux brutes est très variable selon l'origine des eaux : il existe de grandes différences, par exemple, entre les eaux superficielles et les eaux profondes (cf. tableau 1) et ces différences conduiront à des traitements différents.
La figure 1 schématise les principaux traitements qui figurent dans l'arsenal du traitement des eaux de consommation. Ces traitements peuvent se regrouper de la façon suivante :
— Extraction solide-liquide : • dégrillage, • macrotamisage, • microtamisage, • coagulation-floculation, • décantation, • filtration.
— Oxydation : • aération, • ozonation, • traitement par le chlore et ses dérivés, • traitement par le permanganate de potassium.
— Adsorption : • coagulation-floculation, • traitement par le charbon actif granulé.
On peut compléter ce tableau par d'autres traitements destinés à modifier la composition minérale de l'eau :
— Décarbonatation (catalytique ou par précipitation chimique). — Recarbonatation. — Adoucissement (par échange d’ions).
II — VARIATIONS DE LA POLLUTION
Les éléments indésirables d'une eau peuvent, soit être d'origine naturelle, soit dépendre d'une pollution en relation avec la population vivant dans une région donnée : on pourra parler de pollution artificielle.
1-1. La pollution naturelle
Certains facteurs analytiques d'une eau peuvent varier naturellement, en fonction de cycles journaliers ou annuels, tels la température (hiver-été), la minéralisation (fonte des neiges), les matières en suspension (crues alluvionnaires), voire même la population planctonique (été-hiver).
L'influence de ces facteurs ne sera pas étudiée ici et nous nous attacherons plus spécialement à la pollution artificielle.
Tableau 1
PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE EAUX SUPERFICIELLES ET EAUX PROFONDES
Caractéristiques | Eaux superficielles | Eaux profondes |
---|---|---|
Température | Variable suivant les saisons | Relativement constante |
Turbidité, MeS | Variables, parfois élevées | Faibles ou nulles |
Minéralisation | Variation en fonction des terrains, des précipitations, des rejets… | Sensiblement constante, en général nettement plus élevée que dans les eaux de surface de la même région |
Fer et manganèse divalents (à l’état dissous) | Généralement absents, sauf au fond des pièces d’eau en état d’eutrophisation | Généralement présents |
Gaz carbonique agressif | Généralement absent | Souvent présent en grande quantité |
Oxygène dissous | Souvent au voisinage de la saturation | Absence totale la plupart du temps |
Ammoniaque | Présent seulement dans les eaux polluées | Présence fréquente, sans être un indice systématique de pollution |
Acide sulfhydrique (hydrogène sulfuré) | Absent | Souvent présent |
Silice | Teneur modérée | Teneur souvent élevée |
Nitrates | Peu abondants en général | Teneur parfois élevée, risques de méthémoglobinémie |
Éléments vivants | Bactéries (dont certaines pathogènes), virus, plancton | Ferrobactéries fréquentes |
II-2. La pollution artificielle
De nombreux facteurs interviennent dans la variation de la pollution artificielle ; on peut observer à la fois des variations du volume de la pollution des effluents rejetés dans les milieux récepteurs et des variations de la qualité de cet effluent. Si l’on classe ces variations selon leur périodicité, on pourra constater :
a) Variations journalières
C’est particulièrement le cas des eaux recevant un effluent d’eaux résiduaires urbaines. C’est ainsi qu’à la station de Colombes, située sur la Seine en aval de Paris, on peut constater une pointe journalière de pollution ammoniacale, qui, pendant l’été 1976, a fait passer la teneur moyenne en ammoniaque de l’eau de Seine de 0,5 mg/l à des pointes atteignant jusqu’à 5 mg/l, soit une variation extrêmement importante allant de 1 à 10.
b) Variations hebdomadaires
Nous avons souvent observé, sur la Seine, en amont de Paris, des variations de la teneur en azote ammoniacal au cours de la fin de semaine. La teneur moyenne était de 0,6 mg/l pendant la semaine et s’abaissait à 0,3 mg/l au cours du samedi et du dimanche. La diminution constatée est donc de 50 % de la valeur maximale.
Cette diminution est surtout sensible pendant le printemps et au début de l’été, et peut être attribuée au départ des populations de leur résidence principale (près de Paris) pour la fin de semaine.
c) Variations saisonnières
Ces variations saisonnières peuvent être attribuées à deux causes, selon qu’il s’agit d’un effluent qui ne se rejette dans le milieu récepteur que pendant une période donnée, ou que le pouvoir auto-épurateur du milieu récepteur varie au cours de l’année.
En effet, lorsque la température de l'eau augmente, la quantité d’oxygène dissous à saturation diminue (cf. figure 2) et la quantité d’oxygène dont dispose le milieu récepteur pour oxyder les rejets qu’il reçoit diminue. À partir d’un certain seuil, l’oxygène peut même être presque entièrement consommé.
La figure 3 rend compte des variations de l’eau de Seine à Aubergenville dans le courant de l’année 1976 pour la température, l’oxygène dissous, l’oxydabilité au permanganate mesurée en milieu alcalin et l’ammoniaque.
La figure 4 rend compte de la variation des matières en suspension, qui n'augmentent sensiblement que pendant les crues alluvionnaires. La pointe constatée en 1976 est faible, cette année ayant été particulièrement sèche, mais l’augmentation du débit qui se produit à cet instant conduit généralement à une augmentation de la teneur en oxygène dissous.
Dans le cas des rejets industriels saisonniers, on peut aussi citer l’exemple des industries sucrières, fonctionnant en France du mois d'octobre au mois de janvier, et dont les rejets contiennent des matières aminées d’un type particulier (acide glutamique).
On peut également citer le cas des pesticides utilisés en agriculture à des périodes bien précises vis-à-vis de la végétation qu’ils sont chargés de protéger. Les figures 5 et 6 rendent compte des variations observées en 1971 et 1972 pour l’évolution de la teneur en organophosphorés et en lindane dans l’eau de Seine à Vigneux. On peut d’ailleurs constater que la teneur en lindane a considérablement baissé depuis qu’il a été interdit de l’utiliser en agriculture.
Variations sur plusieurs années
La figure 7 donne l’évolution des matières organiques et de l’ammoniaque pour l’eau de Seine à Vigneux en amont de Paris, depuis 1960 jusqu’à 1976. On constate une augmentation régulière de ces deux facteurs. En particulier, l’ammoniaque est passée de l’état de trace jusqu’à des valeurs atteignant 1 mg/l en 1976.
Les figures 8, 9, 10, 11 mettent en évidence l’évolution de certaines caractéristiques de l’eau de Seine en aval de Paris (Aubergenville) et donnent l’évolution constatée d’une part au cours de l’année 1966 et d’autre part dans le courant de l’année 1976.
On peut remarquer que si la variation annuelle de la température est analogue pour les deux années prises en référence, par contre, les taux de matières organiques et d’ammoniaque ont considérablement augmenté avec le temps, alors que le taux d’oxygène dissous est sensiblement plus bas, excepté pendant les mois de crue alluvionnaire où le débit du fleuve permet une dilution plus grande des rejets et un pouvoir auto-épurateur du fleuve plus important.
On constate également depuis plusieurs années une augmentation considérable des matières flottantes dans les eaux de rivières : les objets peuvent être de dimension relativement importante (bouteilles et emballages plastique par exemple) ou atteindre quelques centimètres seulement ; ce sont alors surtout des débris d’emballages plastique, de la même dimension que des feuilles d’arbre et flottants non seulement en surface de l’eau, mais également au sein de la masse liquide.
e) Variations au fil de l'eau d'un cours d'eau récepteur
Les figures 12, 13, 14, 15 montrent l’influence des rejets provenant de milieux urbains sur la qualité des eaux de la rivière qui les reçoit, à une époque donnée et au fil de l'eau.
Le premier exemple, la Risle (cf. figures 12 et 13), illustre le cas d’agglomérations pourvues de stations d’épuration dont les rejets ne sont pas disproportionnés par rapport à la capacité du milieu récepteur : les teneurs en oxygène dissous sont modérément affectées ; en été elles le seraient tout de même davantage, la nitrification en rivière se produit. L'impact des phosphates est par contre plus important. On constate également une augmentation des teneurs en matières minérales (sulfates et chlorures).
Le deuxième exemple, la Vesle (cf. figures 14 et 15), illustre le cas d’une très importante agglomération dont la taille est disproportionnée par rapport à la capacité du milieu récepteur. L’oxygène dissous est très affecté, en plein été on passe même à une dénitrification des nitrates ; la nitrification ne se produit que faiblement, les teneurs en phosphates sont extrêmement augmentées et la minéralisation est presque multipliée par cinq.
f) Variations accidentelles
Tout le monde a entendu parler de la pollution du Rhin par l'endosulfan, il y a quelques années. La Seine a également connu plusieurs alertes : destruction d’une péniche chargée d’hydrocarbures, vidange d'une cuve contenant des cyanures, incendie d’un atelier de traitement de surface. Le risque de tels accidents augmente sensiblement avec le développement économique d'une région.
II — INFLUENCE DE LA POLLUTIONSUR LES TRAITEMENTS
Toutes ces variations de pollution ont-elles des incidences sur le fonctionnement des stations de traitement ?
III.1. Cas d’une eau de surface en amont de Paris : la Seine
L’expérience de la Société Degrémont sur le traitement de l’eau de Seine en amont de Paris permet de dégager certaines constatations. Nous avons, en effet, construit plusieurs installations sur cette rivière depuis 1950, installations dont les débits nominaux sont les suivants :
— Vigneux-sur-Seine débit 1 200 m³/h en 1958 extension à 2 400 m³/h en 1974
Tableau 2ÉVOLUTION DU TRAITEMENTÀ L’USINE DE VIGNEUX-SUR-SEINE
TRAITEMENTS
Coagulationsulf. aluminium g/m³ | Préchlorationchlore g/m³ | Charbon actif g/m³ | Désinfectionchlore g/m³ | |
---|---|---|---|---|
Avant filtration lente | ||||
1958 | 10 | 0 | 0 | 0,2 |
1963 | 15 à 20 | Début préchloration 0,1 | 0 | 0,2 |
1965 | 30 à 35 | 2 à 3 | Début charbon poudre : 0 à 10 | 0,2 |
1970 | 50 à 60 | 5 à 7 | 10 à 15 | 0,2 |
mise en place charbon en grains | ||||
1976 | 60 à 70 | 6 à 8 | Charbon en grains | 0,2 |
(*) Lors des pointes de mauvais goûts, la dose théorique de charbon actif en poudre à injecter aurait été de 90 g/m³.
Matières organiques / Taux de traitement
34 mg/L — sulfate d’alumine g/m³ — charbon actif 70 % o—o Sulfate d’aluminium □—□ Préchloration ▲—▲ Charbon actif 1955 1960 1965 1970 1975 — Années
Taux de traitement — sulfate d’aluminium g/m³
(a) Taux de matières organiques mg O₂ par litre
0 0,5 1 1,5 2 2,5 — Viry-Châtillon • débit ………… 1 200 m³/h en 1950 • extension à … 2 400 m³/h en 1963 — Morsang-sur-Seine • débit ………… 2 200 m³/h en 1970 (débit de pointe 3 300 m³/h) • 4 400 m³/h en 1975 (débit de pointe 6 600 m³/h)
En outre, une installation d’essais (débit 30 & 110 m³/h) fonctionne à Vigneux depuis 1960 pour le Département Recherche de la Société Degrémont, installation qui permet de suivre particulièrement l’évolution des traitements à appliquer.
Le tableau 2 donne l’évolution des traitements appliqués à la station de Vigneux depuis 1960 et la figure 16 en rend compte.
Taux de préchloration g/m³
Taux d’ammoniaque NH₃ mg/l
Taux résiduel Cl₂ (pré-critique) Taux de traitement (point critique) — Taux NH₃ g/m³ Vigneux 1960 : 1,1 — 0,15 Vigneux 1975 : 6,7 — 0,6
Taux de traitement en chlore g/m³
Sur cette figure, nous avons également porté les variations moyennes de la teneur en matières organiques et en ammoniaque de l’eau brute. On constate une augmentation considérable des taux de traitement moyens.
IN-1.1. Coagulant
En ce qui concerne le coagulant, la figure 17 montre l’influence du taux de matières organiques sur le taux de traitement en coagulant. Cette figure semble montrer une corrélation nette entre ces deux facteurs. Mais il faut attirer l’attention sur le fait qu’il s’agit, pour ces deux facteurs, de taux moyens annuels et non de taux instantanés. Il n’est donc pas possible, sur l’eau de Seine, d’établir une relation du type :
taux de traitement = f (taux de matières organiques)
Ce type de relation peut être établi dans certains cas précis où la nature des matières organiques est constante (eau de barrage sans rejet d’eaux résiduaires), mais dans le cas d’une eau contenant des matières organiques de nature très variable, ce serait une utopie que de s’y fier.
III-1.2. Préchloration
La figure 18 montre de même l’évolution moyenne du taux de traitement en chlore (préchloration au point critique), en fonction de la dose d’ammoniaque. L’évolution est apparemment beaucoup plus nette, mais il est nécessaire d’apporter les commentaires suivants :
— L’adjonction de charbon actif en poudre dans le décanteur a conduit à une légère augmentation du taux de traitement en chlore, que l’on peut chiffrer à environ 0,4 g/m³.
— La mise en place du charbon en grain a également conduit à l’augmentation du taux de traitement en chlore, afin de prévenir tout risque de développement bactérien pathogène dans les filtres à charbon. Le traitement appliqué se situe à environ 1,5 g/m³ au-dessus du point critique.
— La température a une influence sur la cinétique de la réaction d’oxydation des matières organiques par le chlore et sur la destruction catalytique du chlore par le charbon actif.
— Influence des matières organiques : on peut préciser que, pour évaluer la dose de chlore à appliquer pour se situer au niveau du point critique, on peut employer la règle suivante :
Taux de traitement en chlore = K × dose de NH₄⁺
La valeur de K dépend de la pollution de l’eau et en particulier de la pollution organique (cf. figure 19).
Pour des eaux très pures, on peut prendre K = 7. Pour des eaux chargées en matières organiques, K peut facilement atteindre 10, voire 12. L’explication en est que le chlore, dans ce cas, est également utilisé pour l’oxydation des matières organiques. Il faudra donc s’attacher, pour chaque eau, à déterminer le coefficient utilisable.
Sur la figure 19, nous avons également fait figurer une courbe tempérée B’. C’est ce type de courbe que l’on observe lorsque l’ammoniaque est présente sous forme combinée (par exemple acide glutamique) et lorsqu’il y a présence de certains ions métalliques (métaux lourds) même en faible quantité. On constate alors un décalage de la valeur du taux de traitement à appliquer pour pouvoir traiter au point critique.
III-1.3. Charbon actif
Le charbon actif est principalement utilisé pour la lutte contre les mauvais goûts. Le tableau 3 indique les variations des doses de charbon actif à utiliser en fonction du seuil de dégustation constaté sur l’eau décantée en l’absence de charbon actif. Les taux de traitement sont déterminés de sorte que le seuil moyen de l’eau traitée soit égal à 2,5.
Tableau 3TAUX DE TRAITEMENT EN CHARBON EN POUDRE EN FONCTION DU SEUIL DE DÉGUSTATION
Seuil de dégustation | Taux de traitement en g/m³ |
---|---|
5 | 10 |
7 | 16 |
10 | 20 |
30 | 50 |
40 | 90 |
Le dernier chiffre cité correspond à la pointe de pollution sapide pendant l’été 1976. Cette pollution était due à la présence de métabolites des algues (géosmine, méthyl-isobornéol). En fait, dès l’été 1970, l’augmentation des mauvais goûts dans la Seine a provoqué une augmentation du taux de traitement en charbon actif en poudre, passant de 5-10 g/m³ à 15-20 g/m³ et a conduit à étudier les possibilités d’employer le charbon actif granulé.
Ces essais, réalisés depuis le printemps 1970, ont été concluants et ont conduit à la mise en place à Vigneux de charbon actif à la place du sable. (Les résultats ont été publiés dans la revue « T.S.M. L’eau », n° 2, 1973.)
La durée de vie des filtres à charbon actif utilisés en premier étage de filtration, en fonction du seuil de l’eau décantée, est donnée par la figure 20. La charge polluant-goût retenue est sensiblement constante, quel que soit le seuil de dégustation de l’eau décantée, si l’on cherche à maintenir un seuil de dégustation constant et égal à 2,5 dans l’eau traitée.
En réalité, les essais qui se sont déroulés sur la station de Vigneux ont montré que la solution qui consiste à remplacer le sable par du charbon actif n’est pas la meilleure solution. En effet, dans ce cas, le charbon doit être capable de retenir le floc résiduel qui s’échappe des décanteurs. Cela conduit à utiliser un charbon dont la taille effective est voisine de 1 mm. Dans ces conditions, la capacité d’adsorption du charbon actif n’est pas utilisée au maximum. À cet effet, un charbon de taille effective plus faible (0,6 mm) est préférable, mais il n’est pas utilisable en premier étage de filtration. Il est indispensable de l’utiliser en deuxième étage, après que l’eau ait été filtrée sur sable.
C’est ce schéma qui est maintenant développé dans le cas des stations récentes comme à Morsang.
III-2. Autres exemples d’évolution du traitement
III-2.1. Les prises d’eau de surface
Il a été signalé plus haut que le développement de l’utilisation des emballages plastiques a provoqué une augmentation importante des débris plastiques dérivant au sein de la masse d’eau constituant les rivières et les fleuves. Cette évolution conduit à la nécessité d’une prise d’eau particulièrement bien étudiée pour l’élimination des corps flottants. Outre une grille constituée de barreaux espacés de 2 à 3 cm et qui peut être à lavage automatique, il est indispensable de prévoir un macrotamis. La maille de ces tamis sera de l’ordre de grandeur du millimètre (1,5 mm par exemple) et permettra l’élimination des débris divers (feuilles mortes, brindilles, plastique…). Le lavage du tamis est automatique ; il est déclenché par la perte de charge mesurée et se fait par eau sous pression. Ce dispositif est maintenant indispensable pour la protection de toute station de traitement.
III-2.2. Morsang-sur-Seine
La station de Morsang-sur-Seine a vu sa première phase réalisée en 1970. La figure 21 donne le schéma de cette phase (1ère chaîne de traitement). La deuxième phase, réalisée en 1975, a été réalisée suivant le schéma de traitement n° 2, afin de permettre l’utilisation optimale de charbon actif granulé, en deuxième étage de filtration.
La chaîne n° 3 (ozone avant charbon actif granulé en deuxième étage de filtration) et la chaîne n° 4 (pas de préchloration en tête) doivent permettre, dans l’année à venir, l’optimisation de l’oxydation des matières organiques et de l’ammoniaque contenus dans l’eau.
Morsang.
En effet, on a vu que l'augmentation de la pollution (matières organiques et NH4) conduisait à une augmentation considérable des taux de traitement au chlore de préchloration. Par ailleurs, les études menées récemment, tant en Amérique qu’en Europe, ont montré que cette augmentation des taux de traitement au chlore conduisait à la formation de dérivés haloformes (chloroforme, tétrachlorure de carbone...).
Nos propres études ont montré qu'il était indispensable d’éliminer le mieux possible les matières organiques pour éviter la formation des composés haloformes. L’oxydation par l'ozone participe à cette élimination des matières organiques en même temps que cela constitue le traitement de choix pour l'amélioration des qualités organoleptiques de l'eau (couleur, seuil de dégustation). Mais le problème se pose de savoir si la préchloration est la solution pour l'élimination de l'ammoniaque et si la nitrification ne serait pas une solution meilleure pour les fortes doses d’ammoniaque que l'on est amené à rencontrer actuellement dans les eaux. La station de Morsang-sur-Seine est donc le type d'une station réalisée en plusieurs phases, chacune étudiée pour répondre au mieux à l'évolution de la pollution, et il est probable que la troisième phase de Morsang, prévue pour 1980, sera réalisée selon une nouvelle chaîne de traitement répondant mieux aux problèmes posés par l’augmentation constante de la pollution.
III-2.3. Aubergenville
Au début de ce rapport, il a été exposé les variations de pollution de la Seine au niveau d’Aubergenville. En réalité, l'usine d’Aubergenville ne traite pas directement l’eau brute de Seine. Cette usine construite par Degrémont en 1960-1961, traite l'eau extraite de forages qui ont été percés dans une couche de craie blanche à silex. Après la mise en route de l'installation, dont le débit est de 4 300 m³/h (débit de pointe 7 000 m³/h), l'eau brute profonde s'est détériorée.
C'est ainsi que la dose moyenne d’ammoniaque dans l'eau est passée de 2-2,5 mg/l en 1966 à 4-4,7 mg/l en 1976. Le taux de matières organiques est passé, dans le même temps, de 0,4 à 0,8 mg/l d’oxygène (en milieu alcalin). On a noté conjointement l'apparition de bactéries filamenteuses, le seuil de dégustation a augmenté considérablement, des détergents sont apparus et le taux des matières en suspension a augmenté.
Au démarrage de l'installation, le traitement était le suivant :
- – aération par cascade,
- – nitrification en nitrificateurs garnis de pouzzolane, soufflage d’air et addition de nutriment contenant du phosphore,
- – filtration sur sable, en filtres Aquazur garnis de sable (TE = 0,95 mm),
- – désinfection par le bioxyde de chlore.
La pollution augmentant, de nombreux essais ont été entrepris pour résoudre principalement le problème des goûts et des odeurs, des détergents et des bactéries filamenteuses. C'est ainsi que furent essayés :
- — l’addition de charbon actif sur les filtres : solution simple mais qui ne peut être utilisée de façon générale car le temps de contact du charbon est alors très faible et l'efficacité du charbon en est très diminuée. Par ailleurs, certaines particules de charbon arrivent à traverser le matériau filtrant si l'on n’utilise pas de coagulation simultanée ;
- — la coagulation sur filtre (sulfate d’aluminium) ;
- — des essais de coagulation-floculation (décanteur pilote Pulsator de 250 m³/h) avec utilisation de charbon actif en poudre ;
- — le traitement à l'ozone.
Ces essais ont conduit à la définition d'une nouvelle chaîne de traitement, mise en place en 1965-1966 :
- * coagulation-floculation par le sulfate d’aluminium, adjuvant : silice activée, addition de charbon actif en poudre, décantation en Pulsator ;
- * aération ; nitrification (addition de nutriment contenant du phosphore et soufflage d’air) ; filtration sur sable ; ozonation ; chloration (protection de l'eau dans le réseau).
Après la mise en route de cette installation, la qualité de l'eau a continué à se dégrader. C'est ainsi que les taux de traitement optimaux ont évolué de la façon suivante :
1966 | 1976 | |
---|---|---|
Sulfate d’aluminium en g/m³ | 15 à 20 | 30 à 35 |
Charbon actif en g/m³ | 10 à 15 | 20 à 25 |
C'est pourquoi la réalimentation artificielle de la nappe exploitée est actuellement à l'étude : l'eau de Seine brute sera alors clarifiée avant d’être réinjectée dans le sol où elle sera à nouveau pompée et traitée par la station existante. Cette technique est actuellement en place dans plusieurs usines en France.
III-2.4. Les stockages d'eau
1. Stockage d'eau souterraine
On vient de voir le cas d'un stockage souterrain, dans le cas où, par suite de l'augmentation de la pollution, on est conduit à prendre une eau de surface, la traiter une première fois avant de la réinjecter dans une nappe souterraine.
Cette technique permet de maintenir la qualité de l'eau profonde. Il est possible de prélever l'eau de surface que l'on va prétraiter aux périodes où l'eau de surface est la moins polluée (par exemple en dehors de la période d’étiage).
2. Stockage d’eau de surface
Cette technique permet d'avoir à disposition un volume d'eau important en cas de pollution accidentelle de la rivière : il suffit alors d'arrêter le pompage de l'eau en rivière et de prélever l'eau dans la réserve précédemment constituée. Ce genre d'emmagasinement est même recommandé par les réglementations de certains pays (Angleterre) et il est très à l'honneur en Hollande ; ce pays est en effet situé à l'embouchure du Rhin et le bassin de ce fleuve est très industrialisé : le risque de pollution accidentelle y est donc élevé et les bassins de stockage importants (un mois pour la ville de Rotterdam).
Les bassins participent également au traitement de l'eau par suite de la nitrification qui s'y produit : on constate une baisse de la teneur en ammoniaque et une diminution importante de la flore bactérienne. Par contre, en fonction de la situation, des conditions climatiques et de l'ensoleillement, on peut y constater des développements planctoniques qui peuvent être gênants : certaines algues et champignons peuvent y produire des métabolites provoquant des mauvais goûts dont l'élimination peut être plus difficile que l'élimination de l'ammoniaque. Il faut donc faire très attention à l'utilisation systématique de bassins de stockage en tant que technique de traitement, tous les paramètres étant difficilement contrôlables. Par ailleurs, cette technique demande la mise à disposition d'une grande surface de terrain, ce qui est très coûteux, tout particulièrement en milieu urbain. Enfin, il faut aussi envisager le nettoyage périodique de ces retenues.
III-2.5. Les nouveaux produits coagulants et floculants
On a vu précédemment que la pollution conduit inévitablement à l'augmentation des taux de traitement en coagulants classiques (sels métalliques) ce qui a pour effet de produire dans les stations de traitement des volumes de boue plus importants.
Les polyélectrolytes ont permis, dans bien des cas et lorsque leur emploi est autorisé par la législation du traitement des eaux de consommation, de diminuer ce volume de boue.
D'autres recherches ont permis de mettre au point de nouveaux polymères métalliques. C'est ainsi que, dans certaines conditions, les sels d'aluminium peuvent se condenser, pour aboutir à la formation de polymères capables de coaguler et de floculer. Le polychlorure basique d'aluminium (PCBA) est produit en neutralisant progressivement une solution de chlorure d’aluminium par la soude. On obtient des polymères de la forme Al(OH)₂°* & Al₅₆(OH)***₅₄ dont les propriétés coagulantes et floculantes sont exceptionnelles : le PCBA permet en particulier une élimination des matières organiques qui est plus efficace qu'avec le sulfate d'aluminium (cf. figure 22) pour un taux de traitement en aluminium qui est plus faible avec le PCBA qu'avec le sulfate d'aluminium. Une installation industrielle, capable de traiter un débit d'eau de 1600 m³/h, fonctionne sur ce principe (breveté Degrémont) depuis bientôt un an avec d'excellents résultats.
IV — CONCLUSION
Les exemples d’influence de la pollution sur l'évolution des traitements en vue de produire de l'eau potable sont éloquents : ils montrent que cette influence est importante, qu'elle se manifeste aussi bien au niveau des eaux de surface que pour les eaux profondes, alors qu'on aurait pu penser que ces dernières étaient à l'abri. On est alors conduit à intervenir à différents niveaux :
- stockage d'eau avant ou après traitement,
- dégrillage et macrotamisage pour l'élimination des corps flottants,
- coagulation et floculation, par augmentation des taux de traitement et recherche de nouveaux coagulants,
- oxydation par le chlore et l'ozone,
- adsorption par utilisation de charbon actif en poudre ou granulé,
- utilisation des phénomènes biologiques : nitrification éventuellement (et dénitrification pour le futur).
Tous ces traitements sont coûteux et il est certain que la solution la plus raisonnable serait de s'appliquer à traiter la pollution avant toute dilution importante, c'est-à-dire avant le rejet dans le milieu récepteur.
Y. RICHARD.