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Incidence des mines d'uranium sur la qualité des eaux exploitables pour l'alimentation humaine

30 mai 1984 Paru dans le N°83 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : Franck CLANET, Simone DUCOS-FONFRèDE et Gérard BOUSQUET

L'exploitation des mines d’uranium et le traitement des minerais uranifères posent fatalement de graves problèmes à long terme quand on constate d'une part, le volume important des résidus qu’ils entraînent (conséquence des faibles teneurs en uranium de ces minerais), et d’autre part, que ces résidus contiennent des radio-isotopes naturels.

Ces nucléides normalement rencontrés plus ou moins dispersés dans la nature, contribuent pour une très large part au rayonnement nucléaire naturel, d’ailleurs plus intense dans les régions où se trouvent des gisements de roches uranifères.

L'exploitation des mines d’uranium va, bien sûr, redistribuer ce que la nature avait réparti, en ramenant en surface ce qui était enfoui et en provoquant, lors du traitement des minerais, des accumulations de sous-produits radio-actifs (figure 1), constitués essentiellement par le radium et ses produits de filiation (radon), et de sous-produits stables (fer, manganèse, sélénium, baryum, fluorures, sulfates...) (1)(2).

Il ne faut pas oublier aussi les énormes quantités d'eau mises en jeu dans l’exploitation de ces mines et dans les usines de traitement du minerai, eau qui, en s’écoulant, va avoir pour effet une dispersion des sous-produits dissous. Parmi ces sous-produits, il ne faut pas omettre le radon qui est un gaz, donc par sa nature même mobile, diffusant dans l’atmosphère sa radioactivité propre et celle de ses descendants dont le plus

[Photo : Fig. 1.- Incidence de l’exploitation des minerais d’uranium sur l'environnement. (Doc I.N.C.).]

dangereux est le plomb-210 (émetteur β de t₁/₂ = 21,4 années).

Enfin le lessivage des terrils sous l’action des agents atmosphériques ne fait qu’accroître la dimension des problèmes posés par ces exploitations. La figure 1 tente de les illustrer en faisant ressortir, en particulier, leur impact sur les ressources en eau dans lesquelles l’homme puise pour son alimentation.

Les demi-vies longues de certains de ces radio-isotopes naturels présents dans les résidus (²³⁰Th, ²²⁶Ra, ²²⁸Ra, ²¹⁰Pb) sont à long terme la source de problèmes qui nécessitent une gestion et un contrôle rigoureux de ces résidus dans l’environnement. La concentration des radio-isotopes dans ces déchets étant excessivement faible (environ 500 µg de radium par tonne de résidus pour un minerai à 0,2 % d’uranium, par exemple), toute séparation s’avère impraticable dans l’état des technologies et des coûts actuels. Il faut donc se résoudre à effectuer sur place une stabilisation et une surveillance de ces résidus, ce qui nécessite « a priori » une parfaite connaissance du site et du risque encouru par les populations. Ceci implique la mise en œuvre de dispositions permettant d’atténuer ce risque en tenant compte du milieu : études de la nature des terrains, du régime des eaux et des vents.

DONNÉES FONDAMENTALES

L’appréciation des nuisances des mines d’uranium vis-à-vis des cours d’eau, des aquifères et des eaux d’adduction ne peut, à notre avis, se limiter à un simple inventaire de la radio-activité des eaux de la région concernée consistant simplement à y doser l’uranium, le radium 226, le radon 222, le plomb 210 pour s’assurer si des normes internationales ou nationales (toujours contestables) sont ou non respectées.

Les principales déterminations à effectuer sont :

  • — le dosage de la radio-activité alpha globale,
  • — le dosage de la radio-activité alpha des radiums 226, 224, 228 et de leurs descendants globalement, ce que nous désignons par α-Ra,
  • — le dosage de l’uranium.

De plus, il est fondamental d’effectuer ces déterminations en fonction du milieu naturel et de tenir compte de la matière stable (non radio-active) minérale ou organique, solide ou liquide servant de support et de vecteur aux nucléides.

Compte tenu du remaniement géologique résultant de l’exploitation et du traitement des minerais d’uranium, il nous paraît également indispensable de lier l’étude de la radio-activité aux caractères physico-chimiques des eaux et de leurs matières en suspension (M.E.S.) en déterminant notamment certains éléments exotiques, sous-produits de cette exploitation : le manganèse, le baryum, les fluorures, les sulfates.

En effet, la peur du risque nucléaire suscitée par l’ouverture des mines d’uranium semble trop souvent faire oublier les risques que présente la libération d’éléments toxiques naturels ou de traitement du minerai et de ses déchets dans l’environnement. Ainsi il est indispensable de considérer la géologie et l’hydrogéologie du site où sont ouvertes des mines d’uranium et où sont implantés les stockages de résidus du traitement des minerais. On sait que ce stockage fait intervenir la constitution de terrils et de bassins de décantation où le radium est coprécipité avec du sulfate de baryum.

En résumé, la surveillance et la gestion d’un site minier et de stockage de résidus devrait donc faire intervenir les impératifs suivants :

  • parfaite connaissance et surveillance géologique du sous-sol par forages d’exploration et techniques relevant de la géophysique ;
  • connaissance et surveillance de la circulation des eaux souterraines et des eaux de surface (mesures de débits et de niveaux) ;
  • surveillance de la qualité des eaux, tant du point de vue de leur radio-activité que de leurs caractéristiques physiques et chimiques, sans oublier aussi la surveillance des sédiments minéraux et organiques ; ces derniers peuvent être intéressants du fait qu’ils sont l’objet de phénomènes de bio-accumulation.

C’est ce schéma directeur que nous allons illustrer par l'étude d’impact que nous avons réalisée en Limousin en 1980.

ETUDE DE L'INFLUENCE DE L'EXPLOITATION DE L'URANIUM EN LIMOUSIN SUR LES RESSOURCES EN EAU (3)

Si l'on considère la carte de la région concernée par les mines d’uranium en Limousin, on constate que ces mines sont implantées en bordure d’un axe défini par le tracé de la route nationale 20 entre Beaune-les-Mines et Bessines (figure 2).

L’ensemble de ces installations se répartit en deux zones :

Secteur Nord (versant nord des monts d’Ambazac), comprenant les mines de La Crouzille, Saint-Sylvestre (Le Fanay), Razes, Bellesane, Bessines où, en outre, est implantée une usine de traitement du minerai comportant, à proximité, un stockage en terrils de déchets solides.

Cet ensemble concerne le côté sud du bassin versant de La Gartempe et de ses affluents rive gauche, Le Vincou et La Couze, avec de nombreux plans d’eau dont les principaux sont l’étang de La Crouzille, l’étang du Mazeaud.

L’écoulement des eaux s’effectue dans le sens nord-ouest.

Secteur Sud (versant sud-ouest des monts d’Ambazac), comprenant uniquement des mines situées entre Bonnac-la-Côte et Beaune-les-Mines qui concernent le flanc nord du bassin versant de la Vienne avec ses affluents, l’Aurence et l’émissaire de l’étang de Mazelle qui se jette dans la Vienne à Le Palais-sur-Vienne.

L’écoulement des eaux s’effectue dans le sens sud-ouest.

Cette région (bassins versants de La Gartempe et de la Vienne) :

  • comporte un sous-sol granitique fissuré,
  • présente une pluviométrie importante de décembre à mai-juin,
  • possède un réseau hydrographique dense avec de nombreux étangs naturels ou artificiels, réseau caractérisé par des débits irréguliers (fonction de la pluviométrie) et d’installations industrielles au fil de l’eau (barrages de moulins). En moyenne, la période d’étiage se situe en juillet-août et celle des crues en février.

Dans cette région, le ruissellement des eaux est très important et la moindre variation de la pluviométrie est aussitôt ressentie au niveau des cours d’eau qui se comportent alors comme de véritables collecteurs évacuateurs.

Pour ce qui est des eaux souterraines, compte tenu du faible pouvoir filtrant de ces terrains granitiques fissurés, il est évident que toute pollution en un point par rejet d’effluent, lessivage de résidus solides et remaniement du sous-sol est ressentie dans la totalité de l’aquifère qui comporte ici tout particulièrement une circulation d’eaux importante.

Notre étude a porté sur les eaux de rivières, les eaux souterraines et les eaux d’adduction de Bellac et de Limoges, ces deux localités étant alimentées par des eaux provenant :

  • pour Bellac, de La Gartempe et de diverses sources,
  • pour Limoges, de l’étang du Mazeaud en grande partie.

Protocole d’étude :

1° Choix des points de prélèvements :

Ils sont indiqués au tableau 1 et reportés sur la figure 2. Nous avons défini des points « zéro » implan-

[Photo : Situation des mines d’uranium en Limousin (Haute-Vienne et Haute-Gartempe) – Points de prélèvements]

TABLEAU I

Points de prélèvements

En amont de l’exploitation d’uranium (pts zéro) / En aval de l’exploitation d’uranium

EAUX SUPERFICIELLES

I. Secteur Nord

  • Gartempe au viaduc de Rocherolles (Folles) (eau)
  • Pont D203 : Gartempe + ruisseau R.G. (eau, sédiments)
  • Station Bellac : Gartempe, pompage (eau) ; bassins (eau + floc) ; filtres (floc)
  • Source du Vincou, ruisseau se jetant dans l’Étang La Crouzille (eau)
  • Vincou au Vieux Pont à Bellac (eau)
  • Étang du Mazeaud, barrage du Mazeaud (eau + écume)

II. Secteur Sud

  • L’Aurence à Moulin-Pinard, parc des expositions (eau)
  • Étang de la Mazelle, barrage de la Mazelle à Beaune-les-Mines (eau)

EAUX SOUTERRAINES

  • Puits Laserre, Saint-Léger-la-Montagne (eau)
  • Puits Porthault, Barre de Grandmont (eau)

STATIONS DE TRAITEMENT

Bellac

  • Pompage en Gartempe (eau)
  • Bassins (eau et floc)

Limoges

  • Barrage du Mazeaud (eau)
  • Bassins (eau et floc)

TERRILS

  • Mine de Bellesane
  • Usine de Bessines

Les points de prélèvements sont en amont des exploitations et se distribuent sur une ligne sensiblement nord-sud allant du viaduc de Rocherolles (près de Folles) au nord à Eyjeaux au sud.

2° Expérimentation :

Lors des prélèvements d’échantillons d’eau, le pH est mesuré et, aussitôt après, on sépare par filtration sur filtres en fibre de verre (seuil de rétention = 0,50 µm) les matières en suspension (M.E.S.).

Les déterminations analytiques ont pour objet :

  • la connaissance des milieux affectés par la radioactivité et les déchets d’exploitation par l’analyse physico-chimique des eaux et par l’analyse élémentaire qualitative des matières en suspension (M.E.S.), des sédiments, des poussières des terrils, des flocs d’alumine des stations de traitement des eaux de distribution publique ;
  • la connaissance du niveau de la radioactivité naturelle par la détermination de la radioactivité alpha globale (α-G), de la radioactivité alpha des radiums (α-Ra) et le dosage de l’uranium. Sont ainsi examinés : les M.E.S., les sédiments, les flocs des stations de traitement des eaux, les résidus secs à l’évaporation correspondant aux divers échantillons d’eau ;
  • la connaissance du comportement des radio-isotopes émetteurs alpha associés aux particules solides en suspension dans le milieu aqueux, des sédiments et des terrils.

Ces particules constituent, en effet, une source potentielle de contamination radioactive en fonction des conditions du milieu :

  • variation de la composition des eaux de surface et des eaux souterraines en fonction de leur transit ;
  • lessivage des terrils par les eaux de pluie et des sédiments par les eaux fluviatiles.

La détermination des conditions de solubilisation des espèces chimiques responsables de cette radioactivité dite « particulée » s’avère donc indispensable. Parmi les différents schémas analytiques de « spéciation » proposés, celui de A. Tessier & Coll. nous est apparu le mieux adapté : il est fondé sur un procédé d’extraction séquentielle par différents réactifs conduisant à distinguer cinq fractions ou formes de métaux « particulés » (4) :

Fraction – Réactif d’extraction

I. échangeable MgCl₂ 1 M (pH = 7)
II. liée aux carbonates acétate de Na 1 M (pH = 5)
III. liée au fer et au manganèse (hydroxydes) chlorhydrate d’hydroxylamine 0,04 M dans ac. acétique 1/4 (v/v)
IV. liée à la matière organique eau oxygénée amenée à pH 2 par acétate d’NH₄ dans HNO₃ 1/5 (v/v)
V. résiduelle HF-HClO₄

Résultats :

1°) En ce qui concerne les caractères physiques et chimiques des eaux, il ressort des analyses effectuées les constatations suivantes :

  • les eaux superficielles (rivières, étangs…) ont des pH compris entre 6,70 et 7,55 ;
  • les eaux souterraines (puits) sont franchement acides (pH = 5,37 à Grandmont et 5,6 à Saint-Léger).

— les effluents des mines sont sensiblement neutres, mais au pompage de la mine de Bellesane, les rejets sont alcalins (pH = 8,60) ;

— Les charges en M.E.S. sont faibles pour les eaux naturelles, mais on note leur augmentation dans les rivières en aval des installations minières ; cela est particulièrement net sur le cours de La Gartempe : au viaduc de Rocherolles en amont de Bessines, 5,35 mg/l ; au pont du C.D. 203 en aval de Bessines, 13 mg/l ; au pompage de la station de traitement d’eau de distribution publique de Bellac, 15,2 mg/l.

Il y a donc une très nette incidence de l’exploitation de l’uranium sur les eaux de surface dont les M.E.S. et la minéralisation augmentent (l’examen des valeurs de résidus secs en suivant le cours de La Gartempe est éloquent). On constate, d’ailleurs, une forte minéralisation des eaux d’exhaure, minéralisation due essentiellement à des charges en sulfates, fluorures, fer, manganèse, baryum. Les concentrations en fer et manganèse sont particulièrement très élevées à la sortie du deuxième décanteur de la mine du Fanay (respectivement 1,9 et 19,2 mg/l). Les fuites de baryum sont également importantes.

Il faut noter, de plus, au sortir des mines et après l’usine de traitement de Bessines une augmentation des teneurs en aluminium, ce qui est lié au lessivage des silicates. Ces fortes teneurs en aluminium sont retrouvées dans les eaux souterraines (426,6 ppb à St-Léger et 206,2 ppb à Grandmont).

La composition élémentaire qualitative des matières en suspension des sédiments et des poussières des terrils est pratiquement identique dans tous les cas : par spectrométrie de fluorescence X on a identifié fer, manganèse, titane, potassium, soufre, phosphore, aluminium, chlore, silicium, calcium et parfois strontium. Le baryum est retrouvé dans les M.E.S. des décanteurs des usines de traitement d’eau de distribution de Bellac et de Limoges, les étangs du Mazeaud et de Mazelle, Le Taurion.

2°) Si l’on considère maintenant la radioactivité des eaux et des différents prélèvements solides, on relève les faits suivants :

Eaux de surface naturelles (figure 3), la radioactivité globale cumulée (radioactivité « particulée » + radioactivité de l’eau) comprise entre 2 pCi/l et 7,2 pCi/l.

[Photo : Répartition de la radioactivité dans les eaux : fraction dissoute et fraction « particulée »]

Pour La Gartempe, il ressort un accroissement de radioactivité lié aux installations de Bessines (2,03 pCi/l au viaduc de Rocherolles et 7,23 pCi/l au pompage de Bellac en suivant le cours de La Gartempe).

Parallèlement, on observe une augmentation de radioactivité alpha due au radium : 0,13 pCi/l à Rocherolles, 3,14 pCi/l au pont de la D 203 et 1,64 pCi/l au pompage de Bellac.

Pour le Vincou, la sortie de la mine du Fanay, source du Vincou, présente une forte radioactivité alpha globale et due au radium, ainsi qu’une forte teneur en uranium, soit respectivement 279,95 pCi/l, 20 pCi/l et 298,5 µg/l.

Eaux souterraines (puits) : on note des radioactivités importantes de l’ordre de 20 à 40 pCi/l pour l’activité alpha globale. Cette radioactivité est due pour une large part au radium et non à l’uranium. Le niveau de radioactivité alpha dans les eaux souterraines apparaît donc environ quatre à cinq fois plus élevé que celui des eaux de surface en aval des sites d’exploitation d’uranium, et dix à quinze fois plus élevé que celui des eaux de surface en prenant comme référence La Gartempe au viaduc de Rocherolles.

En ce qui concerne les stations de potabilisation des eaux à Bellac et à Limoges, on constate que la radioactivité des eaux obtenues après décantation du floc d’alumine est négligeable, et satisfait très largement aux normes de potabilité retenues pour l’uranium (1,8 mg/l) et le radium 226 (10 pCi/l). À Bellac où la station est alimentée par des eaux d’une seule origine (eau de la rivière Gartempe), il ressort de nos résultats que le traitement de potabilisation a pour effet d’abaisser respectivement de 62,5 et de 68,3 % les teneurs en uranium et en radium de l’eau, par suite de l’entraînement de ces radioéléments par le floc d’alumine.

3°) Les niveaux de radioactivité retrouvés dans les différents prélèvements de matières solides donnent lieu aux observations suivantes (tableaux II) :

— Les poussières des terrils, notamment ceux de l’usine de Bessines, présentent une radioactivité spécifique élevée, de l’ordre du nanocurie ;

TABLEAU II

Radioactivité alpha globale de divers prélèvements solides

Origine et nature de l'échantillon α globaux (pCi/g)
Bellac : floc alumine 53,8
Limoges : floc alumine 28,3
Barrage de Mazeaud : écume phase solide 72,46
Pont CD 203 : humus Gartempe 332,7
Pont CD 203 : sédiments minéraux Gartempe 15
Pont CD 203 : ruisseau affluent R.G. Gartempe humus 269,8
Pont CD 203 : ruisseau affluent R.G. Gartempe sédiments minéraux 3,4
Source du Vincou (près de la mine Fanay) : humus 4 695
Source du Vincou (près de la mine Fanay) : sédiments minéraux 530,8
Bellac : filtres station de traitement I + II 40,2
Bellac : filtres station de traitement III + IV 23,5
Bellesane : terril 1 046,5
Bessines : terril 5 290,3

– Les sédiments minéraux des rivières sont très faiblement radioactifs (quelques picocuries par gramme). Toutefois, à la Source du Vincou, la radioactivité alpha spécifique des sédiments est 530,8 pCi/g, mais on sait qu'il s'agit là de l'exhaure de la mine du Fanay.

– Les différents échantillons d'humus présentent des activités alpha élevées (4 695 pCi/g pour ceux recueillis à la Source du Vincou ; 332,7 pCi/g pour ceux prélevés en Gartempe au Pont du C.D. 203).

Ces résultats traduisent bien l'existence dans ce cours d'eau de phénomènes de bio-accumulation importants.

On retrouve, d'ailleurs, une forte radioactivité liée aux carbonates dans les dépôts organo-minéraux (66,10 % de la radioactivité de l'humus recueilli à la Source du Vincou, exhaure de la mine du Fanay), ce qui traduit, en plus des phénomènes liés à la dissémination calcocarbonique, l'existence de processus de bio-accumulation du radium par des micro-organismes aquatiques (figure 4).

[Photo : Fig. 4 – Distribution de la radioactivité « particulée » en fonction des espèces chimiques ; les surfaces sont proportionnelles à la radioactivité des échantillons.]

DISCUSSION ET CONCLUSION

En ce qui concerne la radioactivité des eaux, il n'existe actuellement des normes que pour les eaux dites potables.

Elles sont définies, pour la France, par le décret du ministre de la Santé, en date du 20 juin 1966.

Les radio-isotopes principalement visés sont des produits de filiation de l'uranium, et les concentrations maximales admissibles (C.M.A.) sont les suivantes :

– uranium : 1,8 mg/l – radium 226 : 10 pCi/l ou 0,37 Bq/l – plomb 210 : 100 pCi/l ou 3,70 Bq/l

Pour les eaux brutes de surface ou souterraines, force est donc de se référer à ce qui est admis dans des pays ayant une longue pratique de l'extraction et de la gestion des mines d'uranium. Ainsi, pour le radium 226, la radioactivité ne doit pas excéder 3 pCi/l au Canada et 5 pCi/l aux U.S.A.

Il faut connaître que dans notre étude en Limousin au niveau de nos points de référence pour les eaux de surface, nous avons effectivement trouvé des valeurs de cet ordre. Il s'agit donc de valeurs très satisfaisantes.

Par contre on constate que ces niveaux de radioactivité sont dépassés en aval des sites d’exploitation de l'uranium et dans les eaux souterraines (puits). Toutefois, si l'on compare la radioactivité des eaux de puits que nous avons étudiées en Limousin, à celle d’eaux de sources minérales naturelles du Massif Central on constate qu’on est encore au-dessous de certaines qui sont d’ailleurs à considérer comme eaux médicinales (5).

Étant donné que nous avons montré que la majeure partie de la radioactivité alpha est liée aux carbonates (radium) il faut donc être conscient que cette fraction va suivre le cycle calcocarbonique. Les régions calcaires frontalières du Limousin, telles que le Poitou et l'Angoumois, risquent ainsi de se voir affectées en bordure par des reconcentrations de radium apporté par les eaux souterraines descendant du plateau du Limousin.

Pour ce qui est des stations de traitement des eaux de distribution publique de Bellac et de Limoges, il ressort de nos résultats qu’elles garantissent une eau alimentaire dénuée de toute contamination radioactive alpha :

Radioactivité BELLAC (décanteur) LIMOGES (décanteur)
α globale dissoute (pCi/l) 3,10 1,55
α Ra dissoute (pCi/l) 0,52 2,44
Uranium dissous (µg/l) 1,80 0,40

On constate que ces eaux répondent parfaitement aux normes de potabilité relatives à la radioactivité et que de plus, leur qualité radioactive est voisine de celle des eaux naturelles du Limousin non affectées par l'exploitation de l’uranium :

  • - 0,81 pCi/l à Rocherolles pour La Gartempe,
  • - 1,20 pCi/l à Moulin-Pinard pour l’Aurence,
  • - 3,32 pCi/l à St-Priest pour Le Taurion.

Comme nous l’avons déjà souligné, les stations de traitement pour la production d’eau potable offrent une garantie certaine aux consommateurs situés dans les régions uranifères sur le plan de la qualité radioactive de l'eau.

Le nombre de ces stations devrait être accru dans ces régions qui sont essentiellement rurales, à forte consommation d’eaux de sources et de puits non traitées dont la qualité est fatalement altérée du fait de l'exploitation de mines d’uranium.

Toute ouverture de mines d’uranium devrait, à notre avis, conduire les collectivités locales de la région concernée à développer leur équipement en stations de potabilisation et en réseau d’adduction.

D’autre part, la technique du floc d’alumine devrait être pratiquée au niveau des effluents de ces mines, afin d’abaisser leur teneur en radium, uranium et manganèse.

Ce problème est à résoudre en Limousin, notamment pour l’uranium et le manganèse ; en effet, si les décanteurs installés pour l’élimination du radium par coprécipitation au moyen du sulfate de baryum fonctionnent convenablement (par exemple, 10 pCi/l pour le radium dans l'effluent sortant du décanteur de la mine du Fanay), on a noté par contre des rejets importants de manganèse dans ce même effluent (19,2 ppm).

D’autre part, en tenant compte de la nature fissurée du sous-sol, le stockage en terrils devrait s’effectuer sur des semelles étanches, cernées de fossés collecteurs conduisant à des stations d’épuration des eaux de ruissellement.

De même tout rejet en étang devrait impliquer au préalable l’exécution de travaux délicats et onéreux d'imperméabilisation du sol de ces réserves d'eau.

Par chance cette région du Limousin, du fait même de la nature de ce sous-sol, permet une élimination et une dilution rapides des déchets radioactifs dans les cours d'eau, en réalisant un « effet de chasse d’eau ».

Cependant, les eaux souterraines sont ici particulièrement exposées à une contamination radioactive et demandent à être surveillées étroitement. C’est, en effet, dans cette ressource que les populations rurales du Limousin puisent leur eau de consommation. Nous avons observé aussi que des collectivités locales reliées à des stations de potabilisation n’hésitaient pas, par souci d’économie, à procéder à des mélanges avec des eaux de sources ayant échappé au traitement de potabilisation.

En conclusion, on peut dire que toute région concernée par l’exploitation de mines d’uranium doit adopter une politique adéquate de gestion des eaux, et consentir les investissements nécessaires pour développer la distribution publique de l’eau alimentaire (ou pour doter les zones d’habitat dispersé d’installations de traitement autonomes...).

Il reste aux exploitations minières à s’équiper convenablement pour le stockage des déchets solides, le recueil et le traitement des eaux résiduaires et de ruissellement. Les solutions existent, il suffirait de mieux concevoir ou de mieux utiliser leurs décanteurs afin de réaliser, dès ce niveau avec l'efficacité maximum, l’élimination des micropolluants (qu’ils soient radioactifs ou non...).

Bibliographie

1. Agence internationale pour l’énergie nucléaire (1979). Proceedings of the NEA Seminar, Albuquerque, U.S. July 1978.

2. International Atomic Energy Agency (1982), Albuquerque, U.S. May 1982.

3. Clanet (F.) et coll. (1980). Rapport G.R.C.T.-3.

4. Tessier (A.) et coll. Anal. Chem., 57 (7), 844-851.

5. Remy (M.-L.) et Pellerin (P.) (1968). Bull. I.N.S.E.R.M., 23, 23-62.

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