Alain Dumestre, Serpol
et Hervé Spor, Envir’Eau,
En collaboration avec Arnaud Faucher et
Fabien Gaufreteau, Faculté des Sciences de Limoges
[Photo : Plate-forme du tunnel vue de l’Aiguille du Midi (juin 2000)]
Le tunnel du Mont-Blanc relie la vallée de Chamonix sur le territoire français, à celle d’Aoste en traversant les Alpes sur 11 km. Cet axe routier est emprunté par de très nombreux véhicules chaque jour, c’est pourquoi il représente la voie de communication principale entre la France et l’Italie. Cet aspect technique du tunnel est accompagné d’une grande sensibilité environnementale liée à la situation de cet ouvrage au cœur du massif alpin.
La réhabilitation de ce tunnel, qui a suivi l’incendie du 24 mars 1999, a débuté par la décontamination du site. La société Serpol a été retenue pour traiter les eaux et les déchets solides provenant du nettoyage du tunnel. Les résidus solides ont été transportés jusqu’à un centre de traitement hors site. Pour les eaux en revanche, la solution du traitement in situ proposée par cette société représente le procédé le plus adapté sur les plans techniques et économiques.
Pour cela, cette entreprise a mis au point, en collaboration avec le bureau d’étude ENVIR’EAU, un procédé de traitement avec rejet des eaux traitées directement dans le milieu naturel.
Deux types d’effluents ont été mélangés avant traitement : des eaux chargées qui proviennent du lavage du tunnel et des eaux de la gaine d’aération (voir coupe du tunnel) diluées par une rivière souterraine.
La protection de l’environnement alpin a été, au cours de ce chantier, une préoccupation majeure, donnant lieu à des contrôles quotidiens pour une optimisation de la sécurité et de la qualité du traitement.
Filière de traitement in situ : une première
Le transport des eaux souillées, des postes de lavage à la plate-forme de traitement, est effectué par des hydrocureurs qui dépotent dans des bassins tampons « amont » où a lieu la première décantation des matières en suspension.
Le traitement des eaux se déroule alors en plusieurs phases successives.
Du charbon actif en poudre est injecté dans les bassins lors du dépotage, ce qui permet de réaliser une première fixation des métaux lourds et des détergents présents dans l’eau.
Un traitement physico-chimique de coagulation-floculation est ensuite appliqué aux eaux chargées, afin de précipiter les matières en suspension, constituées en grande partie de suies et de charbon actif en poudre introduit auparavant.
On utilise pour cela une pompe péristaltique qui injecte un floculant au fur et à mesure du remplissage de la cuve de décantation. Cet ajout progressif permet d’obtenir un mélange eaux souillées-floculant homogène et, surtout, une agitation due au remplissage de la cuve de décantation. Ces mouvements sont nécessaires pour que cette étape soit efficace.
Après décantation, l’eau claire est orientée vers un séparateur eau/hydrocarbures disposé en sécurité pour répondre à une pollution accidentelle éventuelle au moment des travaux de nettoyage/décontamination. Elle subit enfin un dernier cycle de traitement par passage sur différents filtres (charbon actif, poches, cartouches) afin d’abaisser les teneurs résiduelles en pollution dissoute jusqu’aux seuils de rejet. Cette unité de filtration a été dimensionnée pour fonctionner en circuit fermé sur plusieurs cycles jusqu’à l’obtention des seuils.
De leur côté, les flocs décantés constituent une boue, qui est dirigée vers une unité de déshydratation sur filtre à bande. Cette boue est ensuite incinérée en centre de traitement hors site.
[Photo : Coupe du tunnel]
[Photo : Nettoyage à haute pression des parois du tunnel]
[Photo : Vue de la plate-forme de traitement des eaux]
Le caractère modulable de l'installation a été déterminant car il a permis, malgré les variations des volumes quotidiens d’eau chargée, de réussir un traitement efficace, notamment pour les suies, les détergents, les métaux lourds et les hydrocarbures totaux. Un volume total de plus de 5 000 m³ d'eau brute a ainsi été traité, en intégralité sur site, en moins de trois mois.
Analyses effectuées : qualité et sécurité du chantier
Durant ce chantier, un panel complet de procédures Qualité et Sécurité a été mis en œuvre pour assurer la protection de la Santé et de l’Environnement. En effet, le respect du plan d’assurance qualité (PAQ) et du plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) a été une réelle préoccupation.
[Photo : Plus de 5 000 m³ d’eaux traitées ont été rejetées dans le Dard]
Le PAQ vient en complément du plan qualité « Dépollution des eaux » qui présente d'une manière générale l’organisation globale du chantier au niveau humain et matériel. Il représente l'interface entre les sociétés de nettoyage et l’unité de traitement pour le dépotage des eaux de lavage. Le PAQ aborde la procédure de traitement et souligne l'obligation de respecter les normes de rejet.
Il existe pour cela différents moyens de contrôle analytique :
- - un contrôle interne effectué par le laboratoire Serpol tout au long du chantier. Ainsi, des analyses sont effectuées quotidiennement sur les eaux brutes et sur les eaux traitées. Ceci permet de vérifier au jour le jour le respect des normes de qualité ;
- - un contrôle externe : le laboratoire indépendant Wolff Environnement réalise des analyses contradictoires toutes les semaines.
En outre, avant le rejet de chaque bachée dans le Dard (torrent coulant en contrebas de l'installation) des mesures de contrôle sont effectuées. Ceci permet de supprimer les impacts environnementaux liés à une défaillance éventuelle d'une partie de la filière ou liés à des effluents temporairement plus chargés en polluants.
[Photo : Vue de l'intérieur de l'usine de traitement (Photographie : Serpol)]
[Photo : Bassin de décantation amont et stockage aval]
Cette démarche d’assurance qualité permet de s'assurer que les eaux traitées respectent les normes de rejet imposées par l’arrêté ministériel du 2 février 1998 relatif aux ICPE (Installations Classées Pour la Protection de l'Environnement). Pour la demande chimique en oxygène, la restriction est de 150 mg/L.
Le PPSPS implique une analyse des risques générés par les autres entreprises présentes sur ce chantier, par le chantier lui-même, et par l'activité de l’entreprise sur ses propres salariés. Chaque risque est identifié et les mesures de prévention à mettre en œuvre sont indiquées : risques de projection de charbon actif ou risques liés à l'utilisation de produits chimiques.
Un chargé d’environnement (contrôle externe) est présent dès le démarrage des travaux. Il rédige un plan d’assurance environnement (PAE) après avoir analysé les risques environnementaux et organisé des réunions de sensibilisation à la protection de l’environnement. Son rôle est important pour le respect des consignes de la police des eaux concernant les rejets mais aussi les nuisances générées par le chantier.
De nombreuses mesures préventives ont été prises en cas de déversement accidentel, d’acte de malveillance ou d’incident de dépotage. L’ensemble des installations est placé sur une plate-forme étanche dotée d'une capacité de rétention de 200 m³. Une alarme infrarouge est mise en place autour des bassins de stockage des eaux. Des regards étanches aux points bas sont présents pour récupérer les arrivées d’eaux souillées accidentelles. En aval du chantier, une solution de stockage dans des bassins ATMB (Autoroutes et Tunnel du Mont-Blanc) de 1000 m³ est envisagée dans un cas extrême de débordement. Une troisième solution de repli est prévue avec le transport des effluents à la station d’épuration de Sallanches : une convention de déversement entre Serpol et la régie des eaux a été établie à cet effet.
Bilan du chantier
Le chantier de décontamination des eaux brutes issues du lavage du tunnel du Mont-Blanc a été réellement innovant dans sa réalisation. L’utilisation d’une filière de traitement modulable sur site a permis de mettre en évidence les avantages de ce procédé performant et facilement adaptable. Le résultat a été le traitement de 5055 m³ d’eaux brutes en 2 mois et demi avec rejet dans le milieu naturel. La qualité de ces eaux a été remarquable et les effluents traités ont respecté les normes très strictes de rejet.
Grâce à l’analyse, à la prévention des risques, à l’étude des impacts de ce chantier, le traitement a pu être réalisé dans les délais prévus et ce, sans perturber l’environnement de la vallée de Chamonix. De plus, la filière de traitement a surmonté les variations régulières de débit.
Les risques liés au transport des eaux souillées par camion sur les routes ont ainsi pu être évités.
L’aboutissement de ce chantier dans de telles conditions technologiques et environnementales démontre le savoir-faire de la société Serpol pour les dépollutions post-sinistres. Ainsi, la décontamination consécutive à l'incendie de la bibliothèque nationale François Mitterrand à Paris a été confiée à cette entreprise, suite au chantier du Mont-Blanc.
[Photo : Eau avant et après coagulation/floculation]
[Photo : Grâce à l’analyse, à la prévention des risques, à l’étude des impacts de ce chantier, le traitement a pu être réalisé dans les délais prévus et ce, sans perturber l’environnement de la vallée de Chamonix]