La meilleure gestion de l'eau, en application de la loi sur l'eau de Janvier 1992, implique aussi la réduction de l'impact des eaux pluviales sur les milieux récepteurs, en particulier à l'amont des sites de prélèvement d'eau destinée à la potabilisation. Dans le respect de l'application de la loi et de l'arrêté préfectoral qui le concerne, l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, qui s'étend sur 3000 hectares, gère un système de dépollution spécifique des eaux pluviales qu'il collecte sur son aire.
, chef du laboratoire d’Aéroports de Paris
La meilleure gestion de l'eau, en application de la loi sur l’eau de janvier 1992, implique aussi la réduction de l'impact des eaux pluviales sur les milieux récepteurs, en particulier à l’amont des sites de prélèvement d’eau destinée à la potabilisation. Dans le respect de l’application de la loi et de l'arrêté préfectoral qui le concerne, l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, qui s’étend sur 3 000 hectares, gère un système de dépollution spécifique des eaux pluviales qu’il collecte sur son aire.
La période de relative sécheresse qu’a connue la France de 1989 à 1992 a contribué à modifier la problématique de l’alimentation en eau du pays. Le syndrome de la rareté des ressources, en s’imposant presque naturellement, a fourni l’occasion d’une remise à niveau législative (la loi sur l’eau de 1992) et réglementaire (les décrets d'application) en matière de protection du milieu naturel.
L’objectif de qualité du milieu naturel relève d'une vision pragmatique de l’usage, codifiée dans des SAGE, Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux définissant régionalement – à l’échelle d'un bassin – la qualité de référence de chaque segment du milieu naturel. On n’attend pas la même qualité de toutes les rivières ou de tous les étangs.
La conséquence, c'est la réglementation progressive de tous les rejets d’eaux de ruissellement…
lement dans le milieu naturel, réglementation adaptée à la qualité attendue de celui-ci... L'aéroport Charles de Gaulle a vu ses rejets réglementés par l’arrêté préfectoral du 3 avril 1997.
Eaux pluviales, eau potable, le cycle de l'eau
La pluie qui tombe sur une chaussée routière ou aéronautique ruisselle jusqu’au caniveau. Par les collecteurs, les eaux pluviales atteignent ensuite le milieu naturel. Dans le cas de l’aéroport Charles de Gaulle, la rivière, c'est la Seine ou la Marne. Or, en aval immédiat des points de rejet, on trouve des usines de production d'eau potable (fig. 1).
L’aéroport Charles de Gaulle (fig. 2), qui s’étend sur trois mille hectares (et trois départements), couvre deux bassins versants : à l’Ouest vers la Seine et à l'Est vers la Marne. Sur ce dernier bassin versant, l'exutoire des eaux pluviales débouche dans la Reneuse, puis la Beuvronne, affluent de la Marne à Annet sur Marne. Et l’usine d'eau d’Annet est précisément celle qui fournit à l’aéroport CDG ses 1 600 000 m³ d’eau potable chaque année. Cela pour dire que l'aéroport est directement concerné par le bon fonctionnement de l’usine, et donc par le maintien des eaux de la Marne à un niveau de qualité Eau potabilisable.
Les risques de pollution des eaux pluviales
Sur un aéroport comme CDG, conçu dans sa globalité et construit conformément aux plans, le réseau d’assainissement est un vrai séparatif ; la cause principale de pollution des eaux pluviales, c’est ce qui se passe sur les surfaces imperméabilisées. Nous allons passer rapidement en revue les risques de pollution, en distinguant le chronique de l'accidentel.
Les hydrocarbures
L’avitaillement des avions se passe sur les aires de stationnement au contact des aérogares (fig. 3). Un réseau enterré de distribution du kérosène – un oléoréseau ou hydrant –, est accessible sur chacune des aires. La connexion avec les réservoirs de l'avion se fait par l’intermédiaire d'un camion serviceur qui permet le comptage par la compagnie pétrolière (et la filtration) du kérosène livré. Compte tenu des quantités importantes délivrées (plusieurs dizaines de tonnes en moyenne) le débit instantané est plusieurs centaines de fois plus important que celui d'une pompe à essence d’automobile. Il en résulte que la moindre erreur de connexion, de déconnexion ou d’arrêt, notamment à la fin du remplissage, peut se traduire par un
Déversement de quelques litres, voire quelques dizaines de litres sur le sol. Ce kérosène est immédiatement récupéré par les services spécialisés. Mais le sol souillé sera lessivé par la prochaine pluie.
C'est pourquoi le réseau des eaux pluviales est équipé de compartiments séparatifs appelés déshuileurs (fig. 4). Le problème de ces déshuileurs, c’est la nécessité d'un entretien fréquent. Car une pluie violente provoque des turbulences dans la chambre syphoïde et peut réentraîner des hydrocarbures vers l'exutoire.
On préfère désormais installer des déshuileurs en parallèle du collecteur lui-même (fig. 5). Les eaux pluviales ne transitent par le séparateur que si le débit instantané est inférieur à un débit nominal. Au-delà, le flux transite directement dans le collecteur sans passer par le séparateur et donc sans risquer de réentraîner le kérosène.
Le déverglaçage des pistes
Lorsqu'il gèle, les chaussées routières sont salées par les services de l'Équipement. Le sel utilisé dans la saumure, c’est du sel au sens de la ménagère, c’est-à-dire du chlorure de sodium. Les effets corrosifs de ce sel sont dommageables pour les automobiles. Si on l'utilisait sur les chaussées aéronautiques, les dommages aux avions et notamment à leurs trains pourraient menacer la sécurité même des vols. C’est pourquoi on utilise des sels moins corrosifs : jadis des nitrites de sodium, et aujourd'hui des acétates de potassium, plus facilement dégradables (fig. 6).
Ces sels sont pour partie entraînés par les eaux pluviales dans le milieu naturel et des concentrations trop importantes peuvent non seulement créer un réel dommage à la faune piscicole, mais aussi gêner le fonctionnement des usines de potabilisation. D’où la nécessité de sels organiques biodégradables.
Le dégivrage des avions
Lorsque sa voiture couche dehors en hiver, il faut bien souvent le matin prendre le grattoir pour dégivrer le pare-brise. En aéronautique, c'est pareil car les avions en escale passent évidemment la nuit dehors. Et ce qu'il faut dégivrer avant le décollage, ce sont les parties mobiles du carénage : empennage, gouvernes, volets sur les ailes, etc. L’avion passe donc sous des portiques du haut desquels on asperge les parties à dégivrer d'un fondant à base de monoéthylène glycol dilué à 50 % et chauffé à 85 °C, sous pression de 18 bars. Le produit avec la glace fondue tombe sur le sol et s’écoule vers les caniveaux. L’écoulement vers les collecteurs d'eaux pluviales est empêché (fig. 7), car le dégivrage se passant généralement en conditions anticycloniques, il ne pleut pas, on oriente dans ces conditions l’effluent vers un circuit de filtration/recyclage/réchauffage. Toutefois à la fin des opérations, il reste du produit sur le sol susceptible d’être emporté par la prochaine pluie (fig. 8) et qu'il faut donc nettoyer.
Une autre méthode, préventive cette fois-ci, est utilisée sur les aéroports où il n’y a pas de portique de dégivrage. C'est l’antigivrage, qui consiste à recouvrir l'avion sur son poste de stationnement pendant la nuit d'un film protecteur de produit visqueux à base de monopropylèneglycol. La partie du produit qui tombe au sol est récupérée par aspiration (fig. 9).
Les pollutions accidentelles
À côté de ces produits bien identifiés, un site aéroportuaire n'est pas à l’abri de déversements accidentels de produits quelconques, par exemple en zone de fret où transitent toutes sortes de marchandises. Sur un aéroport en développement comme Charles de Gaulle se pose également le problème des chantiers de terrassement et des terres entraînées par les eaux de ruissellement.
Le caractère inopiné et géographiquement dispersé de ce type d’incident nécessite de
sécuriser le réseau d’eaux pluviales, ce qui, on va le voir, se traduit par des moyens préventifs, mais aussi des moyens d’alerte et des dispositions curatives.
Chimie des pollutions, qualité des rejets, la Loi sur l’Eau
En application de la Loi sur l’Eau de janvier 1992, une demande d’autorisation de rejets pour l’aéroport Charles de Gaulle a été formulée par Aéroports de Paris auprès des Préfectures concernées. En effet, les installations de Charles de Gaulle répondent à cinq des critères déterminant les établissements soumis à autorisation :
■ un oléoréseau important,
■ une surface imperméable connexe supérieure à 3 ha (1000 ha à CDG) et un bassin versant supérieur à 20 ha (3275 ha à CDG),
■ un flux journalier d’eaux pluviales susceptible de dépasser 10 000 m³/jour, et on a vu que l’on atteignait facilement dix fois cette valeur,
■ un flux quotidien de sels dissous supérieur à 5 tonnes : il s’agit des fondants hivernaux,
■ la création de plan d’eau : c’est le cas avec les bassins de retenue.
Dans le cadre de l’instruction des dossiers par les services de l’État, coordonnée par la MISE (Mission Interservices de l’Eau) de Seine-et-Marne, une étude d’impact – qualité du milieu naturel/risques de pollution/dispositions préventives et curatives – a été réalisée en 1995 par un bureau d’études (SOGREAH). L’arrêté préfectoral s’est appuyé sur cette étude pour fixer les prescriptions.
Concernant les eaux pluviales, ADP doit réaliser mensuellement des prélèvements pour en analyser la charge organique et les micropolluants.
L’essentiel des produits décrits ci-dessus sont des produits organiques. Ils se traduisent donc par des pollutions carbonées, quantitativement exprimées par la Demande Chimique en Oxygène (DCO), autrement dit la quantité d’oxygène nécessaire pour transformer le produit en eau et en gaz carbonique. Pour fixer les idées, la DCO des produits de dégivrage des avions (glycols) est de l’ordre de 1,5 gramme par gramme de produit, celle du kérosène de l’ordre de 3 grammes par gramme.
Quelles sont les seuils fixés ?
Pour les eaux pluviales, les valeurs moyennes sur 24 h fixées dans l’arrêté sont de 40 mg/l, avec un seuil pour les valeurs instantanées de 60 mg/l.
La mesure de la DCO est longue, environ quatre heures, et ne permet pas une réactivité suffisante en termes de mesures curatives. On lui préfère donc la mesure du Carbone Organique Total (COT) qui se fait en quelques minutes et permet une surveillance en temps quasi réel de la qualité des Eaux Pluviales (cf. infra). La limite pour la valeur 24 h du COT est de 20 mg/l, soit 30 mg/l en valeur instantanée.
Complémentairement à la DCO, les normes de rejets eaux pluviales fixent une limite de 10 mg/l à la Demande Biologique en oxygène (DBO5) et des seuils à divers paramètres dont en particulier les matières en suspension (MES), qui présentent la particularité de fixer une bonne part de la pollution, à 50 mg/l.
Une modeste pluie de 10 mm sur les 1000 hectares imperméabilisés de l’aéroport CDG génère un ruissellement de 100 000 m³, ce qui correspond, avec une concentration de 100 g/m³, à : 100 000 × 100 (g) = 10 000 kg (10 tonnes). Il faut donc parvenir à décanter plus de cinq tonnes de boues sèches pour parvenir à un effluent dont la concentration en MES est inférieure à 50 mg/l.
La composition de ces boues détermine leur élimination : simple biodégradation dans les lagunes dans certains cas, incinération, épandage en valorisation agricole dans d’autres.
Monitoring de la qualité des rejets et stratégie de dépollution
Antérieurement, les arrêtés d’autorisation de rejets, rédigés dans la logique Établissements Classés, portaient obligation de moyens. Dans la problématique de la Loi sur l’Eau, c’est une obligation de résultat qui est imposée au maître d’ouvrage. C’est pourquoi Aéroports de Paris a installé sur le réseau d’Eaux Pluviales un réseau de surveillance et d’alerte en complément des ouvrages de traitement, lagunes et bassins de rétention.
Réseau de surveillance des eaux pluviales et d’alerte
Un dispositif de surveillance unique en Europe a été installé à Charles de Gaulle, qui comporte (fig. 10) :
■ sept stations intermédiaires sur les collecteurs, gérées par informatique et comprenant un débitmètre, un COT-mètre et un préleveur-rejeteur,
■ une station multiparamètres (fig. 11) avant l’exutoire sur chacun des bassins versants, permettant le contrôle en continu des divers paramètres spécifiques.
Surveillance de la nappe phréatique
La nappe souterraine superficielle (à quelques mètres de profondeur) pourrait être contaminée par des déversements acci-
Les pollutions diffuses peuvent provenir de dépôts sur des surfaces non imperméabilisées ou de fuites de réseaux enterrés. C'est pourquoi sa qualité est depuis longtemps surveillée au moyen de piézomètres, sorte de micropuits permettant de prélever périodiquement des échantillons de la nappe et de surveiller ainsi le maintien de sa qualité, même si cette nappe est sans lien avec les aquifères profonds éventuellement utilisés comme ressource en eau.
L’arrêté du 3 avril, qui se préoccupe également de la protection des eaux souterraines, fixe les modalités de la surveillance. Elle comporte l’analyse, sur des prélèvements semestriels dans une trentaine de piézomètres, des principaux sels, de la DCO et des principaux polluants potentiels : hydrocarbures, glycols, phénol.
Bassins de rétention et lagunes (fig. 12)
Le calmage des effluents et leur rétention ont un effet doublement bénéfique sur le milieu récepteur :
- – quantitativement, en écrêtant l’hydrogramme (fig. 13), c’est-à-dire en effaçant l’effet de pointe de débit instantané, la rétention permet de limiter l’effet de chasse dans les réseaux et l’effet de choc en rivière ;
- – qualitativement, la rétention permet de développer plus complètement les réactions d’oxydation spontanée des chaînes carbonées. Simultanément, le calmage conduit à la décantation gravitaire d’une bonne part des matières en suspension et des polluants qui y sont fixés.
Globalement, on obtient des diminutions de DCO tout à fait significatives.
Couplage monitoring/rétention : le rejet asservi
Sur le bassin versant Marne, les dispositions topographiques permettent de disposer d’une rétention de 1 100 000 m³. L’exutoire de ce bassin vers la rivière La Reneuse a été doté d’une vanne asservie à un COT-mètre permettant la fermeture totale si les normes en matière de pollution carbonée ne sont pas respectées. La capacité de ce site permet une bonne régulation du débit de l’exutoire, ce qui, en terme d’impact sur la faune piscicole, est important. Le cas échéant, elle permet même une rétention de plusieurs semaines, jusqu’à ce que la biodégradation, la décantation et la dilution aient ramené la valeur de DCO en-dessous de la valeur seuil.
Compte tenu des dispositions exigeantes de l’arrêté, Aéroports de Paris lance un concours pour la réalisation d’installations additionnelles de traitement permettant de garantir en tout temps une qualité des effluents en accord avec les seuils prescrits. L’une des difficultés à résoudre est que l’essentiel des produits polluants sont les produits hivernaux, et qu’en hiver, les cinétiques de biodégradation – en lagune par exemple – atteignent leur minimum.
Conclusion
L’eau n’est pas rare dans notre pays, contrairement à une idée parfois véhiculée. Au demeurant, la consommation d’eau n’est pas une consommation puisque l’eau est toujours restituée. On parle à juste titre de cycle de l’eau.
En revanche, la question posée est celle de l’internalisation, pour le pollueur, du coût de la dégradation de la qualité de l’eau. Car le coût de la restauration des propriétés d’usage d’une eau rendue impropre à un usage donné était jusqu’ici assuré par le consommateur final, l’usager potentiel. En inversant cette logique et en internalisant, pour le pollueur, le coût d’une éventuelle pollution, la loi sur l’Eau a certainement pour effet de minimiser le coût social global, tant il est vrai que dans ce domaine comme dans bien d’autres, la prévention coûte moins cher que le curatif.