L’intérêt pour les ions bromate date de 1990, date à laquelle ils ont été classés par le CIRC parmi les composés « supposés cancérigènes pour l’homme » (groupe 2B). Les ions bromate ont été pris en compte dans les « directives de qualité pour l’eau de boisson » éditées par l’Organisation Mondiale pour la Santé à compter de 1994. La dernière directive européenne 98/83/CE, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, parue au Journal officiel le 5 décembre 1998, a fixé une valeur paramétrique de 10 µg/l, ceci sans compromettre la désinfection, à compter du 25 décembre 2008. Les ions bromate ne sont pas pris en compte dans la nouvelle réglementation prEN901 (mai).
Mots-clés : bromate, hypochlorite, eau de javel, chromatographie ionique
1999) concernant l'hypochlorite de sodium.
C’est l’oxydation des ions bromure qui conduit à la formation des ions bromate, soit au cours de l’étape d’ozonation (Haag et Hoigné, 1983 et Siddiqui et al., 1995), soit lors de la fabrication de l'eau de Javel qui est très utilisée pour la désinfection. En effet, la saumure utilisée pour la fabrication de l’hypochlorite de sodium contient plus ou moins d'ions bromure, ce qui conduit à des eaux de Javel contenant plus ou moins d'ions bromate.
Les eaux de Javel commerciales provenant des trois usines de production de la SAGEP ainsi que l'eau traitée après l’étape de filtration sur charbons actif en grains et l'eau chlorée ont été analysées par chromatographie ionique couplée à un détecteur conductimétrique. De plus, la concentration en bromate ajoutée à l'eau produite a été comparée à la valeur calculée à partir de la teneur en bromate et en chlore actif de l'eau de Javel ainsi que du taux de traitement.
Matériel et méthodes
Les ions bromate ont été analysés par chromatographie ionique couplée à un détecteur conductimétrique (DX500 de chez Dionex) avec une colonne de garde AG9-HC et une colonne AS9-HC, l’éluant étant une solution de carbonate 49 mM à un débit de 1 ml/min. Les échantillons sont préconcentrés sur une colonne de préconcentration AG10, le volume prélevé étant de 1,6 ml.
Les solutions d'eau de Javel sont diluées de manière à ce que leurs concentrations en bromate soient comprises dans la gamme d’étalonnage, c’est-à-dire entre 2 et 200 µg/l.
Les échantillons sont filtrés sur des cartouches On Guard Ag et H de manière à éliminer les ions chlorure qui interfèrent au cours de l’analyse des ions bromate.
Résultats
L’eau de Javel est produite à partir de l’électrolyse du chlorure de sodium qui conduit tout d’abord à la formation de chlore gazeux et d’hydroxyde de sodium. Suivant le procédé utilisé, le chlore peut réagir avec la soude pour donner l’hypochlorite.
2 NaOH + Cl₂ → NaClO + NaCl + H₂O
Des ions bromate peuvent être formés pendant l’électrolyse, dû à la présence de bromure dans la saumure. Des eaux de Javel ainsi que l'eau des charbons actifs en grains et l'eau chlorée ont été analysées.
[Photo : Station de désinfection à l’hypochlorite de sodium]
Qualité de l’eau de Javel
Les eaux de Javel provenant des trois usines de production de la SAGEP ont été analysées entre avril 2000 et mai 2001. Il s'agit d’eaux de Javel commerciales issues du même fabricant. Les résultats sont regroupés dans le tableau 1. La concentration en ions bromate varie de 82 mg/l à 813 mg/l. Bolyard et Snyder Fair (1992) ont étudié 14 eaux de Javel. Les ions bromate ont été détectés dans 9 des 14 échantillons, les concentrations ne dépassant pas 51 mg/l. Quant à Hutchinson et al. (1994), ils ont obtenu des concentrations comprises entre 50 et 1150 mg/l.
Les teneurs en bromate vont dépendre de la qualité de la saumure utilisée pour la fabrication de l'eau de Javel. En effet, selon la teneur en bromure de la saumure, la concentration en bromate dans l'eau de Javel sera plus ou moins importante. Il est à noter que les variations obtenues au cours de l'année ne sont pas dues à un changement de fournisseur mais à des changements de matière première.
Tableau 1 : concentration en bromate des eaux de Javel (en mg/l)
Date |
Ivry |
Joinville |
Orly |
Avril 2000 |
82 (11/04) |
140 (11/04) |
154 (18/04) |
Mai 2000 |
128 (16/05) |
131 (09/05) |
142 (09/05) |
Juin 2000 |
136 (23/06) |
147 (13/06) |
149 (13/06) |
Juillet 2000 |
186 (25/07) |
194 (11/07) |
170 (11/07) |
Août 2000 |
214 (22/08) |
190 (22/08) |
163 (22/08) |
Septembre 2000 |
74 (26/09) |
105 (20/09) |
165 (26/09) |
Octobre 2000 |
44 (24/10) |
n.a. |
440 (24/10) |
Novembre 2000 |
212 (14/11) |
412 (14/11) |
612 (14/11) |
Décembre 2000 |
152 (12/12) |
358 (12/12) |
684 (12/12) |
Janvier 2001 |
423 (09/01) |
356 (30/01) |
n.a. |
Février 2001 |
541 (13/02) |
n.a. |
247 (13/02) |
Mars 2001 |
272 (13/03) |
240 (13/03) |
440 (13/03) |
Avril 2001 |
575 (12/04) |
542 (10/04) |
614 (10/04) |
Mai 2001 |
543 (09/05) |
629 (09/05) |
813 (09/05) |
n.a. : non analysé
Tableau 2 : Apport en ions bromate (µg/l) en fonction du taux de traitement et de la teneur en bromate de l’eau de javel
Conc. BrO₃ (mg/l) | 50 | 100 | 200 | 300 | 400 | 500 | 600 | 700 |
0,7 mg/l | 0,2 | 0,5 | 0,9 | 1,4 | 1,9 | 2,3 | 2,8 | 3,3 |
1,0 mg/l | 0,3 | 0,7 | 1,3 | 2,0 | 2,7 | 3,3 | 4,0 | 4,7 |
1,3 mg/l | 0,4 | 0,9 | 1,7 | 2,6 | 3,5 | 4,3 | 5,2 | 6,1 |
Ces résultats ont été calculés pour une eau de javel titrant à 150 g/l.
Tableau 3 : comparaison entre la quantité de bromate ajoutée et la valeur calculée
Eau des CAG BrO₃ (µg/l) | Eau chlorée BrO₃ (µg/l) | BrO₃ (µg/l) apporté par l’eau de javel | BrO₃ (µg/l) : valeur calculée | Javel* |
5,2 | 9,8 | 4,6 | 3,7 | 155,3 – 1,06 – 543 |
3,6 | 8,5 | 4,9 | 2,1 | 147 – 0,85 – 813 |
2,7 | 10,7 | 8,0 | 4,3 | 151 – 0,65 – 628 |
4,2 | 8,9 | 4,7 | 2,3 | 156 – 1,06 – 614 |
1,5 | 4,4 | 2,9 | 1,9 | 154 – 0,93 – 247 |
*conc. en chlore (g/l) – taux de traitement (mg/l) – conc. BrO₃ (mg/l)
Tableau 4 : évolution de la teneur en bromate (mg/l) au cours du temps
Solution | J | J + 2 semaines | J + 3 semaines |
1 | 813 | 784 | 807 |
2 | 614 | 582 | 581 |
3 | 542 | 518 | 520 |
4 | 575 | 596 | 626 |
5 | 543 | 566 | 566 |
6 | 575 | 653 | 541 |
Selon le taux de traitement et la concentration en ions bromate, la quantité de bromate ajoutée lors de la chloration sera plus ou moins importante.
Dans le tableau 2, les quantités ajoutées ont été calculées en fonction du taux de traitement et de la concentration en bromate dans l’eau de javel. L’apport de bromate provenant de l’hypochlorite peut être relativement important. Pour une eau de javel ayant une teneur en bromate égale à 600 mg/l et pour un taux de traitement de 1 mg/l, la quantité de bromate ajoutée sera de 4 µg/l. La teneur en bromate dans l’eau destinée à la consommation humaine devra être inférieure à 10 µg/l à compter de 2008, il est donc important de ne pas utiliser des eaux de javel ayant une concentration supérieure à 200-300 µg/l en bromate, car il faut aussi tenir compte des ions bromate provenant de l’ozonation.
L’eau des charbons actifs en grain (CAG), étape qui se situe juste après l’ozonation et précédant la chloration de l’eau, ainsi que l’eau chlorée ont été analysées. Cinq exemples sont rassemblés dans le tableau 3.
L’apport des ions bromate a donc été mesuré puis comparé à la valeur calculée à partir de la concentration en chlore, du taux de traitement et de la teneur en ions bromate de l’eau de javel. On obtient une bonne corrélation entre la valeur mesurée et la valeur calculée. La quantité de bromate apportée par l’hypochlorite peut être relativement importante, jusqu’à 4-5 µg/l.
Évolution de la concentration en bromate
Six eaux de javel ont été conservées à température ambiante et à l’abri de la lumière de manière à vérifier l’évolution de leur concentration en bromate. Les résultats obtenus sont regroupés dans le tableau 4. Les variations observées sont peu importantes, ce qui montre bien que les ions bromate sont formés au cours de l’électrolyse du chlorure de sodium.
Dégradation de l’eau de javel
L’eau de javel se décompose d’autant plus rapidement que la température est élevée (Adam et Gordon, 1999) et que sa concentration en chlore est importante. L’hypochlorite se décompose en chlorate, chlorure et oxygène suivant les réactions suivantes (Smeet et Van Kesteren, 1994) :
2 NaClO → 2 NaCl + O₂
3 NaClO → NaClO₃ + 2 NaCl
Les solutions d’hypochlorite utilisées dans les usines de production de la SAGEP ont une concentration en chlore actif initiale comprise entre 150 et 160 g/l ± 5 g/l. L’évolution de la teneur en chlore actif au cours du temps a été vérifiée. Deux de ces mesures sont présentées dans les tableaux 5 et 6, les résultats étant représentatifs des variations observées.
En période froide, l’hypochlorite perd 10 g/l au maximum en 3 à 4 semaines (tableau 5). Par contre, en été, l’eau de javel se décompose beaucoup plus rapidement (cf. tableau 6). La teneur en chlore peut diminuer de 40 g/l en 3 semaines. Il est à noter que l’eau de javel est déclassée lorsque la perte est > 50 g/l.
L’eau de javel étant moins concentrée en chlore, le volume de solution d’hypochlorite ajouté sera plus important pour obtenir le même taux de traitement. De ce fait, la quantité de bromate provenant de l’eau de javel va être plus importante pour de l’hypochlorite ayant une concentration moindre en chlore et ceci pour un taux de traitement identique.
Tableau 5 : usine d’Ivry – mars 2001
Jour | Concentration en chlore (g/l) |
Jour de livraison | 161,5 |
J + 6 | 157,1 |
J + 13 | 155,3 |
J + 19 | 152,6 |
J + 27 | 151,0 |
Tableau 6 : usine d’Orly – août 2000
Jour | Concentration en chlore (g/l) |
Jour de livraison | 158 |
J + 1 | 149 |
J + 9 | 131 |
J + 15 | 121 |
J + 22 | 119 |
La quantité de bromate ajoutée dans l'eau sera supérieure de près de 25 % pour une eau de javel ayant une concentration en chlore variant de 158 à 119 mg/l.
Conclusion
Les teneurs en bromate présentes dans les solutions d'hypochlorite de sodium utilisées pour la désinfection de l'eau peuvent être importantes.
Pour réduire la concentration en bromate dans l'eau potable, il faut notamment optimiser le traitement d'ozonation.
Mais il est aussi important d'avoir une eau de javel contenant le moins de bromate possible de manière à ce que la chloration ne devienne pas une source d'ions bromate trop importante, l'objectif à atteindre devant se situer à une concentration de l'ordre de 250 mg/l pour une teneur en chlore de 150 g/l.
[Encart : Références bibliographiques
- L.C. Adam et G. Gordon, 1999, Hypochlorite ion decomposition : effects of temperature, ionic strength, and chloride ion, Inorganic Chemistry, vol. 38, n° 6, p. 1299-1304
- M. Bolyard et P. Snyder Fair, 1992, Occurrence of chlorate in hypochlorite solutions used for drinking water disinfection, Environ. Sci. Technol., vol. 26, n° 8, p. 1663-1665
- W.R. Haag et J. Hoigne, 1983, Ozonation of bromide-containing waters : kinetics of formation of hypobromous acid and bromate, Environ. Sci. Technol., vol. 17, n° 5, p. 261-267
- J. Hutchinson, N. Mole et M. Fielding, 1994, Bromate and chlorate in drinking water : the role of hypochlorite, Congrès Gruttee, Poitiers, Proceedings, p. 11.1-11.12
- M. Siddiqui, G.L. Amy et R.G. Rice, 1995, Bromate ion formation : a critical review, Journal AWWA, vol. 87, n° 10, p. 58-70
- P. Smeets, A. François et X. Van Kesteren, 1994, L'hypochlorite de sodium, Tribune de l'Eau, vol. 47, n° 570/4, p. 51-56]
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