Dans la perspective du développement des activités informatiques du CEFIGRE les auteurs ont entrepris une recherche basée sur une approche système-expert qui utilise les bases pédagogiques du Centre. Hydroform est le premier élément des travaux entrepris en intelligence artificielle appliqués à la formation dans le domaine de la gestion des ressources en eaux.
La recherche scientifique et les applications industrielles sont de plus en plus orientées vers des outils qui mettent en œuvre des applications de l'intelligence artificielle (IA). Dans le domaine de l'IA, les systèmes-experts (SE) font appel à l'ingénierie de la connaissance et s'intéressent à la réalisation de programmes informatiques dont la vocation est d'imiter le raisonnement des experts.
Quelques rares SE ont émergé dans le monde des applications pédagogiques dans le domaine de l'ingénierie de l'eau. Nous présentons le SE hydrogéologue et nous jetons les bases de ses développements futurs dans le domaine de la maîtrise de l'eau.
Système-expert ?
On peut noter une assez grande confusion dans les milieux profanes quant à la définition d'une application de type SE. Les quelques lignes suivantes provenant de publications de la « British Computer Society » nous permettront de mieux cerner le domaine de définition d'un logiciel expert :
- — un système-expert résulte de l'implémentation sur ordinateur d'une base de connaissance experte de telle sorte que la machine puisse donner des avis « intelligents » ou prendre une décision « intelligente » à propos d'une fonction de traitement. Une des caractéristiques supplémentaires des SE réside dans l'aptitude du système à justifier, sur demande, sa propre ligne de raisonnement d'une manière directement intelligible par le requérant ;
- — les SE ont suscité un important engouement dans les milieux professionnels car ils permettent d'aborder l'informatisation de certaines fonctions intellectuelles qualifiées, telles que l'identification ou le diagnostic de situation, la prévision d'événements, la conception d'objets, la planification d'actions, qui sont très concrètement utiles dans l'activité des entreprises.
Intérêt de l’approche système-expert
Quel que soit le domaine d'application, l'intérêt de l'approche système-expert réside dans les modalités de l'ingénierie de la connaissance. Celle-ci vise à définir, quantifier, modéliser et enfin implémenter la démarche intellectuelle de l'expert. Cette méthodologie permet, à chaque étape, un enrichissement intellectuel et scientifique tant pour le ou les experts que pour le ou les domaines d'expertise considérés. En effet, et ceci est particulièrement vrai pour les sciences de la nature et de la vie, l'expert fait appel à une série de processus cognitifs ressentis implicitement, plus ou moins bien qualifiés et quantifiés. L'approche SE permet ainsi de structurer de manière formelle le raisonnement de l'expert, de hiérarchiser les paramètres décisionnels et de quantifier de manière probabiliste chaque étape du raisonnement.
Les motivations d'une telle approche sont donc à la fois :
- — scientifiques : modélisation de la connaissance, identification de paramètres déterminants ;
- — industrielles : application de techniques de pointe et optimisation des applications y afférant ;
- — techniques : mise à disposition d'une connaissance experte à un grand nombre d'utilisateurs ;
- — économiques : optimisation de la mise en œuvre d'une technique et diminution du coût car elle n'est plus assurée par l'expert en tant qu'homme mais par SE interposé ;
- — didactiques : un SE permet de former des non-spécialistes, grâce à ses fonctions d'Enseignement Intelligemment Assisté par Ordinateur (EIAO).
Le système-expert
Depuis une dizaine d'années, la reconnaissance hydrogéologique par sondage mécanique a connu un développement considérable en différentes régions du monde grâce à la méthode du marteau-fond-de-trou (MFT). Cette technique a permis le lancement de vastes programmes d'hydraulique villageoise notamment dans les pays en voie de développement. Une des conséquences directes a été de trouver une méthodologie de recherche hydrogéologique dans de vastes zones considérées jusqu'alors comme stériles.
Attachés depuis 1973 au développement des ressources en eau, nous avons recherché les mécanismes régissant les caractéristiques hydrodynamiques des nappes en zone de socle cristallin et identifié les moyens analytiques permettant de formuler les connexions qu'elles entretiennent avec les critères retenus au stade des études d'implantation. Depuis 1985, nous avons modélisé ces mécanismes grâce à des outils informatiques basés sur la technologie des systèmes experts.
C'est un système-expert qui modélise la démarche de l'hydrogéologue et qui est spécialisé dans la recherche des eaux souterraines en zone de socle cristallin. Il a été principalement utilisé en Afrique Centrale dans le cadre de programmes d'hydraulique villageoise.
Les possibilités d'utilisation du système sont vastes ; rappelons que les diverses évaluations effectuées dans le cadre de la Décennie de l'Eau Potable
et de l'Assainissement (1981-1990) montrent que les besoins en eau des pays de l’Afrique de l’Ouest et Centrale sont considérables. Dans le seul domaine de l'hydraulique villageoise, l'extrapolation des évaluations faites en 1976 conduit au chiffre de 100 000 points d'eau à réaliser d'ici 1990.
Les objectifs
Le but du système-expert est de reproduire la démarche de l'hydrogéologue en prenant en compte les très nombreux paramètres impliqués dans le cadre de programmes d'hydraulique villageoise, tant sur le plan technique que socio-économique. Il satisfait aux conditions suivantes :
— être un outil pratique, en rendant transparente la complexité de la recherche en eau souterraine, et en permettant de réaliser des implantations dans le meilleur contexte hydrogéologique possible, avec un taux de succès prévisible ;
— proposer aux techniciens et aux cadres un outil de formation, grâce à ses fonctions didactiques, le système pouvant, à chaque étape, expliciter sa démarche ;
— être un appareil de terrain, implanté sur un micro-ordinateur portable.
Description et mise en œuvre
Le système comporte plusieurs niveaux hiérarchisés de collecte d'informations (figure 1). Celles-ci sont analysées et corrélées à chaque étape et engendrent des hypothèses intermédiaires de plus en plus précises, et ce jusqu’à obtention d’une estimation pertinente des ressources hydrogéologiques locales.
Sur le plan pratique, la mise en œuvre du système est extrêmement simple : les utilisateurs sont amenés à dialoguer, en langage naturel, afin de fournir divers paramètres correspondant à l’acquisition de données relatives au domaine d'étude. Ces dernières ont été implémentées, dans le système, conformément à la démarche de l'hydrogéologue :
— étude des données de base : localisation des villages sur les cartes, études des documents disponibles sur la zone, approche géologique, climatologique, hydrogéologique, géomorphologique, etc. ;
— étude des données identifiables à partir de l'étude des documents aériens, visant à préciser des éléments d’ordre morphologique (plateaux, versants, bas-fonds, réseau hydrographique), géologique (localisation des affleurements) et structural (direction d’allongement, stratification, fracturation) ;
— étude des données de terrain où l'hydrogéologue fera le maximum d’observations possibles d’ordre géologique, géomorphologique, hydrographique, etc. Cette étape lui permettant de réaliser l’inventaire des points d’eau, et un entretien avec les autorités villageoises l'autorisant à prendre en considération les contraintes socio-économiques du village et les desiderata des villageois.
Au terme de la visite de terrain, l'hydrogéologue, en tenant compte des observations de l'environnement géologique (épaisseur de la frange altérée, niveau piézométrique, nature du soubassement), des contraintes socio-économiques, des moyens d'accès, de la géomorphologie, etc., pourra soit réaliser une implantation si les données sont suffisantes, soit définir un périmètre dans lequel il sera nécessaire de réaliser des investigations complémentaires.
— étude des données complémentaires acquises par prospection géoélectrique (interprétation des données géophysiques). Ces méthodes sont fréquemment employées pour confirmer ou infirmer les hypothèses de l'hydrogéologue ; elles sont utilisées dans des cas complexes ou dans la recherche de gros débits.
Compte tenu de ces résultats, le système évalue la nature du risque et propose diverses solutions. Selon l’importance du risque, il peut être amené à replanifier sa démarche et à demander des indications complémentaires sur tel ou tel point qu'il aura jugé déterminant.
Ce récapitulatif simplifié de la démarche suivie par un hydrogéologue permet de rendre compte de la séquence d'opérations à appliquer de manière répétitive afin de mettre en œuvre, avec le maximum de chances de succès, les techniques impliquées dans la stratégie d'implantation.
Au cours d'une session d'utilisation il est possible, à chaque instant, de suivre, grâce à un tableau de bord, le but poursuivi par le système, et de l'interroger sur les tenants et les aboutissants des questions qu'il pose à l'utilisateur, ceci conférant à ses fonctions d’EIAO.
Enfin, le système rend compte des inférences qu'il a réalisées et identifie le contexte hydrogéologique en fonction de l'environnement qui lui a été décrit et de ce qu'il en a déduit. Il s'oriente vers deux types de solutions : la première analogique (figure 3), relative à son espace de solution type (spécifique à la connaissance hydrogéologique locale), la seconde correspondant à une solution générique du problème posé. Des modèles interprétatifs, basés sur les relations précédemment exposées, permettent également d’estimer le risque à la foration (pourcentage de chances d’obtenir un forage positif), le débit et le débit spécifique statistique escomptable dans le contexte décrit.
L'écran est décomposé en trois parties (figure 2). La première est une fenêtre d'interaction dévolue au dialogue avec l'utilisateur ; la seconde est utilisée en alternance par deux types de fenêtres, l'une dédiée à l'impression de l'aide en ligne et l'autre à la visualisation du raisonnement en cours entrepris par le système ; enfin la troisième correspond au tableau de bord. L'appel de la documentation en ligne (Help) se fait à l'aide d'un éditeur pleine page qui est affiché en surimpression de l'écran courant.
Les domaines d’expérimentation
La première maquette d’ était caractéristique d’un domaine restreint d’application : le Nord-Cameroun. Ce secteur (170 000 km²) a l’intérêt d’être représentatif des zones de socle lato sensu, de posséder des bassins sédimentaires et une limite de « grand bassin » (bassin du Lac Tchad). Cette zone d’étude rassemble ainsi la totalité des configurations générales caractéristiques du continent africain. Par ailleurs, sur le plan technique, nous avons effectué dans ce secteur des études d’implantation qui ont conduit à la réalisation d’environ 1 000 forages avec un taux de succès supérieur à 80 %.
Le système a depuis été étendu et utilisé par la société Geolab, dans le cadre de programmes d’hydraulique semi-urbaine et villageoise, au Cameroun et en République Centrafricaine grâce à des micro-ordinateurs portables de terrain construits autour du processeur Intel 80286. En République Centrafricaine l’utilisation systématique du système a permis d’obtenir un taux de réussite de 97,5 % dans une zone où aucun forage n’avait été réalisé jusqu’alors.
À titre d’illustration, et pour fixer les idées, le taux d’échec moyen en zone de socle est de l’ordre de 40 %. L’utilisation d’ permettant de ramener ce taux d’échec à 20 % environ, ce qui a été le cas en RCA, sur une campagne de 100 forages le bénéfice est de l’ordre de 1 000 000 F (le prix moyen du forage étant de l’ordre de 50 000 F). L’intérêt de ce type de système est donc manifeste.
L’apport de l’intelligence artificielle en hydrogéologie
L’apport de l’informatique dépasse l’objectif scientifique et industriel et confère à la propriété d’être également un outil « pédagogique global » en rendant possible la simulation et l’explication d’une gamme de scénarii qu’il est capable de produire (variations de conditions géologiques, climatiques, structurales, hydrologiques, démographiques…).
Afin de juger des fonctions pédagogiques de cet outil, il a été présenté au cours de trois sessions internationales des formations au Centre international de formation à la gestion des ressources en eau (Cefigre) dans le cadre du perfectionnement de cadres africains en hydraulique souterraine. Les utilisateurs ont eu à traiter des cas réels à partir des cartes topographiques et géologiques, de fiches d’inventaires des points d’eau, des résultats de la photo-interprétation, de données géophysiques et d’études de terrain déjà effectuées, puis à comparer les conclusions d’ aux résultats des forages réalisés dans ces mêmes localités. L’approche système-expert et la mise en œuvre d’ ont connu un vif succès.
Prospective
Au cours de ce projet nous avons essayé de définir un schéma structurel de l’expertise et nous lui avons associé des modes opératoires qui permettent d’en assurer une exploitation pertinente, afin de disposer d’un corpus automatisé de connaissances qui intègre un savoir-faire dispersé parmi les spécialistes de la discipline. Le système qui a été élaboré ne constitue qu’une première approche, mais devrait permettre à terme d’affiner les modèles de base qui sont impliqués et la représentation informatique de l’expertise et de construire à partir des acquis actuels un surensemble de connaissances ou métamodèle du domaine d’application, dont la cohérence aura pu être objectivement évaluée à partir de son aptitude à traiter des problèmes concrets.
Conclusion
La quantité d’expertises actuellement disponibles, le savoir-faire en IA et les performances actuelles des micro-ordinateurs à de faibles coûts permettent dès à présent le développement de systèmes experts extrêmement performants qui étaient à peine envisageables il y a quelques années sur de gros ordinateurs.
Après une phase d’expérimentation avec des logiciels utiles très encombrants sur de gros ordinateurs, est un exemple d’architecture logicielle très compacte dédiée à des micro-ordinateurs portables, type IBM PC ou compatible. est aujourd’hui le premier système-expert dans le domaine de l’hydraulique villageoise. Son architecture, destinée à le rendre opérationnel sur le parc de micro-ordinateurs actuels, le rend en outre directement portable sur le terrain. Il est ainsi capable de rendre des services in situ, au cours de l’exécution des programmes.
Nous pensons que la diffusion de cette technologie rendra possible, dans un proche avenir, une réduction sensible du coût des études grâce à la formation et à l’accroissement de la participation de cadres nationaux au développement des ressources en eau de leurs pays. L’IA devrait ainsi permettre d’apporter une contribution à la résolution du problème de l’eau en Afrique, en particulier dans le cadre des programmes d’hydraulique villageoise.