La conception d’un réseau d’assainissement fait intervenir de multiples données liées par exemple à l’environnement et au choix des éléments constitutifs.
Une formule reconnue : celle de Manning-Strickler
Le concepteur d’un réseau d’assainissement, pour les différentes mailles du réseau :
- — détermine les débits et les pentes qui sont des contraintes du projet ;
- — calcule les diamètres (en principe avec l’hypothèse d’une canalisation pleine) ;
- — choisit la nature des matériaux constituant les canalisations.
Pour le calcul des diamètres, la méthode la plus utilisée en Europe et aux USA est celle de Manning-Strickler qui consiste à appliquer la relation :
Q = K S R³/² I¹/²
formule dans laquelle :
Q : représente le débit volumique de l’ef
[Photo : Vue partielle du banc d’essai]
Q : le débit d’écoulement en m³/s
K : le coefficient global d’écoulement
S : la section d’écoulement en m²
R : le rayon hydraulique en m, qui est par définition le rapport de la section d’écoulement au périmètre mouillé
I : la pente de la canalisation en m/m
Dans cette formule, le coefficient global d’écoulement K est lié à un grand nombre de paramètres.
Il intègre notamment l’influence :
- — de la nature de l’effluent (ex : eaux usées ou eaux pluviales), de sa température, de la quantité de matières solides véhiculées et des éventuels dépôts, de l’air contenu ;
- — des points singuliers du réseau* tels que changements de direction éventuels (ex : coudes) et de la qualité des raccordements au niveau des regards et des branchements ;
- — des taux de remplissage ;
- — des caractéristiques des tuyaux (produits industriels, ouvrages maçonnés, canaux à ciel ouvert, formes particulières…) et donc de la rugosité absolue des tuyaux en service*, du nombre de joints et de la façon dont ils assurent la continuité géométrique de la canalisation, des diamètres intérieurs et de leurs éventuelles déformations (ex : ovalisation) ;
- — de la qualité et de la périodicité de l’entretien.
Le choix du coefficient K
Pour le choix du coefficient d’écoulement, le concepteur dispose d’un certain nombre de textes de référence :
- — sur le plan réglementaire français, l’instruction technique relative aux réseaux d’assainissement des agglomérations (circulaire 77-284) ne fait pas de distinction entre les différents matériaux ;
- — la norme NF P 16-100 (décembre 1988) précise que la « rugosité de la paroi intérieure (des tuyaux présentant des génératrices rectilignes) liée à la nature du matériau n’influe que de manière peu significative sur la capacité hydraulique du réseau en service, par rapport à d’autres paramètres géométriques de celui-ci » ;
- — la norme suisse SIA 190 précise que pour les diamètres compris entre 300 et 1000 mm, on admet en général K ≤ 85. Pour les parois très lisses en écoulement turbulent, la même norme précise que K ne devrait pas être choisi plus grand que 90 ;
- — enfin, et c’est sans doute un élément nouveau essentiel, la norme européenne EN 752-4 établie par les experts de 18 pays, transposée désormais en norme française, préconise le choix de valeurs comprises entre 70 et 90 sans faire de distinction entre les matériaux.
[Schéma : Description du banc expérimental — CANALISATION DN 600 : PENTE 5 mm/m. 1. une vanne d’alimentation ; 2. un bassin de dissipation d’énergie, d’amortissement des oscillations du débit et de stabilisation par un système de volets latéraux réglables, qui permet par ailleurs d’ajuster la hauteur d’eau à l’entrée de la conduite ; 3. un dispositif de mesure des débits équipé de deux débitmètres électromagnétiques ; 4. une tour de mise en charge équipée d’un volet réglable permettant la mise en vitesse de l’écoulement pour le régime torrentiel ; 5. des dispositifs de réglage de la pente des canalisations en PVC et en béton ; 6. un ensemble de prises de pression (cinq pour les tuyaux en PVC et six pour les tuyaux en béton) reliées à des capteurs qui permettent de mesurer la pression d’eau et d’en déduire en temps réel la hauteur d’eau dans les tuyaux ; 7. un volet déversant fixé à l’extrémité aval de la canalisation destiné à régler le niveau d’eau dans la conduite pour le régime fluvial ; 8. un bac de récupération des eaux.]
[Photo : Implantation des capteurs de pression]
Compte tenu du fait qu'il est possible de trouver dans la littérature technique générale des valeurs contradictoires. Les différentes valeurs de K correspondantes, basées quelquefois sur des essais anciens et/ou peu représentatifs (ex : très petits diamètres, canalisations de fabrication très ancienne, canaux à ciel ouvert, éléments en maçonnerie, canalisations en charge...), ont été reprises successivement par certains des auteurs, s'appuyant ou non sur des justifications expérimentales. Or, de façon erronée, cette disparité dans les valeurs de K est trop souvent identifiée comme résultant essentiellement de la “rugosité”.
Une telle approche, techniquement injustifiée, conduit à des exploitations commerciales par certains fabricants de tuyaux qui attribuent à leurs produits, et ce de façon inexacte, des performances hydrauliques irréalistes.
Un tel choix qui conduit à un sous-dimensionnement du réseau peut alors entraîner des dysfonctionnements graves tels que inondations, pollutions...
Il semblait donc nécessaire de répondre à ces interrogations en recherchant si des résultats expérimentaux nouveaux existent et dans l'affirmative en les validant par une campagne d'essais.
L'étude bibliographique fut délicate puisque, par souci d'objectivité, ne devaient être retenus que les résultats d'essais parfaitement comparatifs appliquant pour des matériaux différents, un même protocole.
À notre connaissance, une seule étude récente, réalisée par l'Université d'Alberta (Canada) [2]*, permet une comparaison directe entre matériaux. Elle concerne des diamètres de canalisations inférieurs à 500 mm. Compte tenu d'une marge d'erreur annoncée de 10 % sur les résultats, les auteurs précisent qu'en dépit des différences de texture des tuyaux testés (PVC et béton), les coefficients K de Manning-Strickler sont quasi identiques. Les auteurs indiquent également que leurs résultats sont en accord avec des essais plus anciens tels que ceux réalisés par Neale et Price (1964), par Bloodgood et Bell (1961) et par Straub.
*Voir bibliographie.
Tableau 1 : Les caractéristiques des différents appareils de mesure
Appareils |
— Marque |
— Série |
— Étendue de mesure |
— Étalonnage |
niveau optique |
— WILD |
— NA2 |
— — |
— FRAMATOME (27/01/97) |
débitmètres |
— KROHNE |
— ICF 070/FDN 200 |
— 10 à 60 l/s |
— SAGEI (13/12/96) (accrédité COFRAC) |
|
— KROHNE |
— AQUAFLUX 470K/D (DN 600) |
— 60 à 700 l/s |
— KROHNE (30/06/94) |
capteurs de pression |
— ROSEMOUNT |
— 1151 DP3 S22 n° E185946 |
— 50,8 à 1524 mmH2O |
— CETIAT (accrédité COFRAC) |
|
— ROSEMOUNT |
— 1151 DP3 S22 n° E185947 |
— 50,8 à 1524 mmH2O |
— |
|
— ROSEMOUNT |
— 1151 DP3 S22 n° E185948 |
— 50,8 à 1524 mmH2O |
— |
|
— ROSEMOUNT |
— 1151 DP3 S22 n° 9604614 |
— 50,8 à 1524 mmH2O |
— |
|
— ROSEMOUNT |
— 1151 DP3 S22 n° 9604615 |
— 50,8 à 1524 mmH2O |
— |
|
— ROSEMOUNT |
— 1151 DP3 S22 n° 9604616 |
— 50,8 à 1524 mmH2O |
— |
thermocouples |
— PB1103 |
— n° 6927130 |
— 0 à 50 °C (classe A) |
— CNR |
|
— PB1103 |
— n° 6927130 |
— 0 à 50 °C (classe A) |
— CNR |
jauge micrométrique |
— ROCH |
— N/1020965 |
— 50 à 850 mm (classe 0) |
— ROCH |
[Figure : Exemple de variation des hauteurs d'eau dans un tuyau en béton pour un taux de remplissage de 93,5 %]
Une autre étude récente réalisée par la Fondation de l'Université de l'État d'UTAH et par le laboratoire de recherche de l’eau (USA) [3] ne concerne que des canalisations en béton de diamètre également inférieur à 500 mm. Elle aboutit à des valeurs qui, pour les débits maximaux (correspondant à un taux de remplissage de 93 % selon Manning-Strickler), sont proches de 100.
Pour confirmer ces résultats et notamment ceux réalisés par l'Université d’Alberta, il paraissait souhaitable d’entreprendre une nouvelle campagne expérimentale comparative avec des diamètres plus importants, qui correspondent à un domaine où la concurrence entre les différents matériaux se développe. Ces essais ont été réalisés en 1996 par la Compagnie Nationale du Rhône avec des canalisations présentant des rugosités apparentes réputées différentes : canalisations en béton et canalisations en PVC.
Afin de s'affranchir du paramètre diamètre, qui selon certains auteurs influence le coefficient K, un diamètre identique a été retenu pour les deux matériaux. Le diamètre choisi de 600 mm est le seul pour lequel le diamètre intérieur des canalisations commercialisées en PVC et en béton est identique.
Les résultats récents de la Compagnie Nationale du Rhône
Banc d’essai :
La longueur du tronçon expérimental est de 28 m et l'ensemble du banc d’essai représente 42 m. Le réglage de la pente à 5 mm/m, qui correspond à une pente moyenne courante des réseaux en service, a été particulièrement soigné afin d’isoler l’effet de la « rugosité » due à la seule nature des tuyaux. Le tronçon est alimenté en eau à partir d’une tour à niveau constant, alimentée elle-même par une batterie de pompes qui puisent l'eau dans la nappe phréatique du Rhône.
Le banc expérimental se compose d’amont en aval comme sur la figure 2.
Protocole opératoire :
Le déroulement d'un essai type s’exécute de la façon suivante :
- contrôle initial de la pente de la canalisation :
- réglage des berceaux supports de tuyaux,
- contrôle de la pente de la génératrice inférieure par l'intérieur des tuyaux,
- contrôle de la pente de la génératrice supérieure par l'extérieur des tuyaux,
- contrôle de l’alignement des tuyaux ;
- mise en eau du modèle :
- réglage du débit au moyen de la vanne d’alimentation,
- stabilisation de l’écoulement par les volets latéraux du bassin de dissipation d’énergie,
- mise en vitesse de l'écoulement, si nécessaire, par le réglage du volet de la tour de mise en charge,
- réglage du niveau d'eau en aval par le volet déversant (régime torrentiel),
- contrôle visuel de la ligne d’eau générale dans les pots de mesure par pointe limnimétrique ;
- mesure des paramètres :
- après avoir obtenu un écoulement stabilisé pour chaque taux de remplissage de la canalisation, un programme d’acquisition de données mémorise les valeurs des différents paramètres pendant un intervalle de temps de 15 minutes tous les demi ou quart de seconde, ce qui représente un échantillon de 1800 à 3600 mesures selon la fréquence d'acquisition.
Lors des essais, les paramètres suivants sont mesurés :
- le diamètre intérieur des tuyaux ;
- la pente de la canalisation ;
- le débit volumique de l'effluent ;
Tableau 2 : Les incertitudes relatives sur K à deux écarts types
Conduite en béton
taux de remplissage : |
21 % |
31,1 % |
46,6 % |
58,6 % |
68,4 % |
78,6 % |
93,5 % |
2*σ(K)/K_moy : |
± 5,4 % |
± 3,81 % |
± 2,76 % |
± 2,40 % |
± 2,21 % |
± 2,08 % |
± 2,0 % |
Conduite en PVC
taux de remplissage : |
22,5 % |
30,8 % |
45,7 % |
50,7 % |
68,5 % |
93,1 % |
2*σ(K)/K_moy : |
± 7,88 % |
± 5,88 % |
± 4,07 % |
± 3,76 % |
± 3,06 % |
± 3,31 % |
Tableau 4 : Les coefficients de Manning-Strickler en eau claire relatifs à la seule nature des matériaux sont exprimés en fonction des taux de remplissage
CANALISATION EN BÉTON
Taux de remplissage % |
K |
Incertitude |
21 |
103 |
± 6 |
31,1 |
102 |
± 4 |
46,6 |
95 |
± 3 |
58,6 |
101 |
± 2 |
68,4 |
104 |
± 2 |
78,6 |
97 |
± 2 |
93,5 |
93,4 |
± 1,9 |
CANALISATION EN PVC
Taux de remplissage % |
K |
Incertitude |
22,5 |
116 |
± 9 |
30,8 |
114 |
± 7 |
45,7 |
104 |
± 4 |
50,7 |
105 |
± 4 |
68,5 |
105 |
± 3,2 |
93,1 |
94 |
± 3 |
— les hauteurs d'eau dans la canalisation ;— la rectitude du fil d'eau ;— la température de l'effluent (pour déterminer sa masse volumique) ;— la température de l'air ambiant.
Qualité des mesures
Les caractéristiques des différents appareils de mesure sont reportées dans le tableau 1. La qualité des résultats de mesures dans un tel essai est liée en particulier à l’établissement d’un régime permanent sur une longueur de tronçon la plus grande possible. La figure suivante donne un exemple des variations de hauteurs d'eau mesurées par un des capteurs de pression et par un débitmètre dans les canalisations en béton, pour un taux de remplissage de 93,5 % (pics instantanés liés à des parasites électriques éliminés). On constate que dans ces conditions les plus défavorables (débit maximal), les fluctuations du plan d'eau restent inférieures à une quinzaine de millimètres.
Les incertitudes relatives sur K à deux écarts types sont contenues dans le tableau 2 et 3.
Résultats
Les coefficients de Manning-Strickler en eau claire relatifs à la seule nature des matériaux sont en fonction des taux de remplissage (tableau 4).
Les valeurs des coefficients de Manning-Strickler ont des évolutions similaires et décroissent légèrement en fonction du taux de remplissage. Pour la capacité d’écoulement maximale, prise en principe comme référence (taux de remplissage ≃ 93 %), les coefficients d’écoulement K sont, compte tenu des incertitudes de mesure voisines de 3 %, quasi identiques selon les matériaux et proches de 94.
Conclusion
Les résultats obtenus par la Compagnie Nationale du Rhône sur des tronçons expérimentaux en béton et en PVC (K = 94 pour un taux de remplissage ≃ 93 %) corroborent ceux obtenus par l’Université d’Alberta au Canada dans des conditions d’essais similaires : ils montrent que les coefficients K correspondants sont quasi identiques pour ces deux matériaux.
Le coefficient global de perte de charge d’un réseau réel à prendre en compte par le concepteur doit cependant anticiper la réalité du projet et les différentes caractéristiques de l’effluent. Les minorations qui peuvent en résulter par rapport aux valeurs expérimentales évoquées précédemment sont en général estimées entre 5 et 20 %, ce qui conduit à des valeurs de K comprises entre 70 et 90, correspondant à celles préconisées par la nouvelle norme européenne EN 752-4 qui traite des réseaux réels.
Il en résulte que le seul critère de la nature de la canalisation, quelle qu’elle soit, ne peut justifier une différence de débit traductible par le coefficient K de la formule de Manning-Strickler.
Il est d’ailleurs tout à fait significatif de noter qu’un auteur réputé en hydraulique générale [4] vient de publier (février 1997) un ouvrage complet où il précise que : « Lors des projets, la conception optimale, la qualité des matériaux, des tuyaux, des éléments constitutifs des joints et les modes d’exécution qui sont généralement requis, confortés par des labels et chartes de qualités ne doivent pas conduire à une différenciation tangible du coefficient K sur le seul critère de la nature de la canalisation ».
Références bibliographiques
[1] Armando Lencastre. Hydraulique générale, octobre 1995.
[2] D.K. May, A.W. Peterson, N. Rajaratnam. Study of Manning's roughness coefficient for commercial concrete and plastic pipe. T. Blench hydraulics laboratory Department of Civil Engineering – University of Alberta (Canada).
[3] J.P. Tullis, Friction factors tests on concrete pipe. Utah Water Research Laboratory et Utah State University Foundation Hydraulics report n° 157 – octobre 1996.
[4] Régis Bourrier. Les réseaux d'assainissement, calcul, applications, perspectives (1997).
[5] Instruction technique relative aux réseaux d'assainissement des agglomérations, Circulaire interministérielle 77284, Imprimerie Nationale.
[6] Réseaux d’évacuation et d’assainissement à l’extérieur des bâtiments, conception hydraulique et considérations liées à l’environnement, Norme EN 752-4 – novembre 1997.