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Histoires d'eau : eaux jaillissantes, sources de vie

29 mai 1987 Paru dans le N°110 à la page 68 ( mots)

EAUX JAILLISSANTES, SOURCES DE VIE

EAUX JAILLISSANTES,SOURCES DE VIE

« Je crie de l’eau à outrance, je m’égosille assez souvent, c’est afin de mettre en ma panse, un doigt de vin gaillardement. »

Synonyme de vie, l’eau est la compagne obligée de l’homme : constitué de 65 à 70 % d’eau, il a besoin dès sa conception, pour grandir et demeurer, de puiser à la source de cet élément liquide. Son existence y est étroitement liée, et l’on retrouvera toujours trace de son passage à proximité directe d’un cours d’eau, d’un ruisseau, d’une rivière.

Lutèce, petit village né sur une île, s’épanouira au fil des temps le long des berges de la Seine. Progressivement, la population augmentant, les limites de la Cité débordent rapidement des îles et déjà à l’époque gallo-romaine, les habitations s’écartent du fleuve, et c’est sans doute lorsque la montagne Sainte-Geneviève fut habitée que se posa, pour la première fois, le problème de la distribution de l’eau.

De qualité médiocre, en quantité trop faible, elle ne satisfera pas les Romains, grands consommateurs, pour alimenter leurs thermes et bains publics. Experts en travaux hydrauliques, ils entreprennent la construction de l’aqueduc d’Arcueil qui, dès le IVe siècle, amène à la Cité par la Voie Romaine d’Orléans (l’actuelle rue Saint-Jacques) 1 500 à 2 000 m³ d’eau par jour, en provenance des sources de Rungis. Long de 16 km, il alimente, outre le Palais des Thermes, les établissements publics du quartier latin, tels le théâtre de la rue Racine et le temple de la rue Soufflot.

Au début du XIIe siècle, des travaux de captage sont entrepris par les religieux du Prieuré Saint-Lazare. Un aqueduc, partant des sources du Pré-Saint-Gervais, alimentera leur léproserie, puis quelques fontaines publiques (fontaine des Halles). De même, les moines de Saint-Martin-des-Champs captent celles de Belleville pour amener l’eau à leur communauté et à celle toute proche des Templiers. Cet aqueduc alimentera également plusieurs fontaines publiques (dont la fontaine Monbuée, « mauvaise lessive », appelée ainsi en raison de la forte teneur en calcaire de son eau).

En 1553, Paris comptait 260 000 habitants ; le volume total d’eau produit était de 900 m³ par jour ; on distribuait un litre par habitant !

Un important effort de distribution d’eau fut déployé sous le règne d’Henri IV, pour assurer un minimum vital au peuple. Mais la pénurie d’eau se fait toujours cruellement sentir et c’est en 1608 que le roi décide alors de faire construire sur la Seine, à la hauteur du Pont-Neuf, une pompe dite « de la Samaritaine » qui, actionnée par la force du courant, amène l’eau dans un réservoir situé au-dessus du pont. Grâce à un débit d’environ 700 m³/jour, il alimentera le Louvre, les Tuileries, diverses concessions et de nouvelles fontaines.

Marie de Médicis réalisera le deuxième projet nourri par le défunt roi, en amenant les eaux de la source d’Orly par un nouvel aqueduc d’Arcueil, qu’elle inaugurera avec Louis XIII, en 1613. Il alimentera le Palais du Luxembourg, l’Institut des sourds-muets et le couvent des Carmélites, ainsi que plusieurs fontaines.

En 1669, un moulin à blé situé sur la Seine est transformé en établissement hydraulique. Grâce à cette pompe « Notre-Dame », 21 fontaines et 81 concessions seront alimentées.

Il faut reconnaître qu’une concession est un don bien précieux accordé par le Roi, tant l’eau, véritable trésor, est rare. Elles sont donc réservées en priorité aux grands de la Cour et aux communautés religieuses. Ces branchements directs sur les aqueducs et les fontaines constituent en fait la première forme de distribution de l’eau à domicile. Le peuple, lui, s’alimente soit directement dans la Seine, soit aux fontaines encore bien rares. Quant au bourgeois, il se fait livrer à domicile, et l’on voit éclore une nouvelle corporation, celle des porteurs d’eau.

Pourtant, quelques années plus tard, Colbert fait installer d’autres pompes hydrauliques sur la Seine ; la production d’eau augmente, elle atteint 4 000 m³/jour, pour 500 000 habitants, soit 8 l/jour.

À la fin du XVIIIe siècle, la qualité de l’eau s’améliore, grâce à la microbiologie. En 1778, les frères Périer fondent la « Compagnie des Eaux de Paris », société par actions, dont le but est d’alimenter en eau chaque rue, et par là même, les maisons particulières. Ils décident également d’installer dans les rues des robinets pour le nettoyage des voies publiques et l’extinction des incendies. Malheureusement, cette entreprise ne vécut que quelques années, et devra s’arrêter à la suite d’un litige survenu entre les frères Périer et les porteurs d’eau.

[Photo : La pompe Notre-Dame]
[Photo : En 1872, l'anglais Richard Wallace offrit de doter la ville de « 50 fontaines à boire » pour permettre aux passants de se désaltérer. Minutieusement entretenues, cinq se trouvent encore dans notre quartier : Place St-Germain-des-Prés, Place St-Sulpice, au Pont Neuf, rue Vavin et Place Saint-André-des-Arts.]

Dès son arrivée au pouvoir, Bonaparte se montrera très préoccupé par ce problème. Il décidera la construction du canal de l’Ourcq (70 000 m³/jour). L’arrêté des consuls de Prairial, an XI, ordonne la fusion des eaux du Roi (Samaritaine et Arcueil) et celles de la ville (les autres sources). L’ensemble sera placé en 1807 sous l'autorité du Préfet de la Seine. Le forage du puits artésien de Grenelle, à 600 m de profondeur, donnera une eau tiède et ferrugineuse. Enfin, de nombreuses conduites apportent à tous les immeubles, à partir d’une fontaine située dans la cour de chaque habitation, cette eau tant attendue.

Oui, les Parisiens ont de l’eau, mais de quelle qualité... La Seine reçoit tous les déchets de la ville, les puits s’infectent, le canal de l’Ourcq est pollué ; les épidémies se succèdent, le choléra, la typhoïde déciment les habitants.

L’année 1854 sera décisive. Le Baron Haussmann, Préfet de la Seine, confie à l'ingénieur Belgrand la tâche de restructurer le système d’approvisionnement en eau de la capitale. Il créera deux réseaux distincts pour l’eau potable et non potable. Parallèlement, des sources sont captées dans le Bassin Parisien et dans le Bassin de la Marne. Les eaux sont recueillies dans trois réservoirs à Ménilmontant, à Montsouris et à Saint-Cloud. Des usines de traitement des eaux de la Seine et de la Marne sont construites à Saint-Maur, à Ivry, et en 1970 à Orly. Et nous avons chacun maintenant, n’en déplaise à nos ancêtres Romains, plus de 200 litres par jour à notre disposition.

Ces deux importants réseaux (1 700 km pour l’eau potable, 1 600 pour l’autre) réclament des soins attentifs et de nombreuses rénovations. Et c’est ainsi que le 1er janvier 1985, Jacques Chirac, Maire de Paris, confia la distribution de l’eau, pour la rive droite, à la Compagnie des Eaux de Paris (filiale de la Compagnie Générale des Eaux) et pour la rive gauche, à la Société Parisienne des Eaux (filiale de la Lyonnaise des Eaux). Depuis le 1er février 1987, la S.A.G.E.P., Société d’économie mixte, est chargée de la production et du transport extra-muros de l'eau, auparavant assuré par un service municipal.

Grâce à d’importantes économies de personnel et de gestion, les deux sociétés privées chargées de la distribution ont déjà réalisé des réparations importantes sur les milliers de kilomètres de tuyaux qui courent dans les égouts ; le prix de l’eau à Paris est très faible par rapport à ce qu'on paie dans d’autres villes, et il est prévu qu’une part de ce prix, croissante dans les cinq premières années, égale à terme à 8 % du tarif du distributeur, sera réservée au financement des travaux nécessaires à la remise en état du réseau.

Par ailleurs, pour ce qui concerne la production et le transport de l’eau, la S.A.G.E.P. a, de son côté, un programme d’investissement de 1 milliard 320 millions de francs sur cinq ans, et 3,5 milliards de francs sur 15 ans. Au cours des 5 prochaines années seront modernisées les trois usines de traitement d’eau (Orly, Ivry et Saint-Maur), pour un montant global de 630 millions de francs et la réfection de 600 km d’aqueducs pour un coût de 200 millions de francs. Le réseau de surface appelle, également, une intervention de près de 250 millions de francs.

[Photo : Un émissaire des égouts de Paris.]

M.-C. LE GRAND

Extrait d'un article du n° 8 de la revue « Notre 6e », avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’Association de sauvegarde et d’embellissement du 6e arrondissement de Paris.

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