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Histoire d'eau: la machine de Marly (2ème partie)

30 octobre 1975 Paru dans le N°2 à la page 96 ( mots)

deuxième époque : (1) sa restauration sous Napoléon III

[Photo : La Machine de Marly (vue de l'ensemble des six roues hydrauliques).]

Résumé de l’extrait précédent.

Louis XIV ayant décidé, en 1662, de faire bâtir un château royal dans la forêt de Marly, il fallut alimenter les nombreuses cascades agrémentant les jardins.

Mansard fit exécuter par des Liégeois, le baron de Ville et Rannequin Sualem, une machine hydraulique qui commença à fonctionner en 1682 et fut considérée à l’époque comme une des Merveilles du Monde.

Œuvre gigantesque, par ses grandes dimensions et la multiplicité de ses pièces mobiles, connut un rendement très médiocre.

Pendant près d’un siècle, elle fut abandonnée et sous Napoléon Iᵉʳ, en 1803, elle n’élevait plus que 240 mètres cubes d’eau par 24 heures.

On conçut un moteur à vapeur de secours, et fut sauvée de la destruction qui la menaçait...

On pouvait alors songer à améliorer et à rendre utile la machine de Marly. L’empereur Napoléon III eut la gloire de mener cette entreprise à bonne fin. Il chargea M. Dufrayer, directeur du service des eaux de Versailles, de rechercher les moyens de réparer la machine de Marly et de tirer un meilleur parti de la chute d’eau. Divers projets furent successivement examinés, et sur l’avis d’une commission composée de savants et d’ingénieurs dont V. Regnault, membre de l’Institut, était le rapporteur, Napoléon III décida, en 1854, l’exécution de la machine qui fonctionne aujourd’hui pour élever l’eau de la Seine à Versailles et à Marly.

Nous pourrons donner une description exacte de cette belle machine hydraulique d’après la notice rédigée pour l’Exposition universelle de 1867, par M. Dufrayer, directeur du service des eaux de Versailles et de Marly.

(1) Voir « L’EAU ET L’INDUSTRIE », n° 1. Extrait du livre de Louis FIGUIER : « Les merveilles de l’industrie » ou « Description des principales industries modernes », publié vers 1875.

N.D.L.A. : Lorsque l’auteur parle de « l’état actuel » de la Machine de Marly, il s’agit bien entendu de son état à la fin du XIXᵉ siècle. Son livre remonte à 1875.

La nouvelle machine hydraulique est établie à peu près sur le même emplacement que l’ancienne ; seulement, elle se compose de 6 roues au lieu de 14 roues de l’ancienne machine. Malgré cette addition, la machine occupe beaucoup moins d’étendue. Les quatorze roues de l’ancienne machine ne donnaient pas, lorsqu’elles se trouvaient dans le meilleur état, un rendement égal à celui que donnent aujourd’hui les trois premières grandes roues qui ne dépensent pas la moitié de la force disponible.

Ces roues sont, en effet, exécutées dans d’excellentes conditions. Au lieu de fonctionner, comme les anciennes, par le simple courant de l’eau, elles sont emboîtées à leur partie supérieure dans un coursier circulaire.

Le bâtiment dans lequel se trouve tout le système, contient six grandes roues, et par conséquent, six mécanismes semblables.

Chaque roue se compose de 64 aubes planes, formées de fortes planches en bois d’orme, assemblées entre elles et fixées par des équerres en fer, à deux rangées de couronnes concentriques, au nombre de quatre sur la largeur, qui opèrent la réunion de toutes les aubes.

Elles sont, en outre, reliées à la circonférence extérieure et aux deux bouts par des boulons à écrous ; 32 aubes ont 4,50 m de longueur sur 3 mètres de largeur, tandis que les 32 autres n’ont, avec la même longueur, que 2,40 m de largeur.

L'arbre de transmission repose sur deux larges paliers fixés sur une plaque de fondation en fonte, solidement attachée au sol au moyen de boulons de scellement.

Les vannes, pour une largeur aussi considérable, sont forcément d'un grand poids. Pour réduire ce poids autant que possible, tout en conservant la force de résistance nécessaire à l’effort qu’elles ont à supporter, ces vannes ont été exécutées en forte tôle avec des cloisons ou nervures. Pour les déplacer dans leurs guides latéraux inclinés, un mécanisme spécial est disposé sur le plancher au-dessus de chacune d’elles.

Le mécanisme servant à la manœuvre des vannes est un treuil composé d'un bâti en fonte réuni par des entretoises et muni d'un arbre à manivelle, sur lequel est fixé un pignon. Celui-ci engrène avec une roue calée sur un arbre intermédiaire supporté également par le bâti, et garni d’un pignon qui commande une roue dentée fixée sur un arbre.

Cet arbre est supporté par de petites consoles unies au bâti, et repose, par ses extrémités prolongées dans toute la longueur de la vanne, sur des petits supports fixés au sol. Deux pignons sont clavetés vers ses extrémités et engrènent avec des crémaillères attachées à la vanne, de telle sorte que, lorsqu’on agit sur la manivelle du treuil, on communique à cette vanne un mouvement ascensionnel ou descensionnel, suivant le sens de rotation, et cela très lentement, par suite des rapports qui existent entre les engrenages de transmission.

Pour éviter que des matières solides, entraînées par le courant de la Seine, arrivent sous les roues, un large grillage de fer est placé en travers du canal d’arrivée.

Les pompes réalisent le meilleur emploi de la force du courant, et c’est là une des meilleures dispositions imaginées par M. Dufrayer, l’habile ingénieur à qui l’on doit la reconstruction de la machine que nous décrivons.

Chaque roue met en jeu quatre pompes horizontales à piston plongeur à simple effet. Ces pompes se composent chacune d’un cylindre en fonte, de 0,45 m de diamètre extérieur fixé dans un bâti de fonte.

Ce dernier, formé de deux flasques fondues avec des nervures qui les relient entre elles, est boulonné solidement au sol et assemblé par de forts boulons avec la plaque de fondation sur laquelle est fixé le palier correspondant de l’arbre de la roue.

Le bâti de la pompe placée de l'autre côté, dans le même axe, étant également relié à cette plaque, l’ensemble d'un double jeu de pompe se trouve ainsi solidaire, et présente par suite toute la solidité nécessaire.

Dans ce corps de pompe se meut un long piston creux en fonte, ajusté à frottement doux dans la presse-étoupe, serré par huit boulons et garni au fond d’une bague en bronze.

À la tête du piston est clavetée une chape dont les deux branches sont traversées par un petit arbre en fer forgé et tourné, garni à ses deux extrémités de longs coulisseaux en bronze, destinés à se mouvoir horizontalement dans les glissières en fonte boulonnées et clavetées sur le bâti même de la pompe ; c'est une disposition analogue à celle qui est employée pour guider la tige du piston des machines à vapeur horizontales.

Le mouvement est communiqué directement aux pistons de quatre pompes à la fois, par l’arbre de chaque roue hydraulique, garni à cet effet, des deux côtés, en dehors des paliers qui les supportent, de deux fortes manivelles de 0,80 m de rayon, calées à angle droit.

Sur le bouton de chaque manivelle sont ajustées les têtes des deux bielles en fer forgé ; l’une de ces têtes est à fourche pour laisser place à la seconde. Ces bielles n’ont pas moins de 3,40 m de longueur.

Le corps de pompe est fondu, du côté opposé au presse-étoupe, avec une sorte de boîte à deux tubulures perpendiculaires à son axe ; celle du dessus est fermée par un fort couvercle qui sert à visiter la pièce et, au besoin, à la réparer.

Quand le tuyau d’aspiration se remplit par l’afflux de l’eau, deux clapets en bronze dont le piston est muni, descendent entièrement et s’appuient sur un siège en bois d’orme, qui assure l’herméticité de la fermeture. Alors deux autres clapets s’ouvrent pour laisser l'eau aspirée s’échapper par la conduite de refoulement.

Ces clapets sont en bronze, avec garniture en cuir, pour s’appliquer exactement et sans bruit sur leur siège en bronze, à face inclinée, à l’extrémité du corps de pompe.

À la suite de la boîte munie des clapets de refoulement, est un robinet-vanne, qui permet, au besoin, quand l’une des pompes est en réparation, d’interrompre la communication de cette pompe avec les deux conduites collectives.

Les réservoirs d’air qui sont aujourd’hui adjoints à toutes pompes servant à l’élévation de l’eau, sont placés sur toute la longueur du bâtiment, près des murs, sous une galerie en fonte avec balustrades et candélabres, qui permet de circuler tout autour de la salle. Cette galerie communique avec un grand réservoir en fonte qui est placé au bout de la salle, et s’élève jusqu’à la toiture. Une seconde galerie et un second réservoir à air existent symétriquement de l'autre côté de la salle. On sait que les réservoirs à air ont pour but de régulariser, par l’égalité de la pression qu’exerce l’air comprimé, le mouvement de l’eau dans la conduite ascensionnelle, et d’éviter ainsi les coups de bélier qui se produisent dans certaines circonstances, par la fermeture instantanée des clapets des pompes.

L’air est entretenu dans les réservoirs d’air comprimé au moyen d’un petit appareil très simple, appliqué sur les couvercles des boîtes à clapet d’aspiration. Cet appareil se compose d’une petite cloche en fonte, montée sur un robinet en bronze, vissé sur le couvercle. La bride de ce robinet, sur laquelle repose la cloche, est percée de petits trous fermés par un disque en cuir, qui est maintenu au centre par une vis, afin que sa circonférence puisse se soulever sous la pression de l’air refoulé par le piston de la pompe. L’air est introduit dans le corps de pompe, à chaque aspiration du piston, par un petit tube placé sur le tuyau d’aspiration, et muni d’un robinet que l’on ferme, quand on s’aperçoit, en examinant des robinets étagés sur le réservoir, que la quantité d’air refoulé est suffisante.

Chaque série de deux pompes est pourvue d’un petit appareil semblable.

L’air, refoulé dans tous les appareils, est amené dans un tube à l’intérieur du réservoir. Il y acquiert une pression de 16 à 17 atmosphères, c’est-à-dire un peu supérieure à celle de l'eau dans la conduite générale.

Celle-ci est en communication directe avec les réservoirs d’air par des tuyaux passant sous la voûte, et venant s’assembler sur une tubulure ménagée à chacun des petits réservoirs intermédiaires en tôle.

La prise d’eau par les pompes a été installée avec des précautions toutes particulières. Le bâtiment des pompes est placé en travers de la Seine. Entre chacune des six galeries, de 4,50 m de largeur, qui reçoivent les roues et leur vannage, on a ménagé, ainsi que vers les deux extrémités, huit canaux destinés à laisser arriver l’eau nécessaire à l’alimentation de toutes les pompes, lesquelles sont placées directement au-dessus. Leurs tuyaux d’aspiration y descendent par des ouvertures rectangulaires ménagées, à cet effet, dans l’épaisseur des voûtes.

Ces canaux, traversant le bâtiment d’outre en outre, laisseraient s’écouler un volume d’eau qui affaiblirait considérablement la chute s’ils n’étaient fermés en aval par une vanne qui maintient le niveau du liquide. En amont, il existe une vanne semblable, et devant celle-ci une grille, qui ne permet pas aux herbes ou autres matières étrangères charriées par le fleuve, de pénétrer dans le canal de prise d’eau.

Un mécanisme très facile à manœuvrer est appliqué à l’intérieur du bâtiment, pour manœuvrer ces vannes. Il se compose d’une vis et d’un écrou muni d’une roue à rochet à double encliquetage que l’on met en jeu à l’aide d’un levier. Ce double encliquetage avec arrêt en sens inverse permet de maintenir la vanne à toutes hauteurs, soit qu’on veuille la soulever, soit qu’on veuille la faire descendre.

De la chambre des roues partent deux conduites de fonte qui montent à découvert, appuyées sur le sol, jusqu’à l’aqueduc de Marly. Arrivées au pied de l’aqueduc, qui n’a pas moins de 6 200 m de long, les eaux s’élèvent verticalement dans la conduite jusqu’à son sommet, et le parcourent dans une cuvette en plomb placée sur son couronnement. Parvenue à l’extrémité de l’aqueduc, l’eau pénètre dans un tuyau placé sous terre, et qui, se recourbant en siphon, la conduit à Versailles, aux réservoirs des Deux-Portes.

L’aqueduc de Marly est sans doute très monumental, mais il est tout à fait superflu, au point de vue hydraulique. Il y aurait avantage à le supprimer et à établir une conduite qui irait de la chambre des roues motrices de la machine de Marly aux réservoirs de Versailles. On ne le conserve que par l’intérêt qu’il présente comme monument historique, comme rappelant, par son côté architectural, le siècle de Louis XIV ; mais au point de vue des services réels qu’il rend, comme conduite d’eau, l’aqueduc de Marly est plus nuisible qu’utile. Sans supprimer ce joli monument architectural, qui semble faire partie du paysage sur le coteau de Marly, on pourrait le retirer du service actif et le remplacer par une conduite de fonte, facile à visiter, à entretenir et à réparer. Ce n’est peut-être pas l’avis des peintres ni des habitants du pays, mais c’est l’opinion des ingénieurs.

ET L’HISTOIRE FINIT COMME ÇA…

L’auteur, Louis FIGUIER, nous laisse avec les dernières lignes de son livre vers 1875…

La « Machine de Marly » continua à fonctionner tant bien que mal, respectée pendant encore près d’un siècle. Elle n’avait plus de service actif à remplir car les problèmes d’approvisionnement en eau de Versailles, de Marly et de l’agglomération furent progressivement résolus par des méthodes du XXᵉ siècle.

Il y a encore une douzaine d’années on pouvait venir l’admirer, et de la passerelle le mouvement de ses roues monstrueuses de douze mètres tournant très haut au-dessus des têtes dans un crissement étourdissant et déversant des cataractes d’eau provoquait une sensation de terreur inoubliable.

La nuit, le spectacle était féerique.

Mais finalement, établie sur un bras mort de la Seine au fond duquel ses immenses roues remuaient la vase à un rythme de plus en plus lent en dégageant une odeur fétide, elle fut condamnée. Une certaine rage de destruction que l’on regrette peut-être maintenant eut raison de cette merveille du monde, qui fut démolie en 1966-67.

Elle avait émerveillé les générations pendant près de 300 ans !

Les nostalgiques trouveront d’excellents documents et de belles gravures sur la Machine de Marly au musée du Vieux-Marly, près de la mairie de Marly-le-Roi, et au musée de l’Île-de-France à Sceaux.

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