Le barrage d’Akosombo sur la Volta, achevé en 1966, a inondé 8 % de terres du Ghana. La majorité des 80 000 personnes chassées vit toujours dans des camps de réfugiés. L’électricité produite a été vendue à un prix inférieur au prix du marché à une entreprise étrangère d’extraction d’aluminium qui employait moins de 1 000 personnes. Le barrage n’a pas empêché le Ghana, pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest en 1966, de devenir l’un des plus pauvres aujourd’hui.
En Inde, 6 milliards de dollars ont été dépensés entre 1950 et 1980 pour irriguer environ 30 millions d’hectares. Les rendements de céréales n’ont atteint que le tiers des prévisions (2). Même au Punjab, grenier de l’Inde, les agriculteurs sont incapables de payer les coûts de maintenance et de fonctionnement de l’irrigation. Près de 8 millions d’hectares des meilleures terres agricoles du pays sont affectés par la salinisation et l’engorgement. En 1986, le Premier ministre, Rajiv Ghandi, déclarait : « On peut affirmer qu’en seize ans, le peuple n’a tiré aucun avantage des grands barrages. Nous avons englouti des sommes folles. Les gens n’ont rien reçu en retour : pas d’irrigation, pas d’augmentation de la production, aucun soulagement dans leur vie quotidienne ».
Réformer les barrages ?
Est-il possible de revoir la conception des grands barrages ? Beaucoup en doutent. Ils mettent en avant ce qu’ils considèrent comme des vices intrinsèques. Tout d’abord, dans beaucoup de pays, la décision de construire un grand barrage répond à la pression de groupes d’intérêt puissants et non à une décision économique. Ensuite, le fonctionnement des grands barrages suppose une administration centralisée, aujourd’hui discréditée, et une planification, qui s’est souvent avérée déficiente. C’est ainsi que plusieurs projets ont abouti à des désastres écologiques majeurs (la pollution des nappes de la Volga ou la destruction de la mer d’Aral en ex-URSS) ; que des terres agricoles fertiles ont été détruites par la salinisation dans la plaine de l’Indus ; que l’industrie de la pêche sur la rivière Columbia est en crise ; que la guerre civile au Sri Lanka a été aggravée par les plans de repeuplement sur les terres du projet Mahaweli ; que, si certains secteurs de la population tirent bénéfice de la construction des barrages, d’autres, plus nombreux, en font les frais.
En général, on ne mesure qu’après dix ou vingt ans le réel impact de la construction d’un barrage. En effet, les études de faisabilité ne tiennent pas compte des coûts économiques, écologiques, sociaux, qui peuvent dépasser de loin tous les bénéfices envisagés. Si les experts avaient inclus les coûts du drainage nécessaire pour maintenir la productivité de l’agriculture sur les terres irriguées, le projet du barrage d’Assouan aurait coûté au moins le double.
Les grands barrages sont également une cause essentielle d’endettement. Le milliard de dollars consacré au barrage Chixoy équivaut à 40 % de la dette extérieure du Guatemala ; et l’on sait aujourd’hui que, dans vingt ans, le réservoir sera rempli de sédiments.
Enfin, bien que l’on admette aujourd’hui que les aspects environnementaux doivent être intégrés dès la conception du barrage, de nombreux projets continuent de l’ignorer, comme celui du barrage sur le Sardar Sarovar en Inde. La Banque mondiale, qui joue un rôle clé dans le financement de ces projets, a adopté, à la suite de critiques, une procédure d’évaluation de l’impact sur l’environnement. Il faut cependant veiller aux conditions d’application de cette nouvelle procédure.
Des voix s’élèvent aujourd’hui dans le tiers monde pour gérer l’eau comme une ressource commune. Tous les usages de l’eau doivent être pris en considération et il est indispensable de comprendre de quelle manière les activités humaines dans un bassin versant, de la déforestation à la pollution, en affectent l’utilisation. Une approche bien différente de celle des grands barrages.
Extrait de Civil Engineering, août 1991.
(1) En Inde, les villageois de la vallée de la Narmada ont protesté, avec succès, contre le projet gouvernemental de développement d’un bassin fluvial, qui devait déplacer plus d’un million de personnes. Au Brésil, les indiens Kayapo ont organisé un rassemblement sans précédent sur le site du barrage d’Altamira, pour attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur la condition des indiens d’Amazonie et sur la forêt tropicale menacée par un programme de construction de vingt-deux grands barrages.
(2) Il s’avère de plus que, pour augmenter la production alimentaire, l’irrigation doit être associée à des programmes de formation à la gestion, à une politique foncière garantissant une certaine stabilité, à une politique de crédit et au respect des traditions culturelles.
Pour en savoir plus : International Rivers Network : 1847 Berkeley Way - Berkeley, CA 94703 (USA) - Tél. : 1 510 848 11 55 - Fax : 1 510 848 10 08.