Les dépressions atlantiques jouent un rôle important dans le climat de l'Europe de l'Ouest, à la fois parce quelles sont fréquentes, et parce qu'elles sont généralement associées à d'importants systèmes nuageux précipitants. Ceux-ci fournissent l'essentiel des pluies qui alimentent la nappe phréatique. L?hiver, ces dépressions sont régulièrement accompagnées de coups de vent violents qui s'abattent sur nos côtes et provoquent des dégâts importants.
Malgré les progrès réalisés ces vingt dernières années dans le domaine de la prévision du temps, les systèmes météorologiques restent souvent mal prévus plus de vingt-quatre heures à l’avance. La difficulté réside en grande partie dans la détection des signes avant-coureurs. C’est en particulier le cas des dépressions prenant naissance au-dessus de l’océan Atlantique, car les moyens d’observation adaptés y sont peu nombreux. Or, deux états de l’atmosphère extrêmement voisins peuvent donner après seulement deux jours d’évolution des scénarios très différents : l’un avec tempête, l’autre sans.
Cette expérience, baptisée Fastex (expérience sur le rail des dépressions atlantiques et des fronts), a pour principal objectif d’observer pendant une période de deux mois l’ensemble du cycle d’évolution des tempêtes prenant naissance dans l’Atlantique Nord. Cette campagne permettra d’identifier les signes précurseurs et de déterminer les mécanismes qui ont contribué à la formation de ces tempêtes. Dans la phase suivante, les données rassemblées seront utilisées pour mettre au point de nouvelles stratégies d’observation opérationnelles et affiner la prévi-
[Figure : trajectoires les plus souvent empruntées par les dépressions atlantiques au cours des six dernières années]Elles permettront également de mieux comprendre les processus se produisant à l’échelle de quelques centaines de kilomètres dans ces zones dépressionnaires et donc d’améliorer leur représentation dans les modèles de climat. Cette expérience s'inscrit dans les programmes de recherche menés depuis plusieurs années par les laboratoires français dans le cadre du “Programme Atmosphère et Océan à Moyenne échelle” (PATOM) qui rassemble des chercheurs et des moyens de dix pays sur l'étude des systèmes frontaux. L’amélioration des techniques d’observation intervenue depuis quelques années permet d’aborder des phénomènes de plus grande taille. Suivre une dépression météorologique depuis sa formation est désormais concevable, et Fastex est ainsi née du souci de mettre ces nouveaux moyens de recherche au service d'un problème concret de prévision. Les moyens à mettre en œuvre pour réaliser une campagne de cette envergure dépassent largement les moyens logistiques d’un seul pays.
Les retombées attendues concernent non seulement la prévision des tempêtes sur l’Europe occidentale ou la côte Ouest de l’Amérique du Nord, mais plus largement leur incidence sur le climat. Ce programme bénéficie donc de la collaboration de nombreux organismes et laboratoires de recherche originaires de divers pays : France, États-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Irlande, Islande, Danemark, Espagne, Norvège, Portugal et Ukraine.
Les objectifs scientifiques
L’objectif principal de Fastex consiste à acquérir un ensemble complet de données permettant de décrire la naissance et le cycle d’évolution des tempêtes qui se développent au milieu de l’Atlantique ainsi que la structure des systèmes nuageux et précipitants qui leur sont associés. Ceci comprend la mise en évidence de précurseurs permettant de prévoir le développement de tels systèmes, la mise au point de stratégies d’observation adaptative, et l'étude des processus physiques dans les dépressions secondaires, pour améliorer la paramétrisation de ces processus dans les modèles de prévision du temps et d’étude du climat : échange turbulent au-dessus de l’océan par grand vent, structure du système nuageux.
Avec ces données, les scientifiques aborderont ensuite la définition de systèmes d'observation et d’assimilation des données adaptés à la détection des précurseurs et à leur prise en compte dans les données d’initialisation des modèles de prévision.
Vérifier les modèles théoriques
Aujourd’hui, les dépressions de grande dimension qui traversent l’océan Atlantique sont relativement bien prises en compte par les modèles de prévision. Fastex s’intéressera donc plutôt aux dépressions de taille plus réduite qui se développent dans le sillage de ces grosses tempêtes et atteignent nos côtes un ou deux jours plus tard sans avoir toujours été prévues par les modèles. L’apparition de tels systèmes dans les basses couches semble faire appel à une riche variété de mécanismes, dont certains viennent seulement d’être identifiés. Leur évolution ultérieure dépend, en revanche, seulement du couplage avec une autre anomalie de l’écoulement circulant dans la haute troposphère. L’interaction entre les mouvements verticaux induits par la propagation de deux modestes perturbations semble être le seul moyen d’évolution vers une ou plusieurs phases de creusement et la transformation en une tempête.
Prévisibilité des tempêtes
Fastex devrait aboutir à une meilleure prévision du développement et de la trajectoire de ces dépressions, et offrira l’occasion de tester les stratégies d’observation adaptative sur la qualité de la prévision à 24 ou 36 heures. La stratégie d’observation adaptative constitue une nouvelle approche de l’observation météorologique : elle suppose que les observations météorologiques ne doivent pas nécessairement être uniformément réparties pour être efficaces, mais doivent être adaptées à la situation météorologique du jour. Ces méthodes consistent d'abord à déterminer les régions sensibles, où de petites incertitudes sont en mesure de créer de fortes dérives de la simulation numérique. Ensuite, il s'agit d’augmenter le nombre et/ou la qualité des observations effectuées dans ces régions afin de réduire les incertitudes dans les données introduites dans les modèles. Fastex constitue ainsi une expérience sur la possibilité de prévoir de manière fiable et avec précision l'arrivée de tempêtes à 4 jours d’échéance.
Étudier l’impact sur le climat
L’expérience vise également à mieux comprendre l’influence des systèmes nuageux et précipitants associés à ces dépressions sur le bilan radiatif de la planète. Les caractéristiques microphysiques, dynamiques et radiatives de ces systèmes structurés en couches multiples sont en
Les effets encore mal connus et des progrès dans ce domaine permettraient à la fois de mieux prendre en compte leur impact sur l’environnement et le climat, et d’améliorer la précision des mesures effectuées à bord des satellites météorologiques.
Les moyens d’observation
La région expérimentale de Fastex couvre la majeure partie de l’Atlantique Nord. Les moyens d’observation mis en œuvre doivent permettre d’effectuer des mesures à différentes échelles, d’alimenter les modèles de prévision numériques et de documenter le cycle d’évolution d’une tempête aussi bien au niveau des mécanismes dynamiques que microphysiques. La grande échelle sera couverte par l’ensemble des mesures des navires et sondages depuis les côtes. Pour les autres échelles, on trouve à l’ouest la zone d’observation amont où les dépressions à étudier doivent prendre naissance, tandis qu’à l’est se situe la zone d’échantillonnage multi-échelle.
À grande échelle, les données seront fournies quatre fois par jour par les radiosondages des réseaux météorologiques des États-Unis, du Canada, du Groenland, de l’Islande, de la Norvège, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Espagne. Pendant les périodes d’observations intensives, la fréquence de mesure de certaines stations sera renforcée pour atteindre huit sondages par jour. Des données seront aussi fournies par des avions commerciaux, des bateaux équipés pour effectuer des sondages et par des bouées dérivantes dont certaines seront mises à l’eau spécialement pour l’expérience. Enfin, les données fournies par les satellites météorologiques seront systématiquement récupérées et archivées.
Dans la zone d’observation amont, les moyens d’observation seront concentrés pour détecter la présence de précurseurs et observer la naissance des dépressions. C’est aussi dans cette zone que seront effectuées les mesures découlant de la stratégie d’observation adaptative. Les systèmes mis en œuvre seront les suivants :
Quatre navires effectueront des radiosondages à un intervalle de temps maximum de six heures, pouvant atteindre 1,5 heure pendant les périodes d’observations intensives. Deux d’entre eux seront équipés de radars air clair fonctionnant en UHF, capables de fournir des mesures fines du vent dans les basses couches proches du sol et des mesures de flux de surface (flux de rayonnement et flux turbulents). Ils effectueront également des mesures de surface et d’échanges à l’interface atmosphère-océan. Le navire français réalisera également des mesures océanographiques en surface et dans l’océan superficiel pour étudier plus précisément le rôle de l’océan. Afin d’obtenir des données plus riches en information, les quatre navires seront déplacés de manière à rester dans la région où leurs données auront le plus d’impact à grande échelle.
Deux avions effectueront des mesures in situ pour acquérir des profils de paramètres météorologiques (pression, température, humidité, vent, position). Ils devront aussi fournir des informations sur les structures susceptibles de jouer le rôle de précurseurs dans le développement des dépressions.
Dans la zone d’échantillonnage multi-échelle seront concentrés les moyens destinés à l’observation détaillée des dépressions au stade de la maturité et des systèmes nuageux et précipitants associés.
Dans cette zone, les observations seront principalement effectuées par un avion C-130 qui sera surtout utilisé pour fournir des profils verticaux à l’aide de sondes larguées. Dans certaines occasions, il pourra effectuer des mesures in situ de paramètres météorologiques et microphysiques.
Un avion P3 sera équipé d’un radar en bande C, de plusieurs radiomètres et d’un radar Doppler en bande X, équipé de l’antenne française à deux faisceaux, et un avion Electra sera équipé en particulier du radar Doppler franco-américain en bande X à deux faisceaux Astralia/Eldora. Le radar Astralia est un radar Doppler aéroporté bi-faisceaux qui permet d’observer les mouvements verticaux de l’air à différentes échelles à l’intérieur des nuages : lent mouvement d’ensemble, cheminées plus intenses, isolées ou en ligne. L’originalité d’Astraia réside dans un système de deux antennes montées dos à dos, visant respectivement à 17° vers l’avant et 17° vers l’arrière par rapport au plan perpendiculaire à la trajectoire. La rotation des antennes autour d’un axe horizontal parallèle au fuselage, associée au déplacement de l’avion, permet d’échantillonner en tout point de l’espace deux composantes indépendantes de la vitesse radiale du vent. La troisième composante est déduite par le calcul. Les deux mesures sont effectuées avec un décalage de 60 s à 10 km de portée, en général négligeable vis-à-vis du temps d’évolution de la cible. L’autre innovation d’Astraia est le recours à un codage d’impulsions qui permet d’acquérir la mesure
Doppler en un temps cinq fois plus bref qu’avec l’approche classique (8 ms). Ceci permet d’augmenter également la vitesse de balayage et d’obtenir une meilleure résolution des mouvements de l’air. Autre originalité, cet outil permet d’étudier les systèmes nuageux les plus violents sans y pénétrer. Les radars Doppler permettent d’obtenir une image tridimensionnelle des précipitations et du vent des zones nuageuses. Moyennant l’application de certaines hypothèses, les champs thermodynamiques et microphysiques pourront aussi être restitués à partir des mesures du champ de vent.
La logistique
Le poste de coordination de Fastex est installé dans l’aéroport de Shannon en Irlande. Toutes les expériences seront décidées, coordonnées et pilotées à partir de ce P.C. Les opérations seront coordonnées par deux groupes :
- - l’équipe de coordination des programmes scientifiques sur qui reposera les choix stratégiques et les décisions importantes (lancement ou arrêt d’une opération, sélection des objectifs…) ;
- - l’équipe de coordination des opérations devra faire appliquer les choix et les décisions du Comité de Pilotage local, surveiller le bon fonctionnement des dispositifs mis en place pour l’expérience et communiquer les décisions prises à tous les autres participants du projet Fastex.
Elle veillera au bon fonctionnement du poste de coordination de Shannon, à la constitution de la base de données et à la mise à jour du journal de bord du projet.
Les équipes de prévisionnistes
La prévision météorologique est au centre de la campagne Fastex. Le cœur du P.C. de Shannon est formé d’une équipe composite de prévisionnistes issus de France, de Grande-Bretagne, d’Irlande et du Canada. Cette équipe intervient à chaque étape de la campagne : en amont, elle détecte les conditions favorables au déclenchement d’une période d’observations intensives puis, en aval, elle assure le suivi de chacune d’entre elles. Chaque jour, la possibilité d’une période d’observations intensives est examinée sur la base des prévisions numériques à 4 ou 5 jours des pays participants, prévisions qui tendent à devenir probabilistes. De plus, un bulletin de sécurité destiné aux navires est élaboré quotidiennement. La possibilité de les déplacer pour améliorer l’efficacité de leurs mesures est également envisagée chaque jour.
Pendant une période d’observations intensives, un suivi précis est assuré afin d’adapter les décisions aux évolutions de la situation météorologique : les prévisionnistes participent à l’élaboration des plans de vol. Un vol pourra également être modifié en cours grâce à un suivi au sol, heure par heure, et une liaison satellite ou radio. L’effectif de cette équipe sera renforcé de manière à apporter le soutien nécessaire à des périodes d’observations intensives simultanées, l’une pouvant débuter avant la fin de la précédente. Pour permettre à ces prévisionnistes de travailler, un effort important a été consenti en matière de fourniture de produits météorologiques et de télécommunications par les services opérationnels de Météo-France, du Meteorological Office (Grande-Bretagne) et de l’Irlande en Europe, de la NOAA aux États-Unis et du CMS canadien.
Les équipes de recherche
Tous les chercheurs impliqués dans le projet Fastex se réuniront chaque jour pour échanger leur point de vue sur les objectifs à atteindre et pour faire des propositions de missions scientifiques au Comité scientifique. Certains chercheurs qui ne sont pas présents au poste de coordination de Shannon communiqueront leur point de vue par téléphone ou messagerie électronique. Les scientifiques espèrent rencontrer une dizaine de situations favorables. La période d’expérience a été choisie en combinant au mieux études statistiques et contraintes opérationnelles. Une période d’observations intensives typique devrait durer 2 à 3 jours.
L’exploitation des données
Dans la mesure du possible, les données acquises seront envoyées directement par le système de transmission des données météorologiques des réseaux opérationnels, pour pouvoir être prises en compte, en temps réel, dans les modèles d’analyse et de prévision. Ainsi, la planification de Fastex bénéficiera en temps réel de ses propres observations, ce qui constitue une première. À l’exception des données de télédétection nécessitant de grands volumes de stockage (qui feront l’objet de bases de données spécialisées), l’ensemble des jeux de données relatifs à la campagne Fastex (données de surface des stations météorologiques, radiosondages, dropsondes, avions, navires) sera installé sur une base centrale de données mise au point et gérée par Météo-France. Les analyses opérationnelles seront aussi disponibles sur la base pour permettre l’initialisation des modèles et les études diagnostiques. Si l’expérience se déroule comme prévu, les laboratoires disposeront d’un jeu de données exceptionnel sur les dépressions qui se développent au-dessus de l’Atlantique. L’exploitation et la mise en valeur de ces données nécessiteront le travail de nombreux chercheurs pendant plusieurs années.