Comme la nacre, la perle ou le corail, l'ambre jaune fait partie des trésors qui nous sont offerts par l'eau. Mais alors qu'il faut arracher à la terre la plupart des pierres précieuses, l'ambre se présente parfois à l'homme comme un don de la mer qu'il suffit de ramasser après chaque tempête.
La genèse de l’ambre est longtemps restée mystérieuse. La mythologie grecque est riche de détails quant à son origine. Phaéton, le fils d’Hélios, Dieu du soleil et de la lumière, rêvait de conduire le char solaire. Mais il était jeune et manquait d’expérience. Son cœur était aussi vaillant que son âme impétueuse. Un matin, avant que son père ne s’éveille, il se leva très tôt, bondit sur un char et fila dans les cieux. Il voulut mener l’engin comme il l’avait appris mais les chevaux sentirent son manque d’assurance : soit il s’approchait trop de la terre, soit il s’éloignait trop haut dans les cieux. Hélios, en s’éveillant, prit conscience que la terre était en danger. Ivre de fureur, il tua son fils en le frappant par la foudre. Le cadavre de Phaéton tomba dans un fleuve appelé Eridan. Hélios transforma ses filles, les Héliades, en peupliers pour border ledit fleuve. Les sœurs de Phaéton pleurèrent beaucoup, désespérées qu’elles étaient d’avoir perdu leur frère bien-aimé. Ce sont leurs larmes qui donnèrent naissance aux gouttes d’ambre que nous découvrons aujourd’hui.
Cette légende, comme bien d’autres, fait de l’eau l’élément originel de l’ambre. D’autres récits d’Hérodote ou de Pline vont la reprendre et évoquer une mer ou un fleuve lointain où naîtrait l’ambre. Hérodote cherchera par exemple le fleuve Eridan au nord de l’Europe. Pline l’Ancien, dans son Histoire Naturelle, parle d’une matière d’origine végétale que l’on trouve sur le rivage des « mers du nord ». Au IVᵉ siècle avant Jésus-Christ, Aristote classe l’ambre parmi les substances végétales avec ces autres résines que sont la myrrhe et l’encens. Aristote comme Pline finiront par pressentir la vraie nature de l’ambre en l’associant au « jus des arbres », c’est-à-dire à la résine.
Bien ou à cause de son origine mystérieuse, l’ambre est très tôt considéré comme une matière précieuse au même titre que l’or ou l’argent. Dès 3000 avant J.C., l’ambre baltique est échangé contre
Les marchandises de l'Europe méridionale.
Au temps de Thèbes, soit 1600 ans avant Jésus-Christ, les Pharaons utilisent déjà l'ambre en bijoux, parfum et médecine. Car de nombreuses vertus médicinales lui sont attribuées qui suscitent la fabrication d'objets variés. Le Moyen Âge, confronté aux grandes épidémies, trouve ainsi dans l'ambre un remède à la peste et à bien d'autres maladies. Des effets avérés sont établis et finalement peu surprenants compte tenu de la similitude de la composition chimique de l'ambre avec nos sulfamides modernes…
L'ambre acquiert également une dimension religieuse. Des objets faits d'ambre baltique seront retrouvés dans la tombe de Toutankhamon en 1327 avant J.C. et en Mésopotamie en 900 avant J.C.
Mais il faudra attendre le 18ᵉ siècle pour que la genèse de l'ambre soit véritablement établie. L'intérêt des savants se porte alors à cette époque vers les sciences naturelles. Sur les rayonnages des naturalistes, l'ambre figure tantôt avec les minéraux, tantôt avec les fossiles. En 1750, l'origine végétale de l'ambre ne fait plus de doute mais beaucoup de savants l'assimilent encore à un corps analogue au pétrole. C'est un savant russe du nom de Lomonosov qui, le premier, va contester l'analogie de l'ambre et du pétrole et défendre l'idée qu'il s'agit d'une résine provenant d'un arbre. En 1811, Wrede, savant prussien, complète la connaissance de l'origine de l'ambre en découvrant qu'il s'agit d'une résine fossile, témoignage des grandes forêts de conifères qui s'étendaient sur l'Europe du Nord à l'Oligocène.
Une résine fossile témoignage des grandes forêts qui s'étendaient sur l'Europe du Nord
L'histoire de l'ambre commence il y a 50 millions d'années. Les régions du centre et du nord de l'Europe sont alors couvertes d'épaisses forêts. Essentiellement des conifères au sein desquels se trouvent déjà les nombreux ancêtres de notre végétation actuelle, telles que des pins et des épicéas. Ce que nous appelons aujourd'hui la mer Baltique n'est encore qu'un vaste plateau couvert d'une immense forêt. Mais la géologie va s'en mêler. Et faire de la région le plus grand gisement d'ambre du monde.
La plaque tectonique nord européenne qui rencontre la plaque centrale aux limites sud de la mer Baltique va glisser sous la plaque centrale provoquant un affaissement qui va entraîner, en un peu moins de 10 millions d'années, la création d'un immense lac d'eau douce. Les forêts furent peu à peu englouties au fur et à mesure de l'envahissement des eaux et la résine qu'ils avaient produite devint un sédiment de ce lac. La poursuite de ces mouvements tectoniques sur plusieurs millions d'années provoqua l'ouverture d'un isthme vers la mer du Nord. L'eau salée s'engouffra dans la brèche ainsi créée et se substitua à l'eau douce.
Les sédiments légers, parmi lesquels ces résines, furent portés par les courants sur certains points des côtes de cette nouvelle mer. Les dépôts s'effectuèrent progressivement dans des sables ou des argiles, sans que de fortes pressions ne soient exercées sur les couches successivement constituées, les préservant ainsi d'une destruction inéluctable. Pendant des millions d'années, la seconde phase de la formation de l'ambre va s'opérer : les exsudats d'arbres (à l'origine souples et malléables) vont, après évaporation des huiles volatiles et polymérisation, se transformer en ambre. D'après certains chercheurs, il faut au moins un million d'années pour que la résine atteigne le degré de polymérisation et la résistance chimique nécessaires pour que l'on puisse la considérer comme de l'ambre. C'est cet ambre qui, lors des tempêtes hivernales, se détache des couches sédimentaires et est rejeté sur les rivages de la mer Baltique.
Mais l'ambre n'est pas seulement un fossile contenant des fossiles. C'est aussi un formidable révélateur de la biocénose d'écosystèmes aujourd'hui disparus.
Un formidable révélateur de la biocénose d'écosystèmes aujourd'hui disparus
En s'écoulant sur l'écorce de conifères comme les pins et les mélèzes, la résine a emprisonné il y a plusieurs millions d'années quantité de petits organismes. Ces inclusions dans l'ambre concernent des résidus végétaux, des pollens ou bien
encore des insectes ou des arachnides qui, posés sur de la résine en train de s'écouler, s'y sont englués. D'abord piégés par un membre, ils se sont débattus pendant que la résine coulait lentement jusqu'à les enfermer complètement. Cette résine transformée en ambre par fossilisation a conservé l'apparence externe de tous ces insectes, araignées, parfois même grenouilles ou lézards, retenus prisonniers, ouvrant un formidable champ d'investigations pour les chercheurs du monde entier. L'identification et l'étude de ces populations faunistiques permettent de se faire une idée précise de l'évolution de certaines espèces. Leur étude permet aussi de mieux connaître le climat et la flore locale à l'époque où elles ont été piégées.
Car en dehors de la mer Baltique, premier gisement de la planète, on trouve de l'ambre aux quatre coins du globe avec des qualités et des aspects variés. En Birmanie, l'ambre qui s'est formé entre l'Éocène et l'Oligocène peut être jaune, rouge, vert ou même bleu. Dans la péninsule Arabe, l'ambre date du Crétacé comme dans les États du Maryland, de Washington, de l'Alaska ou encore au Canada. En France même, un gisement estimé à plus de 10 tonnes a été découvert dans une ancienne sablière à proximité de Creil, dans l'Oise. Ce gisement, qui remonte à 55 millions d'années, est actuellement étudié par les paléo-entomologistes. L'ambre en Amazonie, exceptionnellement riche en inclusions animales et végétales, illustre bien l'intérêt que les scientifiques portent à ce fossile : 13 espèces d'insectes et 3 espèces d'acariens ont été identifiées par une équipe du Muséum National d'Histoire Naturelle à Paris suite à une campagne de recherches menée en 2004.
D'innombrables microfossiles ont été découverts saisis par la résine, parmi lesquels une grande diversité de bactéries, de cyanobactéries, de spores de champignons, d'algues, ou encore des lichens et grains de pollens. Le contenu cellulaire de certains microfossiles a été en partie conservé, ce qui laisse espérer que l'on pourra accéder à une partie de leur ADN pour tenter de reconstituer leur phylogénie. Grâce à cette découverte, les chercheurs savent désormais qu'il y a 12 à 15 millions d'années, la région était un delta ouvert sur une mer intérieure bordée de forêts denses, sous un climat déjà chaud et très humide.
Mais il faut relativiser l'importance des fossiles retrouvés dans l'ambre qui parfois enflamment trop rapidement l'imagination des hommes. La récupération de l'ADN fossile pose de nombreux problèmes. Sauf pour les besoins inhérents au scénario de films tels que Jurassic Park, il n'est pas possible de reconstituer des ADN pleinement exploitables dans un organisme piégé dans une inclusion d'ambre. Car si l'insecte est effectivement bien visible, c'est bien souvent seulement la trace de son empreinte qui se voit. Une trace matérialisée par une fine pellicule de carbone qui est le seul vestige que l'écoulement de plusieurs milliards d'années a conservé...
C'est cependant dans un coléoptère du Crétacé, vieux de 120 à 135 millions d'années, inclus dans de l'ambre que l'on a récupéré les plus anciennes séquences d'ADN.
Le développement de la PCR (Polymerase Chain Reaction) a également permis d'amplifier des quantités infimes d'ADN. Mais celui-ci s'altère au cours du temps, subit des réactions d'hydrolyse et d'oxydation qui le fragmentent ou qui modifient la nature chimique des bases, ce qui rend improbable la possibilité de reconstituer un jour un ADN complet.
Mais beaucoup de perspectives restent ouvertes : depuis 2006, une technique dite de microtomographie, mise en œuvre au synchrotron de Grenoble, permet de sonder l'intérieur de l'ambre opaque qui contient lui aussi des centaines de fossiles de petits animaux. C'est dire que l'ambre est loin d'avoir livré tous ses secrets...