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Histoire d'eau : Un potentiel gigantesque mais encore inexploité : les énergies marines

31 mars 2008 Paru dans le N°310 à la page 94 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

Le potentiel des ressources énergétiques marines est considérable et leur variété est telle que l'on peut envisager dans la plupart des régions du monde une participation significative à la production mondiale d'électricité. Marée, houle et courants marins sont en effet trois phénomènes physiques susceptibles de générer de grandes quantités d'énergie. À l'heure actuelle, la diversité des solutions développées traduit le caractère embryonnaire de la plupart de ces technologies. Elles n?en sont pas moins très prometteuses.

C’est l’une des sources d’énergie les plus anciennes, mais probablement aussi l’une des plus prometteuses. L’énergie hydroélectrique, c’est-à-dire l’énergie électrique obtenue par conversion de l’énergie hydraulique des différents flux d’eau (fleuves, rivières, chutes d’eau, courants marins...) apparaît dès l’Antiquité : des moulins à eau utilisent déjà l’énergie mécanique produite par le courant des cours d’eau ou encore de la marée pour actionner le plus souvent une meule à grains. Car eau douce ou eau salée, le principe est immuable : il s’agit d’exploiter l’énergie cinétique d’un courant d’eau. Dans un premier temps, on convertit cette énergie cinétique en énergie mécanique par le biais d’une roue puis, à partir du XIXᵉ siècle, d’une turbine. Dans une seconde étape, on apprend à transformer cette énergie mécanique en énergie électrique grâce à un alternateur. La turbine entraîne alors une génératrice qui convertit l’énergie mécanique en électricité. Le principe est très tôt mis en œuvre sur les fleuves et cours d’eau. Il le sera plus tardivement sur les estuaires, où l’on profite des mouvements de la marée pour faire fonctionner des turbines. Car les mouvements de la mer constituent une source inépuisable d’énergie grâce aux trois phénomènes physiques que sont la marée, les courants marins et la houle. La première, à l’origine de l’énergie marémotrice, est exploitée très tôt par les fameux moulins marémoteurs. Elle ne sera industrialisée que plus tard, l’usine marémotrice de la Rance et celle d’Annapolis au Canada en constituent les expressions les plus abouties. Cette énergie offre l’immense avantage d’être à la fois prédictible, propre, naturelle et renouvelable. Les marées qui animent mers et océans constituent une source d’énergie inépuisable et qui n’est pas soumise aux aléas climatiques contrairement à l’énergie solaire ou éolienne. En revanche, les investissements nécessaires dus à l’importance des travaux de génie civil à réaliser sont considérables. Et le bilan global assez mitigé. Ces ouvrages provoquent des perturbations très importantes des écosystèmes et un envasement général des estuaires. Du coup, l’équilibre entre contraintes d’exploitation et respect des écosystèmes s’avère impossible à trouver. Ces constats vont conduire les ingénieurs à se tourner vers des systèmes de production marémotrice beaucoup plus légers qui permettent d’exploiter les courants marins sans impacter les écosystèmes.

Exploiter les courants marins sans impacter les écosystèmes

Exception faite des projets d’exploitation de l’énergie du courant océanique du Gulf Stream qui met en œuvre des puissances colossales (4 000 turbines de 2,5 MW), la plupart des dispositifs actuellement à l’étude concernent les courants de marée. Pour capter cette énergie, il faut placer des hydroliennes, c’est-à-dire des hélices ou des turbines, dans l’axe de ces courants. Une hydrolienne est une turbine immergée qui utilise l’énergie cinétique des courants marins comme l’éolienne utilise l’énergie cinétique de l’air. La turbine de l’hydrolienne transforme l’énergie hydraulique en énergie mécanique puis en énergie électrique via un alternateur. La diversité des types d’hydroliennes en cours de développement dans le monde traduit bien l’état embryonnaire de ces technologies qui n’en sont, dans le meilleur des cas, qu’au stade préindustriel : socle immergé ou non, turbine à axe

horizontal ou vertical, à ailes battantes ou oscillantes, à roues à aube, écoulement libre ou canalisé, etc.

Certains projets font pourtant déjà l'objet de tests en mer. Ainsi, au Royaume-Uni, la société TidalStream a développé un appareil, le Semi-Submersible Turbine (SST), qui embarque des turbines montées sur une bouée tubulaire semi-submersible placée verticalement dans la mer et ancrée grâce à un bras pivotant qui permet d’installer et de maintenir les turbines en surface, évitant ainsi les travaux sous-marins coûteux et dangereux. Un prototype composé de quatre turbines de 20 m de diamètre, d'une puissance totale de 4 MW, fonctionne actuellement sur le site de Pentland Firth entre le Nord de l’Écosse et les Orkney Islands.

En Norvège, une hydrolienne de 20 m de diamètre développée par la société norvégienne Hammerfest Strøm est testée dans le détroit d’Hammerfest, au-delà du cercle polaire. Immergée à 45 m de profondeur, son potentiel électrique est de 700 000 kWh/an.

En Grande-Bretagne, une hydrolienne de 11 m de diamètre, fabriquée par Marine Current Turbines, tourne à titre expérimental depuis quatre ans à Lynmouth, près de Cardiff.

À New York, quatre hydroliennes Verdant Power de 5 m de diamètre ont été installées dans l’East River, où elles rejoignent deux pionnières en phase test depuis plusieurs mois. Pour l'instant, leur puissance n’est que de 35 kW, mais à terme c’est une centaine de turbines de ce type qui seront installées au niveau de Roosevelt Island.

En France, l’Institut national polytechnique de Grenoble et la société HydroHélix Energies, basée à Quimper, travaillent également sur ces technologies. À l’origine, HydroHélix avait conçu un projet très ambitieux consistant à équiper trois sites stratégiques situés sur le littoral breton : la Chaussée de Sein dont les courants peuvent aller jusqu’à 6 nœuds, le Fromveur dont les courants atteignent les 8 nœuds et le Raz Blanchard dont les courants montent jusqu’à 10 nœuds. Le décalage lié à la propagation de l’onde de marée (trois heures entre la Chaussée de Sein et le Raz Blanchard) devait garantir une puissance minimale de 3 GW, permettant ainsi une production annuelle de 25 TWh, soit 5 % de la production électrique française totale. L’installation devait être composée d’hydroliennes à axe horizontal, constituées de trois pales de 5 m de diamètre fixées au sol sur une même structure pour optimiser les connexions électriques et éviter tout risque pour la navigation. Mais ce projet n’a pas trouvé d’échos favorables auprès des pouvoirs publics.

HydroHélix a donc créé un réseau de partenaires regroupés au sein d’un projet plus modeste baptisé « Marénergie » qui consistait à construire une hydrolienne de 1 MW sur les côtes bretonnes. Mais ce projet n’a pas non plus trouvé les fonds nécessaires et la fabrication du prototype a dû être arrêtée. Finalement, les promoteurs de ce programme ont réuni un budget suffisant pour réaliser un modèle réduit à l’échelle 0,5 : 3 m de diamètre sur 5,5 m de haut reposant sur une plate-forme de 6 m sur 8, pesant 8 tonnes, d’une capacité de production de 10 kW. Ce premier prototype, appelé Sabella, sera immergé au printemps 2008 à 19 m de profondeur au fond de l’estuaire de la rivière Odet à Bénodet, pour une campagne d’essais de quelques mois. L’objectif est de tester le potentiel et l’éventuel impact de l’engin sur le milieu et de trouver de nouveaux financements pour passer à une unité industrielle d’ici deux ans.

En exploitant l’énergie cinétique des courants marins, les hydroliennes produisent une énergie inépuisable et surtout prédictible, contrairement au vent avec les éoliennes par exemple. Mais elles pâtissent de certains inconvénients liés à leur entretien ou encore de leurs impacts mal connus mais qui préoccupent les pêcheurs. Selon certaines hypothèses, les turbines créeraient des zones de turbulence, empêchant les dépôts de sédiment et donc le développement de la flore, et créant ainsi à long terme une zone morte. D’où l’idée de mener des recherches portant sur la possibilité de produire de l’énergie à partir du mouvement des vagues plutôt qu’à partir de courants.

Produire de l’énergie à partir du mouvement des vagues

L’énergie houlomotrice utilise la puissance du mouvement des vagues en surface.

[Photo : Au Royaume-Uni, la société TidalStream a développé un appareil qui embarque des turbines montées sur une bouée tubulaire semi-submersible placée verticalement dans la mer et ancrée grâce à un bras pivotant qui permet d’installer et de maintenir les turbines en surface, évitant ainsi les travaux sous-marins coûteux et dangereux.]
[Photo : Une hydrolienne est une turbine immergée qui utilise l’énergie cinétique des courants marins comme l’éolienne utilise l’énergie cinétique de l’air.]
[Photo : À New York, 4 hydroliennes Verdant Power de 5 m de diamètre ont été installées dans l’East River, où elles rejoignent 2 pionnières en phase test depuis plusieurs mois.]

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette source d’énergie a déjà une histoire ancienne. Deux premiers brevets sont déposés en 1799 par Girard Père & Fils puis en 1885 par Barrufet, qui cherchent à exploiter le mouvement des vagues. Mais ces tentatives resteront sans suite et l’énergie houlomotrice ne retrouvera un véritable intérêt qu’au milieu du 20ᵉ siècle, après la flambée des prix du pétrole.

La récupération de cette énergie mécanique et sa conversion en énergie électrique sont étudiées dès le milieu des années 1950 au Japon, en Norvège et en Angleterre où des projets très différents les uns des autres voient le jour. Schématiquement, deux types d’énergies cinétiques sont exploitées : les dispositifs côtiers utilisent le déferlement des vagues alors que les installations de pleine mer jouent sur les variations du niveau de la mer lors du passage de la houle. Les premiers sont faciles à construire et à entretenir mais leur rendement est souvent moins élevé que les dispositifs de pleine mer qui exploitent des vagues plus grosses et surtout plus régulières.

En 1985, la Norvège met en service une première « ferme à vagues » sur le site de Toftestallen, qui combine une colonne d’eau oscillante faisant face aux vagues et un « TAPered CHANnel » ou Tapchan, c’est-à-dire un canal convergent : les vagues remontent une pente en béton jusqu’à 3 mètres au-dessus du niveau de la mer, puis s’engouffrent dans un réservoir. L’eau retourne ensuite gravitairement dans la mer en passant à travers une turbine de type Kaplan qui actionne un générateur. Le Tapchan, très fiable, ne génère qu’un investissement modéré et des coûts d’exploitation réduits, mais sa mise en œuvre nécessite un profil de côte particulier et un marnage inférieur à 1 mètre, ce qui limite considérablement les possibilités d’implantation.

En Écosse, sur l’île d’Islay, une autre ferme à vagues est mise en service en novembre 2000. L’installation, baptisée Limpet 500 (Land Installed Marine Powered Energy Transformer), fournit 500 kW au réseau, de quoi alimenter environ 400 habitations. Elle est basée sur le principe de la colonne d’eau oscillante à l’intérieur d’une structure en béton. Un fossé de 25 mètres de large est creusé dans les falaises de l’île et recouvert d’une structure en béton formant une cavité creuse pour capter la marée. Lorsque les vagues pénètrent dans la structure, l’air est comprimé à l’intérieur de la cavité et actionne des turbines Wells situées en partie haute, qui convertissent les variations de pression en courant électrique.

La structure, très solide, est conçue pour résister aux tempêtes les plus violentes. En 2001, le Portugal a doté l’île de Pico, aux Açores, d’un dispositif similaire d’une capacité nominale de 400 kW. D’autres installations de ce type sont implantées dans les ports de Haramashi et de Sakata au Japon, ainsi qu’à Kerala en Inde. Problème : ces usines de production côtière doivent satisfaire de nombreuses contraintes, notamment être adaptées à la topologie des sites mais également à l’acceptabilité locale, leur principal avantage résidant dans la facilité de raccordement aux réseaux électriques.

Les systèmes nearshore ou offshore, qui mettent en œuvre des houlogénérateurs plus standardisés, permettent de s’affranchir de ces contraintes. Ils bénéficient également d’une ressource énergétique plus importante.

[Photo : En Écosse, sur l’île d’Islay, une ferme à vagues a été mise en service en novembre 2000. L’installation, baptisée Limpet 500 (Land Installed Marine Powered Energy Transformer), fournit 500 kW au réseau, de quoi alimenter 400 habitations environ.]

Les houlogénérateurs : plus standardisés

Les houlogénérateurs sont des dispositifs mobiles, le plus souvent flottants, et généralement constitués de groupes de modules identiques installés en parcs.

[Encart : L’énergie osmotique : une ressource prometteuse ? La recombinaison de l’eau douce avec l’eau de mer salée donne lieu à un phénomène de diffusion (osmose) susceptible de libérer de l’énergie. L’utilisation d’une membrane spécifique peut permettre d’obtenir une pression osmotique due à la diffusion de l’eau douce vers l’eau de mer, pression exploitable pour entraîner une turbine. Il est donc théoriquement possible d’extraire de l’énergie au voisinage des estuaires où l’eau douce des cours d’eau se mélange avec l’eau salée de la mer en exploitant ce phénomène. Les projets dans ce domaine sont cependant très embryonnaires car, en l’état actuel de la technologie, la surface de membrane nécessaire est de 200 000 à 250 000 m² par mégawatt… Dans son usine de Hurum, au sud de la Norvège, le groupe Statkraft projette toutefois de construire une minuscule centrale osmotique capable de produire de 2 à 4 kWh, juste de quoi alimenter quelques ampoules. Histoire de valider la technologie…]

et raccordés ensemble pour centraliser l'acheminement de la production électrique vers la côte.

Le houlogénérateur Wave Dragon, l'un des plus aboutis, est flottant et amarré, sa hauteur de flottaison est ajustable en fonction des caractéristiques de la houle. Ses dimensions sont impressionnantes : 300 m de distance entre les extrémités de ses bras, 170 m de longueur et 17 m de hauteur dont 3 à 6 m au-dessus du niveau de la mer. La masse totale est de 33 000 tonnes avec un réservoir d’une capacité de 8 000 m³. Sa puissance maximale est de 7 MW avec une productivité annuelle de 20 GWh. Le principe de fonctionnement du Wave Dragon est simple (cf. schéma ci-contre). Les deux immenses bras font converger les vagues déferlantes vers le centre de l’engin. L'eau qui monte sur le socle central est d'abord amenée dans un réservoir. Une trappe s'ouvre avec les vagues pour laisser passer l'eau qui actionne ensuite une turbine en retombant dans la mer. Un Wave Dragon à échelle réduite a été testé en mer du Nord sur le site de Nissum Bredning. L’engin, de 57 m de large et pesant 237 tonnes, a été connecté au réseau en mai 2003 et produit aujourd'hui de l'électricité. Des projets plus ambitieux sont à l’étude et un Wave Dragon à échelle 1/1 devrait être installé au cours de l’été 2008 à Milford Haven, au Pays de Galles.

[Photo : Le principe de fonctionnement du Wave Dragon est simple. Les deux immenses bras font converger les vagues déferlantes vers le centre de l’engin. L’eau qui monte sur le socle central est d'abord amenée dans un réservoir. Une trappe s'ouvre avec les vagues pour laisser passer l'eau qui actionne ensuite une turbine en retombant dans la mer.]

Le Wave Star est une variante composée de blocs flottants. Les vagues soulèvent les flotteurs qui actionnent des vérins hydrauliques verticaux, ce qui produit de l’énergie. Le Wave Star est également testé depuis avril 2006 sur le site de Nissum Bredning.

La firme écossaise Ocean Power Delivery a développé de son côté un concept original, le système Pelamis, qui se présente sous la forme d'un long serpent articulé en acier à l’intérieur duquel se trouve, à chaque articulation, un système de ressorts que l’énergie houlomotrice comprime et qui font fonctionner ensuite, en se détendant, un moteur hydraulique, lequel entraîne un alternateur. Au Portugal, 3 Pelamis pesant 700 tonnes et longs de 123 m pour un diamètre de 4,6 m ont été installés fin 2007 au large des côtes d’Agucadoura. La puissance électrique maximale de chaque système Pelamis est de 750 kW, chacune des 3 articulations comprenant chacune deux générateurs de 125 kW. Si l’essai s’avérait concluant, 27 autres modules pourraient être prochainement installés. Ce parc de 1 km² fournirait alors une capacité de production de 8 à 30 MW et pourrait alimenter 20 000 foyers.

En France, le Laboratoire de Mécanique des Fluides de l’École Centrale de Nantes et le département mécatronique de l'École Normale Supérieure de Cachan misent sur le mouvement pendulaire. Le dispositif baptisé Searev (Système Autonome Électrique de Récupération de l’Énergie des Vagues) se présente sous la forme d'un petit sous-marin au sein duquel se trouve un système de poids qui va osciller avec la houle, remplissant puis vidant alternativement des pompes hydrauliques, ce qui a pour effet de charger des accumulateurs à haute pression et d’entraîner des générateurs d’électricité. Déjà testé en laboratoire, un exemplaire du Searev va être mis en service à une dizaine de kilomètres des côtes françaises pour une deuxième phase de tests début 2009.

[Photo : Le houlogénérateur Wave Dragon est flottant et amarré, sa hauteur de flottaison est ajustable en fonction des caractéristiques de la houle. Ses dimensions sont impressionnantes : 300 m de distance entre les extrémités de ses bras, 170 m de longueur et 17 m de hauteur dont 3 à 6 m au-dessus du niveau de la mer. La masse totale est de 33 000 tonnes.]
[Photo : Pelamis se présente sous la forme d'un long serpent articulé en acier à l’intérieur duquel se trouve, à chaque articulation, un système de ressorts que l’énergie houlomotrice comprime et qui font fonctionner ensuite, en se détendant, un moteur hydraulique, lequel entraîne un alternateur.]
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