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Histoire d'eau : un potentiel formidable?

30 mars 1986 Paru dans le N°99 à la page 78 ( mots)
Rédigé par : Martin POCHON

« Quel gâchis ! » Martin Pochon, frais émoulu de l'ECAM (une école d’ingénieurs) de Lyon, ne peut réprimer son étonnement. Comment accepter de voir un fleuve puissant traverser des paysages brûlés par le soleil ? Comment concevoir que, près d'une rivière, la terre ne soit ni irriguée ni cultivée ? C'est pourtant le cas des rives du Chari à Sahr, dans le sud du Tchad.

Nous sommes en 1974. Martin est coopérant. Il lui faudra onze ans — car, entre-temps, il est entré dans la Compagnie de Jésus — pour avoir l’occasion de concrétiser son idée : expérimenter un nouveau type de pompe au fil de l'eau.

Ses supérieurs seront sans doute étonnés de cet aveu. Mais Martin, à la fin de ses études de théologie, disposa l'an dernier d’un peu de temps. Les nouvelles du pays, du Sahel tout entier, invitaient à agir. L'idée refit surface. Et dans la tête de Martin un projet un peu fou : l'eau du Chari n’allait plus être gâchée inutilement. Elle allait au contraire devenir un potentiel formidable.

Une énergie sans carburant

Mais tout inventeur sait qu'il y a loin de la coupe aux lèvres. Il fallait clairement définir les objectifs, les besoins, les moyens, et tenir compte des réalités locales.

Les pompes à gazole coûtent cher. Elles doivent traverser plusieurs frontières. La note de carburant est également à prendre en compte : 2 000 F par an est une moyenne. En mai dernier les stations d’essence de Sahr n’affichaient-elles pas le prix du litre à 10 F ? Faut-il également parler de l’entretien des moteurs, des ruptures de stock pour les pièces de rechange qu’il faut faire venir de l’étranger, toutes choses qui peuvent compromettre les cultures vivrières quand le champ n’est plus irrigué ?

Le projet de Martin, soutenu en cela par les microréalisations (1), était d’expérimenter un type de pompe hydraulique qui permette bien sûr de faire du maraîchage le long du fleuve, comme les autres modèles, mais avec deux caractéristiques bien spécifiques :

  • — la pompe ne nécessitera pas de carburant : elle sera actionnée à l'aide d'un système de roue à aubes par le courant du fleuve ;
  • — sa technologie sera simple. Elle fera appel à des matériaux disponibles sur les marchés locaux. Sa construction et son entretien resteront au niveau des capacités locales.

Après quelques calculs il restait à expérimenter le projet avec les moyens du bord ici en France. Sans complexes Martin utilisa, pour réaliser son prototype, de vieux tableaux de classe, des montants de lits et des portes fournies par le lycée Saint-Joseph d’Avignon et c’est sur la Sorgue qu’eurent lieu les premiers tests des systèmes de clapets et de pistons.

Restait à adapter le système à l'Afrique, et pour cela trouver un lieu d’expérimentation. Le collège Charles Lwanga de Sahr était intéressé. Pour maintenir ses élèves dans la région, il avait développé avec succès les jardins scolaires, aidé en cela, depuis dix ans, par les microréalisations du Secours Catholique. Martin connaissait la région, et à vrai dire l'environnement du collège lui apportait quelques garanties. Il s’agissait d'un essai qui pouvait ne pas aboutir. Il ne pouvait se permettre d'engager dans l’aventure des familles qui n’auraient pas manqué de pâtir d’un éventuel échec.

[Photo : De vieux tableaux de classe, des montants de lits...]
[Encart : LE PRINCIPE DE LA POMPE A EAU Une roue à aubes de deux mètres de diamètre et de deux mètres de large est montée sur quatre flotteurs bien ancrés dans le fleuve. Elle est entraînée en rotation par le courant et actionne, aux deux extrémités de son axe, deux pompes à pistons qui refoulent l'eau sur la berge par un tuyau plastique souple. Le débit horaire est faible mais l'engin tourne 24 heures sur 24. Le volume pompé dépend avant tout de la vitesse d’écoulement du fleuve ; celle-ci doit être supérieure à 0,4 m/s (car la puissance récoltée est proportionnelle au cube de la vitesse). Pour donner un ordre de grandeur, si la vitesse du fleuve est de 0,5 m/s, il est possible de monter entre 15 et 20 m³ d'eau par jour à 10 mètres de haut. Cette eau est stockée dans un ou plusieurs bassins qui permettent ensuite l'irrigation. Elle doit donner la possibilité de cultiver, selon les sols et les températures, de 7 000 à 10 000 m² en maraîchage durant une partie de la saison sèche, du mois d'octobre au mois de mars.]

Martin partit sur place, et, de mai à juillet dernier, sans relâche, deux employés du collège particulièrement habiles et polyvalents construisirent le premier exemplaire. Mais les difficultés allaient venir d’ailleurs... Au moment de la mise à l'eau, le cours du Chari était au plus bas. Peu ou pas de courant. Il était même parfois réduit à l'état de marigot. À Sahr, le cours d'eau n’avait pas plus de 25 cm de profondeur et s’était retiré à plus de 260 mètres des terres cultivables.

Ces conditions d’expérimentation extrêmement difficiles réunissaient tous les éléments d'une véritable gageure. En cas de succès quelle démonstration ! Une fois monté, on installa l'engin au milieu du cours d'eau restant. Mais simultanément les pluies commencèrent à tomber. Le niveau du fleuve atteignit rapidement 50 cm et la pompe se trouva dans des conditions normales de fonctionnement.

« Au bout de quelques jours, précise Martin, le temps d’installer et d'enterrer 260 mètres de tuyaux, l'eau monta au niveau des cultures, dix mètres plus haut. Il fallut cependant modifier les clapets des pistons. Les essais pratiqués en Avignon, de janvier à février, lors de la grande vague de froid, n’avaient pas permis de repérer la trop grande souplesse de certains tuyaux de plastique... par 40° à l’ombre. Avec de nouveaux modèles, la pompe débita plus de 20 m³ par jour. Pour stocker l'eau durant la nuit, un grand bassin de 16 m³ fut construit sur un monticule au bord des cultures. Quel étonnement pour les enfants de voir l'eau couler toute la journée ! ».

En cinq jours

Depuis cette première expérience, nous n’en sommes pas encore à l'industrialisation du procédé... Mais jugez-en vous-même. Avant de regagner la France, Martin a laissé une deuxième pompe en chantier à Sahr. Une troisième devrait être mise en route pour alimenter les jardins scolaires du lycée public.

À N’djamena, lors de son passage dans la capitale tchadienne, Martin fut invité par le Secadev (la Caritas tchadienne) à construire un nouveau modèle. « Grâce au travail de toute l’équipe de l'atelier de la mission, précise Martin, cet exemplaire fut construit en cinq jours : une journée pour fouiller tous les marchés de N’djamena et trouver tous les matériaux nécessaires et quatre jours pour la construction. ».

* * *

Poursuivant son voyage qui le conduisit à Yagoua, de l'autre côté de la frontière, au Cameroun, Martin trouva là toutes les conditions réunies pour mettre sur pied une nouvelle pompe. Les hommes étaient d’autant plus motivés que face à la sécheresse, les pêcheurs avaient dû se reconvertir dans le maraîchage le long du fleuve sur les conseils d’un animateur rural. Depuis l’installation de la pompe, la communauté villageoise s’est donné une charte de fonctionnement, a fixé le nombre des participants et le montant de la cotisation. En octobre le maraîchage pouvait commencer avec la mise en culture d'un premier terrain de 9 000 m² et la construction d’un premier bassin de stockage.

Toutefois, Martin rentré en France — car ses pompes à eau n’ont plus besoin de lui — n'est pas tout à fait satisfait : « À mon départ, la pompe de Yagoua débitait 29 m³ par jour. Compte tenu de la vitesse d’écoulement à cet endroit, et en augmentant le diamètre des pistons... elle devrait pouvoir débiter jusqu’à 40 m³ par jour ! ».

...Tout un programme pour les pompes à venir.

Daniel DRUESNE

d’après « Messages du Secours Catholique »

(1) Ont participé plus étroitement au soutien de ce projet les Délégations d’Asnières, de Clermont-Ferrand et d'Orléans.

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