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Histoire d'eau : Un ouvrage original et toujours crédible : le pont transbordeur

30 decembre 2011 Paru dans le N°347 à la page 102 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

Le développement industriel et démographique ainsi que l'accélération des échanges à la fin du 19ème siècle imposent aux ingénieurs de l'époque de trouver un système de pont qui ne gène pas la navigation maritime, notamment les navires de la marine et les grand oiliers. Les ponts transbordeurs vont alors connaître un succès foudroyant avant d'être peu à peu abandonnés'

L’histoire de Middlesbrough, petite agglomération située dans le comté du Yorkshire, au nord-est de l’Angleterre, démarre véritablement avec la révolution industrielle. Jusque-là, Middlesbrough n’est qu’un petit hameau habité par une population de fermiers.

[Photo : Fort Militaire de Brest. Le pont transbordeur, vue prise du Chemin de Ronde. ND Phot. À la fin des années 1890, le besoin se fait sentir de construire des ouvrages qui pourraient permettre aux marchandises, aux camions et aux populations de traverser fleuves et rivières sans gêner la navigation à une époque où les grands voiliers ont encore une importance économique stratégique. Mais leur passage nécessite une hauteur libre de 50 m au-dessus des hautes eaux, interdisant la construction d’un pont classique.]

Mais à partir de 1830, sous l'impulsion d’un groupe d'industriels qui viennent s'y installer, la ville se développe et s’étend rapidement sur la rive sud de la rivière Tees. C’est que Middlesbrough se situe à seulement 4 km de Teesport, un port manufacturier stratégique. Pour faciliter le transport de matières premières, une ligne de chemin de fer est construite, accélérant encore l'essor de la ville. La population augmente de façon exponentielle, transformant Middlesbrough en un centre industriel majeur. À la fin des années 1890, le besoin se fait sentir de construire un ouvrage qui pourrait permettre aux marchandises, aux camions et aux populations de traverser la Tees sans pour autant gêner la navigation à une époque où les grands voiliers ont encore une importance économique stratégique. Mais leur passage nécessite une hauteur libre de 50 m au-dessus des hautes eaux, interdisant la construction d’un pont classique.

On pense dans un premier temps installer un bac ou créer une ligne de ferry, solutions assez répandues à l’époque, mais dont les inconvénients (lenteur, sensibilité à la marée et à la météo, faible capacité) s’avèrent vite rédhibitoires. On se tourne alors vers un autre type d’ouvrage dont un premier exemplaire vient d’entrer en service à Bilbao en 1893 : le pont transbordeur, un ouvrage d'un type complètement nouveau.

Le pont transbordeur, un ouvrage d’un type complètement nouveau

L'idée d'un système permettant de transborder facilement et rapidement des marchandises ou des personnes n'est pas vraiment nouvelle. Un ouvrage paru à la fin du XVIIᵉ siècle, Machinae Fausi Verentii Sireni, y fait déjà référence : une nacelle suspendue à deux poulies coulissant sur un câble tendu entre deux pylônes permet de relier une plate-forme à l'autre, le déplacement de la nacelle étant réalisé par les passagers eux-mêmes en tirant sur une corde. Mais le principe, jugé trop rustique, ne sera jamais mis en œuvre à grande échelle.

Certains attribuent plutôt l’invention du pont transbordeur à un ingénieur anglais répondant au nom de Charles Smith, qui l’aurait proposé dès 1872 pour franchir la rivière Tees à Middlesbrough justement. Mais aucun document ne prouve la réalité de ce projet.

C'est en réalité un ingénieur français, Ferdinand Arnodin (1845-1924), en collaboration avec un ingénieur espagnol, Alberto de Palacio, qui va donner corps au premier projet de pont transbordeur et qui sera ensuite directement à l'origine de la construction de neuf des dix-huit ponts transbordeurs recensés dans le monde.

À 27 ans, en 1872, Ferdinand Arnodin fonde sa propre usine de construction métallique à Châteauneuf-sur-Loire. Il s'entoure d’une équipe d'ingénieurs et de chefs de travaux et oriente ses travaux dès 1880 vers de nouveaux perfectionnements concernant les ponts suspendus. Il invente notamment le câble à torsion alternée, révolutionnaire à l'époque, qui assure une plus grande sécurité en matière de ponts suspendus.

À peu près à la même époque, Alberto de Palacio se rend en villégiature à Saint-Malo. Il découvre alors le pont mobile réalisé par l’ingénieur Alexandre Leroyer, mis en service en 1873 : unique en son genre, ce pont mobile, surmonté d'une nacelle, reliait Saint-Malo à Saint-Servan, tiré par des câbles mus par un moteur, à marée basse comme à marée haute.

[Photo : En 1880, Alberto de Palacio découvre le pont mobile surmonté d’une nacelle reliant Saint-Malo à Saint-Servan à marée basse comme à marée haute. Il envoie alors une carte postale à sa fille agrémentée d’un commentaire qui commençait ainsi : « Ceci fait voir le pont roulant, sorte de transbordeur. Si vous le mettez à l’envers, ses roues d’en bas iront en l’air ». Le principe du pont transbordeur venait de naître.]
[Photo : Le début du 20ᵉ siècle se traduit par une période faste au cours de laquelle les ponts transbordeurs sont construits là où il est nécessaire de laisser libre passage au trafic maritime, à une époque où les grands voiliers nécessitent un tirant d’air important. Ci-dessus, le pont transbordeur de Marseille.]

De Palacio envoie alors une carte postale à sa fille, agrémentée d'un commentaire qui commence ainsi : « Ceci fait voir le pont roulant, sorte de transbordeur. Si vous le mettez à l’envers, ses roues d’en bas iront en l’air ».

Le principe du pont transbordeur vient de naître : deux pylônes métalliques supportent un tablier à grande hauteur sur lequel circule un chariot grâce à un système de rails. Une nacelle y est suspendue, permettant de relier les deux rives sans gêner la circulation maritime.

Dès 1893, cette prouesse technique remplacera les bacs et les ferry, très répandus jusqu’alors.

Une prouesse technique qui connaît un essor immédiat

Pour franchir le Nervion sans gêner la remontée des bateaux jusqu’à Bilbao, Alberto de Palacio propose de mettre un pont-roulant similaire à celui qu’il a pu découvrir à Saint-Malo. Mais son projet est refusé : on craint que les rails sur lesquels roule le chariot ne soient arrachés par les ancres des bateaux. Il imagine alors de retourner la nacelle en la suspendant à la poutre d’un pont transbordeur. L’idée est acceptée et son brevet enregistré le 1ᵉʳ janvier 1888. Mais ne maîtrisant pas la technique des ouvrages suspendus par des câbles, Palacio contacte Ferdinand Arnodin, seul spécialiste de cette technologie et qui avait lui-même déposé une demande de brevet pour un pont transbordeur l’année précédente. Un accord est signé entre les deux hommes et une société est constituée en 1890 pour la construction et l’exploitation à Bilbao du premier pont transbordeur au monde. Il sera mis en service le 24 juillet 1893 et inauguré 4 jours plus tard par la reine Christine. Ferdinand Arnodin acheta peu après à Alberto de Palacio son brevet de pont transbordeur.

S’ensuit alors une période faste au cours de laquelle les ponts transbordeurs sont construits là où il est nécessaire de laisser libre passage au trafic maritime, à une époque où les grands voiliers nécessitent un tirant d’air important. Par rapport à un bac ou un ferry, les avantages d’un pont transbordeur sont nombreux : confort, rapidité, sécurité, insensibilité aux marées et aux conditions météo, accès et sortie rapides. À cela s’ajoute un coût modéré et des délais de construction très rapides.

Mais la fin de la Première Guerre mondiale change la donne : malgré tous ces points forts, on se rend compte que les ponts transbordeurs ne pourront pas répondre à la croissance du trafic automobile qui se profile. Cet obstacle, associé à la disparition des grands voiliers, va signer la fin des ponts transbordeurs. On n’achève même pas celui de Bordeaux, qui restera, en 1918, à l’état de chantier...

Seuls seront conservés ceux qui sont réellement adaptés aux conditions locales. Les autres seront progressivement démontés.

Aujourd’hui, huit ponts transbordeurs existent encore dans le monde dont celui de Bilbao en Espagne et celui de Middlesbrough en Grande-Bretagne, sans oublier le pont de Rochefort-Martrou en France. Certains sont soigneusement entretenus pour leur valeur historique mais d’autres répondent encore à une vraie utilité et laissent présager un nouvel avenir pour les ponts transbordeurs.

[Photo : Aujourd’hui, huit ponts transbordeurs existent encore dans le monde dont celui de Bilbao en Espagne (photo ci-dessus). Certains sont soigneusement entretenus pour leur valeur historique mais d’autres répondent encore à une vraie utilité et laissent présager un nouvel avenir pour les ponts transbordeurs.]

Un nouvel avenir pour les ponts transbordeurs ?

Le plus ancien pont transbordeur, celui de Biscaye, a été inscrit en 2006 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

[Photo : En Grande-Bretagne, le pont de Middlesbrough assure son service quotidien et ne semble nullement menacé dans son existence. Mieux encore : il vient de trouver un nouveau souffle, grâce à des moteurs et à des variateurs WEG en remplacement de son système d’entraînement et de moteurs électriques d'origine, qui avaient à leur actif près de 100 ans de service.]

ne dure pas plus d’une minute et l’utilité de l’ouvrage n’est pas remise en cause, même dans le contexte actuel.

En Grande-Bretagne, le pont de Middlesbrough assure également son service quotidien et ne semble nullement menacé dans son existence. Mieux encore : il vient de trouver un nouveau souffle, grâce à des moteurs et à des variateurs WEG en remplacement de son système d’entraînement et de moteurs électriques d'origine, qui avaient à leur actif près de 100 ans de service. Le nouveau système a permis au célèbre ouvrage d’être en parfait état pour les célébrations de son centenaire en 2011.

Les moteurs fournis et installés sont trois machines à 4 pôles de 45 kW (2 opérationnels, 1 de réserve) de la gamme à haut rendement W22 de WEG. Ils sont équipés de codeurs 1024 PPR et sont commandés par deux variateurs WEG CFW-11. Cet ensemble complet assure un contrôle rapide et précis avec une efficacité énergétique élevée, favorisant la réduction des coûts d’exploitation du pont.

Plus prometteur encore pour les ponts transbordeurs, le besoin d’un nouveau franchissement de la Loire entre Cheviré et Nantes est récemment apparu. Parmi les solutions évoquées (pont classique, pont levant, tunnel...), celle d’un pont transbordeur séduit de plus en plus d’observateurs. Un projet a même été établi qui prévoit un pont composé de deux pylônes de 100 m de hauteur supportant une passerelle de 260 m de long pour 14 m de large qui les relierait à environ 60 m du sol. Au-dessous, suspendue à des câbles, une nacelle effectuerait des allers-retours entre chaque rive en 60 secondes. Elle embarquerait piétons, deux-roues, bus et véhicules prioritaires à raison d’un départ toutes les 3 minutes, offrant une promenade aérienne en partie abritée. Le coût du projet, évalué à 50 millions d’euros, pourrait être rapidement amorti par des recettes de 7 millions d’euros par an.

Le pont transbordeur connaîtrait alors un nouvel essor...

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