C’est le 4 octobre prochain que Sa Majesté la Reine Beatrix des Pays-Bas procédera à l’inauguration du barrage anti-tempête construit dans l’Escaut oriental.
Cet ouvrage hydraulique de grande envergure s’inscrit dans l’ensemble du Plan Delta, dont la réalisation a été décidée après les inondations catastrophiques qui dévastèrent la province de Zélande en 1953 et qui coûtèrent la vie à près de 2 000 personnes. Cet ouvrage constitue le projet le plus complexe et le plus onéreux (près de 2 milliards de dollars) jamais entrepris par les Pays-Bas, pourtant riches d’une tradition séculaire dans la défense contre les assauts de la mer et la conquête de terres.
[Photo : Vue de l’estuaire de l’Escaut oriental montrant les trois tronçons du barrage anti-tempête. On voit à droite une partie du pont provisoire de trois kilomètres de long qui assure la liaison entre la terre ferme et l’île artificielle. Au premier plan, deux passes fermées par le barrage anti-tempête et, à l’arrière-plan, la troisième passe dont la profondeur atteint 40 mètres.]
Sans les quelque 1 300 kilomètres de digues et de dunes qui protègent leur territoire, les habitants seraient à la merci de la mer du Nord : une grande partie des zones industrielles
[Photo : La Zélande au XVIᵉ siècle.]
[Photo : Le programme général des travaux.]
et de la région du pays où habite la majorité de la population (avec des villes comme Amsterdam, Rotterdam et La Haye) serait constamment inondée. Leur sécurité exige une vigilance de tous les instants et la mise en œuvre sans relâche de travaux de protection. Il ne se passe pas d’hiver en effet, sans que de violentes tempêtes ne soufflent sur les côtes de la mer du Nord, mettant les digues à rude épreuve. C’est ainsi qu’en 1953, dans la nuit du 31 janvier au 1er février, ce fut une véritable marée de tempête soufflant du nord-ouest qui rompit en de nombreux endroits les digues de protection de la Zélande, en bordure de l’Escaut oriental et des autres bras de mer du sud-ouest. Nombre de familles qui vivaient depuis des générations en sécurité à l’abri des digues perdirent bêtes et biens, et ce qui est beaucoup plus tragique encore, 1 835 personnes périrent noyées.
Le gouvernement néerlandais prit rapidement une décision qui allait être très lourde de conséquences ; il fallait en effet que la menace des inondations soit écartée à jamais : c’est ainsi que fut lancé le Plan Delta, lequel prévoyait la fermeture des barrages des bras de mer du sud-ouest des Pays-Bas. Ces travaux permettaient de raccourcir la ligne côtière de 700 kilomètres et donc de réduire considérablement les risques d’inondation. Ils furent entrepris dès la fin des années cinquante.
En dépit de leur très longue expérience en la matière, les ingénieurs néerlandais se trouvèrent confrontés à des problèmes entièrement nouveaux, et pour la mise en place des barrages énormes dans des eaux soumises au mouvement des marées, ils durent faire appel à toutes leurs ressources et à leur traditionnelle capacité d’innovation ; en outre, il fallait que toutes les digues protégeant les côtes des Pays-Bas soient exhaussées et que leur profil soit modifié en fonction de l’évolution des conceptions et des technologies.
Mais la Zélande avait besoin d’une protection plus radicale. C’est ainsi que, si trois des bras de mer séparant ses îles ont été fermés par des barrages, le quatrième, l’Escaut oriental, posait des problèmes écologiques : en effet, sa fermeture pure et simple aurait porté atteinte à la faune et à la flore et aurait rompu l’équilibre d’une zone d’une beauté et d’une richesse naturelles absolument uniques. Des études approfondies permirent de trouver une solution intermédiaire qui garantirait la protection des populations tout en sauvegardant l’environnement : c’était la construction d’un barrage antitempête.
Il s’agit d’un barrage constitué de trois tronçons séparés par des îles artificielles et qui comptera au total 62 vannes d’acier coulissant entre 65 piles de béton précontraint posées sur le fond du bras de mer. Les piles sont hautes de 32 à 40 mètres et reposent sur un socle mesurant 25 x 50 mètres à sa base.
En temps normal, les vannes seront toujours levées, et le mouvement des marées sera donc préservé ; ce n’est qu’en cas de marées de tempête que les vannes seront fermées, partiellement ou totalement.
La construction du barrage
À son embouchure, l’Escaut oriental présente une largeur de neuf kilomètres. Les deux îles artificielles aménagées dans l’estuaire, d’une longueur totale de six kilomètres, n’ont pas uniquement servi de chantier pour la construction du barrage ; elles font partie intégrante de l’ensemble de l’ouvrage, qui se compose donc de trois éléments de barrage d’une longueur totale de trois kilomètres fermant les trois chenaux de marée situés entre les îles et les rives de l’Escaut oriental.
Un pont provisoire de trois kilomètres de long a été construit spécialement pour permettre l’accès au chantier ; quant aux piles qui constituent véritablement l’épine dorsale du barrage, elles ont été fabriquées dans un puits de construction aménagé sur une des deux îles artificielles. Des engins flottants spéciaux — l’Ostrea et le Macoma, aux formes un peu bizarres — ont dû être spécialement conçus et construits pour
le transport et la pose des piles :
en effet, la pose au centimètre près d’énormes masses de béton pouvant atteindre jusqu’à 18 000 tonnes, à 45 mètres exactement l’une de l’autre, dans des eaux soumises à de violents courants de marée, nécessitait une planification et un savoir-faire peu communs.
Vannes et mécanisme de commande
Pour prévenir les affouillements à sa base, chaque pile a été posée sur deux matelas de fondation constitués de sable et de graviers.
Une fois que les 65 piles furent en place, on commença à poser les 62 vannes d’acier d’un poids variant entre 260 et 280 tonnes, qui doivent permettre la fermeture du barrage. Elles ont été montées entre les piles au moyen du Taklift IV, un énorme ponton-grue spécialement construit à cette fin. Chacune est coiffée à sa partie supérieure d’une superstructure destinée à accueillir les vérins hydrauliques ; on a donc installé 124 vérins. Après la pose des vannes, les piles ont été reliées les unes aux autres, à la base, par d’énormes poutres de béton.
Pour assurer la stabilité de l’ensemble, le socle des piles ainsi que les poutres inférieures ont été ancrés dans un lit d’enrochements. Les Pays-Bas, pays de sable, d’argile et d’eau ne disposant pas de pierres naturelles, il a fallu importer des quantités énormes de pierres et de roches. Les quartiers de petite dimension ont été déversés directement par des bateaux, mais les blocs les plus lourds — pesant entre 6 et 10 tonnes — ont dû être posés avec précaution à partir d’un ponton équipé d’une grue spéciale. Comme ce fut le cas dans les autres phases de la construction, il fallut prendre de grandes mesures de sécurité, car tout choc aurait pu causer de graves dommages aux piles. Par ailleurs, il importait de poser les blocs de telle manière qu’ils puissent résister aux courants les plus violents. Les dernières poutres supérieures et inférieures assurant la jonction entre les piles ont été posées dans le courant de l’année 1986.
Au fur et à mesure qu’approchait l’achèvement du barrage, les travaux se sont révélés plus difficiles, les passes devenant de plus en plus étroites et les courants plus puissants…
L’ensemble des travaux entrepris dans l’Escaut oriental, y compris la construction de deux barrages secondaires (qui seront équipés d’écluses de navigation) et d’un canal de décharge, aura coûté au total quelque 3 milliards de dollars.
C’est grâce à trente années de dur labeur et aux progrès de la technique que le 4 octobre, lorsque Sa Majesté la reine Béatrix procédera à l’inauguration du barrage, la sécurité des habitants de la région sera enfin assurée dans des conditions optimales.
D’après Persbulletin (Pays-Bas).
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