L’histoire débute il y a plusieurs centaines de millions d’années. Durant l’ère primaire, les continents n'ont pas grand-chose à voir avec ceux que nous connaissons aujourd'hui. L’Afrique, l'Europe, l’Asie et l’Amérique forment encore un immense et unique continent – la Pangée – qui commence à peine à se morceler. Progressivement, une fracture donne naissance à la Laurasie qui regroupe ce qui constituera bien plus tard l’Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie, et le continent de Gondwana qui réunit les futures Amérique du Sud, Afrique, Australie et Antarctique.
À la fin de l’ère primaire, un paléo-océan appelé Téthys, précurseur de nos océans actuels, apparaît entre le Gondwana et la Laurasie. Cet océan a atteint son extension maximale au début de la période jurassique, il y a 180 millions d’années. Son extrémité ouest se resserrait alors contre le continent européen au niveau de la plaque ibérique. Sa partie orientale était encore très ouverte. Au cours de l’ère secondaire, on observe un lent mouvement de fermeture de la Téthys et il y a entre 80 et 60 millions d’années environ, la plaque africaine amorce un mouvement de rotation entraînant le rapprochement progressif des plaques africaines et européennes. À cette époque, la Téthys s’étend encore bien au-delà des rives actuelles de la Méditerranée. Mais elle va peu à peu se retirer vers le nord en déposant d’épais sédiments de grès, de calcaires et de schistes donnant ainsi naissance à la mer Méditerranée dont les contours vont évoluer durant plusieurs millions d’années au rythme d’assèchements puis de ré-expansion successifs avant qu’elle ne prenne la forme que nous lui connaissons aujourd'hui. À Wadi al-Hitan, le retrait pro-
Désert comme il en existe beaucoup dans cette région du monde, ce n’est qu’au début du XXᵉ siècle que le site commence à susciter l’attention des scientifiques, notamment des paléontologues. En 1903, des fossiles de baleines y sont découverts par le géologue Hugh J. L. Beadnell qui baptise le site « Zeuglodon Valley ». On met au jour, en plein désert, de grands crânes et des restes quasi complets de baleines fossilisées qui reçoivent le nom de Basilosaurus isis et Dorudon atrox. Mais, malgré deux expéditions financées par l’université de Californie en 1947 et par l’université de Yale à la fin des années 1960, le site ne fera pas l’objet d’autres recherches.
[Photo : Site unique au monde, Wadi Al-Hitan témoigne des changements majeurs qui caractérisent l’histoire de la vie sur Terre : l’évolution des baleines qui vécurent là il y a 40 millions d’années.]
Le retrait progressif de la Téthys va entraîner l’assèchement de ce qui constituait auparavant le fond de l’océan, qui va peu à peu se transformer en un désert dont l’intérêt scientifique majeur n’apparaîtra que bien plus tard.
Un désert dont l’intérêt scientifique n’apparaîtra que bien plus tard
Pendant plusieurs millions d’années, la vallée de Wadi Al-Hitan ne sera considérée que comme un désert aride sans intérêt particulier.
[Photo : La concentration et l’état de conservation des fossiles de baleines et de siréniens à Wadi Al-Hitan sont exceptionnels.]
Il faudra attendre l’année 1983 pour que l’importance majeure du site apparaisse grâce aux expéditions menées par des chercheurs de l’université du Michigan (États-Unis), qui organiseront successivement cinq autres expéditions de 1985 à 1993. On découvre que la concentration de fossiles de baleines et de siréniens mis au jour est exceptionnelle et que ces fossiles, vieux de 40 millions d’années, sont de grande qualité. Des squelettes parfaitement préservés, presque complets et encore articulés sont découverts in situ, dans la position dans laquelle ils ont trouvé la mort, certains avec le contenu de l’estomac bien préservé. En outre, les squelettes découverts sont d’âges variés, ce qui présente un intérêt supplémentaire.
[Photo : Des squelettes parfaitement préservés, presque complets et encore articulés sont découverts in situ, dans la position dans laquelle ils ont trouvé la mort, certains avec le contenu de l’estomac bien préservé.]
…taire pour mieux comprendre leur évolution et les caractéristiques de leurs écosystèmes. Mais si les scientifiques s'intéressent de très près à ces fossiles, ce n'est pas seulement pour la qualité de leur conservation mais surtout parce qu'ils représentent une étape très importante de l'histoire de l'évolution : les débuts de la baleine en tant que mammifère marin après avoir longtemps été mammifère terrestre.
L'une des étapes les plus importantes de l'histoire de l'évolution
Wadi Al-Hitan va rapidement s'avérer être un site d'une importance cruciale en fournissant la preuve permettant de démontrer sans ambiguïté l'un des changements majeurs de l'histoire de la vie sur Terre : l'évolution des cétacés.
Depuis très longtemps, les biologistes affirment que les baleines actuelles sont issues de mammifères terrestres. Or, ces derniers ont quatre pattes, alors que les baleines n'ont pas de pattes arrière. Entre les deux, les scientifiques n'avaient jamais pu observer de formes intermédiaires susceptibles de corroborer cette évolution. Il y avait là un trou, un chaînon manquant. Or, si les baleines étaient véritablement le produit d'une évolution de mammifères terrestres, on prédisait depuis longtemps qu'on allait probablement trouver des fossiles dotés de quatre pattes dans des couches géologiques vieilles d'environ 45 millions d'années.
C'est très exactement la découverte qui a été faite à Wadi Al-Hitan et qui a ainsi permis de reconstituer la forme des baleines et leur mode de vie durant leur transition entre l'état de mammifères terrestres et les débuts de leur existence marine.
[Photo : Il y a 55 millions d'années, sur les rivages de la Téthys, des ongulés partent à la conquête du milieu aquatique : ce sont les premiers cétacés, les Archéocètes. Ce cétacé archaïque et carnivore était long de 18 à 21 mètres pour un poids estimé de 60 tonnes à l'âge adulte.]
Il y a 75 millions d'années, les ancêtres des baleines mais aussi des dauphins étaient des animaux terrestres quadrupèdes. Il y a 65 millions d'années, la cinquième extinction, probablement causée par la chute d'un astéroïde, anéantit 75 % des espèces de la planète.
Pour les survivants, l'extinction des grands reptiles marins est une opportunité unique de coloniser le milieu aquatique. Il y a 55 millions d'années, sur les rivages de la Téthys, des ongulés partent à la conquête de ce nouveau milieu : ce sont les premiers cétacés, les Archéocètes. La transition vers un mode de vie aquatique va commencer bien avant qu'ils ne perdent leurs membres. Durant cette période, les membres vont peu à peu s'atrophier en conservant cependant le même nombre d'os dans les membres arrière ainsi que la même disposition de ceux-ci, comme leurs ancêtres terrestres...
Les fossiles découverts sous les sables de Wadi Al-Hitan montrent des jeunes Archéocètes, dans les dernières étapes de la perte de leurs membres postérieurs. Le chaînon manquant que les paléontologues recherchaient depuis plusieurs décennies....
[Photo : Les fossiles découverts sous les sables de Wadi al-Hitan montrent des jeunes Archéocètes, dans les dernières étapes de la perte de leurs membres postérieurs. Le chaînon manquant que les paléontologues recherchaient depuis plusieurs décennies.]
