En apportant son aide, depuis 1991, à l’Institut Européen d’Archéologie Sous-Marine (IEASM), la Fondation Elf s’est engagée dans une extraordinaire mission de recherche et de sauvegarde du patrimoine. Elle participe ainsi à la plus grande fouille archéologique sous-marine jamais réalisée, baptisée Archéomarine 92**, et organisée à la demande du gouvernement philippin : celle du San Diego, un galion espagnol coulé au large de Manille en 1600.
L’IEASM a réussi à localiser le bateau en 1991, et les fouilles, qui ont commencé un an plus tard, ont permis de dégager plus de 3 000 objets dont un astrolabe de marine qui figure parmi les plus anciens du monde.
L’histoire du « San Diego » est particulièrement exemplaire pour mieux connaître la vie et les techniques de navigation du XVIᵉ siècle. Elle permet également d’intéressantes recherches en matière d’environnement, de résistance des matériaux… et, bien sûr, des études patrimoniales et archéologiques fascinantes.
Les études, engagées dès la fin de la campagne de fouilles 1992, apportent déjà, grâce aux équipes du laboratoire central des monuments historiques, du Louvre et du Musée national des Philippines, leurs premiers résultats.
* L’Institut Européen d’Archéologie Sous-Marine, créé en 1987 par , est l’un des rares au monde à travailler scientifiquement pour la recherche archéologique sous-marine. Avant le « San Diego », ses équipes avaient réalisé six fouilles exhaustives de sites submergés, dont celle du « Griffin » (1988-1989) en collaboration avec le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) pour les techniques de prospection.
** C’est la rencontre entre Franck Goddio, sa passion de l’archéologie sous-marine, et la Fondation Elf qui a donné naissance au projet Archéomarine 1992. Ce projet associe l’histoire et le patrimoine à la recherche, l’environnement et la technique. Il témoigne de la vocation de la Fondation Elf à soutenir des initiatives passionnées pour l’homme, sa vie, sa culture, son environnement.
L’histoire controversée du « San Diego »
C’est une étrange histoire que celle du « San Diego », coulé par un navire hollandais au large des côtes philippines en 1600, au cours d’un combat obscur. Le galion était commandé par un certain Antonio de Morga, nullement marin mais magistrat et quelque peu inquisiteur. Il avait réussi à persuader le gouverneur des Philippines de lui confier une petite escadre chargée de pourchasser des pillards hollandais. Ceux-ci étaient commandés par Olivier De Noort, marin plus expérimenté. Avec des forces moindres, il parvint à couler le « San Diego » sans pour autant se couvrir de gloire.
À l’issue de l’affaire, de Morga, se sauvant à la nage, atteignit la toute proche île de Fortune, en même temps que 100 autres survivants sur les 500 hommes qui étaient à bord. Ultérieurement, il rendit compte au gouverneur des Philippines, puis au roi d’Espagne. Dès 1602, il écrivit même un livre où il racontait son aventure. Soucieux de sa réputation, il donnait dans ses différents récits une version fort éloignée des faits qui lui donnait le beau rôle. Il déplaçait même le lieu de son naufrage, racontant qu’il avait été le dernier à quitter son navire et qu’avant d’atteindre un rivage, il avait nagé quatre heures en serrant dans ses bras les étendards pris à l’ennemi. De Noort, de son côté, s’employa à travestir la vérité, dans le but de s’attribuer plus de lauriers qu’il n’en méritait.
Pendant des siècles, l’histoire dormit ainsi d’un sommeil falsifié dans les archives de la marine hollandaise, dans celles de Madrid et de Séville, ainsi qu’au Vatican. Pourtant, dans les années qui suivirent la bataille navale, une discrète enquête avait émis quelques doutes sur la véracité des témoignages de Morga et De Noort. D’autres survivants, un médecin, un prêtre, situaient le naufrage ailleurs, parlaient de la direction des vents en des termes qui ne concordaient pas avec les récits officiels. Mais de Morga fut assez influent pour étouffer l’affaire.
Des grimoires révélateurs
Si l’Institut Européen d’Archéologie Sous-Marine rouvre l’enquête 390 ans après la bataille, ce n’est évidemment pas pour établir la culpabilité des protagonistes, mais pour sauver des trésors des fonds des mers.
Pour repérer l’épave, les archivistes de l’IEASM examinent à la loupe pendant deux années d’enquête les documents relatifs à la perte du « San Diego ». Ils déchiffrent, non sans peine, des témoignages de survivants du galion espagnol qui les persuadent que de Morga a eu en réalité une conduite indigne. Fait plus important, ils découvrent que son navire a dû sombrer à une distance maximum d’un mile et demi de l’île de Fortune.
L’intérêt de retrouver les restes du « San Diego » apparaît aussitôt considérable : le galion était pourvu d’une riche cargaison — trop encombrante, disaient les marins, pour permettre au navire de participer efficacement à un combat naval —, aucune recherche n’a jamais été entreprise pour explorer l’épave et tout donne à penser que celle-ci est en aussi bon état que le permettent quatre siècles d’immersion.
À l'est de l'île de Fortune
Les opérations commencent en mai 1991. Un positionnement avec trois balises est installé sur l'île de Fortune. Une recherche magnétométrique est conduite avec une équipe du Commissariat à l'Énergie Atomique à bord du « Kaimiloa », un catamaran de 21 m. Un nouveau magnétomètre à résonance nucléaire multiple est immergé à environ 48 m de fond, dans une zone où les fonds s'étagent de 20 à 80 m. Un sonar assure le positionnement du « poisson » du magnétomètre. Inlassablement, la zone est couverte par des passages successifs espacés de 30 m. Et, le 10 juin 1991, l'épave du « San Diego » est enfin repérée à 1,5 km à l'est de Fortune, alors que le récit de Morga situait le naufrage à 11 km à l'ouest de l'île.
Le « San Diego » repose à 51 m de profondeur sous un tumulus de 22 m de long sur 12 m de large et s'élève à 3 m au-dessus du fond. Plusieurs centaines de jarres, ainsi que six canons de bronze, émergent du tumulus et, vers l'avant du navire, deux ancres de grande taille gisent sur le sédiment.
Les fouilles commencent en février 1992. Elles mobilisent cinquante-deux personnes dont un directeur de fouille avec trois archéologues et deux assistants, un médecin, dix-huit plongeurs, cinq cinéastes. S'y ajoutent dix-sept marins répartis sur trois bateaux de support, l'« Osam Servicem », du type « supply », d'une longueur de 45 m et d'un tonnage de 736 tonnes, le catamaran « Kaimiloa » et un bateau navette de type pilotine, le « Cargo Lift » de 12 m. Le matériel utilisé est également considérable : un sous-marin « Smal » de 3 tonnes dans lequel deux personnes peuvent prendre place pour observer et diriger les fouilles ; des bulles, des compresseurs, des pompes, un caisson de décompression et des équipements de plongée sont à la disposition des chercheurs.
Un des astrolabes les plus anciens
Méthodiquement, les explorateurs mettent en place un quadrillage de l'épave qui permettra une localisation précise. Les premières trouvailles enthousiasmèrent l'équipe : une tranchée initiale de sondage fit apparaître, sous 30 cm de sédiment, les vestiges du fond de carène — qui se révéla par la suite magnifiquement conservé avec sa quille et son safran — et un important ensemble de porcelaines bleues et blanches et de terres cuites. Dans une seconde étape, un petit canon de bronze finement sculpté fut dégagé vers l'avant, ainsi que des pièces de porcelaine typiques du règne de l'empereur Wanli, de la fin du XVIᵉ siècle.
À ce jour, plus de trois mille objets ont été inventoriés. Certains témoignent de la vie quotidienne des marins qui périrent là le 14 décembre 1600 : boucles de ceinture et de chaussures, boutons, accessoires usuels, épées, mousquets, casques, monnaies... Des porcelaines de Chine et des verres de Venise figurent dans l'inventaire. Une des plus grandes collections de jarres a été mise au jour : elles viennent de Chine, de Birmanie, d'Espagne, des Philippines et certaines contenaient encore des vestiges d'aliments.
Mais la découverte la plus remarquable fut faite en mars dernier : celle d'un astrolabe qui figure parmi les cinq plus anciens des soixante-quatre astrolabes de marine répertoriés dans le monde. Les fouilles se poursuivront en 1993. Les archéologues sous-marins pensent que d'heureuses surprises les attendent sous l'épaisse couche de ballast qui n'a pas encore été explorée.
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