Modelé depuis des siècles par des générations d'hommes, le Marais Poitevin est à lui seul un univers particulier d'une incroyable diversité biologique. Mais ce fragile écosystème est menacé par des politiques hydroagricoles peu respectueuses de ce milieu si fragile.
Deuxième zone humide de France par sa superficie après la Camargue, le Marais Poitevin se situe aux confins de deux régions du littoral atlantique (Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes) et à cheval sur trois départements, la Vendée, les Deux-Sèvres et la Charente-Maritime.
Ce vaste complexe littoral et sublittoral, ensemble autrefois continu, est aujourd'hui morcelé en trois secteurs :
- une façade littorale, centrée autour des vasières et prés salés de la Baie de l'Aiguillon, remplacées vers le nord par des flèches sableuses et des cordons dunaires ;
- une zone centrale, caractérisée par des surfaces importantes de prairies naturelles humides saumâtres parcourues par un important réseau hydraulique ;
- une zone continentale, sous l'influence exclusive de l'eau douce et rassemblant divers milieux : forêt alluviale et bocage, fossés à eaux dormantes, bras morts, marais et tourbières.
Sur près de 96 400 hectares, dans un triangle allant de Niort et Fontenay-le-Comte à l'océan, le Marais Poitevin offre des paysages saisissants et contrastés. Son fragile équilibre repose sur la régulation hydrographique d'un réseau complexe de canaux. La nature, aussi bien la faune que la flore, y est reine. On distingue habituellement deux grandes zones : le marais desséché pour la partie littorale et le marais mouillé pour
à l'intérieur des terres, chacune ayant ses propres particularités.
Le marais desséché, protégé de la mer par des digues et des portes à flot, ressemble un peu aux polders hollandais. Les canaux drainent les terres l'hiver et les irriguent l'été. Les pâturages réalisés se prêtent bien à l'élevage. Le taux de salinité de cette zone explique la végétation herbeuse et l'absence d'arbres, à l'exception notable des tamaris. L'exutoire du marais desséché est la baie de l'Aiguillon, ses moules de bouchots et ses vasières peuplées d'oiseaux migrateurs.
Le marais mouillé constitue la partie inondable du Marais ; il se situe autour de la Sèvre Niortaise qui en est l'artère centrale. Les canaux, bordés de frênes et de saules, forment un paysage typique qui a valu au marais mouillé le surnom de « Venise verte ».
Un surnom qui provient des lentilles d'eau proliférant à la surface de l'eau l'été.
Le Marais Poitevin est incontestablement un des plus beaux espaces naturels français. Il est pourtant un site artificiel, modelé depuis des siècles par des générations d'hommes.
Le Marais Poitevin, une construction progressive
Il y a seulement 12 000 ans, cette vaste étendue était entièrement submergée par la mer et constituait l'ancien golfe des Pictons, également appelé golfe du Poitou. Seules émergeaient alors une quinzaine d'îlots calcaires. Une légende raconte que la mer se serait retirée en une nuit, la veille de la Toussaint 1469. La vérité est sans doute moins poétique, et l'on peut imaginer que le recul de l'océan, jusqu'à ses limites actuelles de la baie de l'Aiguillon, s'est effectué progressivement, du fait des alluvions d'origine marine et fluviale. En se retirant, l'océan a laissé derrière lui une surface si plane que les fleuves peinent à le rejoindre. Faute de pente, l'eau douce s'est étalée et le milieu est devenu lacustre. Au Moyen Âge, l'homme commence à modeler ce milieu originel. Le mérite en revient d'abord aux moines bénédictins et cisterciens qui entreprennent, du XIIᵉ au XIIIᵉ siècle, les premiers grands travaux d'assèchement. Des digues sont dressées côté terre pour se protéger des crues du bassin versant, comme côté mer pour se prémunir des assauts de l'océan. Parallèlement, les
Les premiers grands canaux sont creusés. Mais la Guerre de Cent Ans et les Guerres de Religion vont anéantir bon nombre de ces ouvrages. Aux XVIe et XVIIe siècles, l'entreprise de dessèchement du marais reprend. En 1599, Henri IV mandate un grand ingénieur hollandais, Humphrey Bradley, qu'il nomme « Maître des Digues et Marais du Royaume » et lui fournit d'importants subsides. Mais malgré de gros moyens mis en œuvre, Bradley ne peut aller jusqu'au bout de son entreprise. À sa mort en 1639, Louis XIII nomme son ingénieur et géomètre, Pierre Siette, qui reprend le travail. À la fin du XVIIe, les marais desséchés ont pratiquement leur physionomie actuelle. Mais les marais mouillés restent sauvages. Leur aménagement débute seulement sous l'Empire (loi du 16 septembre 1807). Il s'agit d'exploiter des terres particulièrement riches, de créer un réseau de voies navigables et de limiter les crues hivernales pour protéger la prairie et les champs des marais desséchés tout en créant un réservoir d'eau pour l'été.
Durant la seconde moitié du XIXe siècle, les canaux sont élargis. Fossés, conches et rigoles sont creusés par les propriétaires terriens regroupés en syndicats de marais. Écluses et barrages ponctuent un dispositif nouveau qui permet de maintenir les niveaux d'eau toute l'année. Dans le marais mouillé, univers entièrement façonné par l'homme, un monde sauvage s'organise. La végétation y est bientôt luxuriante. Des loutres, des hérons et des anguilles investissent progressivement le marais. Pendant que le paysage se métamorphose, les maraichins créent une nouvelle économie locale en misant sur l'élevage et les cultures permettant une récolte avant les crues (mogette). Aujourd'hui, même si l'élevage se maintient, on voit se développer des activités plus rentables comme la production de bois et bien sûr le tourisme.
Le Marais Poitevin est reconnu comme un site d'importance internationale pour la faune comme pour la flore. La valeur écologique des milieux et habitats qui le composent a été révélée par plusieurs inventaires scientifiques. L'effort séculaire d'aménagement poursuivi par des générations de maraichins, conjugué avec les éléments naturels, a permis la constitution d'une mosaïque complexe de milieux complémentaires : vasières et cordons littoraux, polders, buttes calcaires, marais desséchés ou mouillés, bocagers ou ouverts.
Mais cet équilibre ancestral et précaire entre l'homme, la terre et l'eau a été fortement perturbé ces dernières décennies par des politiques hydroagricoles peu compatibles avec ce milieu si fragile.
Un équilibre menacé
Le Marais poitevin est menacé d'assèchement. Une étude comparative de l'évolution…
L'érosion des sols entre 1973 et 1991 a mis en évidence un recul considérable des espaces de grand intérêt biologique qui font la réputation de cet écosystème. Sur les 60 000 hectares de prairies naturelles humides cartographiés en 1973, près de 33 000 hectares avaient disparu en 1990, au profit des cultures le plus souvent céréalières. Cette évolution s'est accompagnée d'une modification profonde de la gestion hydraulique. Des travaux d'hydraulique agricole affectant les grands émissaires tels que la Sèvre Niortaise et le Lay ont été multipliés pour en augmenter le débit. De nouvelles pratiques culturales ont imposé un rabattement général de la nappe phréatique, mettant directement en péril la conservation des espaces humides restants. Et depuis 1991 cette évolution s'est poursuivie. On estime à 3 000 hectares la surface des prairies mises en culture entre 1992 et 1997.
Parallèlement, l'irrigation des cultures en périphérie du marais s'est développée depuis le début des années 1980. Les prélèvements d'eau dans les aquifères du bassin d'alimentation du Marais Poitevin sont évalués à 90 millions de m³/an. Pour le Marais Poitevin, les conséquences de ces prélèvements sont dramatiques. Fonctionnant en continuité entre plaine et marais, le système aquifère est entièrement dépendant de la pluviométrie, généralement faible en été. L’abaissement prolongé du niveau des nappes produit systématiquement le tarissement de leurs résurgences, qui devraient normalement contribuer à l'alimentation des marais mouillés. On observe également un allongement des durées d'étiage des rivières et une inversion des flux naturels : les sources fonctionnent à l'envers, le marais en venant à se vidanger dans la nappe dès lors que l'aquifère lui devient inférieur en niveau. Des tronçons de plus en plus importants de rivières sont mis « à sec » total et prolongé, comme d'ailleurs le réseau secondaire et tertiaire des conches et fossés du marais. Il se produit un phénomène de salinisation des nappes, remontant de plus en plus vers l'amont, tandis que les taux des nitrates et des herbicides atteignent des niveaux inquiétants.
Année après année, l'observation piézométrique des aquifères met en évidence, de plus en plus tôt en saison, leur surexploitation.
Une autre menace guette le marais, celle de la multiplication de nouvelles infrastructures routières qui pèse sur un milieu déjà fragilisé. L'avenir du Marais Poitevin apparaît donc bien menacé. Les alertes se multiplient. La Cour de justice des Communautés européennes rend en 1999 un arrêt condamnant la France pour manquement à ses obligations de protection du Marais Poitevin. Peu à peu s'impose la nécessité de mettre au point un plan pour sauver le Marais.
Un plan d’actions pour sauver le Marais
Un plan d’actions global a été arrêté par le gouvernement en décembre 2001, notifié aux autorités européennes en mars 2002, et avalisé par la ministre de l'Écologie et du Développement durable en juin de la même année. Il comporte plusieurs volets :
- • Un volet hydraulique vise à gérer l'eau de façon équilibrée, à préserver les zones humides tout en permettant l'exploitation du marais et la conchyliculture. Il faut à la fois garantir une alimentation en eau suffisante l'été et gérer au mieux les épisodes de crue.
- • Un suivi scientifique complet du marais et de son évolution sera effectué. Il portera sur les aspects hydrauliques, avec notamment un diagnostic du fonctionnement hydrologique global du marais et une quantification des flux d'eaux superficielles et souterraines qui l'alimentent, et sur l'évolution des zones humides et des milieux. Il s'agira de quantifier et de déterminer l'origine des flux microbiologiques, des nutriments et phytosanitaires qui sortent du marais et entrent en baie de l'Aiguillon et dans le Pertuis Breton, ainsi que le devenir de ces apports dans le milieu marin.
- • Enfin, deux autres objectifs majeurs sont l'optimisation de la gestion de l'irrigation pour limiter les prélèvements d'eau superficielle, et l'accroissement de la surface en prairies par une compensation financière.
Le coût total de ce plan, qui s'étalera sur dix ans, est estimé à 161 millions d’euros. Suffira-t-il à sauver le Marais Poitevin des périls qui le menacent ? Il faudrait pour cela parvenir à concilier tourisme de masse, activités agricoles et environnement. Et notamment maîtriser les prélèvements, stopper le drainage et reconquérir la qualité des eaux dans le Marais Poitevin...