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Histoire d'eau : Pompéi: la distribution des eaux dans une grande ville romaine

30 octobre 1986 Paru dans le N°104 à la page 115 ( mots)
Rédigé par : Hans ESCHEBACH

Nous extrayons de la revue « Les dossiers de l'Archéologie » cet article de M. Hans Eschebach qui donne des aperçus intéressants sur les réservoirs d’eau de Pompéi...

L'habitat primitif de Pompéi s’est développé sur une colline, où plus tard s'installa le forum, au croisement de deux routes. Cette colline d'origine volcanique présente une pente douce qui passe de 43 m d’altitude au nord à 8 m au sud. En raison de la nature géologique du sous-sol, la nappe phréatique se trouve à une grande profondeur : de 20 à 35 m. En conséquence, il était indispensable d’avoir des réservoirs pour disposer d'une certaine quantité d’eau.

[Photo : Arc de Germanicus. Le réservoir de distribution d’eau alimente deux fontaines.]

De la citerne au puits

Les premières citernes trouvées jusqu’ici semblent remonter à l’époque présamnite (VIᵉ siècle). Dans la région nord des thermes de Stabies, j'ai repéré une grande citerne longue de 8,50 m, large de 0,85 m et haute de 1,70 à 1,90 m. Les parois furent anciennement imperméabilisées avec une couche de glaise puis, au IIIᵉ siècle, ravalées avec un opus signinum.

On commença à rechercher la nappe du sous-sol entre le VIᵉ et le Vᵉ siècle av. J.-C. En effet, le puits situé près du forum triangulaire et qui est sans doute le plus ancien des puits profonds de Pompéi, remonte à la première construction du temple grec (seconde moitié du VIᵉ siècle) et puise l'eau à 20 m de profondeur. Les premiers puits de Pompéi étaient situés à proximité des routes existant en ces temps-là. L’eau était puisée au moyen d'une corde ou d’une chaîne qui cheminait dans une poulie suspendue à la bouche du puits. Plus tard furent employées des roues à sabots (chaîne et double file de petits seaux). Par ce mécanisme, il était possible d’élever de grandes quantités d'eau pour satisfaire les gros consommateurs, comme les thermes (de Stabies et du forum).

L'eau de ces puits était d'une couleur rouge ferrugineux et avait un goût amer. Nous pouvons penser qu’à la longue, elle devait indisposer ceux qui l’ingéraient avec une certaine fréquence. Pour cette raison, ces puits profonds furent abandonnés dans le courant du Iᵉʳ siècle av. J.-C. et comblés par des détritus.

L’eau de pluie recueillie par le compluvium et l’impluvium

Chaque maison recueillit alors l'eau qui lui était nécessaire. Le toit de l’atrium comportait en son centre une ouverture, le compluvium, auquel correspondait

[Photo : Réseau de distribution de l'eau : 1. forum. — 2. temple d’Apollon. — 3. basilique. — 4. marché. — 5. thermes du forum. — 6. thermes centraux. — 7. thermes de Stabies. — 8. théâtre. — 9. Odéon. — 10. caserne des gladiateurs. — 11. forum triangulaire. — 12. grande palestre. — 13. amphithéâtre. — 14. porte du Vésuve. — 15. rue de Stabies. — 16. rue de l'Abondance. — 17. porte du Sarno. — 18. porte de Stabies. — château d’eau. — tour de distribution. — Réservoir de hauteur. — - - - réseau d’alimentation des monuments publics.]
[Photo: La maison de Vettii est équipée de tuyaux de plomb conduisant l'eau dans le péristyle.]

Au-dessous un bassin, l'impluvium. L'eau de pluie tombant sur le toit s'écoulait dans l'impluvium, puis passait dans un réservoir souterrain, muni d’un trop-plein avec déversoir dans la rue.

Pour l'usage public, de grandes citernes furent construites au-dessous des bâtiments publics et sous les grandes esplanades comme le forum, le forum triangulaire, la caserne des gladiateurs, le temple de Vénus, la basilique, les thermes du forum, ou bien sur le toit de quelques bâtiments (thermes de Stabies). Ces réservoirs restèrent en service, même après qu'on eût construit un aqueduc, pour leur rôle de régulation de la pression de l'eau.

Le plus grand d’entre eux est celui qui fut trouvé près des thermes du forum. Il mesure 5 x 15 m avec une élévation de 9 m. Le fond est situé en dessous du niveau des thermes et il a une capacité de 430 m³. Il fut bâti en même temps que les thermes du forum, c'est-à-dire peu après 80 av. J.-C. À l'origine, le réservoir était joint aux thermes du forum au moyen d’un arc de maçonnerie qui soutenait un tuyau de terre cuite (dont on voit quelques traces aujourd'hui), servant au transfert de l’eau du réservoir aux thermes. L’intérieur du réservoir est ravalé en opus signinum. Il est partagé en trois chambres communiquant entre elles.

Une autre grande citerne se trouve près du théâtre. Elle ressemble à une tour carrée de 6,75 m de côté. À l’intérieur, le bassin est cylindrique (diamètre : 4,45 m) et a une hauteur de 3,65 m. Le réservoir alimentait les fontaines situées en face de la scène du théâtre. Il est probable que ce réservoir recevait aussi l’eau apportée par l’aqueduc.

L'agrandissement du grand réservoir situé sur la partie nord du toit des thermes de Stabies et obtenu par le surhaussement des parois fut réalisé à l'époque de la mise en service de l’aqueduc et de l’abandon de la roue hydraulique. Dès lors, le réservoir, dont la capacité atteignit 73 m³, eut essentiellement pour fonction de conserver à l’eau une pression uniforme.

Beaucoup de réservoirs, pour maisons ou pour ateliers, précédemment alimentés avec l'eau de pluie coulant des toits, furent ensuite liés au réseau de distribution publique. Quoique l’accroissement de la population fût lent, il semble que, à l'époque pré-romaine, le ravitaillement hydraulique fut insuffisant pour répondre aux besoins des habitants.

[Photo: Canalisation en plomb trouvée dans une maison sous les thermes de Stabies.]

Un premier aqueduc communal ?

On ignore la date à laquelle fut réalisé, à Pompéi, le premier aqueduc communal. Selon ses recherches, Mau observe qu’entre la première et la seconde guerre punique devait déjà exister un réseau interrégional pour l'alimentation hydraulique des villes de la Campanie, lequel devait prendre son eau dans la rivière Veseris qui naît sur les pentes du Vésuve. Maiuri date la première installation hydraulique communale du milieu du IIᵉ siècle. Enfin Murano pense qu’à l’époque samnite, un aqueduc a existé dans la région et que, plus tard, il fut lié à l'aqueduc de Sérino.

L’aqueduc de Sérino

C'est à l'époque augustéenne, peut-être à l'initiative d’Agrippa (dont on sait qu’il est mort en Campanie en 12 av. J.-C.), que fut construit l’aqueduc qui alimentait en eau Pompéi. La branche principale partait de la source Acquaro, près de Sérino, à l'est de Pompéi, traversait la montagne puis passait par Forino, S. Sanvetino, Sarno et de là continuait vers Naples, Pouzzoles et plus tard vers Baies, Cumes et Misène. De ce tronçon principal se détachait une branche secondaire qui se dirigeait vers Pompéi et aboutissait à un château.

[Photo: La tour de distribution (à l’arrière-plan) surmontée d’un petit réservoir servant à régler la pression de l’eau, est destinée à l’alimentation de la fontaine.]

d'eau situé près de la Porte du Vésuve. La région située en avant du château d’eau fut exhaussée et le bâtiment du château d’eau encastré dans l'enceinte et appuyé contre le côté ouest de la Porte du Vésuve. L’aqueduc en maçonnerie avait une hauteur de 1,30 m pour 0,55 m de largeur. À la base, la rigole d’écoulement de l’eau se réduisait à une largeur de 0,25 m.

Le château d’eau de la Porte du Vésuve

L'intérieur du château d’eau, de forme circulaire, est partagé en trois parties dans lesquelles l'eau arrivait en traversant d’abord un filtre grossier, puis un filtre plus fin. Dans chaque partie, un déversoir comportant une hauteur de seuil réglable permettait de modifier le débit de l'eau. Cette eau sortait du château par trois orifices dans lesquels s’emboîtaient des tuyaux de plomb, celui du centre étant plus large (0,30 m) que les latéraux (0,25 m). Ce système ressemble beaucoup à celui de Nîmes.

Le château d’eau de Pompéi fut modifié en disposant la sortie des tuyaux à des hauteurs différentes. Il n'est pas possible actuellement de savoir si ce changement a eu lieu sous le règne de Claude ou après le tremblement de terre de 62. Ce qui est certain, c'est que ce changement est confirmé par la présence, à l’intérieur du bassin, de deux couches superposées d’enduit. Si l'on suit les prescriptions de Vitruve, il semble que l'on peut classer les trois branches de l'installation hydraulique de la manière suivante :

  1. 1) (correspondant au trou de sortie inférieur) : distribution aux fontaines publiques ;
  2. 2) (correspondant au trou moyen) : distribution des monuments publics (thermes, palestres, théâtres) ;
  3. 3) (correspondant au trou supérieur) : distribution aux maisons privées et aux ateliers.

La hauteur des déversoirs était réglée de telle façon que l'eau arrivait toujours au tuyau 1, presque toujours au tuyau 2 et, seulement lorsqu’il y en avait beaucoup, au tuyau 3.

[Schéma : PLAN — COUPE SELON AB (noter que l'eau arrive dans les tuyaux de sortie selon des chutes de hauteurs différentes) ; 1 : cloisons ; 2 : râteau serré ; 3 : râteau lâche. À gauche : tuyau 1 : particuliers — tuyau 2 : fontaines — tuyau 3 : monuments publics. Le château d’eau de Pompéi.]
[Photo : Le château d'eau, situé près de la porte du Vésuve, constitue l’arrivée de l’aqueduc de Serino. L’eau sort par trois orifices, alimentant les fontaines, les monuments publics ou les maisons privées.]

Cinquante fontaines pour toute la ville

Sur la partie de la ville aujourd’hui exhumée (environ 2/3), on compte 40 fontaines publiques presque également espacées. Pour l'ensemble de la ville, on peut donc prévoir une cinquantaine de fontaines.

En supposant que Pompéi eut 8 000 habitants à l'intérieur de ses murs et que les dérivations hydrauliques privées ne fussent pas en service, chaque fontaine devait fournir l'eau à 160 personnes. C’était possible dans la mesure où l'eau coulait en permanence dans les fontaines, jour et nuit.

La plupart des fontaines publiques aujourd'hui dégagées sont en pierre de lave ; trois sont en tuf, trois en travertin, une en maçonnerie et une en marbre. Généralement, la construction est très simple : des monolithes rectangulaires forment les parois, assemblés par des crochets en fer ou en bronze. Le fond est en maçonnerie d'opus signinum. Un trou de vidange à la base permet le nettoyage, tandis qu’à la partie supérieure un évidement de trop-plein permet de déverser l’eau sur la chaussée et de concourir à son lavage automatique.

Le tuyau d’alimentation en eau est fixé à l’arrière d'un cippe de 1 m – 1,10 m, qu’il traverse à son sommet, donnant naissance à un jet d’eau. Le trou de passage dans le cippe est orné en relief de motifs très variés : bouclier, rosace, tête de lion ou de taureau, coq avec un vase renversé, aigle saisissant un lapin dans ses serres, Silène au repos, amphores, Fortune tenant une corne d’abondance, buste d’Hermès.

[Schéma : Schéma de distribution de l'eau potable dans une ville : 1. canal ouvert de l’aqueduc sans pression — 2. château d’eau principal — 3. conduite en plomb sous haute pression, munie d'un robinet de communication — 4. tour de distribution, avec réduction de pression — 5. conduite de plomb, sous basse pression, se terminant par un robinet de débit — 6. maison d’un usager où arrive la conduite précédente.]

Le réglage de la pression

Dans une ville présentant des dénivellations importantes et certaines exigences dans la demande, il était nécessaire de résoudre des problèmes comme le réglage de la pression ou celui du débit pour chaque usager. Dans le réseau de distribution, la dénivellation maximum se trouve entre le château d’eau (42,5 m) et la fontaine de la Porte de Stabies au sud (11,20 m), soit 31,30 m. Ailleurs, la dénivellation atteint 5 m à l’ouest, 10 m à l’est, selon la pente nord-sud, et beaucoup plus dans le sens est-ouest, puisque le decumanus maximus (rue de l’Abondance) commence au forum à l’altitude de 32,50 m et se termine à la Porte du Sarno à 21,20 m.

La pression de l’eau dans les tuyaux a été calculée par Kretzschmer. Ainsi, au carrefour des rues de Stabies et de l’Abondance, nous avons une différence de niveau de 18 m (42,50 – 24,60 = 17,90 m) par rapport au château d’eau de la Porte du Vésuve. Par là, la pression de l’eau en ce lieu aurait été de 1,79 kg/cm². Une telle pression aurait causé des déformations, voire des ruptures sur les tuyaux ou les robinets. En conséquence, elle était réduite à 0,6 kg/cm² grâce à l’emploi de châteaux d’eau secondaires qui jouaient aussi le rôle de petits réservoirs pour supporter l’augmentation de la demande aux heures de pointe. Ces châteaux d’eau avaient une hauteur maximum de 6 m (celui de la ruelle de Loreius Tiburtinus à seulement 1,60 m de haut) et étaient constitués de petites tours carrées de 1,20 m – 1,50 m de côté, surmontées d’un petit réservoir construit en tôles de plomb de 7 mm d’épaisseur. Selon le principe des vases communicants, l’eau montait par un tuyau jusqu’au réservoir où elle perdait sa forte pression. À sa sortie du réservoir, l’eau avait une pression de 0,6 kg/cm² seulement.

Dans toute la ville, j’ai pu repérer ainsi 13 tours de distribution destinées à l’alimentation, soit de fontaines publiques, soit d’habitations privées.

[Photo : Fontaine privée dans la maison de Marcus Lucretius.]

L’alimentation des thermes, théâtres et palestres

Selon Kretzschmer, les bâtiments publics comme les thermes, les théâtres, les palestres, etc. étaient reliés directement au château d’eau par une conduite qui suivait la rue de Stabies jusqu’aux théâtres. De cette conduite partaient deux branches, l’une vers l’ouest par la rue de Nola, l’autre vers l’est par la rue de l’Abondance. Sur le tronçon principal de la rue de Stabies s’embranchaient les thermes centraux, les thermes de Stabies, le temple d’Isis, la palestre samnite, les deux théâtres, la caserne des gladiateurs. La branche occidentale alimentait les thermes du forum, celle de l’est la grande palestre, le bain de Vénus dans la maison de Julia Félix et plusieurs maisons privées.

Je pense que les réservoirs de hauteur situés à l’ouest des thermes du forum, sur le toit des thermes de Stabies au nord-ouest du Grand Théâtre et au sud-est de la basilique n’avaient pas seulement la fonction de volant hydraulique, mais aussi celle de réduire la pression dans la branche correspondante. La grande palestre fouillée en 1936 et reconstruite après les dommages dus aux bombardements de la seconde guerre mondiale, était, comme le remarque Maiuri, alimentée par un petit château d’eau secondaire situé au nord-ouest de l’îlot 11,2. Comme il est indiqué sur une inscription, ce château d’eau alimentait aussi l’amphithéâtre et le bain de Julia Félix. La tour de ce château secondaire avait une section carrée de 0,90 m de côté. À la hauteur de 1,60 m au-dessus de la rue se trouvait une boîte en plomb cubique (0,65 × 0,65 × 0,65 m) formée de tôles de 6 mm d’épaisseur soudées bord à bord. Deux tuyaux, un pour l’entrée, l’autre pour la sortie de l’eau, étaient soudés sur le front du réservoir. Le tuyau d’alimentation provenait de la conduite enterrée sous le trottoir où, selon Kretzschmer, l’eau arrivait du château d’eau de la Porte du Vésuve, sous une forte pression (2 kg/cm²). En bas, le tuyau de sortie était muni d’un filtre et d’un robinet, et la pression ne dépassait pas 0,6 kg/cm².

La distribution de l’eau dans les maisons privées

Comme le ravitaillement en eau des maisons privées était assez compliqué et coûteux, il est probable que beaucoup de propriétaires l’aient refusé. La maison de Julius Polybius (IX, 13, 1-3), récemment fouillée, n’a révélé aucune trace d’installation hydraulique. Cependant, dans le sous-sol, on a découvert une grande citerne, dans un très bon état de conservation, couverte par une tonnelle et dont les dimensions étaient les suivantes : longueur 17 m, largeur 2,50 m, hauteur 2,50 m. On peut penser que l’eau nécessaire à la vie quotidienne était prise à une fontaine publique qui se trouvait peu éloignée de l’entrée de la maison.

Selon Kretzschmer, quelquefois, les propriétaires des maisons privées se groupaient en associations pour demander à l’administration communale la permission de prendre l’eau sur la conduite publique. Il était alors prescrit que les parties intéressées devaient être chargées des frais d’installation et prévoir la construction d’une tour de distribution avec le réservoir en plomb. Tout était indiqué : l’emplacement de la tour, sa hauteur, etc. Ces tuyaux privés étaient dotés de soupapes d’arrêt par lesquelles il était possible d’intercepter l’eau des usagers…

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