L?histoire de Paris est intimement liée à la Seine, véritable berceau de la ville. Établie sur un site privilégié, à l'intersection de deux rivières, la Seine et la Bièvre, le site est couvert de forêts et de marais. Les premières traces d'occupation du site remontent à la préhistoire, mais il semblerait que les premiers habitants s'y soient établis il y a environ 3000 ans.
La Seine, Sequana en latin, doit son nom à la déesse romaine Sequana, qui était adorée à la source du fleuve il y a plus de 2000 ans. Ce nom romain vient lui-même d’un mot celtique plus ancien « Squan », qui signifie « semblable à un serpent », un nom qui convient bien à la Seine. La « Sequana » de César, la « Sekoanas » de Ptolémée, la « Séquoine », la « Saine » au XVIᵉ est devenue la Seine par une bizarre coquetterie linguistique. La Seine n’a pas toujours coulé bien sagement entre des quais paisibles. Plus large et moins profonde qu’aujourd’hui, il lui arrivait souvent de déborder ; elle inondait parfois les parties basses de la ville, comme l’île de la Cité ou certains quartiers de la rive droite.
Mais pourquoi une cité en ce point déterminé de la Seine et pas ailleurs ? En cet endroit, l’ancien cours de la Seine était marqué par un « seuil », c’est-à-dire un haut fond formant une sorte de barrage naturel immergé ralentissant la marche de la rivière. Dans ce bief tranquille s’est trouvée favorisée la sédimentation des îles d’origine : la Cité, l’île Saint-Louis, l’île aux Vaches, l’île Louvier. Bien entendu, ceci n’est plus du tout perceptible de nos jours maintenant que la rivière est depuis longtemps canalisée, alors qu’aux temps anciens, elle s’étalait paresseusement en cet endroit sur plusieurs centaines de mètres de largeur. Il y a des milliers d’années, la Seine suivait même un itinéraire différent de son cours actuel : elle décri-
avait une large boucle vers le nord, qui passait approximativement par l’actuelle place de la République et la gare Saint-Lazare, puis redescendait à hauteur du pont de l’Alma.
Avec le temps, les petites îles en amont de la Cité ont été solidarisées. Cette formation topographique particulière a permis le franchissement de la rivière à gué lors des basses eaux, et par un bac permanent en eaux moyennes et hautes. On conçoit que le point de passage obligatoire de la voie terrestre primitive traversant la Seine, l’axe actuel rue Saint-Jacques — rue Saint-Martin, ait engendré tout naturellement la première agglomération urbaine, laquelle se constitua dans la plus grande des îles du seuil : la Cité.
Pour cette cité fluviale,un destin de capitale
La petite bourgade gauloise déborda ensuite sur la rive sud de la Seine, car la rive droite était moins accueillante, faite de marécages et du « Marais ». Très tôt Lutèce a possédé un important collège de « Nautes » trafiquant sur la rivière et concourant au mouvement général des marchandises. Le port gallo-romain de Lutèce se trouvait dans le Petit Bras, au milieu de l’agglomération à la fois riveraine et insulaire, les bateaux accostant au rivage de la Cité et à la rive gauche de la rivière au port de la Tournelle.
Puis vint la période sombre de la fin de l’Empire et des grandes invasions. Les villes se resserrent à l’intérieur d’une ceinture de murailles construites avec les débris des monuments romains ; Lutèce, qui devient Paris, se replie dans la forteresse de son île et organise son autosuffisance ; la vie se localise autour de l’église cathédrale et dans les abbayes périphériques vouées aux saints parisiens.
Une fois les Vikings transformés en Normands, le commerce renaît, avec le trafic fluvial et la batellerie. C’est l’époque de la « Hanse des marchands parisiens » qui portent au loin les “vins de France”. Avec l’affirmation du pouvoir royal, Paris va connaître un développement qui ne s’arrêtera plus. La France se constitue et Paris en bénéficie. Les fortunes de l’une et de l’autre sont liées, le développement de la capitale se nourrissant de l’unification, puis de la centralisation de notre pays. La batellerie, perpétuellement croissante elle aussi, va être pendant plusieurs siècles l’agent matériel du transport des matières, des produits et des hommes qui ont permis la vie et le développement de notre capitale. Mais réciproquement, la croissance de la ville elle-même va jouer un rôle primordial dans l’évolution et l’organisation de la navigation fluviale.
La ville étrangle progressivement sa rivière
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, Paris a progressivement étranglé la Seine, resserrant et surhaussant son lit, c’est-à-dire accentuant artificiellement le seuil naturel qui avait fait naître l’agglomération d’origine. Le resserrement du cours d’eau s’est opéré de manière irréversible pour plusieurs raisons : en principal, l’édification des murs de quais, véritables remparts protecteurs contre l’invasion des eaux aux périodes de crues, construits de siècle en siècle en avant les uns des
Autres par conquête progressive sur le lit et devenant eux-mêmes les murs de soutènement du sol de la capitale, lequel n’a cessé de se surélever. En second lieu, par la construction de ponts successifs de plus en plus rapprochés, conçus avec des arches réduites supportées par des piles épaisses et nombreuses, pour mieux résister à la force des crues et aux effets des embâcles et des débâcles. Enfin, par l’établissement dans le lit même de la rivière, de constructions fixes telles que pompes, estacades, moulins à eau formant des obstacles accessoires à l’écoulement des eaux.
De nos jours, certains points de repère historiques permettent encore de mesurer ce phénomène de manière saisissante. Ainsi, lorsque les visiteurs sont conduits dans les cuisines gothiques de l’ancienne Conciergerie, ils apprennent que les provisions de bouche et matériaux divers arrivant par bateau sous Philippe Le Bel étaient déchargés sur la berge et entraient de plain-pied dans les cuisines et les cours, alors que les bases des vénérables tours du palais capétien baignaient dans le fleuve. Aujourd’hui, on voit derrière les fenêtres desdites cuisines se profiler le Quai de l’Horloge qui les surplombe de quelque 4 mètres, et dont l’autre trottoir domine le fleuve par un à-pic de 6 à 7 mètres.
De même, on sait qu’au Moyen Âge, la Place de Grève, rendez-vous des ouvriers sans travail qui venaient y faire “la grève”, descendait en pente douce depuis l’Hôtel de Ville jusqu’à la Seine, où les bateaux plats venaient accoster pour être déchargés, leur avant pouvant être tiré sur la berge. Il n’est que de se pencher au-dessus de la balustrade de l’actuel Pont d’Arcole pour mesurer la dénivellation contemporaine !
Le processus d’engorgement de la Seine
Ce resserrement s’est accompagné d’un rehaussement du lit de la rivière, provoqué par les accumulations de gravats provenant des destructions et reconstructions fréquentes des ponts et des maisons qui les surmontaient, ou des moulins qui les encombraient. S’ajoutent à cela les pertes de matériaux lors des opérations de déchargement des bateaux, les dépôts constitués par les épaves provenant des naufrages en rivière, le tout englué par les rejets divers de toute une population pendant des centaines d’années durant lesquelles le fleuve était devenu l’égout naturel de la ville.
L’étranglement progressif de la Seine ne s’est pas produit simultanément dans les bras qui enserrent l’île de la Cité, mais d’abord au Sud dans le Petit Bras, puis au Nord dans le Grand Bras.
L’engorgement progressif du bras Sud pendant un millénaire fait passer une part toujours plus grande du courant de la rivière dans le bras Nord qui devient d’autant plus grand et par conséquent d’autant mieux navigable que le premier devenait plus petit et plus impraticable ; cette évolution devait déboucher nécessairement sur un déplacement de la navigation et de ses infrastructures du Sud au Nord ; le chemin de halage, le port, puis le développement urbain accompagnant nécessairement le chenal navigable.
C’est l’achat de la “Grève” par les “Marchands de l’eau” en 1141 qui marque le début de l’histoire moderne de la ville ; dorénavant, Paris va se développer plus particulièrement sur la rive droite, autour du Port de Grève et le long du Grand Bras ; dès lors, le phénomène de l’engorgement progressif va se manifester également à cet endroit.
Mais l’engorgement du Grand Bras a un effet différent de celui du Petit Bras, car dorénavant le “barrage urbain” est complet, il va d’une rive à l’autre de la Seine sans laisser de bras ouvert au courant de la rivière et à la navigation ; chaque rétrécissement, chaque relèvement du fond va provoquer une élévation du niveau de l’eau en amont et va accroître la dénivellation entre l’aval et l’amont de la cité. Pendant la crue de 1910, la différence des niveaux de surface de la Seine entre l’amont et l’aval de la Cité est de près de 1 mètre ; au XVIIe siècle, elle atteignait 1,70 mètre...
Incidence sur la navigation
Du port de Grève à la pointe en aval de la Cité, la rivière coule désormais dans un lit artificiel, encaissé, encombré et à forte
Le courant est violent dans cette “gorge” urbaine où la Seine se transforme presque en “rapide”. Le point le plus dangereux de ce parcours est formé par les deux ponts qui se succèdent à peu de distance l'un de l'autre, aujourd'hui le pont Notre-Dame et le pont au Change. Leurs arches sont étroites, nombreuses et encombrées d'installations fixes. De plus, les arches marinières sont mal placées les unes par rapport aux autres ; dans le pont au Change, c'est l'« Arche du Diable » terriblement dangereuse ; les accidents avec mort d’hommes y sont innombrables. Cet endroit redouté des maîtres de pont et de leurs aides était appelé la “vallée de misère”.
Paris d’aval et Paris d’amont
Le tableau classique du Paris de l'Ancien Régime est celui d’une ville coupée en deux par sa rivière, avec une “rive droite” et une “rive gauche”, réunies par des ponts déjà nombreux, bordés de maisons qui leur donnaient l'aspect de véritables rues. Mais cette vision ne correspond pas tout à fait à la réalité économique et sociale : à vrai dire, la capitale est partagée en deux parties, le Paris d’aval et le Paris d’amont, séparées par l'invisible “vallée de misère”, laquelle interrompt la route de l'eau. La rupture du trafic en cet endroit forme une véritable séparation urbaine, qui étend ses effets au bassin de la Seine tout entier.
Car économiquement parlant, Paris est en effet le point d’aboutissement des deux flux commerciaux provenant l'un de l’amont et l'autre de l’aval, en même temps qu'il est l'obstacle qui les sépare.
Paris d’amont, essentiellement portuaire et batelier, actif, commercial, populaire, reçoit le très important trafic descendant porté par le courant de la Seine et de l’Yonne et, au-delà, par le canal de Briare, du Val de Loire et du Centre de la France. Paris d’aval — royale rive droite et aristocratique rive gauche — n’a qu'une faible activité commerciale alimentée par une batellerie peu nombreuse parce que plus coûteuse, car elle doit remonter la rivière à grand renfort de chevaux. Là, le pouvoir royal grandissant va étendre librement ses constructions, ses jardins et ses perspectives prestigieuses sur de vastes espaces que le commerce et l'industrie ne lui disputent pas.
Sous l’Ancien Régime, l'utilisation par la navigation des seuls moteurs naturels — halage animal et humain, vent et courant — a une influence déterminante sur l’orientation des trafics commerciaux et, par voie de conséquence, sur l’emplacement et le développement des zones de production.
En aval de Paris, la nécessité d’utiliser le halage pour “monter” vers Paris les bateaux chargés grève lourdement le prix du transport.
De l’amont vers Paris, au contraire, l’utilisation du courant allège d’autant le prix du fret descendant.
Il résulte de ces différences dans les prix de transport que les produits venant d’amont bénéficient, une fois rendus à Paris, d'un prix de revient plus bas que ceux provenant d’aval. Ces données expliquent en partie l’intensité du trafic fluvial sur la Seine et ses affluents en amont de la capitale, qui durera jusqu’à l'invention de la machine à vapeur...
La ville retrouve son fleuve
Mais de nos jours, a-t-on seulement le temps de penser à toutes les peines et aux détresses de ces mariniers de Seine de naguère lorsque l’on emprunte la désormais contestée voie express Georges-Pompidou, précisément à l’endroit où elle longe l'ancienne vallée de misère qui aura connu un nouveau resserrement ? La seule “misère” maintenant — si l’on peut dire — est celle des automobilistes qui doivent restituer de temps en temps à la rivière cette voie sur berge, lorsque la Seine se rappelle à nous en la reprenant d'autorité en période de crue...
Ils doivent désormais la partager avec les Parisiens, qui redécouvrent peu à peu leur fleuve. Il en est ainsi de l’opération Paris-Plage qui s’est déroulée du 21 juillet au 18 août 2002 : trois kilomètres d’animations culturelles, sportives et ludiques le long des voies sur berges, rive droite. Mais aussi des plages, parasols, terrasses, buvettes, transats, palmiers... Les Parisiens et les touristes ont ainsi pu découvrir Paris sous un nouveau jour... celui des vacances ! Plus de 2 millions de personnes ont participé à cette opération. Parisiens, habitants de la banlieue, touristes se sont ainsi appropriés avec bonheur cet espace de convivialité, de détente, d’animation et de sport.