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Histoire d'eau : L'IRD reconstitue un gigantesque effondrement sous-marin au nord de la Nouvelle-Zélande

30 juillet 2001 Paru dans le N°243 à la page 74 ( mots)

En 1993, des géophysiciens de l'IRD en collaboration avec le CNRS et l'Université de Nice (UMR Géosciences Azur)(1) et des chercheurs néo-zélandais du National Institute of Water and Atmosphere Research découvraient un gigantesque effondrement sous-marin survenu il y a 170 000 ans environ, sur la marge continentale active, à proximité des côtes nord de la Nouvelle-Zélande, le long de la zone de subduction de Kermadec- Hikurangi. Des études complémentaires menées de 1995 à 1999 permettent aujourd'hui de reconstituer les bouleversements créés sous la mer par l'effondrement de Ruatoria, de dater l'événement et d'en préciser les causes.

[Photo : Morphologie des fonds marins autour de la Nouvelle-Zélande et localisation de l’avalanche de Ruatoria.]

Régions sous-marines situées à la frontière entre le continent et les grands fonds océaniques, les marges continentales sont instables. Cette instabilité se manifeste par des glissements ou des effondrements sous-marins, parfois catastrophiques, pouvant entraîner une portion de côte vers les profondeurs de l’océan ou provoquer des raz de marée locaux. Rares à l’échelle humaine, mais fréquents à celle des temps géologiques, les effondrements qui

[Photo : L'avalanche de Ruatoria en 3D obtenue par cartographie bathymétrique multifaisceaux.]

Les glissements de terrain sous-marins se produisent sur toutes les marges continentales ; ils sont particulièrement spectaculaires et violents sur les flancs de grands volcans océaniques (Hawaï, Canaries, Vanuatu…) et sur les pentes sous-marines des marges dites « actives ». Outre leurs impacts sur les côtes, ces processus géologiques sous-marins pourraient avoir une influence, plus globale, sur le climat car ils libèrent une grande quantité de gaz à effet de serre, essentiellement du méthane piégé dans les sédiments. Les causes des glissements ou effondrements sous-marins sont multiples : séismes, déformation tectonique, variations du niveau marin, épaississement rapide des sédiments de la marge…

CNRS, Université de Nice, Université Paris VI et IRD

(1) Régions de déformation intense, où une plaque lithosphérique s'enfonce progressivement en subduction sous une plaque adjacente.

De 1993 à 1999, des chercheurs de l’IRD en collaboration avec le CNRS et l’Université de Nice (UMR Géosciences Azur) et des chercheurs néo-zélandais du National Institute of Water and Atmosphere Research ont conduit une étude géophysique d'une marge continentale active, située à proximité des côtes du nord de la Nouvelle-Zélande, le long de la zone de subduction de Kermadec-Hikurangi. Une première campagne réalisée à l'aide du sondeur bathymétrique multifaisceaux embarqué sur le navire océanographique de l’Ifremer, L’Atalante, a permis d’identifier un effondrement exceptionnel de la marge ayant provoqué une gigantesque avalanche. À la suite d'études géophysiques et géologiques menées ultérieurement, les chercheurs ont pu reconstituer la morpho-structure de l’effondrement, analyser les dépôts de l'avalanche, dater les événements et en déterminer les causes.

L'effondrement exceptionnel a provoqué une gigantesque avalanche dont les dépôts représentent un volume de plus de 3 000 km³, couvrent une surface de 3 400 km² et ont une épaisseur allant jusqu’à 2 km. Une cartographie 3D de l’effondrement offre une idée précise de l’ampleur du phénomène (cf. figure jointe). Sous l’effet de la gravité et des contraintes tectoniques, une énorme por-

[Photo : Le navire océanographique L’Atalante et son sondeur bathymétrique multifaisceaux.]
[Photo : Coupe verticale de sismique réflexion montrant la structure interne de l’avalanche.]

Bibliographie

Jean-Yves Collot, Keith Lewis, Geoffroy Lamarche, Serge Lallemand, « The giant Ruatoria debris avalanche on the Northern Hikurangi Margin, New Zealand: result of oblique seamount subduction », Journal of Geophysical Research, 2001 sous presse.

Une portion (40 × 35 km environ) de la pente continentale sous-marine s'est détachée à 1 200 m de profondeur, laissant une cicatrice de près de 1 500 m de hauteur, témoin de la violence de la rupture. Celle-ci a éclaté en une centaine d'immenses blocs sédimentaires (supérieurs à 1 km) ; le plus important atteint 18 km de long et plus de 2 km de haut tandis qu'une vingtaine sont de dimension supérieure à 5 km. Leur déplacement sur près de 50 km sur la plaine abyssale (~ 3 500 m) atteste de l'énergie libérée lors de l'effondrement.

Des profils de sismique réflexion, obtenus à partir d'ondes acoustiques émises par un canon à air et enregistrées par une longue chaîne d'hydrophones tractée par un navire, ont précisé l'épaisseur et la structure géologique des dépôts de l'avalanche. Les images montrent que, bien qu'ils aient été transportés et aient éclaté, certains blocs ont conservé leur fine structure sédimentaire originelle. Les blocs sont inclus dans une matrice sédimentaire complexe, l'ensemble atteignant 1 à 2 km d'épaisseur. D'autres images sismiques indiquent que les sédiments initialement présents sur la plaine abyssale ont été fortement perturbés par l'avalanche et ont été recouverts par une coulée boueuse dense, épaisse de 100 m et s'étalant jusqu'à environ 100 km vers le large. En analysant des carottes prélevées dans la fine couverture sédimentaire (80-100 m) masquant les dépôts de l'avalanche et de la coulée, les géologues ont pu dater cet événement majeur qui serait survenu il y a 170 000 ans environ.

Plusieurs indices suggèrent que cet effondrement résulte, pour partie, du passage en subduction d'un ou plusieurs volcans sous-marins. Transportés comme sur un tapis roulant par la plaque Pacifique à une vitesse de 6 cm par an, ils seraient entrés en collision avec la marge continentale néo-zélandaise il y a 1,5 à 2 millions d'années, l'auraient soulevée et déformée, avant qu'elle ne s'effondre dans leur sillage il y a environ 170 000 ans.

[Photo : Document Journal of Geophysical Research – L’avalanche de Ruatoria, marge d’Hikurangi, Nouvelle-Zélande.]

Actuellement, les chercheurs de l'UMR Géosciences Azur poursuivent l'étude de l'effondrement de Ruatoria. Ils tentent également de décrypter d'autres glissements sous-marins en rapport avec l'activité sismique des marges actives du Pacifique sud-ouest et des Andes dans le cadre de programmes sur les instabilités sédimentaires.

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