Sir Richard Wallace, amateur d'art et philanthrope, naquit à Londres en 1818, fils naturel du quatrième marquis de Hertford et d'Agnès Jackson, née Wallace.
Il passa la plus grande partie de sa jeunesse à Paris, où son père était richement installé au n° 2 de la rue Laffitte, ainsi qu'à Bagatelle, dans le Bois de Boulogne. Sa grand-mère paternelle, sa première protectrice, habitait elle-même rue Taitbout.
Adopté par la société parisienne du Second Empire, il connut Baudelaire, Flaubert, Théophile Gautier, et fut l'ami des peintres et artistes de l'époque tels que Meissonnier, Géricault, Vernet… Il devint l'assistant fidèle de son père pour l'achat des œuvres d'art et contribua à l'extension indéfinie d'une collection inestimable de tableaux, d’armes, meubles et bibelots d’art, enrichie depuis trois générations de Hertford.
Le marquis mourut à Paris en 1870, non marié. Il fut enterré au Père-Lachaise, et les titres nobiliaires passèrent à un cousin anglais. Mais il légua à son fils Richard toutes ses propriétés en Angleterre, en Irlande et, à Paris, toutes ses collections et une immense fortune. Ce fils devint Sir Richard Wallace.
C'est alors que Sir Richard, qui vécut à Paris les années de la guerre franco-allemande de 1870, le siège de Paris et la Commune, se révéla un philanthrope pour ses concitoyens parisiens si éprouvés lors de ces années terribles.
Sir Richard avait eu lui-même un fils, né en 1840, de Mademoiselle Julie-Amélie Castelnau, fille d'un officier français, avec laquelle il se maria en 1871. Ce fils, Edmond Richard Wallace, servit dans l’armée française en 1870, capitaine de cuirassiers de la garde impériale et aide de camp du général Vinoy.
On dit que Sir Richard dépensa au total 2 500 000 F (de l’époque) en diverses œuvres charitables, notamment : 300 000 F pour organiser l'ambulance militaire qui suivit le 13ᵉ Corps pendant la guerre de 1870, 100 000 F pour les victimes du bombardement de Paris, ouvrant à ses frais un hôpital franco-britannique, distribuant des vivres et plus tard offrant des « fontaines-à-boire » à la ville de Paris.
En remerciement de ces libéralités toujours prodiguées avec la plus grande distinction — celle d'un gentleman — Thiers le fit commandeur de la Légion d'honneur, tandis que la reine d'Angleterre Victoria l'élevait au rang de baronnet.
De 1873 à 1885, il siégea au Parlement anglais, tout en continuant à séjourner de préférence à Paris parmi ses œuvres d’art. Il fut commissaire britannique à l’exposition de 1878, expert à la National Gallery de Londres, et mourut à Paris en 1890, à 72 ans, trois ans après son fils. Selon son désir, il est inhumé au Père-Lachaise dans le caveau familial.
Sa veuve, Lady Wallace, qui lui survécut jusqu’en 1897, légua à la nation anglaise toute la prestigieuse collection d’art qui se trouve réunie sous le nom de « Wallace Collection » à la Hertford House, Manchester Square à Londres.
DES FONTAINES À BOIRE
Sir Richard avait été témoin de la misère publique, et notamment du manque d'eau dont souffrait la capitale pendant les années terribles du siège de Paris et de la Commune. Il manifesta sa sollicitude une fois de plus à ses concitoyens en offrant en septembre 1872 de doter la ville de Paris de « 50 fontaines-à-boire », à établir sur les points les plus utiles pour permettre aux passants de se désaltérer. Des fontaines de ce genre existaient à Londres.
L’offre fut acceptée, et M. Belgrand, alors Directeur du Service des Eaux et Égouts, donna les instructions pour déterminer les emplacements en question et la pose commença dès 1873 aux frais de la Ville « Sir Richard n’ayant pas entendu prendre à sa charge les frais de pose, qui s’élevaient à 500 francs par fontaine » (précisent les rapports de l’époque).
La célérité des services municipaux porte témoignage de la rapidité du relèvement français après le désastre de 1870.
Les chroniqueurs assurent que ces fontaines furent bien accueillies et que l’on voyait aux beaux jours de nombreux citadins – et citadines – s’emparer du petit gobelet et boire avec satisfaction la bonne eau fraîche généreusement distribuée.
Sir Richard Wallace avait cédé en toute propriété le modèle de ses fontaines au fondeur-constructeur, et devant le succès remporté, la Ville de Paris décida d’en commander 30 de plus pour son compte, qu’on baptisa en hommage au donateur « fontaines Wallace », terme qui remplaça celui de « fontaines-à-boire ».
Si l’on ajoute qu’en 1894 un ancien architecte de la Ville de Paris, François-Eugène Dejean, légua à son tour six fontaines à la ville, c’est en tout 86 fontaines Wallace qui existèrent dans le Paris de la Belle-Époque, à la fin du siècle dernier.
Un rapport du 24 juillet 1880, de l’ingénieur en chef adjoint au Directeur des Travaux de la Préfecture de la Seine, précise aussi que : « … M. Levasseur, secrétaire de M. Richard Wallace, … a ajouté que celui-ci payait lui-même au fondeur-constructeur la somme de mille francs pour chaque fontaine qu’il commandait et qu’il a fait don d’un certain nombre de ces appareils à diverses communes telles que Neuilly, Courbevoie, Puteaux, Suresnes, Vincennes, mais qu’il se refuse à continuer plus longtemps. »
ces libéralités qui prenaient un caractère abusif...
Dix ans après 1870, le problème de la distribution d’eau potable commençait à être maîtrisé.
DES PETITS ÉDIFICES GRACIEUX
Pour l'éminent collectionneur et amateur d'art qu’était Sir Richard, il ne s’agissait pas seulement de fournir une coupe secourable au passant altéré, mais aussi de planter un décor qui contribuerait à embellir la rue.
Il dessina lui-même le croquis de sa « fontaine-à-boire », et confia l'exécution du modèle au sculpteur nantais Charles-Auguste Lebourg (1830-1906), élève de Rude et à qui l’on doit entre autres un « Enfant à la sauterelle » et une « Prêtresse d’Eleusis », exposés au Musée de Nantes, une « Jeanne d'Arc à Patay », également à Nantes, et une statue de Saint-Jacques (Paris, église de la Trinité).
Lebourg s'inspira visiblement des trois grâces de Germain Pilon, qui devinrent quatre cariatides dans lesquelles on pourrait reconnaître la simplicité, la bonté, la sobriété et la charité.
Ces cariatides, un peu les sœurs des porteuses de torche de la même époque entourant l’Opéra, supportent un petit dôme pointu
LES FONTAINES WALLACE DE PARIS
50 FONTAINES « GRAND MODÈLE »
3e arrondissement (1) 1. Boulevard de Sébastopol, square Chautemps. 4e arrondissement (4) 2. Place Louis-Lépine, côté Chambre de commerce. 3. Place Louis-Lépine, côté Hôtel-Dieu. 4. 7, boulevard du Palais. 5. 123, rue Saint-Antoine. 6e arrondissement (4) 6. Place Saint-Germain-des-Prés. 7. Place Saint-Sulpice. 8. Pont Neuf – Quai des Grands-Augustins. 9. Plateau Vavin-Bréa. 8e arrondissement (2) 10. Champs-Élysées, chevaux de Marly, côté Nord. 11. Champs-Élysées, chevaux de Marly, côté Sud. 10e arrondissement (2) 12. Rue Juliette-Dodu, angle rue de la Grange-aux-Belles. 13. Place Jacques-Bonsergent. 11e arrondissement (6) 14. 143, rue de la Roquette. 15. 197, boulevard Voltaire. 16. 44, rue Jean-Pierre Timbaud. 17. 94, rue Jean-Pierre Timbaud. 18. 1, boulevard Richard-Lenoir. 19. 89, boulevard Richard-Lenoir. 12e arrondissement (3) 20. Cours de Vincennes, face au boulevard de Picpus. 21. Avenue de Saint-Mandé, angle rue du Rendez-Vous. 22. Rue Descos, face Mairie du 12e arrondissement. 13e arrondissement (1) 23. 2, avenue d’Italie. 14e arrondissement (4) 24. Avenue Reille, angle rue Nansouty. 25. Place Jules-Hénaffe. 26. Boulevard Edgar-Quinet, angle rue de la Gaîté. 27. Place Denfert-Rochereau, côté pair du boulevard Raspail. 15e arrondissement (3) 28. Place Henri-Rollet. 29. Carrefour Sèvres-Lecourbe (2, bd Pasteur). 30. Place du Général-Beuret. 16e arrondissement (5) 31. 194, avenue de Versailles. 32. 10, boulevard Delessert. 33. Place Jean-Lorrain. 34. Rue de Rémusat, angle rue Mirabeau. 35. Place de Passy. 17e arrondissement (6) 36. 112, avenue de Villiers. 37. Place Aimé-Maillart. 38. 15, avenue Niel. 39. Avenue des Ternes, plateau Pierre-Demours. 40. 1, avenue de Wagram. 41. Boulevard des Batignolles, face au n° 12. 18e arrondissement (3) 42. Place Emile-Goudeau. 43. Boulevard de Rochechouart, face au n° 42. 44. Rue Saint-Eleuthère, angle rue Azais. 19e arrondissement (1) 45. Boulevard de la Villette, face au n° 214. 20e arrondissement (5) 46. Rue Belgrand, angle rue de la Py. 47. 29, boulevard de Ménilmontant. 48. Place Emile-Landrin. 49. 42, rue Etienne-Dolet. 50. Rue Belgrand, face au n° 6.
13 FONTAINES « PETIT MODÈLE »
11e arrondissement (5) 51. Boulevard Richard-Lenoir, face au n° 22. 52. Boulevard Richard-Lenoir, face au n° 42. 53. Boulevard Richard-Lenoir, face au n° 96. 54. Boulevard Richard-Lenoir, face au n° 99. 55. Boulevard Richard-Lenoir, face au n° 169. 13e arrondissement (1) 56. Place Paul-Verlaine. 15e arrondissement (3) 57. Place Henri-Rollet. 58. Carrefour Sèvres-Lecourbe (2, bd Pasteur). 59. Place Charles-Michels. 20e arrondissement (5) 60. Place Saint-Charles. 61. Place Georges-Mulot. 17e arrondissement (1) 62. 5, place de Lévis.
1 « FONTAINE-APPLIQUE »
5e arrondissement 101. Rue Geoffroy-Saint-Hilaire, angle rue Cuvier.
qui donne à l'ensemble un aspect très Renaissance ; du centre de ce dôme coule en permanence à l’intérieur un jet d’eau potable qui tombe dans une vasque protégée par une grille.
Le groupe statuaire se dresse sur un haut et solide socle à huit pans, reposant lui-même sur une semelle en maçonnerie. La hauteur atteint 2,71 m à la pointe du dôme.
Ce sont les fontaines « grand modèle », et Sir Wallace pensait qu’« il serait dommage d’en diminuer la grandeur, car elle est de bonne proportion, mais qu’il ne s’y opposerait pas toutefois si la Ville de Paris jugeait à propos de le faire ».
Une variante en est la « fontaine-applique », qui fut recommandée par Sir Richard lui-même comme « étant moins coûteuse et pouvant
être établie dans toutes les mairies, hôpitaux, casernes, ministères et autres édifices publics, et qui rendrait d'immenses services sans prendre beaucoup de place».
La Ville de Paris ayant bien sûr le droit de poser des fontaines d'un autre type, il fut établi un troisième modèle, la fontaine «petit-modèle», qui porta également le nom de fontaine Wallace et dont un certain nombre furent comprises dans la dotation complémentaire de la Ville.
Ces trois types de fontaines Wallace sont des pièces de fonderie, en «fonte de fer», coulées par le constructeur-fondeur, la S.A. des Hauts-Fourneaux et Fonderies du Val d’Osne (spécialiste de la fonderie d’art monumentale), en Haute-Marne, qui existe toujours. Actuellement, ce genre de pièces sont coulées par la Société Générale d’Hydraulique et de Mécanique de Sommevoire, toujours en Haute-Marne.
DES PETITS ÉDIFICES ROBUSTES
Le grand modèle pèse 700 kg, le petit modèle 130 kg. On voit que la grande fontaine «tient sur ses pieds». Sa conception robuste lui a permis de traverser deux guerres, une occupation et de défier tous les remous parisiens de la rue.
Il est curieux même qu’elles aient été respectées, ces fontaines, par les occupants de 1940-1945, qui se sont privés d'un beau poids de fonte ! Néanmoins, les exemplaires cassés n’ont pas été remplacés, ce qui explique la disparition d'une bonne vingtaine (en un siècle).
Le prix, à l’origine, était de 1 000 F et est resté stable pendant longtemps comme le franc de l’époque. Aujourd’hui, on coule toujours des «grands modèles», pour des particuliers amateurs d’art ou pour des villes, à un prix de l’ordre de 150 000 F actuels. C’est dire qu’il s’agit là d’un objet d’art qui constitue un bon placement ! On en trouve à l'étranger, jusqu’au Cap de Bonne-Espérance et en Mozambique. Maurice Chevalier avait sa fontaine Wallace dans sa propriété de Marnes-la-Coquette...
OÙ SONT-ELLES À PARIS ?
La Ville de Paris possède encore 64 fontaines Wallace, dont 50 fontaines «grand modèle», 13 fontaines «petit modèle» et une «fontaine-applique».
Les arrondissements restant les plus favorisés sont le 11e (avec 11 fontaines des deux modèles) et le 15e (neuf fontaines des deux modèles) et la plus populaire des fontaines «grand modèle», était la 19e, celle du 89, boulevard Richard-Lenoir, à l'angle du boulevard Voltaire, parce qu'elle se trouvait placée lors de la Foire à la ferraille au milieu d’un stand de bric-à-brac qui était assailli par les chalands désirant l’acheter. Elle trouva ainsi en un demi-siècle des centaines d’amateurs.
ELLES MARCHENT TOUTES : L’EAU COULE JOUR ET NUIT...
Les services compétents de la Préfecture de Paris s'emploient avec application à maintenir tous ces fontaines Wallace en bon état permanent de fonctionnement et d'entretien.
La dépense la plus importante actuellement pour leur entretien est la remise en peinture, tous les deux ans, car notre eau parisienne est légèrement calcifiante et le petit jet d'eau éclabousse constamment. Elles sont nettoyées chaque année et l'on peut boire leur eau en toute sécurité : se munir d'un gobelet, car les gobelets d'origine ont été supprimés en 1952 «par mesure d'hygiène», sur demande du Conseil d'Hygiène Publique du Département de la Seine.