Une question qui se présentait fréquemment aux discussions du Conseil municipal de la ville de Paris en 1880, était celle de l'épuration et de l'utilisation des eaux vannes ou eaux d'égout avant leur déversement dans la Seine. Pour se rendre compte de l'importance de cette question et de la difficulté d'une solution complète, il faut examiner la manière dont elle se posait.
Quand les égouts parisiens, recevant à peine cinquante mètres cubes d'eaux vannes, se déversaient directement dans la Seine, le fleuve se trouvait infecté sur tout son parcours, de Bercy au Point du Jour. En 1880, la longueur totale des égouts parisiens de toutes dimensions était de 545 kilomètres et la quantité quotidienne d'eaux vannes qu'ils recueillaient s'élevait à plus de 250 000 mètres cubes. Si cette quantité d'eaux souillées avait continué comme jadis à couler directement dans la rivière, les quartiers des environs des quais seraient devenus inhabitables. Le déversement direct des égouts parisiens n'avait plus lieu que dans
[Publicité : DAYDÉ & MERLIN]
[Publicité : Somzée-Lavril-S.A.V.]
des circonstances exceptionnelles, en cas de pluies d'orage par exemple ; en temps ordinaire, les eaux vannes étaient recueillies sur les deux rives de la Seine par de grands égouts qui les conduisaient aux collecteurs de Clichy et de Saint-Denis débouchant en rivière. L'énorme quantité d'eau qui s'écoulait du premier de ces collecteurs formait sur un côté de la Seine une zone liquide d'un gris terreux, ardoisée, d'apparence à demi huileuse, d'odeur fétide, composée de toutes les eaux ménagères, des liquides de fosses d'aisances, dans laquelle ne pouvaient vivre ni plantes ni poissons. Ce courant coulait devant Saint-Denis, Argenteuil, Maisons-Laffitte, le Pecq et bien au-delà, sans cesse entretenu et grossi par les eaux vannes de ces communes et infecté par les liquides nauséabonds que rejetaient les teintureries, les fabriques d'engrais, les boyauderies, les ateliers d'équarrissage, les usines de tous genres, repoussés des centres habités et qui s'échelonnaient sur les bords du fleuve.
Indépendamment qu'elles infectaient les eaux du fleuve et empoisonnaient l'atmosphère, les eaux vannes laissaient déposer sur le sol les matières terreuses et les détritus de toute nature qu'elles tenaient en suspension, et des dépôts se formaient qui élevaient le fond et, à l'époque des basses eaux, répandaient aux alentours des miasmes dangereux.
La ville de Paris, n'ayant pas le droit de confisquer le fleuve à son profit exclusif pour en faire l'exutoire de ses eaux d'égouts, dut étudier les moyens de purifier ces eaux avant de les rejeter en Seine, ou chercher à les déverser ailleurs que dans le fleuve.
Le filtrage et la purification par procédés chimiques essayés ayant été reconnus trop dispendieux sinon impossibles, les ingénieurs eurent l'idée de les filtrer en les faisant couler sur des terrains perméables, et comme ces eaux sont très riches en matières organiques fertilisantes, ils pensèrent qu'on pourrait utiliser les terrains filtrants pour certaines cultures maraîchères.
Dans ce but, la ville de Paris acquit en 1868, près de Gennevilliers, 115 hectares de terrains sablonneux, infertiles, et fit monter au débouché de l'égout collecteur d'Asnières des pompes à vapeur pour envoyer sur ces terres une quantité énorme d'eaux vannes.
Celles-ci se distribuèrent dans des rigoles en s'écoulant à travers le sol, après avoir abandonné la plus grande partie des matières tenues en suspension. De l'intérieur du sol, elles couraient vers la rivière en filets invisibles comme les eaux des sources naturelles.
Les légumes, choux, carottes, navets, betteraves, cultivés sur ces terrains et sur d'autres appartenant à des cultivateurs à qui la Ville distribuait l'eau d'égout, étaient merveilleux d'aspect, il n'y a pas à en douter ; Mais
[Publicité : Système « Septic Tank »]
Nombre de personnes prétendaient que, trop aqueux, ils étaient sans saveur et ne se conservaient pas.
Cette question de la qualité plus ou moins bonne des légumes aurait été tout à fait secondaire si on avait pu être assuré que la terre conserve longtemps la faculté de filtrer les eaux vannes ; mais il n'en fut pas ainsi, car, après une période plus ou moins longue, il se forma sur le sol une espèce de feutre d'apparence glaiseuse imperméable, et, au lieu de s'écouler, les eaux séjournèrent, transformant le terrain en marécage.
Cependant, satisfaits des essais de Gennevilliers, les ingénieurs de la ville de Paris voulurent étendre leurs expériences sur une étendue beaucoup plus vaste que la plaine de Gennevilliers. Une opposition des plus vives s'éleva alors contre eux de la part des communes voisines. On allégua que le voisinage du champ d'expérience engendrait des fièvres ; que les eaux vannes incomplètement filtrées viciaient les eaux des puits, et, trop abondamment répandues, élevaient le niveau de la couche aquifère existant sous la plaine de Gennevilliers, causant l'inondation des caves et détruisant les fondations des maisons. Trop d'intérêts particuliers furent en jeu pour que l'on puisse dire qui, des ingénieurs de la Ville ou des habitants de la plaine, a tort ou raison dans cette question de l'extension du filtrage des eaux vannes sur des territoires fortement peuplés.
Repoussée de Gennevilliers, la ville de Paris dut étudier le projet de conduire les eaux d'égout puisées à Clichy jusqu'au milieu de la forêt de Saint-Germain. Refoulées par des pompes d'une force de 250 chevaux-vapeur dans des conduites de fort diamètre, ces eaux traverseraient la Seine sur un pont-aqueduc ou par une conduite siphon et se déverseraient sur mille hectares choisis entre Maisons-Laffitte et Saint-Germain. Sur cet espace, elles seraient, comme à Gennevilliers, bien absorbées par le sol, s'y filtreraient en lui abandonnant les matières organiques fertilisantes tenues en suspension et s'écouleraient vers la Seine, après un trajet souterrain plus ou moins long. La dépense nécessitée par cet ensemble de travaux n'était pas encore bien arrêtée ; mais on estimait qu'elle irait, y compris quatre millions pour l'achat du terrain en forêt, à une vingtaine de millions.
Afin de faire bien saisir au Conseil municipal l'ensemble du projet, les promoteurs, les ingénieurs du service hydraulique de la ville de Paris, lui firent parcourir, en 1880, les terrains choisis comme filtres et les territoires traversés par les conduites.
L'aqueduc projeté suivait entre Gennevilliers et Argenteuil la dépression de terrain presque droite que l'on appelle le fossé de l'Aumône, et traversait la rivière en siphon à un point au-dessous de Poissy. Il parvenait enfin dans ce canton de la forêt qui occupait aux environs d'Achères et d'Andrésy une partie de la presqu'île circonscrite par la Seine, coulant d'Épinay et de La Frette à Poissy. Mais les villages d'Herblay, de Conflans, de Sainte-Honorine, de Montigny, craignaient de se trouver empoisonnés par les exhalaisons morbides échappées des nouveaux marécages, surtout quand souffleraient les vents du sud ; ceux d'Andrésy, d'Achères et la ville de Poissy se trouvaient dans le même cas par les vents d'est et de sud-est, qui soufflent durant l'été ; mais c'est surtout La Frette, Maisons-Laffitte et Saint-Germain qui, se trouvant à l'ouest de la forêt, eurent tout lieu de craindre, quand souffleraient les vents de nord-ouest et d'ouest, les plus fréquents du climat de Paris, les conséquences du fâcheux voisinage. Quand on examine la situation de ces ravissantes localités, perdues dans les frais ombrages et peuplées d'innom-
[Publicité : BAMAG]
[Publicité : ASTER]
braves villas, il est facile de comprendre et d'admettre qu'une légitime émotion se soit emparée de leurs populations. Elles repoussèrent cette rivière d'égouts fétide et fangeuse qu'on voulait leur imposer,
[Encart : LA VILLE DE CHERBOURG recherche un moyen de se débarrasser de ses ordures ménagères. Cube journalier, environ 45 mètres. Adresser offres. Mairie.]
craignant l'infection de l'air, celle des eaux de source, et redoutant, peut-être avec raison, qu'en dépit de ses promesses du moment, le service hydraulique ne soit amené à défricher complètement les terrains désignés, c'est-à-dire le tiers environ de la forêt, et que voulant déverser sur mille hectares une quantité annuelle de cent ou d'au moins cinquante millions de mètres cubes, soit cent ou cinquante mille litres d'eau par mètre carré, le terrain ne perde rapidement sa faculté d'absorption.
Les ingénieurs répondirent que ces craintes étaient chimériques, que les terrains à sacrifier étaient incultes, sans produits, à demi déboisés, situés à environ une lieue et demie et deux lieues de la terrasse et de la ville de Saint-Germain, et que le marais, dût-il se former, n'influencerait en rien les données hygiéniques de la contrée, que la direction des vents ramènerait rarement les exhalaisons vers les principaux centres.
La question resta longtemps pendante et ne reçut aucune solution. On parla d'un canal conduisant les eaux vannes de Paris à la mer, par la vallée que suit le chemin de fer de Gisors, Neufchâtel, Dieppe, mais ce projet fut jugé trop dispendieux.
[Publicité : BAUDOT HARDOLL]
[Publicité : BUREAU D'ÉTUDES INDUSTRIELLES TECHMA]